Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2009
En présence de monsieur le juge Kelen
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 24 avril 2008, par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande de statut de résident permanent du demandeur présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.
LES FAITS
[2] Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il a deux enfants, âgés respectivement de 15 et 13 ans. Le demandeur est initialement entré au Canada en 1997 à titre de résident permanent. Il est retourné à Hong Kong en 1998, où il vivait séparément de sa famille, avant de retourner au Canada en 2006. Il affirme qu’il y est retourné pour des raisons d’affaires et qu’il maintenait une communication constante avec sa famille, surtout ses enfants, bien qu’il se soit éventuellement séparé de sa femme.
[3] La femme du demandeur, qui est aussi la mère des enfants, est décédée en octobre 2007. Au moment de son décès, elle ne vivait plus avec le demandeur et avait la garde de leurs enfants, même si un litige les opposant concernant la garde et le droit de visite était en instance. Dans son testament, elle avait confié à sa mère la garde de leurs enfants advenant son décès. Les enfants habitent actuellement avec leurs grands-parents maternels.
[4] Le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 12 février 2008. Il affirme qu’à ce moment‑là, il était engagé dans le litige relatif à la garde de ses enfants. Indiquant que des observations et des documents détaillés supplémentaires seraient présentés sous peu, il a demandé que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ne rende pas de décision avant que ces éléments de preuve ne soient déposés.
[5] CIC a rendu sa décision le 24 avril 2008, avant de recevoir les observations supplémentaires de la part du demandeur. Personne n’a informé le demandeur que la décision allait être rendue.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6] L’agente d’immigration affirme, à la page 12 du dossier du demandeur, que sa demande n’était pas complète :
[traduction]
Les motifs d’ordre humanitaire du demandeur ne sont pas précisés dans la présente demande ou dans la lettre de son conseil. Le guide relatif aux demandes donne des directives et des mises en garde en ce qui concerne les circonstances énoncées qui seront prises en compte et l’exigence de présenter des renseignements à l’appui.
Bien que l’intéressé ait affirmé en février qu’il avait l’intention d’envoyer des observations supplémentaires, rien n’a été reçu dans les mois qui suivirent.
Pour rendre ma décision en l’espèce, j’ai examiné les observations présentées par l’intéressé et son conseil, la dernière ayant été reçue le 15 février 2008. J’ai également examiné les renseignements disponibles sur le SSOBL.
[7] L’agente a ensuite tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Elle a conclu qu’ils ne souffriraient pas du renvoi du demandeur :
[traduction]
[Le demandeur] est retourné à Hong Kong en 1998, où il vivait séparément de sa famille avant de retourner au Canada en 2005 […] À son retour, son épouse, maintenant décédée, a dit aux agents d’immigration qu’elle ne voulait pas qu’il vienne dans sa maison. Elle subvenait aux besoins des enfants. L’épouse de l’intéressé est maintenant décédée et dans son testament, elle confiait la garde exclusive des deux enfants à ses parents. Depuis, les enfants vivent avec leurs grands‑parents. Rien ne me permet de croire que l’intérêt supérieur des enfants n’a pas été pris en compte et qu’une séparation subséquente d’avec leur père biologique leur causerait vraisemblablement des difficultés excessives. Rien n’indique dans ces observations que le demandeur entretient des liens solides avec ses enfants. La preuve démontre qu’il aimerait faire partie de leur vie.
[8] L’agente a conclu qu’il n’avait pas été porté atteinte à l’intérêt supérieur des enfants et, tenant compte du fait que le demandeur n’avait pas présenté d’observations à ce moment‑là, elle a rejeté la demande.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[9] Le demandeur soulève deux questions en l’espèce :
1. L’agente d’immigration a‑t‑elle enfreint les principes de justice naturelle en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve supplémentaires?;
2. L’agente d’immigration a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas convenablement compte de l’intérêt supérieur des enfants?
LA NORME DE CONTRÔLE
[10] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».
[11] Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a établit que la norme de contrôle appropriée relative à des décisions en matière de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. La Cour a affirmé au paragraphe 62 :
62 […] Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.
[Non souligné dans l’original.]
[12] Pour examiner la décision de la Commission en appliquant la norme de la raisonnabilité, la Cour tiendra compte de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » et de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Dans le cadre d’une pure question de justice naturelle, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.
L’ANALYSE
Question no 1 : L’agente d’immigration a-t-elle enfreint les principes de justice naturelle en rendant une décision avant que le demandeur ait la possibilité de présenter des observations supplémentaires?
[13] Dans la lettre d’accompagnement jointe à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le conseil du demandeur a informé CIC qu’il présenterait des observations et des éléments de preuve supplémentaires. Il a affirmé ce qui suit :
[traduction]
Veuillez noter que nous vous enverrons des observations détaillées et des documents supplémentaires portant sur les questions relatives à la présente demande. Par conséquent, nous vous demandons de ne pas rendre de décision finale dans cette affaire avant d’avoir reçu et examiné lesdits documents et observations.
[14] L’agente d’immigration fait état de cette demande dans sa décision, mais a affirmé qu’aucune observation supplémentaire n’avait été présentée par le demandeur dans les deux mois qui suivirent le dépôt de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur prétend que CIC a enfreint son droit à la justice naturelle en ne l’informant pas de son intention de rendre sa décision ou en ne lui donnant pas la possibilité de déposer les documents supplémentaires.
[15] Le défendeur soutient que l’agente d’immigration est certes tenue d’examiner tous les éléments de preuve présentés par le demandeur, mais elle n’a pas l’obligation de recueillir des renseignements supplémentaires. Il incombe au demandeur de présenter tous les éléments de preuve pertinents pour étayer ses prétentions, et l’agente a seulement l’obligation de rendre une décision raisonnable sur le fondement de ces éléments de preuve.
[16] Le demandeur invoque les décisions Pramauntanyath c. Canada (MCI), 2004 CF 174, et Skripnikov c. Canada (MCI), 2007 CF 369, dans lesquelles la Cour a conclu qu’une décision prise à la lumière d’un dossier incomplet constitue un déni de justice naturelle. Toutefois, dans Pramauntanyath, l’agente n’a pas considéré des éléments de preuve qui avaient été présentés par le demandeur dans les délais établis, alors que dans Skripnikov, il était plutôt question du moment où les éléments de preuve avaient été présentés. En l’espèce, évidemment, il n’existe aucune allégation portant que l’agente n’a pas examiné les éléments de preuve versés au dossier au moment de la décision.
[17] Le demandeur soutient que compte tenu de l’[traduction] « inhabituelle » rapidité de traitement de la demande et de la demande qu’il avait versée au dossier, l’agente avait au moins l’obligation de l’informer qu’une décision serait bientôt rendue afin qu’il puisse fournir les documents qui devaient être présentés sous peu. Le demandeur prétend que CIC a généralement l’habitude de transmettre un avis aux demandeurs qui invoquent des motifs d’ordre humanitaire avant qu’une décision ne soit prise et leur donne la possibilité de mettre à jour leur dossier. Il soutient que, compte tenu de sa demande particulière en l’espèce, il pouvait légitimement s’attendre à avoir cette possibilité avant qu’une décision ne soit prise.
[18] Dans Melchor c. Canada (MCI), 2004 CF 1327, 39 Imm L.R. (3d) 79, les demandeurs ont affirmés qu’ils s’étaient fiés à la pratique des agents d’immigration à Vancouver de toujours demander un dossier à jour avant de prendre une décision. Dans cette décision, la juge Gauthier a conclu aux paragraphes 8 et 9 que les affidavits provenant de deux avocats spécialisés en droit de l’immigration ne suffisaient pas à établir qu’une demande avait été envoyée dans chaque dossier, et a conclu que de toute façon, il n’existait aucune preuve que les demandeurs ou leur avocate étaient au courant d’une telle pratique ou qu’ils s’y étaient fiés. Par conséquent, elle a conclu au paragraphe 12 qu’il n’existait aucune attente légitime qu’une telle demande serait formulée avant qu’une décision ne soit rendue. Le défendeur cite également Zambrano c. MCI, 2008 CF 481, 167 A.C.W.S. (3d) 165, à l’appui de son argument selon lequel les agents d’immigration ne sont pas tenus de demander des renseignements avant de prendre une décision finale. Madame la juge Eleanor Dawson s’est exprimée comme suit aux paragraphes 35 à 39 de la décision Zambrano, et je paraphrase son exposé :
a. il appartient au demandeur de produire toutes les pièces nécessaires au soutien de sa demande, et l’agent n’est pas tenu de solliciter des renseignements à jour;
b. le demandeur n’est pas fondé à croire qu’il aurait la possibilité de produire des renseignements complémentaires avant que la décision ne soit prise, et on ne lui a pas nié l’équité procédurale en ne lui donnant pas cette possibilité;
c. le guide des politiques d’immigration relative à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire précise que les agents ne sont pas tenus de recueillir l’information portant sur les motifs d’ordre humanitaire et que c’est au demandeur qu’il appartient d’invoquer les facteurs qui, selon lui, intéressent son cas. Le demandeur n’est pas fondé à croire que l’on communiquera avec lui pour le prier de produire des renseignements complémentaires.
Question no 2 : L’agente n’a-t-elle pas tenu convenablement compte de l’intérêt supérieur des enfants?
[19] Le demandeur prétend que l’agente d’immigration n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. La Cour n’est pas d’accord. L’agente d’immigration a examiné la situation des deux enfants et a constaté qu’ils habitaient avec leurs grands‑parents. Il n’y a aucune raison de croire que leur intérêt supérieur n’est pas pris en compte. Aucun élément de preuve récent n’indique que les enfants ont des liens avec leur père ou qu’ils désirent vivre avec lui. Les notes écrites en une seule phrase provenant des deux enfants remontent à un certain temps et n’établissent pas de façon significative qu’ils veulent vivre avec leur père, qui les a quittés 10 ans auparavant.
[20] Pour ces motifs, la demande doit être rejetée. La Cour a informé le conseil du demandeur que ce dernier peut toujours déposer immédiatement une nouvelle demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et présenter les observations et les éléments de preuve requis. Le demandeur pourrait, si le défendeur exerce son pouvoir discrétionnaire, ne pas être renvoyé pendant la durée de l’instance relative à la demande en vue d’obtenir la garde de ses enfants qu’il a présentée devant les tribunaux de l’Ontario si l’affaire est instruite rapidement.
[21] Les deux parties ont informé la Cour que, selon elles, la présente affaire ne soulève pas de question grave qui devrait être certifiée aux fins d’un appel. La Cour est également de cet avis.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Michael A. Kelen »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DOSSIER : IMM-2492-08
INTITULÉ : CHI FAT ALFRED LAW c. LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 JANVIER 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE 27 JANVIER 2009
COMPARUTIONS :
Waikwa Wanyoike |
POUR LE DEMANDEUR
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Alison Engel-Yan
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waikwa Wanyoike AvocatToronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |