Date : 20090129
Dossier : IMM-3116-08
Référence : 2009 CF 90
Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2009
En présence de monsieur le juge Pinard
ENTRE :
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s'agit de la demande de contrôle judiciaire d'un avis de la représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration émis en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), avis signé le 10 juin 2008 et selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et qu'il peut donc être renvoyé au Sri Lanka.
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[2] Nilakaran Kanagasingam (le demandeur) est un citoyen du Sri Lanka qui vit au Canada depuis le 7 décembre 1998, lorsqu’il est entré au Canada comme mineur non accompagné et a présenté une demande d'asile. Le jour de son arrivée au Canada, le demandeur a fait l’objet d’un rapport d'interdiction de territoire sur la base de l'alinéa 19(2)d) et du paragraphe 9(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, et du paragraphe 14(1) de l'ancien Règlement sur l'immigration, pour non‑respect des conditions suivantes : avoir demandé et obtenu son visa d'immigration et être muni d'un passeport, d'un document d’identité et d'un titre de voyage valides à son arrivée au Canada.
[3] Le demandeur s'est enfui du Sri Lanka en raison de sa crainte des Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (les TLET), des forces armées sri-lankaises et de la police. En tant que fils aîné de sa famille, le demandeur était la cible d'un recrutement par les TLET. Le demandeur et d'autres étudiants devaient assister à des réunions des TLET à son école et finalement, les TLET l'ont emmené travailler pour eux pendant environ 15 jours. En juillet 1998, les TLET ont abordé la famille du demandeur pour son recrutement; malgré son opposition, la famille avait peur de refuser. Grâce à l'aide de sa mère et d'un agent, le demandeur a pu quitter le pays, mais auparavant, il a été détenu pendant toute une nuit par la police et interrogé relativement à son appartenance aux TLET.
[4] Le 7 juillet 1999, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a décidé que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention.
[5] Entre le 28 février et le 11 juin 2003, le demandeur a été déclaré coupable des nombreuses infractions suivantes : (1) supposition intentionnelle de personne, pour laquelle il a été condamné à une peine d'emprisonnement d'un jour; (2) vol qualifié, pour lequel il fut condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement et à deux années de probation; (3) omission de se conformer à un engagement assorti de conditions, pour laquelle il fut condamné à un jour d'emprisonnement; (4) proférer des menaces, pour laquelle il fut condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis et à trois années de probation; (5) usage d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une infraction, pour lequel il fut condamné à douze mois d'emprisonnement.
[6] Le 16 avril 2003, il a fait l'objet d’un rapport d’interdiction de territoire en application du paragraphe 44(1) de la Loi, au motif de grande criminalité (alinéa 36(1)a)) et de criminalité organisée (alinéa 37(1)a)). Le 24 février 2004, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur sur la base de criminalité et de grande criminalité. Le même jour, il a présenté un avis d'appel de la mesure de renvoi. Le 24 mars 2005, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) l'a débouté de son appel.
[7] Le 22 novembre 2005, les représentants de l'immigration à l'Agence des services frontaliers du Canada à Montréal ont informé le demandeur de leur intention de demander l'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration sur la question de savoir si le demandeur constitue un danger pour le public et s'il peut être renvoyé (ou refoulé) au Sri Lanka. Il a été invité à présenter des observations. Le 9 décembre 2005, le demandeur a fourni des documents relatifs aux emplois qu’il avait occupés. Le 19 septembre 2007, les représentants de l'immigration ont communiqué d'autres renseignements au demandeur sur le danger qu'il constituait selon eux pour le public, le risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé au Sri Lanka et les motifs d'ordre humanitaire pertinents. En réponse à l’invitation de présenter des observations supplémentaires, le demandeur a présenté une lettre de son employeur datée du 21 septembre 2007 et un relevé des opérations de son compte bancaire personnel à la Banque Royale du Canada.
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[8] À la page 10 de l'avis contesté, le représentant du ministre a écrit ce qui suit :
[traduction]
Je fais remarquer que le casier judiciaire de M. Kanagasingam est étayé par un grand nombre de documents des cours, de la police et de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, lesquels décrivent les infractions d’une façon très détaillée et font la lumière sur les circonstances, la personnalité du demandeur et le préjudice possible subi par les victimes. De plus, les renseignements contenus dans le dossier révèlent des éléments de preuve crédibles sur la tendance de M. Kanagasingam à utiliser des armes pour menacer ses victimes et sa volonté de brandir des armes dangereuses et menaçantes, comme des machettes, dans la perpétration de ses crimes. La preuve révèle aussi de nombreux exemples crédibles du manque de respect de M. Kanagasingam pour la loi, par exemple lorsqu'il a donné une fausse identité à la police ou lorsqu'il a violé ses ordonnances de probation. Ainsi, pour rendre ma décision, je me suis fondé sur les renseignements et la preuve que j'estime crédibles et fiables. J'ai tenu en particulier compte de divers rapports de police relatifs aux graves déclarations de culpabilité de M. Kanagasingam et des motifs de la SAI relatifs à l'appel de sa mesure d’expulsion.
[9] Par la suite, il ajouta : [traduction] « J'ai aussi examiné attentivement les observations de M. Kanagasingam […]. Bien que je tienne compte qu'il travaille et qu'il a un compte bancaire, ces observations ne touchent pas directement ses antécédents criminels. » En outre, le représentant du ministre a fait remarquer que le demandeur [traduction] « n'a pas exprimé de remords pour ses activités criminelles et n’a pas vraiment pris conscience du mal qu’il a fait » et que, en fait, il n'a pas assumé la responsabilité de ses actes, ce qui démontre qu'il ne s'est pas encore réformé.
[10] Le représentant du ministre a fait remarquer que les observations du demandeur du 9 décembre 2005 ne traitaient pas de la question du risque. Par conséquent, il a évalué la base de l’octroi du statut de réfugié au demandeur. De plus, le représentant du ministre s'est penché sur le plus récent rapport du Département d'État des États-Unis quant aux pratiques en matière de droits de la personne au Sri Lanka (2007). Aux pages 13 et 14 de l'avis, il écrit :
[traduction]
M. Kanagasingam dit que lorsqu'il était un élève, un jeune garçon tamoul originaire du Nord, âgé de 15 ans, les TLET voulaient le recruter. Sur la foi de la preuve contenue dans le dossier qui établit que M. Kanagasingam n'est plus un jeune garçon, mais un adulte âgé de vingt-cinq ans, je suis convaincu dans l’ensemble qu'il n’est plus exposé au risque d'être recruté par les TLET comme enfant soldat. […]
Les renseignements dont je dispose ne me convainquent pas, selon la prépondérance de la preuve, que, en tant qu’homme tamoul qui retourne au Sri Lanka, M. Kanagasingam sera personnellement la cible du recrutement des TLET. […]
[11] Il conclut comme suit à la page 16 :
[traduction]
Sur la foi de la preuve, je suis convaincu, selon la prépondérance de la preuve, que M. Kanagasingam n'a eu aucune affiliation avec les TLET ni avec d’autres groupes politiques, affiliation qui conduirait à ce qu'il soit personnellement la cible des forces de sécurité du gouvernement du Sri Lanka, en tant que personne qu’elles voudraient détenir, maltraiter ou torturer s'il retournait au Sri Lanka. De plus, je suis aussi convaincu, selon la prépondérance, que M. Kanagasingam ne serait d'aucun intérêt pour les TLET, en tout cas pas au point où il serait exposé à quelque risque que ce soit énuméré à l'article 97 de la LIPR s'il était renvoyé au Sri Lanka. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que M. Kanagasingam ne serait pas la cible des TLET ou des autorités du Sri Lanka à son retour au Sri Lanka. Ainsi, comme Tamoul de retour au Sri Lanka, il ne serait pas plus exposé à un risque de menace à sa vie ou de torture ou de traitements cruels et inusités.
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[12] La présente affaire soulève les questions suivantes :
1. Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur dans sa décision prise en application de l'alinéa 115(2)a) de la Loi selon laquelle le demandeur constitue un « danger pour le public »?
2. Le représentant du ministre a-t-il commis une erreur dans sa décision selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un véritable risque à son retour au Sri Lanka?
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[13] Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes quant à l’affaire :
36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :
a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;
[…]
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36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for
(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;
…
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96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
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97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. […]
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
…
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115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :
a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada; …
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115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.
(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person
(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; …. |
[14] L'article suivant de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés est aussi pertinent :
Article 33. – Défense d’expulsion et de refoulement
1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.
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Article 33. – Prohibition of expulsion or return (“refoulement”)
1. No Contracting State shall expel or return (“refouler”) a refugee in any manner whatsoever to the frontiers of territories where his life or freedom would be threatened on account of his race, religion, nationality, membership of a particular social group or political opinion.
2. The benefit of the present provision may not, however, be claimed by a refugee whom there are reasonable grounds for regarding as a danger to the security of the country in which he is, or who, having been convicted by a final judgment of a particularly serious crime, constitutes a danger to the community of that country.
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[15] Avant de passer à l’examen du bien-fondé de la demande, il convient de se rappeler le contexte légal. Le paragraphe 115(1) de la Loi énonce la règle générale contre le refoulement et incorpore le premier paragraphe de l'article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. L'alinéa a) constitue donc une des exceptions à cette règle générale et il correspond au paragraphe 2 de l'article 33. Comme la juge Trudel de la Cour d'appel fédérale l'a écrit dans Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153 :
[69] En ce qui concerne le dernier volet de mon analyse de la seconde question certifiée, j’accepte l’argument de l’appelant suivant lequel [traduction] « vu la nature fondamentale de l’interdiction de refoulement et, de façon plus générale, le caractère humanitaire de la Convention, il faut considérer que les conditions minimales à remplir avant que les exceptions ne jouent sont très exigeantes » […]
[Non souligné dans l'original.]
[16] Dans Nagalingam, la Cour d'appel cite aussi l'affirmation de sir Elihu Lauterpacht et de Daniel Bethlehem selon laquelle :
[traduction]
186. Il ressort à l’évidence du libellé du paragraphe 33(2) que seules les déclarations de culpabilité pour les crimes particulièrement graves entrent dans le champ d’application de l’exception. Ce double qualificatif – particulièrement et graves – s’accorde avec la portée restreinte de l’exception et indique que le refoulement ne peut être envisagé en vertu de cette disposition que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Suivant certains auteurs, parmi le type de crimes qui tombent sous le coup de l’exception, il y a lieu de mentionner le meurtre, le viol, le vol à main armée, l’incendie criminel, etc.
E. Lauterpacht et D. Bethlehem, « The Scope and Content of the Principle of non-refoulement: Opinion » in Refugee Protection in International Law: UNHCR’s Global Consultations on International Protection, édition sous la direction de E. Feller, V. Türk et de F. Nicholson (New York, Cambridge University Press, 2003) 87, au paragraphe 139.
[17] Dans l’arrêt Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, aux paragraphes 16 à 19, la Cour d'appel fédérale a exposé la bonne méthodologie pour la présentation d’un avis de danger. De façon notable, au paragraphe 17, la Cour d’appel fédérale énonce clairement que la question de savoir si une personne protégée constitue un danger pour le public est une décision qui :
[…] est fondée sur les antécédents judiciaires de la personne concernée et prend en compte « un danger présent et futur pour le public » : Thompson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 119 F.T.R. 269, au paragraphe 20.
[18] En ce qui concerne la norme de contrôle applicable, avant Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme appliquée par la Cour à un avis sur le danger dans le cadre d'un contrôle était la décision manifestement déraisonnable. À la suite de Dunsmuir, arrêt dans lequel la Cour suprême a fusionné la décision manifestement déraisonnable et la décision raisonnable simpliciter en une seule norme, la norme de contrôle maintenant applicable dans le cadre du contrôle d'un avis de danger est la raisonnabilité. Au paragraphe 47 de Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a énoncé :
[…] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[19] La Cour doit donc décider si les conclusions de l'avis entrent dans le cadre des « issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[20] Avec tout cela à l’esprit, j’analyserai maintenant les questions de fond de la présente affaire.
L’évaluation du danger
[21] Le demandeur soutient que le représentant du ministre a commis une erreur parce qu'il s'est concentré presque exclusivement sur les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur en 2003. Le représentant du ministre n'a presque pas donné de poids à la conduite du demandeur pendant la période entre 2004 et 2008, période au cours de laquelle le demandeur a constamment conservé un emploi à temps plein et où il n'a eu aucune déclaration de culpabilité.
[22] Le défendeur soutient que le demandeur s'oppose simplement au poids accordé aux facteurs dont le représentant du ministre a tenu compte, ce qui ne présente pas une base appropriée pour une intervention de la Cour. Dans sa réponse, le demandeur déclare que le défendeur ne présente pas correctement son point de vue en le ramenant au poids accordé aux facteurs; plutôt, il conteste le défaut du représentant du ministre, en effet, d’appliquer le critère approprié prévu par la loi.
[23] Comme éléments de preuve qui lui ont été présentés, le représentant du ministre avait le droit de se fonder sur la décision de la SAI et sur les déclarations des juges qui ont prononcé les peines. Je partage la réserve exprimée dans l'avis, relative au manque de remords apparent du demandeur à ce moment-là, comme décrit par ces déclarations. Néanmoins, le seul fait qu’un demandeur ait commis une infraction grave le fait seulement entrer dans le champ d’application de la disposition; cela n'est pas décisif de la question de savoir si le demandeur est un danger pour le public. L’alinéa 115(2)a) contient une dimension temporelle, comme le demandeur l'a souligné, en ce que cet alinéa traite de la tentative de mesurer la possibilité d'un danger présent et futur pour le public, comme la jurisprudence l'a interprété (voir par exemple Ragupathy, précité). Toutefois, le représentant du ministre ne mentionne pas le fait que le demandeur n'a eu aucune déclaration de culpabilité ni aucune arrestation depuis 2004. Dans sa décision, la SAI écrit au paragraphe 18 qu'elle « n’a aucune raison de croire que l’appelant changera ou qu’il pourra changer». La preuve présentée au représentant du ministre est précisément le genre de preuve qui aurait pu fournir une telle raison et qui aurait justifié une analyse plus fouillée. Selon moi, le représentant du ministre n'a pas raisonnablement appliqué l'alinéa 115(2)a).
L’évaluation du risque
[24] Je conviens en outre, avec le demandeur, que le représentant du ministre a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un véritable risque à son retour au Sri Lanka.
[25] Comme le demandeur l'a fait remarquer, le représentant du ministre cite avec une certaine insistance le rapport du Département d'État des États‑Unis de 2007 sur les pratiques en matière des droits de la personne au Sri Lanka (le rapport du DE), comme preuve que la situation a changé au Sri Lanka, de façon que les enfants ne sont plus une cible de recrutement pour les TLET. Toutefois, le même extrait cité fait référence au changement de cap des TLET qui mettent maintenant l'accent sur les jeunes hommes Tamoul — précisément le groupe démographique du demandeur. Cela donne à penser que le demandeur serait une cible de choix pour les TLET, contrairement à la conclusion du représentant du ministre. Étant donné qu’il existe une contradiction si patente avec ses déclarations relatives au risque pour le demandeur, le représentant du ministre avait l'obligation d'expliquer plus en détail son point de vue. En outre, je ne puis souscrire à son argumentation selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque plus grand que le risque généralisé auquel sont soumis les autres; au contraire, il serait exposé à la menace disproportionnée à laquelle est soumis le groupe social auquel il appartient, soit celui des jeunes hommes tamouls.
[26] En ce qui a trait au risque du demandeur vis-à-vis du gouvernement du Sri Lanka, les paragraphes liminaires du rapport DE comportent l'affirmation suivante :
[traduction]
Le respect que le gouvernement accorde aux droits de la personne continue de décliner, en partie en raison de l'escalade dans le conflit armé. Même si les personnes d'origine ethnique tamoule constituent environ seize pour cent de la population, la grande majorité des victimes des violations des droits de la personne, telles que les meurtres et les disparitions, étaient des jeunes hommes tamouls. Des rapports crédibles faisaient état de meurtres commis par des personnes à la solde du gouvernement, d'assassinats commis par des auteurs inconnus, de meurtres à caractère politique et de recrutement d'enfants soldats par des forces paramilitaires associées au gouvernement, de disparitions, d'arrestations arbitraires et de détention. Ces rapports faisaient aussi état de piètres conditions d’emprisonnement, de refus de procès public équitable, de corruption du gouvernement et de manque de transparence. Ils mentionnaient également la violation de la liberté religieuse, de la liberté de circulation et des discriminations envers les minorités. […]
[27] En outre, le document fait état de ce qui suit, dans une partie non citée dans l'avis :
[traduction]
Dans le Nord et l'Est, zones touchées par le conflit, le service de renseignement militaire et les autres personnes chargées de la sécurité travaillent parfois avec des paramilitaires armés. Ils mettent en détention régulière et irrégulière des civils soupçonnés d'avoir des liens avec les TLET. Les détentions sont suivies d'interrogatoires musclés qui incluent fréquemment la torture. Lorsque les interrogatoires ne permettent pas d'obtenir des preuves, les détenus sont souvent relâchés et on les avertit de ne pas révéler d'information sur leur arrestation et on les menace de nouvelle arrestation ou de mort, s'ils divulguent de l'information sur leur détention. Certains sont tués par des hommes masqués en motocyclette immédiatement après avoir quitté ces installations militaires à pied.
[28] Ce passage contredit la conclusion du représentant du ministre selon laquelle le demandeur ne court pas le risque d'être [traduction] « personnellement la cible des forces de sécurité du gouvernement du Sri Lanka, en tant que personne qu’elles voudraient détenir, maltraiter ou torturer s'il retournait au Sri Lanka ».
[29] Le fait de ne pas avoir adéquatement tenu compte de la preuve contradictoire relative au risque constitue, selon moi, une erreur qui justifie l'intervention de la Cour.
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[30] Pour tous les motifs mentionnés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre représentant du ministre pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre représentant du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les motifs de jugement rendus aujourd’hui.
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3116-08
INTITULÉ : Nilakaran KANAGASINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 21 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le JUGE Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 29 janvier 2009
COMPARUTIONS :
Stephan J. Fogarty POUR LE DEMANDEUR
Lisa Maziade POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet d'avocat Fogarty POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada