Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES
ENTRE :
et
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR, JUGEMENT ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le directeur général de la Direction du revenu et des systèmes comptables de l’Agence du revenu du Canada qui a été communiqué à la demanderesse dans une lettre datée du 25 janvier 2008. Dans cette décision, le directeur général a confirmé certaines décisions en matière de dotation prise par l’Agence et a conclu qu’il ne prendrait pas de mesures correctives. Pour les motifs énoncés ci-dessous, je suis d’avis d’accueillir la demande et de renvoyer la question afin qu’une nouvelle décision soit rendue par une personne différente.
[2] Le 29 avril 1999, le Parlement a édicté la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, qui prévoyait entre autres, aux articles 53 et 54, que l’Agence a compétence exclusive en matière de nomination du personnel, de dotation et du droit de recours des employés :
[3] L’Agence a adopté un programme de dotation qui devait faire l’objet d’un examen cinq ans plus tard (article 89 de la Loi). Cet examen a été mené par l’Agence en collaboration avec la firme Deloitte & Touche. Un rapport (L’Agence du revenu du Canada : les cinq premières années (Ottawa : l’Agence du revenu du Canada, 2006)) a été produit, dans lequel on pouvait lire un résumé quelque peu suffisant à la page 39 :
Le programme de recours de l’ARC permet de maintenir un juste équilibre entre les recours fondés sur les droits des parties et les recours fondés sur les intérêts des parties. En outre, le programme est soutenu par la formation donnée aux gestionnaires et aux employés sur le règlement alternatif des différends […] Grâce à ce nouveau programme, le processus de recours en matière de dotation, autrefois accusatoire et défensif, est maintenant dominé par l’ouverture d’esprit et les pratiques de règlement des différends.
[4] L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a critiqué cette façon de faire en expliquant qu’il y avait eu de nombreuses plaintes à l’encontre du programme, particulièrement en ce qui concerne les recours. Dans sa présentation au comité permanent de la Chambre des communes en juin 2006, l’Institut a dit à la page 7 :
[TRADUCTION] Les gestionnaires de l’ARC font tout en leur pouvoir pour ne pas recourir au processus de recours parce qu’il est mal conçu […] L’Institut professionnel craint que les gestionnaires de l’ARC se servent du processus de recours en matière de dotation comme processus de gestion de carrière plutôt que comme mécanisme de recours. S’il est vrai que la gestion de carrière est importante, le droit de recours l’est tout autant.
[5] La Cour fédérale a entendu un certain nombre d’affaires à l’égard de ce programme, y compris des affaires portant directement sur le droit de recours. L’une d’elles a récemment fait l’objet d’une décision par le juge Mandamin de la Cour fédérale et concernait le mari de la demanderesse en l’espèce (Gerus c. Procureur général du Canada, 2008 CF 1344). Les questions au cœur de cette affaire n’ont aucun lien avec les questions soulevées en l’espèce, mis à part le fait qu’elles montrent que le programme, y compris les dispositions sur le recours, nécessite de profondes modifications, en particulier sur le plan juridique.
FAITS
[6] Les faits de la présente affaire sont relativement simples puisque la demanderesse ne soulève qu’une seule question. Il convient de souligner qu’en ce qui concerne l’affidavit de la demanderesse qui a été produit en l’espèce, les parties ont convenu que les paragraphes 6 à 11 inclusivement, 14 et 15, 16 à 19 inclusivement et 20 à 22 doivent être radiés du dossier. C’est ce que j’ordonnerai.
[7] La demanderesse Vera Gerus est au service de l’Agence du revenu du Canada. Depuis environ 2003, elle a travaillé à Ottawa où elle occupait un poste de niveau CS-03. En juillet 2006, elle et son mari sont déménagés d’Ottawa à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard. La demanderesse a obtenu un « congé non payé à cause de la réinstallation du conjoint » et, à compter du 13 juin 2007, s’est vu octroyer le « statut privilégié » en application de la directive sur le statut privilégié à l’annexe S du programme de dotation. La raison pour laquelle le « statut privilégié » est octroyé est décrite au paragraphe 1.1 de l’annexe S :
1.1 Le but de l’octroi du statut privilégié est de maintenir en emploi les employés permanents de l’Agence du revenu du Canada (ARC), dans la mesure du possible, en fonction des besoins opérationnels de l’ARC. La présente directive ne s’applique pas aux membres de la haute direction.
[8] Un des avantages auxquels avait droit l’employée est décrit au paragraphe 1.3.1 :
1.3.1 Les bénéficiaires de statut privilégié sont considérés en vue de nominations permanentes dans l’ordre suivant :
a) Les employés excédentaires ou les personnes mises en disponibilité;
b) Tous les autres bénéficiaires de statut privilégié.
[9] Les avocats des parties ont convenu que l’alinéa a), susmentionné, n’est pas pertinent en l’espèce.
[10] Les paragraphes 2.1 et suivants prévoient la manière dont les bénéficiaires du « statut privilégié » doivent être considérés aux fins de placement. Je reproduis ci-dessous les paragraphes 2.1 à 2.4 :
2.1 Pour être considéré en vue d’un placement en vertu de son statut privilégié, le bénéficiaire doit satisfaire aux exigences minimales du poste à doter, soit les études requises, la connaissance des langues officielles et les critères de sécurité.
2.2 Afin de maximiser les possibilités de placement permanent des bénéficiaires de statut privilégié, lorsqu’elles dotent des postes permanents, les personnes autorisées, avec l’appui des Ressources humaines, sont tenues de veiller à ce que les bénéficiaires de statut privilégié soient pris en considération avant d’entamer la dotation avec ou sans processus de sélection. Les personnes autorisées sont également tenues d’informer les bénéficiaires de statut privilégié du résultat et d’accorder, sur demande, à ceux d’entre eux qui ne seront pas placés, les recours prévus dans la présente directive.
2.3 Les personnes autorisées doivent également inclure dans la zone de sélection d’un processus de sélection les bénéficiaires de statut privilégié. Les bénéficiaires de statut privilégié (y compris ceux dont le poste d’attache est situé dans une autre localité ou région) doivent déjà habiter à proximité de l’emplacement du poste à doter, soit une distance normale aux fins des déplacements quotidiens; ils doivent satisfaire aux exigences minimales de ce poste. Les bénéficiaires de statut privilégié doivent aussi avoir toutes les compétences requises pour faire partie du répertoire.
2.3.1 Si, à la suite d’un tel processus de sélection, un bénéficiaire de statut privilégié se qualifie et que son poste d’attache est déjà aux mêmes groupe et niveau ou à un niveau équivalent au poste à doter, il doit être considéré en priorité par rapport aux autres candidats qualifiés et sa nomination sera faite en vertu de son statut privilégié.
2.3.2 Si, à la suite d’un tel processus de sélection, un bénéficiaire de statut privilégié se qualifie et que son poste d’attache est à un niveau inférieur au poste à doter, il est inclus dans le répertoire, mais il n’a pas de priorité de placement en vue d’une promotion. Son placement repose sur les mêmes critères de placement qui sont appliqués à tous les candidats qualifiés faisant partie du répertoire, et il a accès aux mêmes recours.
2.3.3 Étant donné que les bénéficiaires de statut privilégié doivent déjà habiter à une distance raisonnable de l’emplacement du poste à doter pour être inclus dans le répertoire, ils ne bénéficieront d’aucun remboursement de frais de réinstallation, sauf si ce remboursement est accessible à tous les autres candidats dans le répertoire.
2.4 Lorsqu’elles ne sont pas en mesure d’offrir un placement permanent à un niveau équivalent, les personnes autorisées devront envisager des possibilités de placement permanent à un niveau inférieur. Dans un tel cas, seuls les employés excédentaires et les personnes mises en disponibilité pourront bénéficier d’une protection salariale, conformément aux dispositions sur le réaménagement des effectifs prévues dans les conventions collectives.
[11] Au cours de la période qui a suivi le moment où la demanderesse a obtenu le « statut privilégié », il semble que certains postes de niveaux CS-03, CS-02 et CS-01 de la succursale de l’Agence située à Summerside aient été comblés. Cela inclut le changement de statut de temporaire à permanent d’au moins une personne sans que la demanderesse en ait eu connaissance et sans que l’occasion lui ait été donnée de postuler ce poste. La demanderesse a appris la situation d’un tiers et a porté plainte auprès de l’administration.
[12] L’annexe L du programme de l’Agence prévoit l’existence d’un « mécanisme » de recours en deux ou trois étapes, selon les circonstances. La rétroaction individuelle est la première étape du recours. Il s’agit essentiellement d’une rencontre entre l’employé et un superviseur. L’employé qui n’est pas satisfait peut demander un examen de la décision puis un examen par un tiers, ce qui correspond aux recours prévus aux étapes 2 et 3 du mécanisme. Il n’est pas possible de recourir à l’examen par un tiers pour une plainte du type que la demanderesse a faite dans la présente affaire. Dans le cadre de son recours, la demanderesse a rencontré Allan Raniere, directeur de la Division des cotisations des entreprises, des sorties publiques et des communications afin d’obtenir une rétroaction individuelle. Des notes ont été prises par une autre personne pendant la rencontre. Ces notes montrent que l’Agence a effectivement promu une personne de niveau CS-02 au niveau CS‑03, mais un compromis a été fait afin de tenir compte des contraintes budgétaires. La demanderesse a mentionné qu’elle accepterait un poste de niveau moins élevé. Il a été souligné qu’elle ne satisfaisait pas à quatre critères différents en matière d’expérience, mais qu’elle satisfaisait aux exigences portant sur les études requises et la connaissance des langues officielles. Les notes mentionnent :
[TRADUCTION] Études requises et connaissance des langues officielles – Vous (Vera) satisfaites aux deux exigences
Critère de l’expérience – vous (Vera) n’avez pas satisfait à ce critère
· Développement de suites bureautiques pour les entreprises ou maintenance pour BCCS/T2/GST/OL (c.-à-d. avec ces logiciels spécifiques, c.-à-d. en tant qu’analyste, etc.)
· POC – expérience et compréhension des cycles de vie. 24 à 36 mois d’expérience en POCS.
· Expérience technique – supervision des employés ou des entrepreneurs Développement de grands systèmes. 24 à 36 mois d’expérience Solutions ou Développement
· Vous (Vera) n’avez pas d’expérience en Solutions
[13] La question a ensuite été renvoyée à l’étape suivante, à savoir une révision de la décision effectuée par Robert Stanzel. C’est la décision de ce dernier qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. M. Stanzel a interrogé la demanderesse au téléphone et a également discuté avec Allan Raniere, qui est la personne ayant effectué la rétroaction individuelle mentionnée ci-dessus. M. Stanzel a pris des notes concernant ses conversations téléphoniques avec la demanderesse. Ces notes mentionnent, entre autres :
[TRADUCTION] Elle est d’accord pour occuper n’importe quel poste, y compris un poste temporaire, ce qui inclut des postes de commis au CF.
Elle est très frustrée en raison du processus. Elle est d’avis qu’elle satisfait aux exigences en matière de dotation pour certains postes.
Elle n’est pas satisfaite des réponses que Al Raniere lui a données, notamment :
À propos du fait qu’elle n’a pas les compétences pour exercer un poste de CS3 TL et que le fait qu’elle n’ait pas d’expérience en solutions soit le facteur déterminant. Elle n’arrive pas à croire que tous les nouveaux employés de niveau TL qui sont embauchés dans la division Solutions ont de l’expérience dans ce domaine.
Elle a fait remarquer que selon le statut privilégié, elle ne devait satisfaire qu’aux exigences MINIMALES.
[14] M. Stanzel a rédigé une lettre exposant sa décision et l’a fait lire à d’autres personnes de l’Agence afin de recueillir leurs commentaires. Le dossier ne permet pas d’identifier toutes ces personnes, mais il indique que Kim Simard, Naomi Purdy, le gestionnaire de Naomi Purdy et probablement d’autres personnes ont été consultées. Quelques changements ont été proposés à la suite de cette concertation. Par la suite, M Stanzel a envoyé la lettre du 25 janvier 2008, soit la décision sous examen, à la demanderesse. La partie la plus pertinente de la lettre est reproduite ci‑dessous :
[TRADUCTION] Cette lettre fait suite à votre demande du 26 décembre 2007 en vue d’obtenir une révision de la décision portant sur toutes les mesures de dotation qui ont eu lieu au sein de la Division Atlantique de la DGI depuis juin 2007, date à laquelle vous avez reçu le « statut privilégié ». J’ai examiné la documentation pertinente concernant toutes les mesures de dotation, y compris une mesure pour un poste de niveau MG-06, un poste de niveau CS-03, et les nominations pour le passage de statut temporaire à permanent.
J’ai également discuté avec Allan Raniere, le directeur de la Division Atlantique de la DGI. M. Raniere est également celui qui a effectué la rétroaction individuelle avec vous dans le cadre de cette même demande. De plus, je vous ai contactée au téléphone afin que vous puissiez expliquer votre point de vue et pour que je puisse m’assurer que j’avais pris en compte tous les faits qui vous semblaient pertinents.
À la lumière de tout ce qui précède, je suis convaincu que votre candidature a été prise en compte pour toutes les mesures de dotation et que vous ne satisfaisiez aux exigences minimales pour aucune des mesures de dotation. En conséquence, les décisions qui ont été prises sont maintenues.
Conformément à ce qui a été convenu, j’ai demandé à ce qu’on vous informe et qu’on vous considère dans l’éventualité où il y aurait de nouvelles mesures de dotation au sein de la Division Atlantique de la DGI pendant la période au cours de laquelle vous conserverez le « statut privilégié ».
En conclusion de cette analyse, j’estime que vous n’avez pas été traitée arbitrairement. Par conséquent, aucune mesure corrective ne sera entreprise.
[15] La demanderesse cherche à obtenir l’annulation de cette décision afin qu’une nouvelle décision soit rendue par une personne différente.
QUESTION EN LITIGE
[16] La seule question que la demanderesse cherche à faire contrôler est de savoir si le directeur a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en affirmant qu’elle n’avait satisfait aux « exigences minimales » pour aucune des mesures de dotation.
[17] Les avocats des parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce quant à ce qui constitue les « exigences minimales » est celle de la décision raisonnable, telle que définie par la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.
« EXIGENCES MINIMALES »
[18] L’annexe L ou l’annexe S du programme de dotation de l’Agence ne fournit aucune définition claire de ce que sont les « exigences minimales ». Le paragraphe 2.1 de l’annexe S parle des « exigences minimales » comme « des études requises, la connaissance des langues officielles et les critères de sécurité ». Le paragraphe 2.3 fait la distinction entre « exigences minimales » et le fait d’avoir « toutes les compétences requises ». Les deux paragraphes ont été reproduits ci-dessus.
[19] Le paragraphe 2.2 de l’annexe S parle de l’importance qu’il faut accorder au statut privilégié « avant d’entamer la dotation avec ou sans processus de sélection » tandis que le paragraphe 2.3 parle du poids qu’il faut accorder aux bénéficiaires de statut privilégié [TRADUCTION]« lors du processus de sélection ». L’avocat de la demanderesse fait valoir que cela signifie que lorsqu’il n’y a pas de processus de sélection, comme dans les circonstances décrites en l’espèce, l’exigence selon laquelle une personne doit avoir « toutes les compétences requises », comme le prévoit le paragraphe 2.3, ne s’applique pas. L’avocat poursuit en disant que ce n’est que lorsque l’Agence procède à un processus de sélection que la question portant sur le fait d’avoir « toutes » les compétences requises peut être soulevée. L’avocat fait valoir que la situation est semblable à celle qu’a prise en considération le juge Dawson de la Cour fédérale dans Anderson c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2003 C.F. 1re inst. 667, aux paragraphes 16 à 18 :
16 L'ADRC a adopté un programme de dotation en personnel appelé « Programme de dotation en personnel de l'Agence des douanes et du revenu du Canada » (le « Programme de dotation » ). Le Programme de dotation prévoit que la « procédure de sélection » est l'un des principaux mécanismes utilisés par l'ADRC pour l'avancement et la nomination de ses employés. L'expression « procédure de sélection » s'entend de la procédure par laquelle des candidats peuvent exprimer leur intérêt pour un poste vacant et par la suite être considérés, puis nommés à ce poste.
17 La procédure de sélection comprend trois étapes principales. La première étape consiste à examiner un candidat par rapport aux conditions essentielles du poste. La deuxième étape consiste à évaluer par rapport aux qualités requises pour le poste ceux qui répondent aux conditions essentielles du poste. La troisième étape a trait au placement d'une ou de plusieurs personnes qualifiées. La procédure de sélection est décrite en détail dans une directive intitulée « Directive sur le processus de sélection/répertoire des candidats préqualifiés » , qui est l'annexe E du Programme de dotation.
18 À l'étape des conditions essentielles, un jury de sélection examine chaque candidature pour voir si le candidat répond aux conditions essentielles énumérées dans l'énoncé des exigences de dotation, et reprises dans l'avis de poste vacant. Le jury de sélection doit décider si le candidat répond aux conditions essentielles. Seuls les candidats qui répondent aux conditions essentielles seront retenus pour une évaluation, qui forme la deuxième étape de la procédure de sélection.
[20] L’avocat de la défenderesse soutient que le paragraphe 1.1 de l’annexe S du programme (précité) confirme la principale préoccupation de l’Agence, à savoir que ses « besoins opérationnels » doivent constituer le principal critère. Par conséquent, l’avocat fait valoir qu’il faut avoir toutes les compétences requises pour pouvoir être considéré pour un poste, qu’il y ait processus de sélection ou non.
[21] Il est important de noter qu’une évaluation des compétences de la demanderesse a été faite à l’égard des niveaux CS-01, CS-02 et CS-03. Cependant, les résultats de cette évaluation ne lui ont été communiqués qu’après le début du processus de sélection. Pour chacun des postes de niveau CS-01, CS-02 et CS-03, l’évaluation montre que la demanderesse satisfait aux exigences en matière d’études requises et de connaissance des langues officielles, qui sont deux des « exigences minimales » énoncées au paragraphe 2.1 de l’annexe S du programme. La troisième exigence figurant au paragraphe 2.1, les critères de sécurité, n’est pas mentionnée. Chaque fois que le document d’évaluation emploie les mots « exigences minimales », il est dit que la demanderesse satisfait à ces exigences. Ce n’est qu’en fonction des autres critères, tel que l’expérience, qu’il est écrit que la demanderesse ne satisfait pas aux critères mentionnés. En contre-interrogatoire, la demanderesse admet volontiers qu’elle ne satisfait pas aux autres critères.
[22] Dans ce contexte, il est important de tenir compte d’un courriel envoyé aux autres par Allan Raniere le 17 décembre 2007, incluant une copie envoyée à Robert Stanzel, dans lequel il dit :
[TRADUCTION] …nous serions obligés d’offrir un poste de niveau CS1 à Vera (parce qu’il est presque impossible de ne pas satisfaire aux exigences minimales pour les postes de ce niveau)…
[23] Lors de l’élaboration du programme, il aurait évidemment fallu définir plus clairement ce que sont les « exigences minimales » et prévoir la manière de traiter les bénéficiaires de « statut privilégié » lorsqu’une opportunité d’emploi se présente, qu’ils doivent se soumettre à un « processus de sélection » ou non.
[24] Afin d’interpréter de manière raisonnable ces dispositions, la Cour estime nécessaire de préciser que les « exigences minimales » se limitent aux critères portant sur les études requises, la connaissance des langues officielles et les critères de sécurité. L’exigence d’avoir « toutes les compétences requises » renvoie à autre chose. Dans ce cas, il s’agit plutôt des talents, de l’expérience et des compétences propres à un emploi en particulier. Les bénéficiaires de statut privilégié qui satisfont aux « exigences minimales » doivent faire partie du « processus de sélection » au même titre que les autres et il est nécessaire de les aviser lorsqu’ils sont considérés afin qu’ils soient certains d’être traités justement quant à la question de savoir s’ils ont « toutes les compétences requises ». Il se peut qu’ils ne les aient pas. Cependant, si l’Agence n’effectue pas de « processus de sélection », elle prend le risque que des bénéficiaires de « statut privilégié » satisfaisant aux « exigences minimales » soient traités injustement dans le cas où une autre personne est embauchée sans qu’il y ait eu de processus de sélection.
LA DÉCISION À L’EXAMEN
[25] La décision à l’examen, la lettre du 25 janvier 2008, mentionne que la demanderesse « n’a pas satisfait aux exigences minimales ». Il s’agit d’une erreur manifeste. C’est une interprétation déraisonnable du programme. La demanderesse a satisfait aux « exigences minimales » – par contre, elle n’avait pas « toutes les compétences requises ». La décision ne prend pas en compte le fait que certains postes ont été dotés sans qu’il y ait eu de processus de sélection dans le cadre duquel le fait que la demanderesse n’avait pas « toutes les compétences requises » n’aurait pas été pertinent. La décision est déraisonnable et sera infirmée.
[26] La question doit être réexaminée par une personne autre que M. Stanzel ou une des personnes ayant participé au processus, y compris toute personne ayant pris connaissance de la première version de la lettre de M. Stanzel. Les mesures correctives sont prévues au paragraphe 5 de l’annexe L du programme :
5. Mesures correctives
· Les personnes autorisées ont la responsabilité de prendre les mesures correctives qui s’imposent, en temps opportun. Dans le cadre du processus de sélection, ces mesures correctives doivent être prises sur-le-champ afin que le processus ne soit pas retardé indûment.
· En ce qui concerne la dotation, l’éventail de mesures correctives possibles peut comprendre :
Ø prescrire la correction de l’erreur dans le processus;
Ø recommander la révocation de la nomination de l’employé, s’il y a lieu;
Ø recommander qu’un autre gestionnaire soit impliqué dans la décision.
[27] Au moment de réviser une demande et de choisir les mesures correctives à apporter, le décideur devrait être sensible au fait que les dispositions du programme pertinent sont imprécises et l’Agence, qui l’a rédigé, devrait accepter qu’en cas d’ambigüité ou lorsque les questions ne sont pas assez claires, l’interprétation qui lui est défavorable devrait l’emporter. La règle du contra proferentem s’applique.
DÉPENS
[28] Les dépens sont accordés à la partie gagnante, la demanderesse. Les parties conviennent qu’il est approprié de fixer les dépens à 3 000 $.
ORDONNANCE ET JUGEMENT
Pour les motifs exposés ci-dessus :
- Que les paragraphes 6 à 11 inclusivement, 14 et 15, 16 à 19 inclusivement, 20 et 22 de l’affidavit de Vera Gerus sont radiés du dossier;
- La demande est accueillie;
- La question est renvoyée pour une nouvelle révision par une personne différente n’ayant pas pris part à la révision de la décision en cause;
- Des dépens de 3 000 $ sont accordés à la demanderesse.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Vincent
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-252-08
INTITULÉ : VERA GERUS c. AGENCE DU REVENU DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 janvier 2009
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 21 janvier 2009
COMPARUTIONS :
Steven Welchner |
POUR LA DEMANDERESSE VERA GERUS
|
David Aaron |
POUR LA DÉFENDERESSE AGENCE DU REVENU DU CANADA |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Welchner Law Office Professional Corporation 6274, Elkwood Drive Ottawa (Ontario) K4P 1M9 Fax : 866-234-3659 |
POUR LA DEMANDERESSE VERA GERUS
|
Ministère de la Justice 234, rue Wellington, Tour Est Ottawa (Ontario) K1A 0H8 Fax : 613-954-1920 |
POUR LA DÉFENDERESSE AGENCE DU REVENU DU CANADA |