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Date : 20081212

Dossier : T-1516-08

Référence : 2008 CF 1369

[TRADUCTION FRANÇAISE]
ENTRE :

LE CONSEILLER ALBERT DEAN LAFOND et

LE CONSEILLER CLIFF TAWPISIN, JR

demandeurs

et

 

LE CHEF GILBERT LEDOUX, MCKERCHER LLP,

EMERY JAMIESON LLP et MYERS NORRIS PENNY LLP

intimés

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

 

I.  APERÇU

  • [1] Les requêtes dont la Cour est saisie sont des procédures interreliées et, par conséquent, il est plus efficace d’émettre un seul ensemble de motifs assortis d’ordonnances précises à l’égard de chaque requête.

 

  • [2] Les requêtes sont les suivantes :

a) la requête des demandeurs visant à obliger les intimés à produire certains documents conformément aux règles 317 et 318;

b) la requête des intimés, McKercher LLP, Emery Jamieson LLP et Myers Norris Penny LLP, visant à radier la demande de contrôle judiciaire à leur encontre pour défaut de compétence;

c) la requête en radiation de l'intimé, le chef Gilbert Ledoux, pour des motifs semblables.

 

  • [3] Compte tenu de la nature de ce litige et de la nécessité de le gérer de façon ordonnée, la Cour rendra une ordonnance pour que l’instance soit gérée à titre « d’instance à gestion spéciale » (procédure parfois appelée « gestion de l’instance »).

 

  • [4] Une ordonnance du juge Campbell a expressément exigé que l'audition des questions relatives aux règles 317 et 318 se fasse après que la Cour ait eu la possibilité d’examiner les documents en cause. Ces documents ont été fournis à la Cour à titre confidentiel et ont fait l’objet d’un examen au même titre.

 

II.  CONTEXTE

  • [5] Les demandeurs, soit deux conseillers de bande de la Nation crie de Muskeg Lake (la bande), ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’endroit d’un vote des membres de la bande et ont demandé un redressement sous forme d’une ordonnance annulant ce vote, qui s’est tenu entre le 19 et le 27 septembre 2008. Le vote en question portait sur la proposition de permettre l’établissement de certains commerces (dont une franchise Tim Hortons et un centre de financement de la Banque Royale du Canada) sur les terres de la bande. Cette proposition avait été rejeté lors du premier vote.

 

  • [6] Les demandeurs allèguent que l'intimé, le chef Gilbert Ledoux, agissant sans l’approbation du Conseil et de concert avec des consultants, a établi une procédure de vote et a procédé à un « nouveau vote » sur la même question, avec l’aide des autres intimés. C’est ce nouveau vote, apparemment en faveur de la proposition d’affaires susmentionnée, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

  • [7] Les autres intimés sont deux cabinets d’avocats, soit McKercher LLP et Emery Jamieson LLP, et un cabinet comptable, Myers Norris Penny LLP. Le cabinet McKercher LLP est décrit comme un avocat de la bande et, à ce titre, a fourni des conseils juridiques et d’autres services d’aide pour les votes tenus au nom du Comité consultatif sur les terres de Muskeg Lake (le Comité). L’autre cabinet d’avocats a apparemment été retenu pour aider McKercher LLP, et le cabinet comptable a été retenu par la bande ou le Comité, ou pour son compte par McKercher LLP, pour compiler les résultats du nouveau vote.

 

  • [8] Il y a des allégations selon lesquelles le premier vote a été entaché de multiples problèmes, ce qui a donné lieu au nouveau vote. Il y a d’autres allégations selon lesquelles le nouveau vote était également truffé de problèmes, de procédures inappropriées et de conduites inappropriées. La question essentielle à l'origine du contrôle judiciaire est que le nouveau vote était illégal et ne reflétait pas la volonté de la population.

 

  • [9] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont demandé que les conseillers de l'intimé (les deux cabinets d’avocats et le cabinet comptable) fournissent, en vertu de la règle 317, les documents suivants :

a)  tous les documents relatifs à chacun des votes tenus à Edmonton, Saskatoon, Prince Albert et Muskeg Lake;

b)  le registre de la liste électorale;

c)  le relevé des heures où le vote s’est tenu;

d)  tous les dossiers des électeurs refusés;

e)  tous les dossiers des électeurs qui ont été refusés ou qui ont attendu en ligne mais n’ont pas pu voter;

f)   tout autre document relatif à ces votes.

 

  • [10] Les intimés se sont opposés à la requête qui leur a été adressée en vertu de la règle 317 au motif qu’aucun d’eux n’est « un office fédéral », que les documents qu’ils conservent sont soumis au secret professionnel de l’avocat; et que chacun d’eux est lié par une entente de confidentialité, de non-divulgation et d’indépendance qui interdit la publication des documents.

 

  • [11] Les conseillers de l'intimé présentent une requête en annulation du contrôle judiciaire à leur encontre en alléguant qu’aucun d’eux n’est « un conseil, une commission ou un office fédéral » et que, par conséquent, la Cour n’a aucune compétence à leur endroit; que la désignation des intimés constitue un abus de procédure destiné à priver le client de son droit de choisir son avocat; et qu’ils ne sont pas des personnes directement visées par l’affaire dont la Cour est saisie.

 

  • [12] L'intimé, le chef Gilbert Ledoux, demande également d’être radié comme intimé pour défaut de compétence de la Cour et du fait qu’il ne constitue pas « un conseil, une commission ou un office fédéral », que les procédures et les votes contestés n’ont pas été décidés par lui et que le vote relève du code foncier de la bande.

 

III.  ANALYSE

A.  Objection en vertu de la règle 318

  • [13] Conformément à l’ordonnance du juge Campbell, la Cour a examiné les documents à la publication desquels s’opposent les intimés. Ces documents figurent dans les dossiers déposés auprès de la Cour et sont décrits comme suit :

Dossier no 1

Copie de la liste électorale de Muskeg Lake datée de septembre 2008. La liste a été utilisée pour déterminer l’admissibilité des électeurs et pour l’enregistrement des votes.

Dossier no 2

Copie de la liste électorale de Muskeg Lake avec les résultats après le vote du 19 septembre 2008. Les notes sous la section « Commentaires » indiquent comment un électeur a voté sur les trois questions et contiennent les initiales de l’électeur.

Dossier no 3

Copie de la liste électorale de Muskeg Lake, signature de l’électeur et copie de la liste des électeurs de Muskeg Lake avec les résultats cumulatifs des votes des 19 et 27 septembre 2008. Ce dossier contient une liste d’électeurs sans enregistrement des votes et une liste d’électeurs dont les votes sont notés.


Dossier no 4

Copie de la liste électorale de Muskeg Lake avec les résultats cumulatifs des votes des 19, 20 et 21 septembre 2008.

Dossier no 5

Copie de la liste électorale de Muskeg Lake avec les résultats cumulatifs des votes des 19, 21 et 27 septembre 2008.

Dossier no 6

Copie des notes de présence de McKercher LLP pour les votes des 21 et 27 septembre 2008 avec une liste des électeurs refusés.

 

  • [14] La Cour a été informée que les documents en sa possession sont les versions originales. On ne sait pas s’il en existe aussi des copies.

 

  • [15] Ces documents ont été remis à McKercher LLP à titre d’avocat. De son propre aveu, le cabinet est l’avocat de la bande, du chef Gilbert Ledoux et du Comité. Les documents eux-mêmes ne sont pas des communications avec l’avocat et ne sont pas soumis en eux-mêmes au secret professionnel de l’avocat. À ce titre, le cabinet les conserve en tant qu’agent du client, et les documents peuvent être dûment publiés si le client est assujetti à une ordonnance de production.

 

  • [16] L’argument du secret professionnel de l’avocat n’est pas une invitation à jouer à « cache-cache » avec les documents en question. Dans la mesure où les cabinets d’avocats étaient préoccupés par le fait qu’ils n’avaient pas le pouvoir de fournir les documents sans instructions du client ou en l’absence d’une ordonnance de la Cour (une préoccupation légitime pour tout cabinet d’avocats), l’ordonnance de la Cour atténuera leur inquiétude.

 

  • [17] Pour des motifs exposés plus tard, le chef Gilbert Ledoux ou quiconque aurait remis les documents aux conseillers lors du vote contesté constituerait un office fédéral aux termes de la règle 317. En l’absence de preuve du contraire, et aux fins de la présente requête seulement, je considère que le chef Gilbert Ledoux constitue un office fédéral en l'occurrence. Dans la mesure où le chef Gilbert Ledoux avait le contrôle des documents, il les a apparemment détenus au nom du chef et du conseil, ou au nom de la bande, ou à titre de membre d’office du Comité. N’importe lequel de ces autres organismes peut aussi être un office fédéral, mais à ce stade-ci, il est difficile de déterminer précisément qui a ordonné le nouveau vote.

 

  • [18] L’existence de l’entente de confidentialité n’empêche pas la production des documents en vertu de la règle 317. Un office fédéral ne peut pas, par voie de contrat, se soustraite lui-même ou soustraire d’autres personnes à l’obligation de produire des documents, conformément aux règles de la Cour. Il est étrange que des conseillers, en particulier des avocats, soient tenus de signer un document comme l’entente de confidentialité. Il convient de souligner qu’une des parties à l’entente est la bande, mais que le document n’est pas signé par celle-ci ni par un de ses représentants. Cette entente soulève plus de questions qu’elle ne fournit de réponses, sauf qu’elle peut aider à déterminer qui est l’office fédéral approprié.

 

  • [19] La Cour conclut que l’objection en vertu de la règle 318 n’est pas fondée. Les listes d’électeurs peuvent clairement être produites. Il reste la question de la divulgation du vote réel d'un électeur donné, de l’exigence de confidentialité et de l’utilisation de l’information aux fins du présent litige.

 

  • [20] Comme cette affaire constitue une instance à gestion spéciale, si les parties ne peuvent s’entendre sur la forme de divulgation, les demandeurs doivent demander une ordonnance établissant le régime de divulgation de ces documents, y compris la possibilité d’utiliser des versions expurgées pour protéger la confidentialité légitime.

 

  • [21] Les dossiers 2, une partie du dossier 3 et les dossiers 4 et 5, qui renferment un enregistrement des votes de chaque électeur, doivent demeurer confidentiels dans l’attente d’une autre ordonnance de la Cour. Les dossiers 1 et 6 et la liste des électeurs du dossier 3, qui ne contient aucune indication sur les votes individuels, doivent être produits sans délai.

 

B.  Requête en radiation

  • [22] Pour ces requêtes respectives, les intimés s’appuient en partie sur l’hypothèse erronée selon laquelle, pour être intimés dans ces procédures, ils doivent être un conseil, une commission ou un office fédéral.

 

  • [23] L’alinéa 303(1)a) exige du demandeur qu’il désigne à titre d'intimé toute personne « directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande ».

 

  • [24] Compte tenu des circonstances, je conviens avec les demandeurs qu’il est difficile de déterminer précisément qui est l’office fédéral, qui est le décideur et qui sont les intimés nécessaires. Cependant, il est clair que ni les cabinets d’avocats ni le cabinet comptable ne sont un office fédéral ou une personne visée par la demande. Leur rôle est plutôt, probablement, celui de témoin. Ce fait pourrait avoir une incidence sur leur capacité de représenter un ou plusieurs des intimés actuels ou futurs. Cependant, la capacité des cabinets d’agir dans ce dossier est un problème d’un autre ordre.

 

  • [25] Le chef est évidemment une personne touchée par la demande, qui vise à annuler un vote de la bande. La bande et le Comité sont également des personnes clairement touchées par la demande, et le conseil de bande peut également être une partie touchée. La question des intimés appropriés devrait être laissée à la discrétion du juge de gestion de l’instance ou du protonotaire, sur demande de modification de l’intitulé présentée par les demandeurs.

 

  • [26] Il suffit, à ces fins, de rayer les conseillers de l'intimé comme parties et d’autoriser les demandeurs à modifier l’intitulé et à ajouter les intimés appropriés.

 

  • [27] Les demandeurs ont droit à leurs dépens relatifs à la requête en objection en vertu de la règle 318; aucuns dépens ne sont adjugés pour la requête en radiation puisque les résultats sont discutables.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 12 décembre 2008

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-1516-08

 

INTITULÉ :  CONSEILLER ALBERT DEAN LAFOND et al.

 

  et

 

  CHEF GILBERT LEDOUX et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 8 décembre 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :  Le 12 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Priscilla Kennedy

 

POUR LES DEMANDEURS

M. Curtis Onishenko

 

POUR L. 'INTIMÉ

(CHEF GILBERT LEDOUX)

 

M. Christopher Boychuk

POUR LES INTIMÉS

(MCKERCHER LLP, EMERY JAMIESON LLP, MYERS NORRIS PENNY LLP)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

McKercher LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR L'INTIMÉ

(CHEF GILBERT LEDOUX)

McDougall Gauley LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES INTIMÉS

(MCKERCHER LLP, EMERY JAMIESON LLP, MYERS NORRIS PENNY LLP)

 

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