Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2009
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
et
EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT CANADA
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur sollicite la révision des motifs d’exception invoqués par la défenderesse à l’égard de près de 900 pages de renseignements en réponse à la demande qu’il a présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. ch. P-21. Pour les motifs suivants, la demande est accueillie à l’égard de bon nombre de documents qui n’ont pas été divulgués au demandeur.
Le contexte
[2] M. Murchison était un employé d’Exportation et développement Canada (EDC) pendant presque trois ans, d’août 1979 à mai 1982. Il a démissionné pour poursuivre sa carrière dans le secteur privé. Au cours des sept années suivantes, il a travaillé pour Northern Telecom, BCI Inc. et, plus tard, pour un courtier associé à la Lloyd’s of London, qui, à l’époque, était en activité sur le marché canadien de l’assurance commerciale.
[3] M. Murchison a cherché à être réembauché par EDC en 1989, croyant que son expérience au sein du secteur privé ferait de lui un candidat recherché pour un poste de direction. Depuis, selon son calcul, il a fait au moins 26 demandes d’emploi officielles à EDC; aucune d’entre elles n’a été retenue.
[4] Ses demandes ayant été rejetées maintes fois sur une période d’environ 15 ans, M. Murchison s’est demandé si son dossier aux ressources humaines ne contenait pas des renseignements défavorables qui nuisaient à sa réembauche. Par conséquent, en septembre 2004, il a communiqué avec le service des ressources humaines d’EDC pour avoir accès à son dossier personnel, et a ensuite présenté une demande écrite à cette fin le 28 septembre 2004. En réponse, EDC a récupéré le dossier personnel de M. Murchison des Archives nationales, et lui a envoyé une copie de ses 157 pages le 29 octobre 2004.
[5] M. Murchison a découvert que son dossier contenait effectivement des renseignements négatifs, sous la forme d’une note écrite à la main par M. Wayne Hughes, anciennement gestionnaire des ressources humaines à EDC, qui avait été chargé de faire une enquête sur les qualités de M. Murchison lorsque ce dernier a exprimé pour la première fois son désir d’être réembauché en 1989. La note visait à archiver les commentaires et les souvenirs négatifs de cinq personnes qui travaillaient au sein d’EDC, lesquelles avaient été invitées à donner leur opinion sur le réemploi de M. Murchison. M. Murchison croit fermement que les renseignements contenus dans la note ont été inventés pour saboter ses chances d’emploi à EDC, et il estime que cette note n’aurait jamais dû être jointe à son dossier personnel archivé. Quelles que soient les raisons qui les ont motivés, M. Murchison est d’avis que les commentaires négatifs recueillis sont faux. En octobre 2006, il a intenté contre EDC et d’autres personnes une action à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue d’obtenir des dommages‑intérêts pour le préjudice que lui auraient causé ces renseignements. Ce litige est en instance.
[6] Le 4 novembre 2004, plusieurs jours après avoir reçu son dossier personnel, M. Murchison a écrit au service des ressources humaines d’EDC pour lui faire part de ses préoccupations quant au contenu de son dossier, et pour lui proposer de rayer les éléments offensants et de faire le nécessaire pour rétablir sa réputation. Il a également indiqué ce qui suit : [traduction] « un dédommagement suffisant devra m’être accordé en contrepartie des répercussions financières de cette tentative insouciante et abusive de saboter mes possibilités de carrière ». EDC a répondu par une lettre datée du 30 novembre 2004, informant M. Murchison qu’il était improbable que son dossier ait été consulté relativement à toute demande d’emploi et que, [traduction] « en signe de bonne foi », elle était disposée à détruire le contenu entier de son dossier professionnel. Par la suite, il y a eu entre M. Murchison et EDC une rencontre ainsi que plusieurs discussions et des échanges de correspondance pour tenter d’arriver à un règlement. Toutefois, au début de janvier 2005, aucun règlement n’avait été conclu. M. Murchison a changé sa stratégie et a décidé d’aborder directement le président par intérim d’EDC, M. Gilles Ross. Il a également présenté aux Archives nationales du Canada une demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, en vue de consulter la version originale de son dossier. Les Archives nationales devaient récupérer le dossier remis à EDC, mais ce n’est qu’à la troisième semaine d’avril 2005 – bien au‑delà du délai de 30 jours prescrit par la loi – qu’elles l’ont produit pour examen. M. Murchison a alors découvert que son dossier original comportait trois pages qui ne figuraient pas dans la copie qu’EDC lui avait transmise. À peu près au même moment, il a rencontré M. Ross et un autre gestionnaire d’EDC du service juridique, M. John Peters. Depuis ce moment‑là, malgré le caractère positif de la rencontre, EDC a refusé d’avoir affaire directement à M. Murchison, le référant plutôt à Cavanagh Williams, le cabinet d’avocats inscrit au dossier dans la présente instance et dont EDC avait retenu les services relativement aux allégations de M. Murchison. Toutefois, M. Murchison a continué de s’adresser directement à EDC jusqu’au 2 octobre 2006, peu de temps avant qu’il ne présente son action en dommages‑intérêts à la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
[7] C’est dans ce contexte, avant l’introduction de la poursuite mais après que l’affaire eut été confiée à l’avocat externe représentant EDC, que M. Murchison a présenté à EDC une demande fondée sur le paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, pour que lui soient communiqués ses renseignements personnels. Cette demande, datée du 17 octobre 2005, et la réponse à celle‑ci, constituent le fondement de l’espèce. Dans sa demande, M. Murchison a indiqué qu’il demandait la communication de ce qui suit :
[traduction]
Tous les documents et les dossiers me concernant autres que ceux dont disposent les Archives nationales en date du 17 oct. 2005, notamment toutes les notes d’information, les procès‑verbaux des réunions, la correspondance et les évaluations dans lesquelles sont intervenus W. Hughes, W. Musgrove, J. Graves, P. Foran, J. Olts, A.I. Gillespie, L. Landry, R. Richardson, C. Caldwell, J. Christie, D. Blair, M. Cammaert, R. Wright, G. Ross, S. Picard, J. Peters, A. Lawford et les consultants externes, les avocats, les agents de Commerce international Canada, etc.
*Note : Une demande officielle de communication de renseignements personnels a été présentée en sept. 2004. La présente demande est formulée en vue d’obtenir les documents qui ne m’ont pas été communiqués suivant cette demande antérieure, notamment ceux dont la communication m’a été injustement refusée et ceux qui ont été rédigés dans l’intervalle subséquent.
[8] Le 7 novembre 2005, ou aux environs de cette date, M. Murchison a modifié sa demande pour y ajouter les renseignements suivants : [traduction] « provenant des dossiers de dotation, conservés dans le groupe des ressources humaines d’EDC – y compris ceux relatifs à un poste de gestionnaire au service des finances pour lequel j’ai postulé en juin 2004 (réf. 000127) et à un poste de directeur au service à la clientèle pour lequel j’ai postulé en mai de cette année ».
[9] La demande de M. Murchison a été traitée par M. Serge Picard, secrétaire adjoint, avocat‑conseil et coordonnateur de la protection des renseignements personnels d’EDC. C’est la première fois qu’EDC recevait une demande de cette nature en plus de deux décennies; cela pourrait fort bien expliquer la façon dont elle s’est prise pour y répondre. Le 27 octobre 2005, M. Picard a envoyé un courriel à 18 personnes qui, selon lui, pouvaient détenir les documents en question, et y a copié la demande de M. Murchison telle qu’énoncée dans sa correspondance du 17 octobre 2005. Il demandait ce qui suit :
[traduction]
a) Veuillez communiquer avec moi si la demande n’est pas claire ou si elle porte à confusion.
b) Veuillez m’informer si vous croyez qu’une autre personne ou un autre service détient les documents en question.
c) Si vous désignez une personne pour coordonner la réponse de votre service/section, veuillez m’aviser du nom de cette personne.
d) Veuillez me transférer les documents qui concernent la demande au plus tard le 31 octobre 2005.
e) Veuillez communiquer avec moi sans tarder si vous ne pouvez respecter la date limite.
J’examinerai les documents avec mon avocat, y indiquerai toute exception qui pourrait s’appliquer et vous les retournerai pour que vous les examiniez et les approuviez.
Note : les documents en question comprennent les courriels, les documents stockés dans les lecteurs individuels ou réseau et les documents contenus dans les bases de données.
[10] En réponse, M. Picard a reçu environ 4 000 pages de documents qu’il prétend avoir personnellement examinés [traduction] « ligne par ligne et page par page ». Dans son examen, M. Picard a tout d’abord déterminé que bon nombre de documents, ou parties de ceux‑ci, ne contenaient pas de « renseignements personnels » concernant M. Murchison au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a ensuite déterminé que, parmi le reste des documents, un certain nombre pouvait être exclu de la communication en vertu du secret professionnel des avocats prévu à l’article 27 de la Loi.
[11] M. Gilles Ross, qui a reçu une délégation de pouvoir écrite de la part du président d’EDC, Rob Wright, a autorisé les motifs d’exception et les suppressions que lui avait conseillé M. Picard. Il a ensuite communiqué un ensemble de documents d’environ 3 756 pages à M. Murchison avec une lettre d’accompagnement datée du 13 décembre 2005. Sur les 3 756 pages communiquées, environ 836 étaient entièrement ou partiellement supprimées au motif que leur contenu, selon EDC, était protégé par le secret professionnel des avocats, alors qu’environ 126 étaient entièrement ou partiellement supprimées au motif qu’elles contenaient des renseignements qu’EDC a qualifié [traduction] « de nature non personnelle ».
[12] Le 14 décembre 2005, le jour après avoir reçu l’ensemble de documents, M. Murchison a formulé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP) pour contester les affirmations d’EDC selon lesquelles certains renseignements sont protégés par le secret professionnel des avocats. Il demandait au CPVP d’intervenir afin que tous les documents qui ne lui avaient pas été divulgués ou qui avaient été supprimés soient communiqués dans leur intégralité. La semaine avant, il avait déposé une plainte concernant le défaut d’EDC de répondre à sa demande de communication dans le délai prescrit de 30 jours.
[13] Le CPVP a mené une enquête et a conclu qu’un certain nombre des documents entièrement ou partiellement supprimés qui, selon EDC, contenaient des renseignements [traduction] « de nature non personnelle », contenait en réalité des renseignements personnels sur M. Murchison. Le CPVP a noté sa conclusion et les pages précises concernées dans une lettre datée du 26 janvier 2006 envoyée à l’attention de M. Picard. M. Murchison n’a pas reçu de copie de cette lettre; or, il en a obtenu une seulement plus tard grâce à une demande distincte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, présentée subséquemment.
[14] Suivant les discussions qu’elle a eues avec le CPVP relativement à la plainte de M. Murchison, EDC a communiqué des documents à deux autres reprises, soit le 3 février 2006 et le 19 décembre 2006, avec une lettre d’accompagnement signée par M. Picard. La première communication comprenait des documents qu’EDC, de son propre aveu, n’avait pas divulgués par erreur. À ce moment‑là, M. Picard a également affirmé qu’un certain nombre des pages mentionnées dans la communication du 13 décembre 2005 n’existaient pas réellement (à savoir, les pages 2204 à 2303, 2511, 2512, 3887 à 3890, 3956 et 3957). La deuxième communication comprenait environ 30 documents qui avaient été entièrement ou partiellement supprimés, soit sur le fondement du secret professionnel des avocats ou au motif qu’ils contenaient des renseignements [traduction] « de nature non personnelle ».
[15] Le 30 mars 2007, apparemment à la suite de discussions supplémentaires avec le CPVP, le vice‑président, Services juridiques, d’EDC, M. Jim McArdle, a écrit à M. Murchison pour l’informer qu’EDC invoquait maintenant le secret professionnel des avocats à l’égard d’un certain nombre de documents ou de parties de ceux‑ci qui, jusque‑là, n’avaient pas été divulgués sur le fondement invoqué dans la lettre de Gilles Ross datée du 13 décembre 2005, à savoir qu’ils ne contenaient pas de renseignements personnels sur M. Murchison. M. Murchison fait remarquer à juste titre que les documents énumérés par M. McArdle à cet égard correspondent de près à ceux que le CPVP avait désignés, dans sa lettre du 26 janvier 2006 adressée à EDC, comme étant des documents contenant en réalité des renseignements personnels sur M. Murchison. En bref, M. Murchison fait valoir que lorsque le CPVP a examiné et rejeté les motifs d’exception invoqués par EDC à l’égard de certains documents au motif qu’ils ne contenaient pas de renseignements personnels sur lui, celle‑ci a simplement décidé d’invoquer, à la place, le secret professionnel des avocats.
[16] Le 16 mai 2007, le CPVP a écrit à M. Murchison pour l’informer qu’il considérait sa plainte comme étant réglée. Les passages suivants figuraient dans la lettre et sont reproduits intégralement :
[traduction]
Lorsque nous avons examiné les renseignements qu’EDC n’a pas divulgués, nous avons remarqué que certains étaient exclus sur le fondement du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 12(1) de la Loi permet à une personne de se faire communiquer sur demande les renseignements personnels la concernant. Il arrive parfois que des dossiers ou des documents relevant d’une institution fédérale contiennent des références à d’autres personnes, qui n’ont pas de lien avec la question visée par la demande de communication. C’est ce qui est arrivé dans votre cas : certains documents dans votre dossier contenaient des renseignements concernant d’autres personnes et des renseignements de nature non personnelle. C’est pourquoi vous n’avez pas le droit d’y avoir accès.
Cela dit, nous avons remarqué que certaines pages contenaient effectivement des renseignements personnels vous concernant et en raison de notre intervention, EDC vous a communiqué des renseignements supplémentaires le 19 décembre 2006. Elle vous a également informé que les renseignements qui avaient été antérieurement supprimés en vertu du paragraphe 12(1) l’étaient maintenant en vertu de l’article 27. Le 30 mars 2007, EDC vous a également informé que certains des renseignements qui ne vous avaient pas été communiqués en réponse à votre demande du 17 octobre 2005, au motif qu’ils ne vous concernaient pas, ne sont maintenant pas divulgués conformément à l’article 27 de la Loi.
L’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet à une institution fédérale de refuser de communiquer tout renseignement personnel qui est protégé par le secret professionnel des avocats. Ce privilège s’applique aux renseignements préparés par un avocat, ou pour ce dernier, dans le but de donner un avis ou à des fins de litige. À la suite des observations que nous avons présentées en votre nom, EDC a accepté de ne pas appliquer cette disposition sur un certain nombre de pages et vous a communiqué les renseignements contenus dans ces pages le 19 décembre 2006. Je suis convaincu que les autres renseignements qui n’ont pas été divulgués en vertu de cette disposition sont exclus à bon droit.
Lorsque vous avez examiné la documentation, vous avez remarqué certaines incohérences dans les documents et vous avez conclu qu’EDC n’avait pas divulgué des renseignements intentionnellement. Nous avons remarqué qu’il y a des erreurs administratives de traitement en ce qui concerne la numérotation et la photocopie des pages, ce qui a engendré certaines incohérences dans les documents. EDC vous avait informé de certaines de ces erreurs dans sa lettre du 2 février 2006.
Nous sommes d’avis que vous n’avez pas reçu initialement tous les renseignements auxquels vous aviez droit et par conséquent, nous avons conclu que cette plainte est bien fondée. Toutefois, maintenant que les renseignements supplémentaires vous ont été transmis, nous considérons l’affaire réglée.
[17] N’étant pas satisfait de la réponse d’EDC, même après l’intervention du CPVP, M. Murchison a présenté une demande de révision devant notre Cour en application du paragraphe 41 de la Loi. Cette disposition est rédigée comme suit :
41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. |
41. Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow. |
La norme de contrôle applicable sous le régime de l’article 41
[18] M. Murchison s’est vu refuser la communication d’une partie ou de l’ensemble des documents visés par la présente demande au motif qu’ils ne contenaient pas de renseignements personnels le concernant ou qu’ils contenaient des renseignements protégés par le secret professionnel des avocats. Le premier motif d’exception, invoqué sur le fondement du paragraphe 12(1), porte que les renseignements ne sont pas des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi. Ces articles sont rédigés comme suit :
12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande :
a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels; b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.
3. « renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :
a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé; c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre; d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin; e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement;
f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur; g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;
h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;
i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;
toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :
j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :
(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,
(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,
(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,
(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,
(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;
k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;
l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;
m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.
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12. (1) Subject to this Act, every individual who is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act has a right to and shall, on request, be given access to
(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and (b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to render it reasonably retrievable by the government institution.
3. "personal information" means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,
(a) information relating to the race, national or ethnic origin, colour, religion, age or marital status of the individual,
(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved, (c) any identifying number, symbol or other particular assigned to the individual,
(d) the address, fingerprints or blood type of the individual, (e) the personal opinions or views of the individual except where they are about another individual or about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to another individual by a government institution or a part of a government institution specified in the regulations, (f) correspondence sent to a government institution by the individual that is implicitly or explicitly of a private or confidential nature, and replies to such correspondence that would reveal the contents of the original correspondence,
(g) the views or opinions of another individual about the individual,
(h) the views or opinions of another individual about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to the individual by an institution or a part of an institution referred to in paragraph (e), but excluding the name of the other individual where it appears with the views or opinions of the other individual, and
(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,
but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include
(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,
(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,
(ii) the title, business address and telephone number of the individual,
(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual, (iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and
(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,
(k) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of the individual given in the course of the performance of those services,
(l) information relating to any discretionary benefit of a financial nature, including the granting of a licence or permit, conferred on an individual, including the name of the individual and the exact nature of the benefit, and
(m) information about an individual who has been dead for more than twenty years;
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Quant au deuxième motif d’exception, invoqué sur le fondement de l’article 27 de la Loi, il porte que les renseignements peuvent ne pas être divulgués puisqu’ils sont protégés par le secret professionnel des avocats. L’article 27 est rédigé comme suit :
27. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. |
27. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that is subject to solicitor-client privilege. |
[19] Il a été établi que la norme de contrôle applicable au motif d’exception invoqué sur le fondement de l’article 12 de la Loi est celle de la décision correcte : voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66, 2003 CSC 8 et Elomari c. Canada (Agence spatiale canadienne), [2006] A.C.F. no 1100, 2006 CF 863. La même norme a été appliquée dans le cadre de la révision d’un motif d’exception invoqué sur le fondement de l’article 27 de la Loi : voir Gauthier c. Canada (Ministre de la Justice), [2004] A.C.F. no 794, 2004 CF 655. Je souscris à l’analyse des juges Tremblay-Lamer et Mosley ainsi qu’aux conclusions qu’ils ont tirées dans les décisions de notre Cour susmentionnées. Par conséquent, les motifs d’exception invoqués par EDC seront examinées selon la norme de la décision correcte.
[20] En plus de prétendre qu’EDC a eu tort d’invoquer ces motifs d’exception, M. Murchison a présenté un certain nombre d’arguments qui requièrent l’attention de la Cour avant qu’elle n’examine les documents en question et les motifs d’exception invoqués pour chacun d’eux.
Les questions soulevées par le demandeur
EDC a-t‑elle perdu ou renoncé à la possibilité d’invoquer un motif d’exception en raison de sa réponse tardive?
[21] M. Murchison prétend qu’EDC a perdu ou a renoncé à son droit d’invoquer un motif d’exception à la communication parce qu’elle n’a pas répondu dans les 30 jours prescrits aux articles 14 et 16 de la Loi.
[22] L’article 14 de la Loi prévoit que le responsable d’une institution qui reçoit une demande de communication de renseignements personnels est tenu de répondre dans les 30 jours. Il est rédigé comme suit :
14. Le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication de renseignements personnels en vertu du paragraphe 12(1) est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, sous réserve de l’article 15 : a) d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle des renseignements personnels; b) le cas échéant, de procéder à la communication.
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14. Where access to personal information is requested under subsection 12(1), the head of the government institution to which the request is made shall, subject to section 15, within thirty days after the request is received, (a) give written notice to the individual who made the request as to whether or not access to the information or a part thereof will be given; and
(b) if access is to be given, give the individual who made the request access to the information or the part thereof. |
[23] L’article 16 de la Loi prévoit qu’en cas de refus de communication de renseignements personnels, le responsable de l’institution doit mentionner les motifs de ce refus. Il prévoit expressément que ces motifs doivent être incorporés à la réponse visée à l’alinéa 14a) de la Loi. Il est rédigé comme suit :
16. (1) En cas de refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1), l’avis prévu à l’alinéa 14a) doit mentionner, d’une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée et, d’autre part :
a) soit le fait que le dossier n’existe pas;
b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se fonde le refus ou sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si les renseignements existaient.
(2) Le paragraphe (1) n’oblige pas le responsable de l’institution fédérale à faire état de l’existence des renseignements personnels demandés.
(3) Le défaut de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication.
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16. (1) Where the head of a government institution refuses to give access to any personal information requested under subsection 12(1), the head of the institution shall state in the notice given under paragraph 14(a)
(a) that the personal information does not exist, or
(b) the specific provision of this Act on which the refusal was based or the provision on which a refusal could reasonably be expected to be based if the information existed, and shall state in the notice that the individual who made the request has a right to make a complaint to the Privacy Commissioner about the refusal.
(2) The head of a government institution may but is not required to indicate under subsection (1) whether personal information exists. (3) Where the head of a government institution fails to give access to any personal information requested under subsection 12(1) within the time limits set out in this Act, the head of the institution shall, for the purposes of this Act, be deemed to have refused to give access. |
[24] M. Murchison fait valoir que les articles 14 et 16, interprétés conjointement, exigent que le responsable de l’institution à qui une demande de communication est présentée doit répondre dans les 30 jours. En l’espèce, EDC n’a pas répondu dans le délai de 30 jours. M. Murchison prétend que si le responsable n’a pas répondu à l’intérieur de ce délai, le droit de refuser la communication est perdu et ne peut être invoqué plus tard. Par conséquent, plaide‑t‑il, tous les renseignements personnels doivent être communiqués. Il a fait valoir qu’[traduction] « il est temps pour la Cour de statuer sur cette question de façon catégorique » et a soutenu que le défaut de répondre à l’intérieur du délai de 30 jours prescrit par la Loi entraîne la déchéance du droit de refuser de communiquer des renseignements personnels.
[25] EDC prétend que le paragraphe 16(3) réfute entièrement l’argument de M. Murchison. Le paragraphe 16(3) prévoit que le défaut de communication de renseignements personnels demandés dans le délai de 30 jours vaut décision de refus de communication. Suivant le paragraphe 29(1) de la Loi, la personne qui demande la communication a alors le droit de déposer une plainte au CPVP, ce que M. Murchison a fait en l’espèce. EDC prétend que le dépôt d’une plainte est le seul recours de l’auteur de la demande. Elle soutient en outre qu’aucun délai n’est prévu dans la Loi limitant le droit d’une institution d’invoquer une exception. Par conséquent, fait-elle valoir, elle pouvait invoquer l’exception à la communication en tout temps.
[26] Je suis d’avis que l’argument de M. Murchison selon lequel EDC a perdu son droit de refuser de lui communiquer les documents ne peut être retenue. Les exceptions prévues par la Loi sont énoncées aux articles 18 à 28. Elles s’appliquent à ce qui suit : les renseignements inconsultables par décret du gouverneur en conseil (article 18), les renseignements protégés par ce que l’on pourrait nommer le privilège gouvernemental (articles 19 à 25), les renseignements personnels concernant un autre individu (article 26), les renseignements qui sont protégés par le secret professionnel des avocats (article 27) et les dossiers médicaux lorsque la communication à la personne qui le demande la desservirait (article 28). Aucune des exceptions visées dans ces dispositions ne prévoit le moment où l’exception doit être invoquée. Qui plus est, ces articles, ou toute autre disposition de la Loi, n’exigent pas que l’institution doit invoquer l’exception dans le délai de 30 jours prescrit pour la réponse et, qu’à défaut, elle perd à tout jamais son droit de l’invoquer.
[27] Dans Longaphy c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 1429, le juge Dubé a défini l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels de cette façon :
[…] je ne dois pas oublier que la Loi a pour objet de protéger la vie privée des particuliers. Le droit de chacun d’avoir accès aux renseignements personnels qui le concernent doit être exercé en tenant compte de multiples considérations : le droit d’autrui à la protection des renseignements qui le visent, le respect de leur caractère confidentiel, et la réalisation licite des enquêtes ayant trait à la prévention du crime et aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales.
L’objet mentionné par le juge Dubé serait grandement compromis si l’argument du demandeur était accepté, car les considérations dont il tient compte seraient entièrement mises de côté. La Loi prévoit un équilibre entre le droit d’une personne de se faire communiquer ses propres renseignements personnels et les considérations susmentionnées. Si nous laissons tomber les considérations simplement parce que l’auteur d’une demande de communication de renseignements personnels n’obtient pas de réponse dans les délais prescrits, alors nous perdrons l’équilibre prévu par la Loi – la balance penche définitivement en faveur de la partie qui demande la communication.
[28] À mon avis, il faudrait que le libellé de la Loi soit clair et explicite pour conclure que les renseignements personnels d’autres personnes, les secrets d’État et les renseignements confidentiels émanant du gouvernement ainsi que les documents qui sont protégés par le secret professionnel des avocats doivent être communiqués simplement parce que l’institution n’a pas invoqué l’exception dans le délai de 30 jours. Les considérations en cause sont simplement trop importantes pour être perdues en raison de ce qui pourrait être de l’inadvertance ou un retard de la part de l’institution. Bien que je comprenne la frustration du demandeur relativement au temps qu’on a mis pour répondre à sa demande, le retard à lui seul n’empêche pas la défenderesse d’invoquer les exceptions prévues par la Loi.
[29] Bien que son examen ait alors porté sur la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1, la Cour d’appel fédérale a également rejeté l’affirmation portant que le défaut de répondre, et donc le refus présumé, empêche la partie d’invoquer subséquemment une exception prévue par la loi. Dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522, la Cour a écrit :
[Le Commissaire] soutient que l’effet du refus présumé est d’empêcher l’institution de se prévaloir subséquemment des exceptions que prévoit la Loi et que partant, l’enquête initiale du Commissaire permettait à ce dernier de disposer du bien-fondé de la plainte. Cette prétention est insoutenable.
[30] Tout en gardant à l’esprit le commentaire du juge Laforest au par. 45 de l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, selon lequel la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels devraient être traitées comme un « code homogène », je suis d’avis que les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans le passage précité prévalent en l’espèce. Par conséquent, le fait qu’EDC ait invoqué l’exception après le délai prescrit pour une réponse initiale n’est pas fatal si le fondement factuel justifiant l’exception est démontré.
Le secret professionnel des avocats a-t-il été invoqué à bon droit?
[31] M. Murchison prétend qu’EDC n’a pas invoqué le secret professionnel des avocats à bon droit relativement à un grand nombre, voire la totalité, des documents. Il fait valoir que le secret professionnel a été invoqué abusivement pour différents motifs : (i) le secret professionnel a été invoqué avant qu’il ne soit engagé dans un litige; (ii) certains avocats qui ont donné l’avis juridique ne sont pas membres du Barreau du Haut‑Canada et ainsi, ne peuvent invoquer le secret professionnel, car ils avaient donné l’avis à la défenderesse dans la province de l’Ontario; et (iii) certains des avocats qui ont donné l’avis occupaient des rôles autres que celui d’avocat.
[32] L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, donne un résumé intéressant du droit relatif au secret professionnel des avocats. L’avocat qui donne l’avis ne doit pas exercer en cabinet privé. L’avis donné par un avocat à l’emploi d’un service juridique gouvernemental interne à son client, un organisme du gouvernement, est protégé par le secret professionnel de l’avocat : R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565. Toutefois, la Cour suprême a indiqué que lorsqu’une personne communique avec des avocats internes, elle doit être consciente qu’ils occupent souvent d’autres rôles. Par conséquent, les avis donnés par des avocats internes qui n’ont rien à voir avec les compétences en droit de l’intéressé ne jouissent pas de la protection du secret professionnel. Comme la Cour l’a souligné :
Vu la nature du travail d’un avocat interne, dont les fonctions sont souvent à la fois juridiques et non juridiques, chaque situation doit être évaluée individuellement pour déterminer si les circonstances justifient l’application du privilège. Ce dernier s’appliquera ou non selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni.
[33] En l’espèce, six personnes exerçaient des fonctions juridiques au sein de la défenderesse au moment des faits. Deux de ces personnes occupaient seulement un rôle juridique :
· Anthony Abraham était avocat‑conseil principal avant sa nomination en 2001 à titre d’avocat général adjoint. Il occupe seulement le rôle d’avocat au sein d’EDC. Il est membre du Barreau du Haut‑Canada.
· John Peters était avocat‑conseil avant sa nomination en 1999 à titre d’avocat‑conseil principal. Il est également membre du Barreau du Haut‑Canada.
Les quatre autres personnes exerçaient des fonctions juridiques et d’autres fonctions administratives :
· James (Jim) McArdle était avocat‑conseil principal avant sa nomination en 2001 à titre de chef des Services juridiques et secrétaire adjoint principal. En 2006, il a accédé au poste de premier vice‑président, Services juridiques, et secrétaire à EDC. Il est membre du Barreau du Haut‑Canada.
· John Pallascio était avocat‑conseil principal avant sa nomination en 2001 à titre d’avocat général adjoint. En 2006, il a été nommé chef des Services juridiques et secrétaire adjoint d’EDC. Il est membre du Barreau du Québec.
· Serge Picard est secrétaire adjoint, avocat‑conseil et coordonnateur de la protection des renseignements personnels. Par conséquent, le secret professionnel des avocats ne protège que les avis qu’il a donnés à EDC lorsqu’il exerçait la fonction d’avocat. Il est membre du Barreau du Québec.
· Gilles Ross a pris sa retraite d’EDC en février 2006 et de son poste à titre de premier vice‑président, Services juridiques, et secrétaire. Par conséquent, le secret professionnel des avocats ne protège que les avis qu’il a donnés à EDC lorsqu’il exerçait la fonction de premier vice‑président, Services juridiques. Il est membre du Barreau du Québec.
À mon avis, puisque Anthony Abraham et John Peters occupaient un seul rôle, soit un rôle juridique, la correspondance qu’ils ont envoyée ou reçue ne doit être examinée que pour déterminer si elle est visée par la définition du secret professionnel des avocats comme nous en discuterons plus loin. En revanche, la correspondance que les quatre autres avocats ont envoyée ou reçue ne peut être traitée ainsi, puisqu’il se pourrait qu’elle ait été envoyée ou reçue alors qu’ils occupaient leurs rôles non juridiques. Ces situations exigent un examen de l’objet de l’avis, des circonstances dans lesquelles ils a été demandé et fourni et le rôle que la personne occupait lorsqu’elle l’a donné.
[34] L’argument de M. Murchison portant qu’en l’espèce, le secret professionnel ne protège que les communications envoyées ou reçues par des avocats qui sont membres du Barreau du Haut‑Canada ne peut être retenu. Le droit d’invoquer le secret professionnel des avocats ne sera pas perdu simplement parce que l’avocat de la relation est inscrit au barreau d’une autre province que celle où la question en litige a été soulevée. Sur ce point, je suis d’accord avec la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans Gower c. Tolko Manitoba Inc., (1999), 181 D.L.R. (4th) 353, conf. par (2001), 196 D.L.R. (4th) 716, où elle a fait remarquer que [traduction] « toute autre conclusion reviendrait à ignorer les réalités de la pratique moderne du droit ».
[35] Pour déterminer si un document est exclu de la communication sur le fondement du secret professionnel des avocats prévu à l’article 27 de la Loi, il faut tenir compte, sans s’y arrêter, de ce qu’on appelle le privilège relatif au litige. Dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, le juge Fish a expliqué en détail la portée, l’objet et le fondement différents du privilège relatif au litige. La Cour souscrit à la description suivante de la distinction entre le secret professionnel des avocats et le privilège relatif au litige fournie par le juge Sharpe, avant qu’il ne soit nommé juge, dans « Claiming Privilege in the Discovery Process », Law in Transition : Evidence, [1984] Special Lectures, L.S.U.C. 163, aux pages 164 et 165 :
[traduction]
Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat. Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication. Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non. Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui‑même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige. Cette différence mérite qu’on s’y arrête. L’intérêt qui sous‑tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat. Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d’obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.
Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige. Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat. Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).
[36] Le juge Carthy de la Cour d’appel de l’Ontario, dans General Accident Assurance Co. c. Chrusz (2000), 45 O.R. (3d) 321, a également souscrit à cette explication. Cette décision portait en partie sur la question de la communication de documents dans le cadre d’un litige et du privilège relatif au litige invoqué. Le juge Carthy a statué que [traduction] « cette forme de privilège n’a rien de sacrosainte » et que la tendance moderne favorise une divulgation complète. Il a conclu qu’[traduction] « il n’existe aucune raison apparente de freiner cette tendance dans le mesure où l’avocat continue à jouir d’une souplesse suffisante pour servir adéquatement son client ».
[37] Je suis d’avis que ces observations du juge Carthy sont tout aussi pertinentes lorsqu’il est question d’examiner des demandes fondées sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette dernière est une loi quasi constitutionnelle; elle rappelle à quel point la protection de la vie privée est nécessaire au maintien d’une société libre et démocratique : voir Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, à la p. 434. Elle est conforme au principe fondamental portant que la communication à un citoyen canadien de ses renseignements personnels détenus par le gouvernement ou par une organisation du gouvernement constitue la règle, pourvu qu’elle n’ait pas d’incidence sur l’obligation de l’avocat de servir adéquatement son client dans le cadre du litige. Par conséquent, à mon sens, le simple fait qu’un litige ait été envisagé entre M. Murchison et EDC ne signifie pas que toutes les communications qui visaient un avocat d’EDC sont protégées par le privilège relatif au litige.
[38] Dans leurs observations, les deux parties ont consacré beaucoup de temps à la question de savoir à quel moment l’application du privilège relatif au litige est entrée en jeu en l’espèce. À mon avis, il était injustifié d’attacher autant d’importance au privilège relatif au litige, même si l’on admet qu’à la lumière de Blank, précité, l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels devrait être interprété comme visant à la fois le privilège relatif au litige et le secret professionnel des avocats. J’emploie le mot injustifié car, en l’espèce, j’estime que les motifs d’exception invoqués sur le fondement de l’article 27 se rapportent principalement au secret professionnel des avocats dans un sens plus restreint, c.‑à‑d. aux communications relatives à l’avis juridique. Comme nous le décrivons plus loin, la majorité des documents pour lesquels l’exception à la communication a été invoquée sur le fondement du secret professionnel ont été envoyés ou copiés aux avocats internes d’EDC qui n’avaient pas de lien avec l’avis juridique donné ou reçu. De plus, selon moi, la communication de ces documents, à quelques exceptions près, ne nuirait en aucun cas à la capacité des avocats d’EDC à servir adéquatement la défenderesse relativement au litige actuellement en instance l’opposant à M. Murchison.
[39] Le privilège relatif au litige, lorsqu’il empêche à juste titre la communication d’un document, ne s’applique qu’après le début du litige ou qu’après la date où il était raisonnablement envisagé. Le 4 novembre 2004, le demandeur a formulé une plainte par écrit à la défenderesse concernant ce qu’il qualifiait de portrait inexact de son travail au sein d’EDC. Après avoir expliqué brièvement qu’il espérait que les renseignements offensants soient extraits de son dossier personnel, que les personnes qui s’y sont fiées soient avisées qu’ils ne reflètent pas l’opinion d’EDC et qu’un dédommagement suffisant lui soit accordé, il a conclu en écrivant ce qui suit :
[traduction]
J’espère que vous allez satisfaire mes attentes, car il s’agit de la bonne chose à faire. Je suis convaincu que vous, et les autres membres de l’équipe de gestion d’EDC, le ferez – en agissant de bonne foi et en démontrant l’intégrité des pratiques actuelles de l’entreprise en matière de ressources humaines. Toutefois, nous sommes tous conscient qu’il existe également des motifs techniques et juridiques impérieux de le faire le plus rapidement possible. Je préfère nettement emprunter la voie d’une solution amiable et j’espère pouvoir discuter avec vous de cette situation importante dans un avenir très prochain.
Le 7 décembre 2004, le demandeur a fourni à la défenderesse une chronologie détaillée des événements, qu’il a par la suite mise à jour le 7 janvier 2005. Dans ce document, il a écrit ce qui suit :
[traduction]
Dans l’éventualité où les parties ne sont pas en mesure d’arriver à une solution amiable, je me réserve également le droit de retirer ce document (qui vous est fourni sous toutes réserves) et de fournir une chronologie intégrale qui vise à examiner de façon plus approfondie la portée juridique de ces circonstances et à préciser celles qui, sur l’avis de mon avocat, donnent ouverture à des droits d’action légaux.
[40] Dans un affidavit souscrit le 29 août 2007, Serge Picard, secrétaire adjoint, avocat‑conseil et coordonnateur de la protection des renseignements personnels pour la défenderesse, atteste, après avoir fait référence à la lettre du demandeur datée du 4 novembre 2004, qu’[traduction] « à cette date, EDC estimait que le litige était raisonnablement envisagé et était, en fait, probable ». EDC a retenu les services d’un avocat externe en janvier 2005, après avoir reçu la chronologie susmentionnée.
[41] M. Murchison fait valoir qu’il espérait et qu’il s’attendait à ce que cette affaire soit réglée sans recourir aux tribunaux. Il allègue que l’action qu’il a intentée contre la défenderesse à la Cour supérieure de justice de l’Ontario visait seulement à conserver son droit d’action étant donné que le délai de prescription approchait. Malgré cela, j’estime que le demandeur avait envisagé un litige dès le 4 novembre 2004. Même si le demandeur espérait qu’un litige soit évité, la preuve indique qu’il en envisageait un si aucun règlement ne pouvait être conclu par quelque moyen que ce soit. De plus, à mon avis, une personne raisonnable lisant la correspondance du demandeur reproduite ci‑haut aurait conclu qu’un litige était envisagé. C’est pourquoi le privilège relatif au litige ne peut être invoqué à bon droit que s’il vise les renseignements personnels recueillis depuis le 4 novembre 2004.
[42] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la meilleure analyse relative au secret professionnel des avocats est celle de la Cour suprême du Canada dans Pritchard, précité. Il en vaut la peine de le reproduire ici dans son intégralité.
14 Le privilège avocat‑client s’entend du lien privilégié existant entre un client et son avocat. Lorsqu’il consulte son avocat, le client doit sentir qu’il peut s’exprimer librement et en toute franchise au sujet de ce qui le préoccupe et qu’il bénéficie d’une protection à cet égard, de façon que, comme notre Cour l’a reconnu, le système de justice puisse bien fonctionner : voir Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, par. 46.
15 Dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837, le juge Dickson a énoncé les critères permettant d’établir l’existence du privilège avocat-client. Il doit s’agir d’« (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle ». À une certaine époque, le privilège ne s’appliquait qu’aux communications intervenues au cours d’un litige, mais il s’est ensuite appliqué à toute consultation juridique sur une question litigieuse ou non : voir Solosky, p. 834. [Non souligné dans l’original.]
16 Généralement, le privilège avocat-client s’applique dans la mesure où la communication s’inscrit dans le cadre habituel et ordinaire de la relation professionnelle. Une fois son existence établie, le privilège a une portée particulièrement large et générale. Dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 893, notre Cour a statué que le privilège s’attachait « à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client‑avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel ». Le privilège ne s’étend pas aux communications : (1) qui n’ont trait ni à la consultation juridique ni à l’avis donné, (2) qui ne sont pas censées être confidentielles ou (3) qui visent à faciliter un comportement illégal : voir Solosky, précité, p. 835. [Non souligné dans l’original.]
17 Comme l’a écrit notre Cour dans R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 2 :
Le secret professionnel de l’avocat [le privilège avocat-client] s’entend du privilège qui existe entre un client et son avocat et qui est fondamental pour le système de justice canadien. Le droit est un écheveau complexe d’intérêts, de rapports et de règles. L’intégrité de l’administration de la justice repose sur le rôle unique de l’avocat qui donne des conseils juridiques à des clients au sein de ce système complexe. La notion selon laquelle une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat pour qu’il soit en mesure de la représenter pleinement est au cœur de ce privilège.
Le privilège est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles, notamment en cas de risque véritable qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à tort.
18 Dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, notre Cour a confirmé que le privilège avocat-client doit être quasi absolu et ne doit souffrir que de rares exceptions. S’exprimant au nom de notre Cour à ce sujet, la juge Arbour a rappelé les principes énoncés dans McClure :
… le secret professionnel de l’avocat [le privilège avocat-client] doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas. [Souligné dans l’original.]
(La juge Arbour dans Lavallee, précité, par. 36, citant le juge Major dans McClure, par. 35.)
[43] Puisque le secret professionnel s’applique au‑delà des situations relatives au litige envisagé ou en instance, il peut être invoqué chaque fois qu’une communication a lieu entre le client, EDC, et ses avocats. Contrairement au privilège relatif au litige qui s’éteint à l’issue du litige qui lui a donné lieu, le secret professionnel des avocats continue : voir Blank, précité. EDC, comme plusieurs grandes organisations, dispose d’un certain nombre d’avocats internes à qui elle peut demander un avis juridique. Seuls quelques‑uns des documents en question étaient écrits ou reçus par l’avocat externe d’EDC. La vaste majorité des documents en question à l’égard desquels EDC a invoqué le secret professionnel des avocats sont des documents reçus et envoyés par des avocats internes. Toutes ces communications sont protégées par le secret professionnel pourvu que, tel qu’établi dans Solosky, précité, elles avaient trait à la consultation juridique ou a l’avis donné, elles étaient censées être confidentielles et elles ne visaient pas à faciliter un comportement illégal.
[44] Si l’on applique les principes énoncés dans Solosky, précité, une communication n’est pas protégée par le secret professionnel des avocats simplement parce qu’elle a été copiée ou envoyée à un avocat à titre informatif. S’il en était autrement, on pourrait aller à l’encontre de l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels en expédiant toute la correspondance à un avocat interne, en plus de l’expédier aux autres destinataires. En l’espèce, bon nombre de documents en question sont des exemplaires de courriels qui ont été envoyés à bien des personnes travaillant au sein d’EDC, y compris un ou plusieurs de ses avocats. À mon avis, à moins qu’il ne fasse référence à la consultation juridique ou à l’avis donné, le courriel devrait être communiqué s’il contient des renseignements personnels sur M. Murchison.
[45] De même, j’estime qu’on ne devrait pas refuser la divulgation d’un document qui serait par ailleurs communiqué simplement parce qu’il a été joint à un document qui avait été exclu à bon droit. Mon opinion coïncide avec la notion selon laquelle « aucun privilège automatique ne s’applique aux documents qui ne sont pas privilégiés par ailleurs simplement parce qu’ils se trouvent entre les mains de l’avocat d’une partie », comme la juge Heneghan de notre Cour l’a affirmé au par. 46 de la décision Belgravia Investments Ltd. c. Canada, 2002 CFPI 649. Par exemple, les politiques d’EDC qui sont accessibles au public ne deviennent pas protégées par le secret professionnel des avocats simplement parce qu’elles ont été jointes à une lettre qu’EDC avait écrite à son avocat, même si ce dernier peut en tenir compte plus tard lorsqu’il donnera un avis juridique à sa cliente. De même, le secret professionnel ne s’applique pas à un document qui aurait autrement pu être communiqué, comme une décision de jurisprudence, simplement parce qu’il est joint à une lettre dans laquelle un avocat donne un avis à son client, même s’il s’agit d’une décision à laquelle l’avocat renvoie dans sa lettre. Ces pièces jointes constituent des documents distincts qui, sauf dans des cas exceptionnels où ils permettraient réellement de déduire le contenu et la substance de l’avis privilégié, doivent être examinés indépendamment et séparément de la correspondance à laquelle ils sont joints. Pour paraphraser l’analyse de la Cour d’appel de l’Ontario sur la possibilité de découvrir des documents publics annexés au dossier d’un avocat, au par. 39 de l’arrêt General Accident Assurance Co. c. Chrusz (2000), 45 O.R. (3d) 321, la communication de documents publics annexés à des communications privilégiées empiète peu en l’espèce sur la liberté de l’avocat de se préparer en privé et milite fortement en faveur de l’équité.
[46] Par conséquent, j’ai ordonné la communication des pièces jointes à des documents exclus à bon droit, car on ne peut déduire le contenu de l’avis à partir de celles‑ci, et le secret professionnel des avocats invoqué à l’égard des documents exclus ne saurait s’appliquer aux pièces jointes. Il se pourrait très bien que la pièce jointe, dans la plupart des cas, ne contienne pas de renseignements personnels sur M. Murchison; toutefois, cette exception ne peut être invoquée par la défenderesse puisqu’elle n’a jamais affirmé que le document était exclu sur le fondement du paragraphe 12(1) de la Loi en raison des renseignements de nature non personnelle qu’il contenait.
EDC a‑t‑elle négligé de se conformer aux lignes directrices du Conseil du Trésor?
[47] Le demandeur soutient que le document préparé par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada intitulé « Protection des renseignements personnels – Politiques et publications[1] » aurait dû être suivi et observé par EDC lorsqu’elle a répondu à sa demande. Il prétend que plusieurs aspects de cette politique ont été violés, dont l’un des plus importants est qu’EDC n’a pas noté son raisonnement, ainsi que les mesures administratives, les délibérations et les décisions qu’elle a prises lorsqu’elle a traité la demande de communication. Il fait valoir qu’en raison de ces violations, il a été privé d’un traitement équitable dans la procédure suivie puisqu’il est impossible d’établir avec certitude la véracité et la légitimité des exceptions invoquées par EDC.
[48] La défenderesse soutient qu’elle n’est pas liée par la politique et la procédure du Conseil du Trésor. Elle prétend également que même si c’était le cas, son défaut de suivre les lignes directrices est sans conséquence. Pour étayer sa prétention, la défenderesse cite la déclaration du juge Rothstein de la Cour fédérale (maintenant juge à la Cour suprême) dans Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux public), [1993] 3 C.F. 320, où il écrit au sujet des Politiques et lignes directrices concernant l’information et la protection des renseignements personnels au paragraphe 43 : « Je reconnais que les lignes directrices peuvent faciliter l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information. Je constate également qu’elles ne représentent que l’opinion du Conseil du Trésor ou de ses agents et qu’elles ne lient ni les institutions fédérales, ni les auteurs d’une demande de communication, ni la Cour. » La Cour d’appel fédérale, dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 950, 2002 CAF 270, au paragraphe 37, cite avec approbation cette déclaration.
[49] À mon avis, ces commentaires à eux seuls n’aident pas tellement la défenderesse, en ce sens que les juges Rothstein et Décary ne parlaient que des parties des lignes directrices exposant l’interprétation du Conseil du Trésor des articles et des dispositions de la Loi. Il est bien établi que des sources secondaires comme des publications gouvernementales n’aident qu’à l’interprétation des lois et n’ont pas force obligatoire. Contrairement au contexte de la décision Canada Post, le demandeur prétend en l’espèce qu’EDC, en tant qu’institution gouvernementale, était tenue de suivre les procédures administratives énoncées dans les lignes directrices lorsqu’elle a répondu à sa demande de communication.
[50] Selon moi, les lignes directrices, aux fins de la présente demande, ne jouent que le rôle de lignes directrices. Bon nombre de dispositions dans ces lignes contiennent un libellé obligatoire. Par exemple, l’article 5 du chapitre 1-1 prévoit que : « Les institutions fédérales doivent satisfaire aux exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels […] » (non souligné dans l’original). Cependant, les dispositions du chapitre 2‑6 traitant du droit d’accès aux renseignements personnels ne contiennent pas de libellé obligatoire. L’introduction du chapitre 2 dispose que : « Cette partie du manuel sur la protection des renseignements personnels vise à fournir des lignes directrices pour l’interprétation et l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, des règlements et des politiques qui s’y rapportent. » Par conséquent, il n’existe aucune exigence prévue par la loi portant qu’une institution gouvernementale comme EDC qui, au moment des faits, était assujettie aux lignes directrices, doit méticuleusement observer ces lignes directrices. Elles ne visent qu’à servir d’aide à l’administration de la Loi et des politiques. Ainsi, le défaut de s’y conformer n’a aucune conséquence juridique pour l’institution. Cette conclusion cadre avec le principe plus général et « fondamental » selon lequel les lignes directrices administratives, qui ne sont pas des règlements et n’ont pas force de loi, ne créent pas de droits à des tiers : voir Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1981] 1 C.F. 500, au par. 29, conf. sur cette question par [1982] A.C.S. no 57. Or, on peut aussi affirmer, comme le demandeur l’a fait, que si EDC avait suivi les lignes directrices et conservé une copie de ses mesures et de ses décisions lorsqu’elle a répondu à sa demande, il n’y aurait pas eu certaines lacunes dans ses informations qui sont maintenant évidentes – comme lorsqu’elle a initialement invoqué l’exception à l’égard de quelques centaines de pages au motif qu’elles contenaient des renseignements de nature non personnelle, prétendant par la suite que ces pages n’ont jamais existées.
La pièce « E » est‑elle invalide compte tenu qu’elle ne constitue pas le produit du travail de l’affiant ?
[51] Serge Picard, secrétaire adjoint, avocat‑conseil et coordonnateur de la protection des renseignements personnels d’EDC, a souscrit un affidavit comprenant la pièce E, laquelle est décrite comme étant un tableau [traduction] « qui énumère, dans le cadre de la demande du demandeur visant à obtenir des renseignements personnels en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels datée du 17 octobre 2005, telle que modifiée le 7 novembre 2005, chaque document qu’EDC n’a pas divulgué ou a supprimé avant la communication et à l’égard duquel elle comprend que le demandeur sollicite une ordonnance […] qui enjoindrait EDC […] de communiquer le document dans sa totalité ». Le tableau a quatre colonnes. La première désigne le document par numéro de page; la deuxième décrit les raisons motivant le refus de communication; la troisième expose les prétentions de la défenderesse à l’égard du document auquel renvoie ses lettres datées du 3 février 2006, du 19 décembre 2006 et du 20 mars 2007; et la dernière prévoit une brève description du document et la raison de la non‑divulgation.
[52] Le demandeur conteste l’admission de ce document au motif qu’il n’était pas préparé par M. Picard, mais bien pour lui. Il soutient que M. Picard n’a aucune connaissance personnelle et directe des énoncés contenus dans le document. M. Picard reconnaît dans son affidavit que le tableau a été préparé par les avocats d’EDC relativement à la présente demande [traduction] « par souci de commodité pour la Cour »; toutefois, il affirme également qu’il a examiné le tableau et qu’il est convaincu de son exactitude.
[53] À mon avis, la contestation du demandeur est erronée. Il n’est pas rare que les avocats résument des renseignements au moyen notamment de tableaux, pour le bénéfice de la Cour. Ce genre d’aide est apprécié. Habituellement, ces résumés sont préparés et remis à la Cour durant la plaidoirie; ils sont rarement inclus dans un affidavit. Le fait qu’ils sont inclus dans un affidavit ne veut pas dire qu’ils deviennent, dans les circonstances mentionnées précédemment, une preuve déterminante. Quoiqu’il en soit, lorsque j’examinerai l’opinion de la défenderesse au sujet des documents en question, je me pencherai sur l’opinion telle qu’exposée dans ses diverses lettres, et non par ce résumé.
Les personnes qui ont répondu pour le compte d’EDC après le 15 décembre 2005 avaient‑elles la compétence pour le faire?
[54] Le demandeur fait valoir que seuls le responsable de l’institution et les personnes à qui il a délégué son pouvoir peuvent invoquer à bon droit une exception à la communication sur le fondement de la Loi. Il soutient que seule la lettre du 13 décembre 2005, signée par Gilles Ross, premier vice‑président, Services juridiques, et secrétaire, était signée par une personne détenant un pouvoir délégué. Le président lui avait délégué son pouvoir au moyen d’une note signée le 12 décembre 2005.
[55] La défenderesse a présenté une preuve documentaire indiquant que le président avait également délégué son pouvoir à J. McArdle, premier vice‑président, Services juridiques, et secrétaire, en date du 9 mars 2007. M. McArdle a répondu au demandeur dans une lettre datée du 30 mars 2007.
[56] En plus des réponses de MM. Ross et McArdle, le demandeur a reçu des réponses de Serge Picard le 3 février 2006 et le 19 décembre 2006. La défenderesse soutient que même si aucun pouvoir n’avait été délégué à M. Picard, contrairement aux autres, ce dernier n’invoquait une exception que dans sa lettre du 19 décembre 2006. Dans sa lettre du 3 février 2006, il modifie les motifs d’exception invoqués par M. Ross dans sa lettre du 13 décembre 2005, en ce sens qu’il communique les renseignements pour lesquels une exception avait été antérieurement invoquée. Par conséquent, la défenderesse fait valoir que les seules exceptions invoquées par une personne qui ne détenait pas de pouvoir délégué étaient celles énoncées dans la lettre de M. Picard en date du 19 décembre 2006.
[57] Dans sa lettre du 19 décembre 2006, M. Picard communique tous les documents pour lesquels un motif d’exception avait été précédemment invoqué, ou une bonne partie d’entre eux. L’exception à la communication est invoquée à l’égard de quelques pages seulement et, dans chaque cas, ces pages étaient déjà visées par un motif d’exception. M. Picard a toutefois modifié le motif d’exception. Notamment, il mentionne que l’ensemble des pages suivantes, ou une partie de celles‑ci, qui n’avaient pas été communiquées initialement au motif qu’elles contenaient des renseignements de nature non personnelle, ne sont pas communiquées au motif qu’elles sont protégées par le secret professionnel des avocats : à savoir les renseignements mentionnés aux pages 375, 391, 864, 2904, 1543, 1608, 1943 et 1947.
[58] Selon moi, l’argument du demandeur est bien fondé. Les articles de la Loi qui portent sur le refus de communiquer des renseignements personnels prévoient tous expressément que c’est le responsable de l’institution qui peut refuser la communication. Il s’ensuit qu’une déclaration formulée par un agent ou un employé qui n’est pas le responsable de l’institution au sens de la Loi, ou à qui ce dernier n’a pas délégué de pouvoir, est sans effet. Par conséquent, les lettres de M. Picard datées du 3 février 2006 et du 19 décembre 2006, dans la mesure où elles visent à invoquer une exception, sont inopérantes.
[59] Bien que le secret professionnel des avocats ne soit pas invoqué à bon droit par M. Picard, il se pourrait que la défenderesse ait antérieurement prétendu, à juste titre, que le contenu du document en question était protégé par le secret professionnel des avocats. Il en est ainsi, car bon nombre des documents contenus dans les 4 000 pages ou presque sont des courriels qui ont été produits à maintes reprises. Par conséquent, dans le cas où serait ordonnée la communication de tout document à l’égard duquel le secret professionnel n’a pas été invoqué à bon droit par M. Picard, la défenderesse, si elle estime que le contenu d’un autre document est valablement protégé par le secret professionnel, disposerait d’une période raisonnable pour le prouver à la satisfaction de la Cour. Je réserve le droit, dans ces circonstances, d’ordonner que le document, ou une partie de celui‑ci, ne soit pas communiqué.
Les suppressions faites par la défenderesse étaient‑elles exagérées?
[60] M. Murchison soutient que lorsque la suppression d’un document exclu est justifiée, elle doit être limitée au renseignement précis qui fait l’objet de l’exception invoquée. Il souligne que dans bien des documents qui lui ont été produits dans une version expurgée, le contenu entier est supprimé. Il fait valoir que la défenderesse a exagéré à cet égard et, à titre d’exemple, il soutient que les lignes « à », « de » et « re » sur les courriels n’auraient pas dû être supprimées même si leur contenu essentiel était exclu de la communication.
[61] M. Murchison soutient que la Cour devait s’inspirer de la décision Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.), dans laquelle la Cour d’appel a conclu que les exceptions doivent être interprétées strictement comme étant des exceptions à l’objet général de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lequel est notamment d’assurer le droit d’accès des personnes aux renseignements personnels qui les concernent et qui relèvent d’une institution gouvernementale. Il s’appuie également sur les motifs de mes collègues le juge Mosley dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2005] A.C.F. no 1927, et le juge O’Keefe dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] A.C.F. no 1110. Dans ces deux décisions, la Cour était d’avis que la suppression doit être aussi limitée que possible. Toutefois, aucune de ces décisions ne portait sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elles concernaient plutôt le contrôle en application des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1. L’article 25 de cette Loi prévoit expressément que les parties dépourvues des renseignements exclus de la communication doivent être communiquées, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne dispose d’aucune disposition équivalente; ainsi, on pourrait affirmer que ces décisions ne sont d’aucune utilité en l’espèce.
[62] Selon moi, bien que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne contienne aucune disposition similaire à l’article 25 de la Loi sur l’accès à l’information, son objet, tel qu’énoncé à l’article 2, étaye l’opinion du demandeur selon laquelle les suppressions doivent être raisonnablement limitées lorsque le secret professionnel des avocats est invoqué. Dans Blank, précité, le juge Mosley a examiné le droit général du secret professionnel des avocats et a statué comme suit aux paragraphes 26 à 29 :
26 Selon le principe général énoncé par Wigmore dans 8 Wigmore, Evidence, au paragraphe 2292 (McNaughton rév. 1961), le secret professionnel de l’avocat vise l’ensemble des communications :
[traduction]
[L]es communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d’obtenir un avis juridique font l’objet à son instance d’une protection permanente contre toute divulgation par le client ou le conseiller juridique, sous réserve de la renonciation à cette protection.
27 La portée du privilège est large et englobe toutes les communications entre un avocat et son client. La Cour suprême du Canada a récemment avalisé cette interprétation de la portée du secret professionnel de l’avocat dans l’arrêt Pritchard, précité, au paragraphe 16.
28 Toutefois, [traduction] « ce ne sont pas toutes les communications entre un avocat et son client qui sont protégées mais uniquement celles qui concernent […] une demande d’avis juridique de la part du client » : Davies c. American Home Assurance Co., (2002), 60 O.R. (3d) 512, à la page 519. En outre, pour être protégée, la communication doit avoir lieu dans le cadre d’une demande d’avis juridique et dans l’intention que telle communication demeure confidentielle : John Sopinka, Sidney N. Lederman & Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (Toronto : Butterworths, 1992), à la page 642.
29 Le secret professionnel de l’avocat, [traduction] « s’applique à toutes les formes de communications, mais il ne s’applique aux faits mentionnés que si ces faits peuvent être connus par d’autres moyens et s’ils sont pertinents » : General Accident c. Chrusz, (1999), 45 O.R. (3d) 321, à la page 347. Ainsi, lorsqu’une communication entre un avocat et son client a lieu aux fins de la transmission ou de la réception de renseignements concernant des faits, la communication n’est pas privilégiée et peut être obtenue lors de l’interrogatoire préalable dans une poursuite civile (voir Ronald D. Manes & Michael P. Silver, Solicitor‑Client Privilege in Canadian Law (Toronto : Butterworths, 1993) à la page 127). Toutefois, [traduction] « [une] communication privilégiée ne perd pas son caractère privilégié du seul fait qu’elle contient des questions de faits qui ne sont pas elles‑mêmes privilégiées. Dans une situation de ce genre, les questions de fait peuvent être retranchées de la communication privilégiée aux fins de l’interrogatoire préalable » : ibidem, à la page 132.
[63] Le juge en chef adjoint Jerome a eu l’occasion d’examiner la question de la suppression suivant la Loi sur l’accès à l’information dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551. Cette décision, même si elle concernait une demande fondée sur la Loi sur l’accès à l’information, visait l’exclusion de renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et ainsi, dans une certaine mesure, les deux Lois étaient en jeu. Le juge en chef adjoint a conclu qu’il faut appliquer le critère de raisonnabilité pour déterminer si une suppression plus précise est possible.
L’une des considérations qui m’influence est que ces lois n’établissent pas, à mon avis, une opération de dissection par laquelle des phrases décousues qui ne contiennent pas en elles-mêmes de renseignements exclus sont extraites de documents par ailleurs protégés et sont divulguées. Cette procédure soulève deux problèmes. Premièrement, le document final peut s’avérer dépourvu de sens ou induire en erreur puisque les renseignements qu’il contient sont tout à fait hors contexte. Deuxièmement, les renseignements de ce document, même s’ils ne sont pas techniquement exclus, peuvent fournir des indices quant au contenu des extraits retranchés. À mon avis, et surtout en matière de renseignements personnels, il est préférable de retirer un passage entier en vue de protéger la vie privée de l’individu que de divulguer certaines phrases ou expressions qui ne sont pas protégées.
En effet, le Parlement semble avoir eu l’intention de ne procéder au prélèvement d’extraits protégés et non protégés que si le résultat s’avère raisonnablement conforme aux objets de ces lois […]
Des bribes de renseignements pouvant être divulgués, extraites de passages par ailleurs protégés ne peuvent être prélevées sans poser de problèmes sérieux.
[64] Je suis d’accord. La communication de phrases ou de mots isolés qui n’ont aucun sens hors contexte ou qui ne fournissent pas de « renseignements » à l’auteur de la demande ne permet pas de remplir ou d’atteindre l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels. À cet égard, il est très peu probable que les renseignements figurant dans l’en‑tête d’un courriel par ailleurs exclu, par exemple, soient utiles à la partie qui demande la communication. Ce principe s’applique à peu près de la même façon, que l’exception soit invoquée sur le fondement du secret professionnel des avocats ou au motif que les renseignements ne sont pas des renseignements personnels concernant la partie qui demande la communication.
[65] Lorsqu’une institution prétend que les renseignements ne sont pas des renseignements personnels concernant l’auteur de la demande, cette prétention doit être examinée attentivement. Il y a une différence importante entre, d’une part, affirmer que les renseignements ne sont pas des renseignements personnels concernant l’auteur de la demande au sens de la Loi et, d’autre part, ne pas divulguer les renseignements au motif qu’il s’agit de renseignements personnels concernant l’auteur de la demande et un tiers. La Cour d’appel fédérale a remarqué que les mêmes renseignements peuvent être « personnels » pour plusieurs personnes : voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [2002] A.C.F. no 950. Par conséquent, lorsqu’un motif d’exception est invoqué sur le fondement du paragraphe 12(1), il faut s’assurer que la suppression n’a pas été faite d’une façon trop générale simplement parce que les renseignements pouvaient également être considérés comme des renseignements personnels concernant une autre personne.
La défenderesse pouvait‑elle modifier le motif d’exception invoqué?
[66] Comme nous l’avons remarqué, le CPVP a conclu que certains des documents qui n’ont pas été divulgués par EDC au motif qu’ils contenaient seulement des renseignements de nature non personnelle contenaient de fait des renseignements personnels et devaient être communiqués. En réponse, la défenderesse a estimé que bon nombre de ces documents étaient protégés par le secret professionnel des avocats et a refusé la communication pour ce nouveau motif. Le demandeur prétend que la défenderesse ne peut modifier le motif d’exception invoqué. Il se fonde sur la décision Davidson c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 15 et, particulièrement, sur l’affirmation du juge en chef Jerome au paragraphe 9 selon laquelle « l’intimé ne saurait invoquer les exemptions qui n’ont pas été mentionnées dans l’avis de refus émis sous le régime de l’article 14 ».
[67] La Cour d’appel a rejeté l’appel de cette décision : [1989] 2 C.F. 341. Toutefois, bien qu’elle ait souscrit à l’opinion du juge en chef adjoint Jerome portant que l’intimé était lié par les motifs d’exception qu’il avait invoqués, la Cour a indiqué clairement que les motifs auxquels l’intimé était lié étaient ceux qu’il avait invoqués avant que l’affaire ne se rende devant la Cour fédérale. Le juge McGuigan soulève la question lorsqu’il analyse la raison pour laquelle l’intimé ne peut modifier le motif d’exception une fois que la Cour est saisie de l’affaire :
[…] si on permettait que de nouveaux motifs d’exemption soient présentés devant le juge après l’achèvement de l’enquête du Commissaire sur des motifs tout autres, comme c’est le cas en l’espèce, le plaignant se verrait refuser l’avantage des procédures du Commissaire. Il aurait ainsi droit à un seul niveau de protection au lieu de deux. L’espèce présente illustre mieux que toute autre affaire les avantages d’un processus à deux stades, parce que ce n’est qu’au deuxième stade que le vice fatal entachant le premier moyen a été découvert.
Le fait que le demandeur serait privé de l’avantage du processus d’examen du CPVP constitue le fondement du refus d’accorder à la défenderesse le droit de modifier ses motifs de non‑divulgation après que ce processus soit terminé. Conclure autrement et exiger que la défenderesse s’en tienne aux motifs qu’elle a invoqués avant que le CPVP n’intervienne réduirait l’importance du rôle de ce dernier. En effet, quelle serait l’utilité d’encourager la défenderesse à revoir sa position si elle était liée par les motifs d’exception déjà invoqués? De plus, si la défenderesse ne donne pas la réponse requise à l’article 14 de la Loi dans le délai prescrit, sera‑t‑elle alors empêchée d’invoquer un motif d’exception par ailleurs légitime? J’ai déjà expliqué pourquoi je suis d’avis qu’une telle position est indéfendable.
[68] Par conséquent, je suis d’avis que la défenderesse était en droit de modifier son motif d’exception tant que la présente demande n’était pas déposée à la Cour.
Autres observations
[69] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la défenderesse a initialement invoqué l’exception à l’égard de 100 pages au motif qu’elles contenaient des informations de nature non personnelle, prétendant par la suite que ces pages n’ont jamais existées; il s’agit des pages 2204 à 2303. On pouvait comprendre que M. Murchison se méfiait de cette dernière affirmation compte tenu que M. Picard l’avait assuré qu’il avait examiné chaque page sans exception avant de les communiquer. J’ai examiné les documents communiqués par la défenderesse et par la Commission et aucun d’eux ne contient les 100 pages « manquantes ». J’ai accepté l’explication de la défenderesse portant que cela résultait d’une erreur de transcription au moment de la numérotation des pages. La personne qui a fait la numérotation a simplement sauté de la page 2203 à la page 2304. Rien ne prouve que ces 100 pages ont déjà existé, et rien dans l’ensemble de documents ne permet d’insinuer que l’explication de la défenderesse n’est pas crédible.
[70] EDC avait initialement invoqué l’exception à la communication à l’égard de quelques pages au motif qu’elles contenaient des renseignements de nature non personnelle. Par la suite, la défenderesse a affirmé que les pages étaient blanches. Là encore, il est normal que ce changement de motif ait fait naître des soupçons dans l’esprit de M. Murchison. Ayant examiné les documents au dossier, y compris les documents du CPVP, il m’est impossible d’insinuer qu’il ne s’agit pas également d’une erreur de transcription de la part de la défenderesse et que les pages sont réellement blanches.
Conclusion
[71] Ayant examiné les pages en cause, dont le nombre dépassait 900 et qui sont jointes à l’affidavit de M. Picard souscrit le 1er novembre 2007, j’ai conclu qu’EDC n’a pas invoqué l’exception à la communication à bon droit à l’égard de bon nombre d’entre elles. Je conclus que les renseignements contenus dans ces documents doivent être communiqués, à quelques exceptions près, pour les motifs suivants :
a) Le document constitue une pièce jointe qui n’est pas confidentielle ou une pièce jointe à un document confidentiel, et l’exception était invoquée sur le fondement du secret professionnel des avocats;
b) Le document est reçu ou envoyé par un employé d’EDC qui est avocat, mais qui occupe également un rôle non juridique au sein d’EDC, comme M. Picard et, selon la prépondérance de la preuve, l’employé avait envoyé ou reçu le document alors qu’il occupait son rôle non juridique;
c) Le document est un courriel qui a été copié à un avocat interne au sein d’EDC et qui ne contient aucune demande d’avis juridique;
d) Le document est reçu ou envoyé par un employé d’EDC qui est avocat, mais il ne contient aucune demande ou offre d’avis juridique;
e) Le seul motif d’exception valablement invoqué par EDC était fondé sur le paragraphe 12(1), mais il a été déterminé que les renseignements constituent des renseignements personnels concernant M. Murchison;
f) EDC a convenu de communiquer le document à M. Murchison (il s’agissait en général de pages blanches à l’égard desquelles un motif d’exception avait été invoqué);
g) La suppression faite par EDC est trop générale et les renseignements qui n’étaient pas exclus doivent être communiqués;
h) Le document ne contient pas de renseignements protégés par le secret professionnel des avocats.
[72] Est jointe aux présents motifs à titre d’annexe A une liste de documents à l’égard desquels un motif d’exception a été précédemment invoqué et qui, en tout ou en partie, ne sont pas visés à juste titre par ce motif d’exception; ils doivent donc être communiqués à M. Murchison.
[73] La demande de M. Murchison a été accueillie en partie puisque bon nombre de documents qui ne lui ont pas été antérieurement divulgués doivent être communiqués. En revanche, il ne s’agit que d’une victoire partielle et bon nombre de ses observations présentées à la Cour ont été rejetées. Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il ne devrait pas y avoir d’ordonnance quant aux dépens. Chacune des parties devra assumer ses propres dépens.
ORDONNANCE
LA COUR STATUE que :
1. La défenderesse doit communiquer au demandeur les renseignements qu’elle avait initialement supprimés et qui figurent dans les documents énumérés à l’annexe A de la présente ordonnance, dans la mesure indiquée à l’annexe A et sous réserve d’une ordonnance l’autorisant à ne pas communiquer les documents énumérés à la section « I » si elle établit à la satisfaction de la Cour, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, qu’elle a invoqué à bon droit le secret professionnel des avocats à l’égard de ces documents;
2. La défenderesse ne doit pas communiquer ces documents avant que trente (30) jours ne se soient écoulés depuis la date de la présente ordonnance, au cas où cette dernière serait portée en appel;
3. Puisque les deux parties ont eu gain de cause, elles assumeront chacune leurs propres dépens.
« Russel W. Zinn »
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau
Dossier : T-1291-07
ANNEXE « A » DES MOTIFS
DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
DU 26 JANVIER 2009
Les parties supprimées des pages suivantes (désignées par le numéro écrit à la main dans le coin inférieur droit de la pièce « 1 » de l’affidavit confidentiel de Serge Picard, souscrit le 1er novembre 2007), doivent être communiquées en entier (ou en partie, le cas échéant) pour les motifs énoncés dans l’intitulé de chacune des sections.
A. Le document constitue une pièce jointe non confidentielle ou une pièce jointe à un document confidentiel :
Les pages no 2038 à 2082 inclusivement, 2159, 2160, 2742 à 2758 inclusivement, 3759 à 3802 inclusivement, 3845, 3846, 3847, 3849 à 3885 inclusivement, 3909 à 3939 inclusivement, et 3948 à 3952 inclusivement.
B. Le document est reçu ou envoyé par un employé d’EDC qui est avocat et qui occupe également un rôle non juridique au sein d’EDC. Selon la prépondérance de la preuve, l’employé a envoyé ou reçu le document alors qu’il occupait son rôle non juridique :
Les pages no 722, 724, 726, 728, 730, 731, 854, 855, 862, 865 à 872 inclusivement, 1506, 1507, 1544 à 1549 inclusivement, 1609, 1610, 1632, 1937, 1938, 1944, 1948, 1950, 1951, 1953, 2000, 2003, 2006, 2203, 2315, 2533, 2541, 2542, 2544, 3727, 3891, 3907 et 3955.
C. Le document constitue un courriel copié à un avocat interne d’EDC qui ne comporte pas de demande d’avis juridique :
Les pages no 628, 638, 641, 741, 1956, 2533 et 2860.
D. Le document a été reçu ou envoyé par un employé d’EDC qui est avocat, mais ne contient aucune demande ou offre d’avis juridique :
Les pages no 307, 308, 383, 731, 769, 795, 797, 803, 1453, 1594, 1597, 1696, 1856, 1878, 1955, 1978, 2374, 2543, 2853, 2958, 3606, 3637, 3638, 3654, 3664, 3685 et 3953.
E. Le seul motif d’exception invoqué par EDC était fondé sur le paragraphe 12(1), mais les renseignements constituent des renseignements personnels concernant M. Murchison :
Les pages no 383, 837, 841 à 843 inclusivement, 1926, 1997 et 1998*
F. EDC a accepté de communiquer le document :
Les pages no 568, 1737, 3758, 3760, 3762, 3764, 3770, 3773, 3887, 3888, 3889, 3890, 3956 et 3957.
G. La suppression faite par EDC était trop générale :
Les pages no 434 et 3030 : seule la dernière phrase du courriel envoyé le 6 avril 2005 à 8 h 28 devrait être supprimée.
Les page no 648 et 651 : seule la première phrase du deuxième paragraphe du courriel envoyé le 6 décembre 2004 à 16 h 48 devrait être supprimée.
Les pages no 676, 677, 678, 679, 680, 681, 682, 685, 809, 814, 1992, 2308 et 2508 : seule la deuxième phrase complète (commençant par le mot « please » [« S’il vous plait »]) du courriel envoyé le 23 novembre 2004 à 14 h 20 devrait être supprimée.
La page no 2506 : seuls les 3 premiers courriels du haut de la page, ainsi que la deuxième phrase complète du courriel envoyé le 23 novembre 2004 à 14 h 20, devraient être supprimés.
La page no 766 : seul le courriel envoyé le 6 décembre 2004 à 16 h 48 devrait être supprimé.
La page no 778 : seule la partie inférieure de la page, suivant les mots « we have draft ready to go » [« nous avons une ébauche prête à être envoyée »], devrait être supprimée.
La page no 830 : seule la phrase entre crochets suivant le mot « Keith » et précédant le mot « acknowledging » [« reconnaissant »] devrait être supprimée.
La page no 876 : l’avant‑dernière phrase, commençant par « Michelle » et finissant par « Nothing » [« rien »], devrait être communiquée.
Les pages no 1165 et 3954 : seul le courriel envoyé le 18 octobre 2005 à 19 h 18 devrait être supprimé.
La page no 1226 : seules les notes rédigées à la main devraient être supprimées.
La page no 1520 : seule la moitié supérieure de la page devrait être supprimée; tout ce qui suit les mots « Blair, Daniel » en gras devrait être communiqué.
La page no 1533 : seules les quatre lignes du haut devraient être supprimées.
Les pages no 694, 696, 698, 700, 701, 824, 1596, 1631, 1993, 2311 et 3727 : seul le courriel envoyé le 18 novembre 2004 à 12 h devrait être supprimé.
La page no 699 : seules les 6 premières lignes de texte à partir du haut devraient être supprimées.
La page no 1883 : seules les 7 premières lignes de texte à partir du haut devraient être supprimées.
Les pages no 712, 849, 1936 et 1998 : seul le nom du tiers indiqué comme étant le candidat retenu dans le courriel envoyé le 20 octobre 2004 à 11 h 27 devrait être supprimé.
La page no 1949 : seuls les 2 premiers courriels du haut devraient être supprimés.
La page no 2002 : seuls les 3 premiers courriels du haut devraient être supprimés.
La page no 2004 : seul le premier courriel du haut devrait être supprimé.
La page no 2542 : seul le courriel envoyé le 18 octobre 2005 à 18 h 39 devrait être supprimé.
Les pages no 307 à 308, 2775 et 3232 : seuls les courriels envoyés le 1er février 2005 à 14 h 02 et le 1er février 2005 à 11 h 50 devraient être supprimés.
La page no 2959 : seul le courriel envoyé le 14 janvier 2005 à 18 h 58 devrait être supprimé.
H. Le document ne contient aucun renseignement protégé par le secret professionnel des avocats :
Les pages no 616, 628, 715, 723, 732, 761, 762, 763, 1451, 1452, 1467, 1649, 1650, 1653, 1654, 2313, 2958, 3009, 3010, 3226 à 3231 inclusivement, 3728, 3897, 3907 et 3945.
I. Le document contient des renseignements personnels concernant le demandeur :
Il a été jugé que M. Picard, dans ses lettres du 3 février 2006 et du 19 décembre 2006, n’a pas invoqué à bon droit le secret professionnel des avocats, puisqu’il ne détenait pas de délégation de pouvoirs lui permettant de le faire. Ainsi, le document doit être communiqué, à moins que la défenderesse, dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, convainc la Cour que les renseignements sur la page sont protégés par le secret professionnel des avocats précédemment invoqué à bon droit à l’égard d’une autre page :
Les pages no 308, 375, 391, 864, 1543, 1608, 1943, 1947 et 2904.
J. Divers :
La page no 779 : EDC détient une note qui est rédigée comme suit : [traduction] « Note : EDC n’a pas été en mesure de repérer la copie intacte du document no 799. Voir l’affidavit de Serge Picard, à l’alinéa 30a), souscrit le 29 août 2007. » Le CPVP détient une copie intacte de cette page dans ses documents que la Cour avait examinés. Il s’agit de la même page que celle no 794 d’EDC, et la suppression effectuée sur cette dernière est jugée conforme.
La page no 3811 : EDC détient une note qui est rédigée comme suit : [traduction] « Note : EDC n’a pas été en mesure de repérer la copie intacte du document no 3811. Voir l’affidavit de Serge Picard, à l’alinéa 30a), souscrit le 29 août 2007. » Le CPVP détient une copie intacte de cette page dans ses documents que la Cour avait examinés; elle est protégée par le secret professionnel des avocats.
La page no 3887 : Il s’agit d’une page blanche se trouvant dans l’ensemble de documents non expurgés d’EDC. Elle ne fait pas partie de l’ensemble de documents du Commissaire à la protection de la vie privée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1291-07
INTITULÉ : KEITH N. MURCHISON c.
EXPORTATION ET DÉVELOPPEMENT CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 octobre 2008
DATE DES MOTIFS : Le 26 janvier 2009
COMPARUTIONS :
Keith N. Murchison |
POUR LE DEMANDEUR
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Heather J. Williams Chris Merrick |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Keith N. Murchison Ottawa (Ontario)
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CAVANAGH WILLIAMS Avocats Ottawa (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE |