Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2008
En présence de monsieur le juge O’Keefe
ENTRE :
SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE (SCFP),
COMPOSANTE D’AIR CANADA
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O’KEEFE
[1] Il s’agit d’une demande présentée suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire de la décision datée du 31 août 2007 par laquelle un agent d’appel a confirmé la décision rendue par un agent de santé et de sécurité en date du 14 mars 2005 , lequel avait conclu que la situation qui existait à bord de l’avion lors vol 101 d’Air Canada ne constituait pas un danger au sens de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (Code).
[2] Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) – composante d’Air Canada (le demandeur) a demandé à la Cour les réparations suivantes :
1. Une ordonnance de certiorari annulant la décision de l’agent d’appel datée du 31 août 2007.
2. Une déclaration selon laquelle il existait un « danger » au sens de la partie II du Code au moment du refus de travailler.
3. Une ordonnance renvoyant l’affaire à un agent d’appel afin qu’il rende une nouvelle décision conforme à la directive prévoyant que la réparation sollicitée par le demandeur dans le présent appel soit accordée.
4. Les dépens du demandeur à l’égard de la présente demande.
Le contexte
[3] Le 14 mars 2005, Mme Rehab Rivers, une agente de bord qui travaillait pour Air Canada et était membre de l’unité de négociation représentée par le demandeur devait travailler lors du vol 101 à bord d’un avion A321 devant se rendre de Toronto à Vancouver. Un des deux groupes de conditionnement d’air lors de ce vol ne fonctionnait pas; les groupes de conditionnement d’air ventilent la cabine de l’avion pendant le vol. Après avoir appris le mauvais fonctionnement d’un groupe de conditionnement d’air, Mme Rivers a préparé un rapport de vol et elle a inscrit un refus de travailler dans lequel elle a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Il existait une situation susceptible de causer des blessures ou de rendre malade avant que le risque soit écarté ou que la situation soit corrigée. Compte tenu d’un incident antérieur survenu à bord d’un A321 qui avait un seul groupe de conditionnement d’air, je peux dire que j’avais le sentiment que ma santé et ma sécurité étaient exposées à un risque de souffrir de la mauvaise qualité de l’air, soit d’hypoxie.
[4] Un autre agent de bord a remplacé Mme Rivers lors du vol. Avant le départ pour Vancouver, le commandant de bord a informé l’équipage que l’avion satisfaisait à toutes les exigences de la liste minimale d’équipements (LME) et que, conformément à la mesure de compensation énoncée dans la LME, l’avion volerait à une basse altitude de 30 000 pieds et que le groupe de conditionnement d’air en service serait exploité à sa capacité maximale. Il semble que Mme Rivers n’était pas présente lors de cette séance d’information.
[5] Mme Rivers avait, au cours d’un voyage précédent effectué le 17 juillet 2004, signalé qu’elle avait eu des maux de tête, des étourdissements et des nausées lors d’un vol de Toronto à Vancouver à bord d’un avion A321 dont un des groupes de conditionnement d’air ne fonctionnait pas.
[6] En raison du refus de travailler de Mme Rivers, un agent de santé et de sécurité a fait une enquête à l’égard des événements. Dans une décision datée du 15 mars 2005, et communiquée aux parties le 16 mars 2005, l’agent de santé et de sécurité a conclu que la situation qui existait à bord de l’avion lors du vol effectué en mars 2005 ne constituait pas un danger selon la définition contenue à la partie II du Code.
[7] Le demandeur dans la présente demande a interjeté appel de la décision de l’agent de santé et de sécurité. L’appel a été entendu à Toronto au cours d’une période de neuf jours et les parties ont présenté des observations écrites. Dans une décision datée du 31 août 2007, l’agent d’appel a confirmé la conclusion tirée par l’agent de santé et de sécurité selon laquelle il n’y avait « pas un danger ». La présente espèce est le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’appel.
La décision de l’agent d’appel
[8] L’agent d’appel a consacré une bonne partie de ses motifs au résumé de ce qu’il avait retenu des témoignages et des éléments de preuve fournis par les témoins de l’appelant et de ceux de la partie défenderesse. Au début de sa décision, l’agent d’appel a énoncé la question consistant à savoir s’il y avait ou non un danger pour Mme Rivers le 14 mars 2005, au moment de l’enquête effectuée par l’agent de santé et de sécurité Gass à l’égard de son refus de travailler à bord d’un avion dont un des groupes de conditionnement d’air était hors service. L’agent d’appel a examiné les dispositions légales, les faits de l’affaire et la jurisprudence.
[9] En ce qui concerne les faits de l’affaire, l’agent d’appel a fait remarquer que Mme Rivers avait reconnu au cours de son témoignage que, avant son refus de travailler, elle n’avait pas parlé au commandant quant aux mesures qui seraient prises pour compenser la défectuosité du groupe de conditionnement d’air. L’agent d’appel a en outre fait remarquer que Mme Rivers avait eu lors d’un vol précédent le 17 juillet 2004, au cours duquel un seul groupe de conditionnement d’air fonctionnait, des symptômes qu’elle attribuait au manque d’oxygène, et qu’elle craignait que les mêmes symptômes se produisent lors de ce vol.
[10] L’agent d’appel partageait l’avis du demandeur selon lequel certains symptômes pouvaient entraver la capacité d’un agent de bord de répondre à une situation d’urgence, mais il a conclu que [traduction] « la preuve dont [il] disposait ne [le] convainquait pas que chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air est hors service, cela entrave le temps de réponse d’un agent de bord au cours d’une urgence à bord d’un avion ». L’agent d’appel était d’avis que les mesures correctives du commandant étaient [traduction] « appropriées pour atténuer les effets du groupe de conditionnement d’air hors service et pour assurer un niveau de ventilation acceptable dans la cabine […] ».
[11] L’agent d’appel a ensuite traité de l’argument voulant que le groupe de conditionnement d’air en panne aurait causé à Mme Rivers les mêmes symptômes qu’elle affirmait avoir eus lors du vol de juillet 2004. Il a conclu selon la prépondérance des probabilités que [traduction] « les faits n’établissaient pas que les membres de l’équipage pouvaient raisonnablement s’attendre à subir des blessures ou à être malade chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air était hors service ». L’agent d’appel a ensuite déclaré que, à son avis, [traduction] « seule une étude détaillée de la qualité de l’air ambiant lors des vols à pleine capacité avec un groupe de conditionnement d’air hors service fournira une preuve solide permettant d’établir si un groupe de conditionnement d’air hors service pourrait causer une blessure à un membre d’un équipage ou le rendre malade ».
[12] L’agent d’appel a traité de l’argument voulant que compte tenu de l’expérience qu’elle avait vécue antérieurement en 2004 Mme Rivers pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les mêmes symptômes se présentent lors du vol de mars 2005. L’agent d’appel n’était pas convaincu par le témoignage du Dr McGoveran selon lequel les symptômes de Mme Rivers lors de son vol de juillet 2004 avaient un lien avec le groupe de conditionnement d’air hors service, parce que l’opinion du Dr McGoveran à ce sujet était basée sur peu de données. C’est‑à‑dire, l’agent d’appel avait l’impression que la tentative du Dr McGoveran d’établir un lien entre les deux vols n’était pas concluante. L’agent d’appel a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je suis d’avis qu’une hypothèse non fondée sur des faits importants n’est pas un argument solide dont il faut tenir compte ». L’agent d’appel a en outre traité de l’argument selon lequel les mots [traduction] « attente raisonnable » ne faisaient pas en sorte qu’il devait nécessairement y avoir une blessure chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air était en panne. Il a renvoyé à sa déclaration antérieure selon laquelle le fait qu’il y ait un groupe de conditionnement d’air hors service ne signifiait pas qu’il y aurait chaque fois une blessure. L’agent d’appel a ensuite déclaré ce qui suit :
[traduction]
Puisque j’ai rendu une décision quant au lien entre les deux vols, je n’ai pas à traiter de toute la preuve présentée à l’égard du lien entre un groupe de conditionnement d’air hors service et la qualité de l’air à bord d’un avion, parce que les facteurs en place en juillet 2004 sont vraisemblablement différents de ceux qui existaient en mars 2005.
[13] En conclusion, l’agent d’appel a confirmé la décision de l’agent de santé et de sécurité selon laquelle il n’y avait pas un danger.
Les questions en litige
[14] Le demandeur a soumis les questions en litige suivantes pour examen :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
2. L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit ou une erreur quant à la compétence du fait qu’il aurait omis de correctement interpréter et appliquer la définition de « danger » contenue à la partie II du Code?
3. L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit ou a‑t‑il omis de respecter des principes de justice naturelle et d’équité procédurale du fait qu’il aurait imposé au demandeur une norme écrasante pour établir et prouver l’existence d’un « danger »?
4. L’agent d’appel a‑t‑il tiré des conclusions de fait erronées ou omis de respecter des principes de justice naturelle et d’équité procédurale du fait qu’il aurait tiré des conclusions de fait, sans tenir compte de la preuve d’expert, fondées sur ses propres recherches et basées sur des facteurs non pertinents en ce qui concerne les aspects suivants :
a. l’omission d’avoir pris en compte une preuve d’expert portant sur l’incidence qu’a un groupe de conditionnement d’air en panne sur la qualité de l’air dans la cabine d’un avion;
b. l’omission d’avoir pris en compte une preuve d’expert portant sur la méthodologie de la médecine du travail;
c. les conclusions de fait tirées sans preuve qui dans certains cas étaient contraires à la preuve dont il disposait;
d. le fait de conclure sans preuve que des mesures correctives prises conformément à la LME garantissaient un niveau acceptable de ventilation.
[15] Je reformule les questions en litige de la façon suivante :
1. Quelle est la norme de contrôle appropriée?
2. L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a interprété et appliqué la définition de « danger » contenue au Code?
3. L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit du fait qu’il aurait appliqué une norme écrasante de preuve à l’existence d’un « danger »?
4. L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur quant aux faits?
5. L’agent d’appel a‑t‑il commis un manquement à l’équité procédurale?
Les observations écrites du demandeur
[16] Le demandeur soutenait que la norme de contrôle appropriée dépend de la question en litige. À l’égard de l’interprétation de la définition législative de « danger » faite par l’agent d’appel, de même qu’à l’égard de la norme de preuve nécessaire pour l’évaluation du « danger », le demandeur soutenait que dans l’arrêt Martin c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 752, la Cour d’appel fédérale a décidé que la norme de contrôle appropriée est la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, compte tenu du récent arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, le demandeur soutenait que la nouvelle norme de contrôle quant à ces questions est la raisonnabilité. Le demandeur soutenait que, en ce qui concerne des questions de fait, le pouvoir de contrôle de la Cour est tel qu’une décision peut être annulée si le décideur a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des documents dont il disposait. Finalement, des manquements à l’équité procédurale commis par un décideur administratif ne sont pas assujettis à une analyse de la norme de contrôle dans certains cas (SCFP c. Ontario (Ministre du Travail) (2003), 226 D.L.R. (4th) 193).
[17] Le demandeur soutenait que l’agent d’appel a commis une erreur dans son interprétation et son application du terme « danger » contenu au Code. Il soutenait que l’inclusion du mot « susceptible » dans la définition législative de « danger » exige que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme une simple possibilité, mais comme une possibilité raisonnable (Verville c. Canada (Service correctionnel), [2004] A.C.F. no 940; Société canadienne des postes c. Pollard, [2007] A.C.F. no 1745). Le demandeur soutenait que l’agent d’appel n’a pas effectué cette analyse, mais a plutôt examiné le lien entre les vols effectués par Mme Rivers, en juillet 2004 et mars 2005, pour déterminer s’il y avait un danger en mars 2005. C’était une erreur de la part de l’agent d’appel parce que le critère approprié quant au danger n’a pas été appliqué. En résumé, le demandeur soutenait que l’agent d’appel ne s’est pas demandé si un groupe de conditionnement d’air hors service est susceptible de causer des blessures ou de rendre malade, mais plutôt si un groupe de conditionnement est susceptible de causer des blessures ou de rendre malade chaque fois qu’il est hors service. Le demandeur soutenait que l’interprétation de « danger » faite par l’agent d’appel est incompatible avec la jurisprudence et n’est pas en pratique logique quant à des questions de sécurité au travail.
[18] Le demandeur soutenait également que l’agent d’appel a commis une erreur lorsqu’il a appliqué une norme de preuve impossible à respecter en exigeant que Mme Rivers présente des données idéales qui n’existaient pas pour démontrer le bien‑fondé de sa demande. Le demandeur soutenait que les études détaillées sur la qualité de l’air exigées par l’agent d’appel ne pouvaient être faites qu’en exposant des personnes au risque potentiel qui a donné lieu au refus de travailler. Le demandeur soutenait que l’exigence est déraisonnable puisqu’elle est contraire aux objets de la loi en matière de santé et de sécurité. Le demandeur soutenait en outre que le rôle de l’agent d’appel consiste à évaluer la preuve dont il dispose lorsqu’il rend une décision, et non à exiger des données idéales qui ne sont pas disponibles (Martin, précité).
[19] Le demandeur soutenait de plus que l’agent d’appel a tiré de nombreuses conclusions de fait erronées. Il soutenait que l’agent d’appel a commis une erreur du fait de ne pas avoir pris en compte la preuve présentée par M. Walkinshaw à l’égard de l’incidence qu’a un groupe de conditionnement d’air en panne sur la qualité de l’air de la cabine. L’agent d’appel n’a pas pris en compte la preuve parce que, à son avis, il n’y avait pas de lien solide entre le groupe de conditionnement d’air hors service et le risque potentiel, alors que la preuve présentée par M. Walkinshaw traitait précisément de ce point. Le demandeur soutenait que l’agent d’appel a également commis une erreur du fait d’avoir omis de prendre en compte la preuve d’expert sur la méthodologie de la médecine du travail, en particulier la preuve d’expert présentée par le Dr McGoveran.
[20] Le demandeur soutenait que l’agent d’appel a rejeté à tort cette preuve parce qu’il estimait qu’elle était basée sur peu de données et non sur les données idéales qu’il prétendait devoir obtenir. De ce fait, l’agent d’appel a rejeté toutes les données contenues dans la preuve du Dr McGoveran. Ces données, même si elles n’étaient pas idéales, étaient les données auxquelles on se fiait habituellement en médecine du travail. Un tribunal fait une incursion en « territoire interdit » lorsqu’il tire des conclusions de nature médicale afin d’écarter des éléments de preuve crédibles et non contredits alors qu’il n’a pas sa propre expertise médicale (MacDonald c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1645).
[21] Le demandeur contestait également des conclusions que l’agent d’appel avait tirées sans avoir d’éléments de preuve permettant de les appuyer, notamment :
· l’existence d’un [traduction] « rapport horaire de données à l’égard du vol du 17 juillet 2004 »;
· les symptômes de Mme Rivers lors du vol de mars 2005 qu’elle avait en fait refusé d’effectuer;
· des opinions de témoins experts qu’ils n’avaient pas fournies;
· une entrée sur le site Wikipédia à l’égard des vérifications « C » (« C » checks ).
[22] Finalement, le demandeur soutenait que l’agent d’appel a conclu à tort que les mesures correctives prévues à la LME garantissaient un niveau acceptable de ventilation. Il soutenait que l’agent d’appel ne disposait pas d’éléments de preuve à cet égard et que, par conséquent, la conclusion était déraisonnable.
Les observations écrites de la défenderesse
[23] La défenderesse soutenait que compte tenu de l’arrêt Dunsmuir, précité, rendu par la Cour suprême du Canada, la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par des agents d’appel en vertu du Code est la raisonnabilité. La défenderesse a mentionné qu’il y avait deux clauses restrictives rédigées de façon très stricte et a réitéré l’expertise directe du décideur lorsqu’il rend sa décision.
[24] La défenderesse soutenait que la décision de l’agent d’appel était rationnelle. L’agent d’appel a reconnu qu’un danger susceptible de se produire ne signifie pas que chaque fois que la situation ou la tâche se produit elle causera un « danger »; toutefois, il a en outre mentionné que des situations hypothétiques étaient exclues.
[25] La défenderesse soutenait qu’il y avait beaucoup de preuve appuyant la conclusion selon laquelle il n’y avait pas un danger. La preuve dont disposait l’agent d’appel établissait qu’un avion A321 fonctionnant avec un groupe de conditionnement d’air satisfait aux lignes directrices établies par les Autorités conjointes de l’aviation en ce qui concerne l’air frais et que le fonctionnement avec un seul groupe de conditionnement d’air était conforme à la loi selon la LME. La défenderesse soutenait en outre que la décision de l’agent d’appel était raisonnable étant donné que le pilote avait établi pour le vol une altitude peu élevée et qu’aucune réaction défavorable n’avait été signalée au cours de ce vol. La défenderesse soutenait que l’agent d’appel pouvait mettre en doute la preuve du M. Walkinshaw compte tenu du fait que son témoignage était fondé sur des données se rapportant à un avion autre qu’un A321. De plus, il appartenait à l’agent d’appel d’évaluer la preuve puisqu’il disposait d’éléments de preuve médicale contradictoires. Il n’était aucunement déraisonnable pour l’agent d’appel de préférer la preuve du Dr Bekeris à celle du Dr McGoveran, compte tenu de l’expertise du Dr Bekeris dans ce domaine. En conclusion, la défenderesse soutenait qu’il n’y avait aucun fondement à l’argument du demandeur selon lequel l’agent d’appel a commis une erreur quant aux faits.
Analyse et décision
[26] La première question en litige
Quelle est la norme de contrôle appropriée?
Je suis d’accord avec les parties lorsqu’elles disent que la norme de contrôle appropriée pour toutes les questions soulevées, à l’exception des questions d’équité procédurale, comme la Cour l’a récemment décidé dans la décision Syndicat des agents correctionnels du Canada c. Canada (Procureur général), [2008] A.C.F no 683, à savoir la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable établie dans Martin, précédemment mentionnée, ne s’applique plus compte tenu de la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Les décideurs sont liés par les exigences de l’équité procédurale comme dans l’arrêt SCFP, précité.
[27] La deuxième question en litige
L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a interprété et appliqué la définition de « danger » contenue au Code?
Le demandeur soutenait que l’agent d’appel a commis une erreur lorsqu’il a interprété et appliqué la définition de « danger » aux faits de la présente affaire. En particulier, le demandeur soutenait que l’interprétation de « danger » faite par l’agent d’appel exigeait que le demandeur démontre que chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air est en panne, il y a des blessures.
[28] Dans sa décision, l’agent d’appel a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Je suis d’accord avec J. Robbins que certains symptômes pourraient entraver la capacité d’un agent de bord à répondre à une situation d’urgence. Toutefois, la preuve dont je dispose ne me convainc pas que chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air sera hors service, il y aura une entrave au temps de réponse d’un agent de bord en cas d’urgence à bord d’un avion. [Non souligné dans l’original.]
L’agent d’appel a ensuite déclaré ce qui suit dans sa décision :
[traduction]
En dépit des observations de l’appelante, selon la prépondérance des probabilités, les faits n’établissent pas que les membres de l’équipage étaient susceptibles d’être blessés ou d’être malades chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air est hors service. [Non souligné dans l’original.]
L’agent d’appel a en outre déclaré ce qui suit :
[traduction]
J. Robbins a renvoyé à la décision Juan Verville, précitée, de la Cour fédérale, lorsqu’il a mentionné que l’expression « susceptible de causer » ne signifie pas que chaque fois que la situation ou la tâche se produit, cela causera des blessures. Je souscris à cette déclaration, qui s’applique au groupe de conditionnement d’air hors service. J’ai dit précédemment que la présence d’un groupe de conditionnement d’air hors service ne signifie pas que cela causera chaque fois des blessures aux membres de l’équipage ou les rendra malades. Compte tenu de l’absence d’un lien solide entre le groupe de conditionnement d’air hors service et le risque potentiel susceptible de causer des blessures ou de rendre malade, je conclus que R. Rivers n’était pas exposée à un danger le 14 mars 2005. [Non souligné dans l’original.]
[29] Il semble y avoir une contradiction entre les deux premiers extraits et le troisième extrait. Dans le premier extrait de sa décision, l’agent d’appel mentionne que sa compréhension du critère juridique quant au « danger » exige que le demandeur fournisse des éléments de preuve pour le convaincre que [traduction] « chaque fois qu’un groupe de conditionnement d’air est hors service » cela causera des blessures. Dans le troisième extrait de sa décision, l’agent d’appel semble reconnaître que la définition de « danger » contenue au Code n’exige pas que chaque fois que la situation se produit, il y ait des blessures ou une maladie. À mon avis, cette contradiction est suffisante pour mettre en doute l’interprétation faite par l’agent d’appel quant à la définition de « danger ». En conséquence, je ne peux pas établir le sens que l’agent d’appel a donné au critère juridique quant au « danger ». Cela entraîne que la décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’appel afin qu’il rende une nouvelle décision.
[30] Compte tenu de ma conclusion à l’égard de cette question, je n’ai pas à traiter des autres questions en litige.
[31] Le demandeur aura droit à ses dépens afférents à la demande.
JUGEMENT
[32] LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’appel afin qu’il rende une nouvelle décision.
2. Le demandeur a droit à ses dépens afférents à la demande.
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
ANNEXE
Dispositions légales pertinentes
Les dispositions légales pertinentes sont énoncées dans la présente section.
Partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 :
122.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.
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122.(1) In this Part,
"danger" means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system;
128.(1) Subject to this section, an employee may refuse to use or operate a machine or thing, to work in a place or to perform an activity, if the employee while at work has reasonable cause to believe that
(a) the use or operation of the machine or thing constitutes a danger to the employee or to another employee;
(b) a condition exists in the place that constitutes a danger to the employee; or
(c) the performance of the activity constitutes a danger to the employee or to another employee.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1759‑07
INTITULÉ : SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE (SCFP), COMPOSANTE D’AIR CANADA
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AIR CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 mai 2008
DATE DES MOTIFS : Le 21 novembre 2008
COMPARUTIONS :
James L. Robbins
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Rhonda R. Shirreff
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP Toronto (Ontario)
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Heenan Blaikie LLP Toronto (Ontario)
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