Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2009
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Le présent contrôle judiciaire est complexe : bien qu’elle comporte presque exclusivement une analyse détaillée et raisonnable de la protection de l’État au Mexique, la décision conclut qu’aucun lien n’existe entre la demande d’asile de la demanderesse et un ou plusieurs des motifs prévus par la Convention selon l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Le défendeur reconnaît que la conclusion quant au lien est erronée et il l’attribue à une erreur de [traduction] « couper-coller » dans l’établissement de la décision. La difficulté est que les motifs de la décision, portant entièrement sur la protection de l’État, ne concordent pas avec les conclusions ayant fondé le rejet de la demande d’asile. La Cour doit déterminer si la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie malgré la probabilité qu’il s’agit en grande partie dans cette conclusion d’une question de forme qui l’emporte sur le fond.
[2] Le fond de la présente affaire est une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section de la protection des réfugiés (la Commission), qui a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
II. FAITS
[3] La demanderesse, une citoyenne mexicaine, a allégué avoir été prise pour cible par son ex‑copain avec qui elle a entretenu une relation pendant huit mois, relation ayant commencé en juillet 2005. Selon la demanderesse, il était devenu violent physiquement et psychologiquement. Elle a aussi affirmé qu’il l’avait agressée physiquement en mars 2006, incident où il lui avait fracturé des côtes et occasionné des ecchymoses, et à la suite duquel elle avait dû être hospitalisée pendant deux jours.
[4] Bien qu’elle ait refusé de revoir son ex‑copain après mars 2006, la demanderesse a soutenu qu’il a continué de les harceler et de les traquer, ses amis et elle. Même après qu’elle se soit enfuie à un autre endroit pour aller vivre chez sa grand-mère, l’ex-copain s’est rendu là-bas et a continué à proférer des menaces. La demanderesse a quitté le Mexique pour venir au Canada en septembre 2006 et elle a demandé l’asile en mars 2007.
[5] La Commission, après avoir énoncé les faits, a commencé son analyse par une étude de l’existence de la protection de l’État au Mexique. La Commission a d’abord examiné les principes directeurs du droit et le fardeau qui reposait sur la demanderesse.
[6] La Commission a ensuite tenu compte des aspects particuliers de la protection de l’État au Mexique, notant que le pays est devenu une démocratie muni d’un système judiciaire relativement indépendant et impartial, qu’il contrôle son territoire, qu’il dispose d’une force de sécurité et de police qui fonctionne, et qu’il a établi un système et une pratique pour le traitement des plaintes déposées contre la police pour inconduite. Enfin, la Commission a examiné les efforts fournis par le pays pour accroître l’intégrité et la formation de son corps policier.
[7] Après avoir tenu compte de la preuve générale sur la protection de l’État, la Commission s’est ensuite penchée sur les mesures prises par la demanderesse, qui n’a déposé de plainte auprès de la police qu’après le premier incident de violence, moment auquel la police l’a informée qu’elle avait besoin d’une confirmation de témoin pour agir. La Commission a aussi pris en considération l’absence de preuve selon laquelle la police n’aurait pas enquêté sur la plainte, ainsi que l’omission de la demanderesse de contacter de nouveau la police pour lui signaler d’autres incidents que des témoins auraient pu confirmer. La Commission a ensuite traité tous ces faits à la lumière de la preuve d’autres problèmes liés à la corruption policière au Mexique.
[8] La Commission a tiré une conclusion selon laquelle la protection de l’État au Mexique est adéquate et que les problèmes liés à la corruption de la police ou à son inaction sont traités. La Commission a noté que ses conclusions s’appuyaient sur des décisions de la Cour confirmant les conclusions d’existence d’une protection étatique au Mexique.
[9] Après avoir exposé l’analyse de la protection de l’État, la Commission a ensuite tiré ses conclusions finales, conclusions dont résulte la présente instance. La conclusion de la décision se lit comme suit :
Pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal estime qu’il n’y a aucun fondement objectif à la présumée crainte de la demanderesse d’asile.
conclusion
Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris les observations du conseil, les dispositions pertinentes de la LIPR et la jurisprudence sur laquelle il s’est fondé, le tribunal conclut que la demanderesse d’asile n’a pas de crainte fondée d’être persécutée en vertu de l’article 96, du fait qu’elle a omis d’établir qu’il existait un lien avec l’un des cinq motifs prévus par la Convention.
Le tribunal doit donc examiner le caractère applicable de l’article 97 de la LIPR. Pour la même raison, il conclut que, pour ce qui est du risque d’être soumis à la torture, de la menace à sa vie ou du risque de traitements ou peines cruels et inusités, cette demande d’asile doit être rejetée.
[Non souligné dans l’original.]
[10] La Cour est convaincue que l’analyse et la conclusion quant à la protection de l’État étaient raisonnables selon la preuve dont disposait la Commission, mais elle est convaincue également que la conclusion tirée par la Commission ne l’était pas. La Commission n’a aucunement traité de l’article 96, et encore moins du lien entre la demande d’asile de la demanderesse et l’un des motifs prévus par la Convention.
[11] Le problème de la conclusion relative à l’article 96 se complique dans la conclusion tirée sur l’article 97 en raison de la référence à « la même raison ». La Commission fait peut-être référence à la question du lien (puisque la Commission utilise le singulier) ou aux « motifs » (qui se rapportent à la protection de l’État) mentionnés au dernier paragraphe précédant immédiatement la « conclusion ». On ne sait donc pas exactement sur quel fondement la Commission a tiré sa conclusion relative à l’article 97.
[12] L’observation du défendeur selon laquelle la Commission a commis une erreur en [traduction] « coupant-collant » les conclusions d’une autre affaire dans sa « conclusion » est plausible, voire la plus plausible. Il demeure que les erreurs, s’il s’agit bien d’une erreur en l’espèce, comportent des conséquences. Non corrigée, la « conclusion » sert de fondement à la décision de la Commission.
[13] La Cour hésite à renvoyer l’affaire dans une situation où le résultat sera vraisemblablement le même, où le cœur de la décision peut être maintenu et où on peut voir quelle était la véritable intention du décideur. La Cour accepte aussi que la Commission n’a pas l’avantage qu’ont les cours de pouvoir corriger les erreurs et les omissions.
[14] Cependant, en l’espèce, les erreurs sont si énormes, l’explication qu’on leur donne est si conjecturale et les conséquences pour la demanderesse sont si importantes qu’il est mieux d’éviter toute injustice possible et de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il s’agit à peu de choses près d’un cas où « la forme l’emporte sur le fond ». Toutefois, le renvoi de l’affaire peut au pire occasionner à la demanderesse un retard dans le traitement de son affaire. Par ailleurs, la situation préjudiciable occasionnée si la Cour laisse la décision telle quelle sera le maintien d’une conclusion qui ne correspond aucunement à l’analyse de la décision et qui reflète injustement l’affaire de la demanderesse.
[15] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Commission est annulée et que l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3316-08
INTITULÉ : LAURA GONZALEZ AGUILAR
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS ET
DU JUGEMENT : Le 27 janvier 2009
COMPARUTIONS :
Joseph Farkas
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POUR LA DEMANDERESSE |
Eleanor Elstub
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Joseph Farkas Avocat North York (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |