Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20081217

Dossier : IMM-207-08

Référence : 2008 CF 1391

 

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

EUGENIA ANTONIETA ROJAS GUTIERREZ,

CAROLINA GENESIS SOLIS ROJAS

et RUTH ESTER SOLIS ROJAS

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 11 décembre 2007 (la Décision), par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire (CH) soumise par les demanderesses en application de l’article 25 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Eugenia Gutierrez (la demanderesse principale) est née le 15 mars 1965 à San Felipe, au Chili. Elle est citoyenne du Chili et d’aucun autre pays. L’une des filles de la demanderesse principale, Carolina, est née le 11 avril 1988 au Chili et l’autre, Ruth, est née le 8 septembre 1985, également au Chili. Les deux filles de la demanderesse principale sont citoyennes du Chili et d’aucun autre pays.

 

[3]               La demanderesse principale et ses filles sont arrivées à Toronto, au Canada, en janvier 1996. Le 26 septembre 1997, on a statué qu’elles n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. Les demanderesses n’ont pas contesté cette décision.

 

[4]               Le 23 juillet 1999, un mandat a été délivré pour l’arrestation de la demanderesse principale, puisqu’elle ne s’était pas présentée le 20 juillet 1999 pour son renvoi. La demanderesse principale a été détenue jusqu’à son renvoi, le 21 octobre 1999. Ses filles n’ont pas été renvoyées, parce que la demanderesse principale a refusé de dire où elles se trouvaient.

 

[5]               La demanderesse principale est revenue au Canada en avril 2000, en traversant la frontière à Niagara Falls cachée dans une fourgonnette. Elle a de nouveau été arrêtée le 8 mars 2002 puis, le 18 mars 2002, une mesure d’interdiction de séjour a été rendue à son endroit. Le 16 avril 2002, la demanderesse principale a été mise en liberté moyennant le versement d’un cautionnement en espèces.

 

[6]               Le 24 novembre 2004, la demanderesse principale a fait l’objet d’une décision défavorable par suite d’une évaluation des risques avant renvoi. Le 14 septembre 2005, les demanderesses ont présenté une demande afin de pouvoir demeurer au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire.

 

[7]               Le père des filles, Manuel Solis, est arrivé au Canada en 1995 et il a vécu avec la demanderesse principale jusqu’à février 2002, époque à laquelle il a abandonné la famille. Aucun des membres de la famille n’a ensuite eu de communication avec M. Solis, exception faite d’une conversation téléphonique en 2006. Les demanderesses ne savent pas vraiment si ce dernier se trouve ou non au Canada. L’agente a confirmé que M. Solis était un résident permanent. M. Solis et la demanderesse principale ont un fils, Jacob, né le 12 septembre 2001 et citoyen canadien.

 

[8]               La demanderesse principale travaille chez Rose Cleaning, à Toronto, depuis septembre 2002 jusqu’à ce jour. Elle y travaille du lundi au vendredi, et les samedis elle fait des ménages à son compte.

 

[9]               Jacob est en première année et il éprouve des problèmes de mémoire et de langage. Ruth a terminé ses études secondaires en 2005 et elle travaille depuis lors, tandis que Carolina fréquente toujours l’école secondaire.

 

[10]           L’agente en charge du dossier des demanderesses a téléphoné deux fois à la demanderesse principale à son domicile avant la date de la Décision. Le premier appel, d’environ 10 minutes, a eu lieu au début de décembre 2007. L’agente a demandé qui était le père de Jacob, puisqu’il était déclaré dans la demande que la demanderesse principale avait été abandonnée par son époux douze années auparavant. Selon la demanderesse principale, le consultant ayant rempli sa demande avait fait une erreur sur ce point. L’agente s’est enquise de la raison pour laquelle la demanderesse principale n’avait pas remarqué cette erreur en signant la demande. La demanderesse principale affirme n’avoir pu s’exprimer à ce sujet, l’agente ayant alors interrompu la communication.

 

[11]           La demanderesse principale dit que son consultant, Clarence White, lui avait demandé de signer sa formule de demande avant que le moindre renseignement y soit consigné. M. White l’avait assurée qu’il inscrirait dans les formules requises les renseignements qu’elle lui fournirait. Les documents ont été déposés le lendemain, mais la demanderesse principale affirme ne pas en avoir reçu copie.

 

[12]           L’agente a dit à la demanderesse principale croire savoir qu’elle était avec son ex-époux en 2001. Celle-ci l’a confirmé et a expliqué qu’elle vivait au Canada depuis douze ans et qu’elle et Manuel Solis étaient séparés depuis février 2002. La demanderesse principale affirme que l’agente serait alors devenue agressive et lui aurait dit en espagnol qu’elle mentait.

 

[13]           L’agente a également informé la demanderesse principale qu’en 2005, son ex‑époux avait inclus ou inscrit le nom de leurs filles dans une formule de demande en matière d’immigration. La demanderesse principale a répondu ne rien savoir à ce sujet, mais l’agente n’a pas semblé convaincue. La demanderesse principale a eu le sentiment que l’agente voulait laisser entendre qu’elle et son époux vivaient toujours ensemble.

 

[14]           L’agente lui ayant par ailleurs demandé ce que faisait sa fille Ruth, la demanderesse principale lui a répondu qu’elle travaillait dans une manufacture. L’agente aurait alors dit à la demanderesse principale qu’elle et sa fille travaillaient illégalement et que cela devait cesser.

 

[15]           L’agente a également demandé quelle langue Jacob parlait à la maison. La demanderesse principale a dit que son fils parlait surtout anglais à la maison, mais aussi l’espagnol, quoique bien peu. L’agente serait devenue en colère selon la demanderesse principale, déclarant qu’il était dit dans la demande que Jacob ne parlait pas espagnol. La demanderesse principale affirme que l’agente lui a parlé de manière très agressive au sujet des aptitudes linguistiques de son fils, particulièrement en raison du fait qu’un bulletin mentionnait qu’il avait du mal à comprendre l’anglais. La demanderesse principale dit avoir tenté d’expliquer que Jacob avait des problèmes de langage, tant en espagnol qu’en anglais, et qu’il avait été inscrit pendant un an à un programme pour enfants éprouvant des problèmes de langage. La demanderesse principale affirme que l’agente ne lui a pas laissé le temps ni l’occasion de tout expliquer en détail, et qu’elle était en colère à son endroit et continuait à la traiter de menteuse.

 

[16]           L’agente a téléphoné à nouveau une semaine après le premier appel téléphonique et elle a alors demandé qui était Mario Skouteris. La demanderesse principale a dit à l’agente qu’il s’agissait de son petit ami. L’agente a demandé pourquoi il était dit dans la formule de demande que tous deux étaient ensemble depuis trois ans, alors que la lettre de M. Skouteris ne faisait état que d’une seule année. La demanderesse principale a expliqué que le consultant avait dû commettre une erreur parce qu’elle et M. Skouteris se connaissaient en tant qu’amis depuis trois ans, mais que leur relation ne durait que depuis un peu plus d’un an (au moment de la demande).

 

[17]           L’agente a de nouveau demandé à la demanderesse principale où Ruth travaillait alors et où elle avait précédemment travaillé. La demanderesse principale a expliqué à l’agente que Ruth travaillait dans une manufacture et qu’elle avait auparavant travaillé comme concierge. L’agente a encore une fois demandé quelle langue on parlait à la maison et quelle langue parlait son fils. La demanderesse principale a répondu à l’agente qu’elle et ses filles parlaient surtout en anglais à son fils.

 

[18]           La demanderesse principale soutient que l’agente lui a ensuite rappelé qu’elle-même était arrivée au Canada à l’âge de 12 ans et qu’elle avait appris tant l’anglais que sa langue maternelle. Comment se faisait-il alors, si elle avait réussi à le faire, que Jacob lui n’y parvenait pas? La demanderesse principale a répondu que Jacob éprouvait certains problèmes, sur quoi l’agente l’aurait coupée et de nouveau traitée de menteuse.

 

[19]           Carolina, l’une des filles de la demanderesse principale, ne peut ni lire ni écrire l’espagnol; elle peut toutefois le comprendre.

 

[20]           L’agente nie avoir jamais traité la demanderesse principale de menteuse, ni l’avoir coupée, interrompue ou empêchée de s’exprimer, ni avoir laissé le moindrement entendre que la demanderesse principale et son époux vivaient toujours ensemble. L’agente affirme également ne pas avoir dit à la demanderesse principale et à sa fille de cesser de travailler, ne pas avoir comparé ses aptitudes et celles du fils à apprendre une langue et ne pas s’être mise en colère contre la demanderesse principale.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[21]           L’agente a statué que les demanderesses ne seraient pas exposées à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elles devaient présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

[22]           L’agente déclare que la demanderesse principale a travaillé sans autorisation la plupart des années où elle a résidé au Canada. On lui a délivré un seul permis de travail, valide d’avril à novembre 1997. L’employeur de la demanderesse principale, Rose Cleaning, n’a pas fourni une preuve suffisante démontrant qu’il lui serait difficile de trouver un autre employé au même échelon salarial pour remplacer la demanderesse principale. Dans la lettre provenant du second employeur de la demanderesse principale, des particuliers où elle fait le ménage, on n’a pas mentionné non plus qu’il serait difficile de remplacer la demanderesse principale, ni fourni une preuve suffisante à cet égard. L’agente fait en outre remarquer que l’un et l’autre employeurs pourraient faire appel à d’autres programmes ou initiatives existants en matière d’immigration pour l’embauche d’employés.

 

[23]           L’agente signale que la demanderesse principale n’a pas produit de documents financiers corroborant le montant de son salaire mensuel. La demanderesse principale n’a communiqué non plus aucune attestation bancaire faisant état du montant actuel de son épargne. Même si l’agente a estimé véridique que la demanderesse principale travaillait au Canada, elle a jugé la preuve insuffisante pour pouvoir apprécier le revenu ou l’établissement économique au Canada de celle‑ci.

 

[24]           L’agente n’était pas convaincue, même si le salaire qu’obtiendrait la demanderesse principale au Chili serait moindre que celui obtenu au Canada, que la situation de celle-ci était exceptionnelle ou que cela allait lui causer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. D’après l’agente, exiger que la demanderesse principale retourne au Chili pour présenter sa demande dans les normes perturberait la vie de cette dernière. L’agente n’était toutefois pas convaincue qu’à cet égard, la situation de la demanderesse principale était exceptionnelle ou n’était pas prévue par la loi. L’agente n’était pas non plus convaincue que la situation dans laquelle se trouvait actuellement la demanderesse principale ne lui était pas principalement imputable.

 

[25]           L’agente conclut que la demanderesse principale et M. Skouteris ont fourni des renseignements contradictoires quant à la durée de leur relation. M. Skouteris ne mentionne pas non plus dans sa lettre avoir joué un rôle dans la vie des enfants de la demanderesse principale. Celle-ci et M. Skouteris ne vivent pas ensemble ni n’habitent sous le même toit. La demanderesse principale vit à Toronto tandis que M. Skouteris vit à Concord en Ontario. L’agente a conclu que trop peu de renseignements et de documents avaient été fournis pour qu’elle puisse valablement apprécier le caractère véritable de la relation.

 

[26]           L’agente observe que la demanderesse principale n’a pas cessé d’enfreindre la Loi en travaillant sans autorisation, en revenant au Canada après son renvoi, sans d’abord en avoir demandé ou obtenu l’autorisation, et en ne dévoilant pas où se trouvaient ses filles, qui faisaient également l’objet de mesures de renvoi. L’agente conclut que la demanderesse principale est interdite de territoire au Canada parce qu’elle ne se conforme pas à la Loi.

 

[27]           L’agente affirme bien clairement qu’elle a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants. L’agente a conclu que, s’il est possible que Jacob éprouverait certaines difficultés à s’adapter à un nouvel environnement, sa mère serait là pour faciliter son intégration à une nouvelle culture et à une nouvelle société. Le père de Jacob, en outre, est un résident permanent du Canada, de sorte que le fils pourrait rester au Canada avec son père, de même qu’il pourrait résider au Chili avec sa mère.

 

[28]           L’agente conclut que Ruth, l’une des filles de la demanderesse principale, pourrait avoir quelque mal à s’adapter et à réintégrer la société et la culture chiliennes, mais elle n’est pas convaincue qu’il sagisse de difficultés excessives. L’agente souligne que Ruth a obtenu des notes assez élevées pour entreprendre des études universitaires mais que, comme elle vit dans l’illégalité au Canada, elle ne peut y fréquenter l’université. En tant que citoyenne chilienne, toutefois, Ruth pourrait s’inscrire à une université dans son pays d’origine. L’agente signale à cet égard qu’aucun renseignement n’a été fourni quant à savoir si Ruth suit des cours dispensés par la commission scolaire de Toronto, ou encore des cours offerts en ligne par une université. L’agente reconnaît que, bien que Ruth soit au Canada depuis dix ans et soit d’âge adulte, son retour au Chili pourrait s’avérer difficile. Le fait qu’elle soit adulte pourrait toutefois l’aider à faire face à la situation. L’agente n’était pas convaincue qu’en raison de sa situation personnelle, Ruth subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait obtenir de l’extérieur du Canada la délivrance d’un visa de résidente permanente.

 

[29]           L’agente a conclu que ni la demanderesse principale ni Carolina n’avaient fourni de renseignements quant au degré d’établissement de cette dernière au Canada. Trop peu d’éléments de preuve ont été produits pour démontrer comment Carolina s’était intégrée à la société canadienne, sauf en ce qui concerne une période de 25 heures de travail bénévole. Nul autre fait à l’appui n’a été présenté sur les activités exercées par Carolina au Canada. Diverses possibilités s’offrent à cette dernière; ainsi, son père est résident permanent du Canada et il pourrait la parrainer.

 

[30]           La demanderesse principale a mentionné à l’agente que ses filles avaient des lacunes en espagnol. L’agente déclare toutefois avoir dû parler dans cette langue à la demanderesse principale, car celle-ci avait admis éprouver des difficultés en anglais, cela ayant amené l’agente à se demander quelle langue était parlée à la maison. L’agente a conclu que la demanderesse principale avait éludé sa question au sujet de la langue qu’elle parlait avec ses enfants. Faute de preuve pour l’étayer, l’agente ne prête guère foi à la déclaration de la demanderesse principale selon laquelle ses filles parlent très peu l’espagnol. L’agente a admis qu’il se pouvait bien que les filles de la demanderesse principale parlent mieux l’anglais, mais l’espagnol était leur langue maternelle et il ne leur serait pas très difficile de le parler couramment si elles devaient retourner au Chili.

 

[31]           Après avoir examiné et pris en compte avec soin l’intérêt supérieur des enfants, l’agente n’était pas convaincue que cela occasionnerait des difficultés inhabituelles ou injustifiées si les deux plus jeunes enfants de la demanderesse principale devaient accompagner leur mère au Chili. Pour ce qui est de difficultés excessives, l’agente a estimé que certains problèmes d’adaptation pourraient survenir, mais elle n’était pas convaincue que ceux-ci auraient un caractère excessif.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[32]           Les demanderesses soulèvent les questions qui suivent.

1)                  La Décision de l’agente était-elle déraisonnable, le respect de l’obligation d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse principale n’ayant pas été démontré?

2)                  Les membres bien informés de la communauté percevraient-ils de la partialité en prenant connaissance de la preuve relative à l’entrevue menée par l’agente?

3)                  Un manquement aux principes d’équité et de justice naturelle a-t-il été occasionné par le comportement négligent de l’ancien consultant des demanderesses?

4)                  La Décision de l’agente était-elle déraisonnable?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[33]           Les dispositions suivantes de la Loi reçoivent application en l’espèce :

 

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[34]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a reconnu que, bien que les normes de la raisonnabilité simpliciter et du manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, paragraphe 44). La Cour suprême a par conséquent conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de la raisonnabilité.

 

[35]           La Cour suprême du Canada a également statué dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’était pas nécessaire dans chaque cas de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Plutôt, lorsqu’est bien établie en jurisprudence la norme de contrôle applicable à la question particulière en jeu, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit prendre en compte les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[36]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), paragraphe 61, la Cour suprême a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder ou non une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était la décision raisonnable simpliciter. Compte tenu, par conséquent, de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus qu’en l’espèce la norme de contrôle applicable aux questions 1) et 4) est la raisonnabilité. Pour la cour de révision qui analyse une décision en fonction de cette norme, le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la Décision était déraisonnable du fait qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[37]           Les demanderesses ont également fait valoir des questions d’équité procédurale, pour lesquelles la norme de contrôle est la décision correcte (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CSC 1).

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

            Les demanderesses

                        L’intérêt supérieur des enfants

 

[38]           Les demanderesses ont soutenu que l’agente n’avait pas tenu compte, dans sa Décision, des problèmes de langage de Jacob. Même si l’agente a déclaré avoir pris en considération l’intérêt supérieur des enfants, y compris de Jacob, elle n’a pas statué quant à savoir s’il serait dans l’intérêt supérieur de la famille de la demanderesse principale de quitter de force le Canada. La Décision était déraisonnable, selon les demanderesses, parce qu’on n’y a pas fait montre d’une approche qui soit réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, particulièrement de Jacob.

 

[39]           Les demanderesses ont soutenu que le libellé de l’article 25 faisait ressortir les valeurs devant sous-tendre l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui y est prévu. Pour rendre sa décision, le décideur doit se fonder sur des « circonstances d’ordre humanitaires ». De même, le décideur doit avoir pour point de mire l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision. Selon les demanderesses, les mots utilisés par le législateur et leur sens sont des éléments clés pour déterminer si, dans un cas particulier, la décision a constitué un exercice raisonnable du pouvoir qu’il a conféré.

 

[40]           Il ressort des lignes directrices énoncées dans l’arrêt Baker, selon les demanderesses, qu’il convient d’exercer le pouvoir discrétionnaire pour raisons d’ordre humanitaire lorsque des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives seraient causées à un demandeur s’il était forcé de quitter le Canada. Les demanderesses ont aussi fait remarquer qu’il ne fallait pas déduire que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, du fait qu’on l’a inclus dans la législation en matière d’immigration, doit surclasser tous les autres facteurs. Cet intérêt constitue toutefois l’un des nombreux facteurs importants dont un agent doit tenir compte lorsqu’il rend une décision liée à des circonstances d’ordre humanitaire ou à l’intérêt public.

 

[41]           Les demanderesses ont soutenu que c’était de manière superficielle que l’agente avait pris en considération l’intérêt de Jacob. La Décision rendue par l’agente était ainsi déraisonnable, parce qu’incompatible avec les prescriptions des lignes directrices et avec l’objet d’un examen pour des raisons d’ordre humanitaire. Les demanderesses ont soutenu qu’en l’espèce, l’agente aurait dû procéder à une analyse plus fouillée pour répondre au critère établi par la Cour pour l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant (I.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1704 (C.F. 1re inst.); Love c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 1904 (C.F.)).

 

[42]           Les demanderesses ont souligné que l’agente n’avait fait mention de Jacob que pour dire que, s’il était expulsé, la demanderesse principale serait avec lui pour l’aider à s’adapter à la vie au Chili, ou qu’il pourrait aussi rester au Canada avec son père. À cet égard, l’agente n’a pas expliqué en quoi il serait dans l’intérêt supérieur de Jacob de demeurer avec son père et d’être séparé de sa mère. L’agente n’a pas non plus expliqué pourquoi une séparation prolongée d’avec sa mère, d’une durée indéterminée, serait dans l’intérêt supérieur de Jacob. L’agente n’a pas non plus traité de la question de savoir, enfin, en quoi faire quitter le Canada par Jacob à destination d’un pays où il n’a jamais vécu, alors qu’il a des problèmes d’apprentissage et connaît peu l’espagnol, serait conforme à son intérêt supérieur. Les défenderesses ont cité et fait valoir à ce sujet la décision Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1189 (C.F. 1re inst) :

4      […] Il n’y a absolument aucune référence relative à l’implication scolaire et communautaire de l’enfant né au Canada. De même, il n’y a absolument aucune analyse sur ce que serait l’incidence sur l’enfant né au Canada de la décision de forcer sa mère à quitter le pays et du choix de celle-ci de partir sans lui […]

 

[43]           Les demanderesses en sont ainsi venues à la conclusion que la Décision de l’agente n’était pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants et que, de ce fait, elle était déraisonnable.

 

La crainte raisonnable de partialité

 

[44]           Les demanderesses ont soutenu que l’agente s’était montrée agressive et en colère tout au long de son entrevue téléphonique avec la demanderesse principale, qu’elle avait alors traité celle-ci de menteuse, qu’elle ne l’avait pas écoutée et qu’elle l’avait interrompue lorsqu’elle parlait. L’agente avait également demandé comment il se faisait, alors qu’elle-même avait appris une nouvelle langue à 12 ans, que Jacob ne pourrait pas, lui aussi, faire la même chose.

 

[45]           Les demanderesses ont soutenu que les membres bien informés de la communauté percevraient de la partialité en lisant les notes de l’agente ainsi que le témoignage par affidavit de la demanderesse principale relatifs à la teneur des entrevues téléphoniques. Les déclarations faites par l’agente ne dénotaient pas de sa part, en effet, un esprit ouvert.

 

[46]           Quant au critère approprié pour établir s’il existe une crainte raisonnable de partialité, les demanderesses ont cité et fait valoir les motifs dissidents dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 (Committee for Justice and Liberty), page 394, ainsi que l’arrêt Baker, paragraphe 47.

 

 

[47]            Les demanderesses ont soutenu que l’obligation pour un agent de rendre sa décision avec un esprit ouvert et impartial était l’un des éléments essentiels d’un examen ou d’un processus équitable. Elles ont cité à cette fin la décision Sterling c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 652 (C.F.), où la Cour a conclu que les commentaires d’un agent lors d’une entrevue pour considérations humanitaires faisaient naître une crainte raisonnable de partialité et d’examen inéquitable.

 

[48]           Les demanderesses ont conclu sur ce point que les membres bien informés de la communauté percevraient de la partialité en entendant et lisant les commentaires de l’agente, ceux-ci ne dénotant pas de sa part un esprit ouvert.

 

[49]           Les demanderesses ont ajouté qu’il importait peu de savoir si l’agente avait ou non pris en compte d’autres facteurs dans sa Décision si la partialité était démontrée. La Décision enfreignant les principes d’équité procédurale et de justice naturelle, elle est nulle (Committe for Justice and Liberty).

 

[50]           Les demanderesses ont également soutenu que l’obligation de se plaindre de la partialité à la première occasion n’était applicable que dans le cadre d’une instruction par un tribunal et de la présence d’un avocat. Il convient d’appliquer un autre critère lorsque le décideur est un agent qui fait passer une entrevue téléphonique à un client peu avisé.

 

La négligence du conseil

 

[51]           Les demanderesses ont soutenu que la consignation inexacte par leur consultant des renseignements qu’il avait transmis à Immigration Canada a constitué un acte de négligence de sa part qui a eu une grande incidence sur l’issue de leur demande. L’agente aurait pu en l’espèce statuer différemment sur la demande si elle n’avait pas cru qu’étaient contradictoires les renseignements fournis par la demanderesse principale sur les questions de langue, la séparation d’avec son ancien époux et la durée de sa relation actuelle.

 

[52]           Le défaut d’un conseil de bien représenter son client peut équivaloir à la violation d’un principe de justice naturelle. La Cour a déjà déclaré qu’elle ne procéderait au contrôle d’une décision pour ce motif que si l’incompétence avait pour effet de priver totalement le demandeur de son droit d’être entendu, lorsqu’il était possible d’établir l’« étendue du problème », lorsque le contrôle avait « pour fondement des faits très précis » et lorsque les allégations d’incompétence étaient suffisamment précises (Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (C.F. 1re inst.); Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.); Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 642 (C.F. 1re inst.)).

 

[53]           Les demanderesses ont soutenu que les conditions ci-dessus se trouvaient réunies en l’espèce. Le dossier dont la Cour est saisie fait voir clairement que l’ancien conseil des demanderesses a fait preuve d’incompétence en ne communiquant pas à Immigration Canada des renseignements exacts. Les demanderesses se sont fiées à ce conseil pour la communication d’éléments de preuve dans le cadre de leur demande. Les demanderesses ont toutefois déclaré que d’importants renseignements avaient été présentés de manière inexacte, concernant notamment les problèmes de langage de Jacob, la séparation de la demanderesse principale d’avec son ancien époux et la relation actuelle de cette dernière. La demanderesse principale a déclaré avoir pour sa part fourni des renseignements exacts à son conseil. L’incompétence du conseil aurait donc eu pour effet de priver les demanderesses de l’examen complet et équitable de leur demande.

 

[54]           L’ancien conseil étant un consultant et non un membre en règle d’un barreau, aucune plainte ne peut être adressée à un tel barreau (Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 555 (C.F. 1re inst.)).

 

[55]           Selon les demanderesses, les répercussions de l’erreur commise sont suffisamment manifestes pour conclure en l’espèce à la violation d’un principe de justice naturelle. Ce qu’on a soumis comme preuve à l’examen de l’agente, ce n’était pas un tableau complet et exact de la vie des demanderesses. La Décision de l’agente aurait pu être différente si une telle preuve avait été présentée.

 

[56]           Selon les demanderesses, la demanderesse principale avait retenu les services du consultant pour qu’il s’occupe de ses problèmes d’immigration. La demanderesse principale devait pouvoir se fier sur les conseils qu’elle avait payés, et ces conseils étaient entachés de négligence (Shirwa et Huynh).

 

Le caractère déraisonnable de la Décision

 

[57]           Les demanderesses ont également soutenu que la Décision était déraisonnable pour les motifs suivants :

·                    L’agente a conseillé aux demanderesses de cesser de travailler parce qu’il était illégal de le faire sans permis de travail. Or, l’objet même du programme CH est de régulariser la situation des personnes qui n’ont pas de statut au Canada mais qui y sont par ailleurs bien établies, et les antécédents de travail sont dans ce cadre un important facteur pris en compte. Une personne sans statut ne peut, par définition, travailler en toute légalité au Canada. En enjoignant aux demanderesses de cesser de travailler, puis en considérant comme facteur défavorable qu’elles travaillaient illégalement, l’agente a agi de manière déraisonnable en tenant compte d’un facteur non pertinent.

 

·                    L’agente a déclaré dans ses notes que les employeurs des demanderesses ne subiraient aucun préjudice si ces dernières devaient quitter le Canada, car ils pourraient trouver d’autres employés pour les remplacer. C’est là un facteur non pertinent qui contribue à rendre déraisonnable la Décision.

 

·                    L’agente a jugé les demanderesses en fonction de sa propre expérience en matière d’immigration. Cela était déraisonnable.

 

·                    L’agente a semblé agressive et en colère. C’est là une attitude déraisonnable lorsqu’il s’agit de rendre une décision pour CH.

 

·                    L’agente n’a pas tenu compte des difficultés qu’occasionnerait le retour des filles de la demanderesse principale au Chili, pays qu’elles ont quitté en 1995, soit il y a 13 ans.

 

 

 

[58]           Selon les demanderesses, même si l’agente a fait état des difficultés de langage de Jacob abordées par la demanderesse principale dans sa preuve, cela n’a pas constitué un facteur ayant motivé sa Décision. Étant donné son commentaire sibyllin quant au fait que la demanderesse principale aurait [traduction] « éludé sa question », il est difficile de savoir ce que l’agente croyait réellement. L’agente semble ainsi avoir fait abstraction des problèmes d’apprentissage de Jacob dans la prise de sa Décision, faute d’avoir précisé ses motifs et d’avoir expliqué en quoi il serait dans l’intérêt supérieur de Jacob, compte tenu de ces problèmes, qu’il quitte le Canada. De même, la conclusion selon laquelle Jacob pourrait vivre avec son père n’était pas étayée par la preuve et sa justesse était incertaine. Il y a en effet lieu de présumer que Jacob continuera de vivre avec sa mère, sa seule dispensatrice de soins. Toute autre présomption de l’agente aurait un caractère abusif.

 

Le défendeur

 

L’intérêt supérieur des enfants

 

[59]           Le défendeur a soutenu que les demanderesses ne contestaient pas le caractère peu étoffé de leur preuve. Rien n’indique que les demanderesses ont présenté une preuve quant à leur établissement au Canada ou aux relations qu’elles y ont nouées. Les demanderesses contestent plutôt la façon dont l’agente a pris en compte l’intérêt supérieur de Jacob. Cette prise en compte, selon elles, était superficielle et l’agente a présumé que la demanderesse principale avait le choix soit d’amener Jacob avec elle au Chili, soit de le laisser au Canada avec son père. Les demanderesses affirment également que l’agente n’a pas bien compris les difficultés que Jacob éprouverait en raison de ses problèmes d’apprentissage et de sa connaissance restreinte de l’anglais.

 

[60]           Or, a soutenu le défendeur, l’agente a clairement reconnu dans ses motifs que Jacob avait [traduction] « du mal à comprendre l’anglais » et, dans le cadre d’une récente évaluation, soit en mai 2007, avait [traduction] « du mal à comprendre les concepts linguistiques » de la langue anglaise. Le défendeur a par conséquent déclaré que devait être jugée sans fondement la plainte des demanderesses selon laquelle ce facteur n’avait pas été pris en compte.

 

[61]           Le défendeur a par ailleurs déclaré que l’agente n’avait pas [traduction] « présumé » que Jacob pourrait vivre avec son père au Canada. Les demanderesses n’ont présenté aucune preuve à ce sujet, si ce n’est de faire état du fait que M. Solis était le père de Jacob. Il n’était donc nullement déraisonnable ni inapproprié que l’agente fasse remarquer qu’on ne lui avait fourni aucun renseignement au sujet de la garde de Jacob, mais que son père était un résident permanent et qu’il se [traduction] « pouvait » que Jacob puisse demeurer avec lui.

 

[62]           Les demanderesses n’ont pas mentionné dans leur demande pour CH que Jacob devrait aller vivre au Chili ou que, le cas échéant, il serait exposé à des difficultés particulières. Tout ce qui était mentionné au sujet de Jacob, c’est qu’il était citoyen canadien, qu’il était inscrit à l’école et qu’il ne parlait pas du tout l’espagnol. Or, a fait remarquer le défendeur, c’est aux demanderesses qu’incombe le fardeau de démontrer que demander le statut de résident permanent de l’extérieur du Canada leur occasionnerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les demanderesses n’ont pas droit à un résultat en particulier, si ce n’est à un examen équitable de leur demande (Tartchinska, paragraphe 17; Baker; Bandzar; Ogunfowora; Arumugam, paragraphes 16 et 17; Dunsmuir, paragraphes 47, 49 et 53). Le défendeur a conclu à cet égard qu’aucune preuve ne démontrait que la demande des demanderesses n’avait pas été examinée de manière équitable.

 

[63]           Le défendeur a souligné que les motifs de sa Décision démontraient que l’agente avait pris en considération tous les facteurs avancés par les demanderesses. Ce que font ainsi valoir les demanderesses, en fin de compte, c’est leur désaccord avec le poids accordé par l’agente à la preuve restreinte qu’ils ont produite relativement à Jacob. Toutefois, la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas à la cour appelée à contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 436, paragraphe 8; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.)).

 

[64]           Le défendeur a insisté sur la faculté dont disposait l’agente pour examiner et apprécier la preuve en fonction d’une large gamme de facteurs. Aucun facteur, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant, n’avait à lui seul d’effet déterminant, compte tenu des éléments qui suivent :

1)                  le dossier des demanderesses en matière d’immigration;

2)                  le fait pour les demanderesses de ne pas avoir soutenu que leur retour au Chili les exposerait à un risque;

3)                  le défaut des demanderesses de présenter une preuve suffisante quant à leur établissement au Canada;

4)                  le fait que toutes parlent un peu l’espagnol;

5)                  le manque de preuve quant aux difficultés que subirait l’enfant né au Canada de la demanderesse principale si celle-ci décidait qu’il devrait l’accompagner au Chili.

 

Selon le défendeur, les demanderesses n’ont pas démontré en l’espèce la non-appartenance de la Décision de l’agente aux issues possibles pouvant se justifier.

La crainte raisonnable de partialité

 

[65]           Le défendeur a soutenu que le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité consistait à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste (Committe for Justice and Liberty; Ahumada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 605 (C.A.F.), page 615 (Ahumada)).

 

[66]           La Cour d’appel fédérale a toutefois donné la mise en garde suivante : « l’identité de la personne raisonnable dont l’opinion détermine s’il y a partialité ne se confond pas avec la partie perdante à l’issue du processus ». Le principe est établi en jurisprudence canadienne qu’une réelle probabilité de partialité doit être démontrée et qu’un « simple soupçon [de la partie perdante] est insuffisant » (Ahumada, paragraphes 19 et 23; R c. S. ( R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; Paramo-Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 261 (C.F. 1re inst.); Khakh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 548 (C.F. 1re inst.)).

 

[67]           Les demanderesses n’ont pas démontré, selon le défendeur, qu’il était possible de soutenir que l’agente avait fait preuve de partialité, ou qu’une personne raisonnable croirait que, selon toute vraisemblance, l’agente avait un parti pris lorsqu’elle a rendu sa Décision. Premièrement, on ne pourrait prêter foi au témoignage de la demanderesse principale. Celle-ci a en effet soutenu que l’agente lui avait demandé : [traduction] « comment il se faisait, alors qu’elle avait réussi à le faire, que Jacob, lui, n’y parvenait pas ». Or l’agente, bien au contraire, jure qu’elle n’a pas fait une telle déclaration et que, en fait, elle est née au Canada. Ce qu’a affirmé la demanderesse principale étant clairement erroné sur une question aussi précise que la prétendue immigration de l’agente au Canada, on ne peut accorder foi à ses autres accusations (l’agente l’aurait traitée à plusieurs reprises de [traduction] « menteuse ») et hypothèses ([traduction] « elle a semblé laisser entendre que mon ex-époux et moi-même vivions toujours ensemble »), qui sont également niées par l’agente.

 

[68]           Deuxièmement, le défendeur a soutenu que l’agente n’avait pas simplement fondé sa Décision sur les nombreuses contradictions décelées dans la preuve de la demanderesse principale, mais avait au contraire fourni l’occasion aux demanderesses de corriger le dossier, ce qu’elles ont fait. L’agente a fondé sa Décision, en partie, sur des éléments de preuve selon lesquels tous les enfants de la demanderesse principale parlaient quelque peu l’espagnol. Cette conclusion ne découlait pas d’un parti pris, mais s’appuyait plutôt sur les renseignements pertinents qui avaient été transmis. Par ailleurs, aucune preuve n’étaye les hypothèses des demanderesses voulant que l’agente ait pensé que la demanderesse principale et son ex-époux vivaient toujours ensemble ou que cela ait joué un rôle dans sa Décision.

 

[69]           Le défendeur a soutenu que la prétention selon laquelle la partialité était manifeste simplement parce que la demanderesse principale avait perçu l’agente comme étant [traduction] « agressive » lors des entrevues n’était étayée ni par les motifs mêmes de la Décision, qui sont raisonnables, ni par le témoignage de la demanderesse principale, dont la fiabilité est douteuse. En outre, les demanderesses ont implicitement renoncé à leur droit de se plaindre d’un manquement à la justice naturelle dans le cadre des entrevues du fait que la demanderesse principale n’a exprimé aucune préoccupation quant à leur déroulement au moment où elles ont eu lieu. Les objections formulées, en effet, ne l’ont été qu’une fois communiquée la décision défavorable. Se reporter à cet égard à Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 949 (C.A.F.), paragraphe 7; Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (C.F. 1re inst.), paragraphe 29, appel rejeté : 2001 CAF 191, paragraphe 14; Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.), autorisation d’appel à la CSC rejetée : [1986] 72 N.R. 77n.

 

La négligence du conseil

 

[70]           Le défendeur a soutenu que les plaintes formulées par la demanderesse principale relativement à ses consultants en immigration n’appelaient pas réparation. Le défendeur a cité à ce sujet l’alinéa 18.1(4)b) qui suit de la Loi sur les Cours fédérales :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[…]

 

 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

[…]

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

18.1(1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

 

[71]           Le défendeur a soutenu que, comme l’agente n’avait jamais été informée de la négligence dont le consultant aurait fait preuve en remplissant la demande pour CH, elle ne pouvait prendre en compte cette question. Ainsi, bien que la Cour ait reconnu qu’elle pouvait accorder réparation lorsqu’il était évident que le récit d’un demandeur avait mal été rapporté par la faute de son conseil, tel n’était pas le cas en l’espèce (Huynh).

 

[72]           Le défendeur a fait valoir que les demanderesses avaient choisi de s’en remettre entièrement au consultant pour la préparation de leur demande. Les demanderesses ont déclaré avoir compris avant que la formule ne soit remplie qu’il leur fallait fournir des [traduction] « renseignements véridiques, complets et exacts », et que toute déclaration mensongère [traduction] « pouvait entraîner le rejet de [leur] demande ». Les demanderesses n’ont jamais vérifié l’exactitude de la demande, ni n’en ont demandé de copie. La demanderesse principale, même si elle a déclaré s’être rendue compte que quelque chose clochait après l’entrevue de novembre 2007, n’a fait aucun effort pour obtenir une copie de la déclaration produite ou pour la réviser, ni pour présenter de nouvelles observations. Le défendeur en a conclu que c’était la faute des demanderesses, et non du consultant en immigration, si l’agente avait disposé de renseignements erronés.

 

[73]           Selon le défendeur, comme l’agente a appelé les demanderesses pour obtenir plus d’information et corriger le dossier, la preuve n’a pas été apportée qu’on leur avait [traduction] « complètement dénié l’occasion d’être entendues ».

 

[74]           Le défendeur a également relevé que les demanderesses n’avaient absolument rien signalé au sujet d’un consultant à la Société canadienne des consultants en immigration, pour que celle‑ci procède à une enquête. Le défendeur a cité Patricia Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, ainsi que Nunez, paragraphe 19, pour soutenir que les demanderesses n’avaient pas établi en l’espèce le bien-fondé de leur prétention de manquement à la justice naturelle par suite de l’incompétence d’un consultant.

 

[75]           Le défendeur a également déclaré que, même abstraction faite de la décision de la demanderesse principale de signer une demande en blanc et de permettre sans vérification à un tiers de déposer les documents remplis par lui, les demanderesses avaient eu amplement l’occasion de se pencher sur la situation et de présenter des observations à l’agente quant au préjudice qu’elles avaient pu subir. Or elles n’en ont rien fait, de sorte qu’il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle.

 

Le caractère déraisonnable de la Décision

 

[76]           Le défendeur a fait valoir que, tel que prévu au paragraphe 11(1) de la Loi, tous les étrangers souhaitant être admis au Canada devaient, préalablement à leur entrée au Canada, demander à un agent les visas et autres documents requis par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[77]           Le défendeur a également soutenu qu’en vertu de l’article 25 de la Loi, le ministre pouvait octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estimait que des circonstances d’ordre humanitaire le justifiaient. La décision d’un agent d’accorder une dispense en application de l’article 25 de la Loi ne prive en rien le demandeur concerné du droit de demander le droit d’établissement de l’extérieur du Canada.

 

[78]           C’est aux demandeurs qu’incombe le fardeau de démontrer qu’avoir à présenter de l’extérieur du Canada une demande de résidence permanente les exposerait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Arumugam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n° 1360, paragraphes 16 et 17 (C.F. 1re inst.).

 

[79]           Le défendeur a souligné que les demanderesses n’avaient pas droit à un résultat en particulier et que, pour réussir à faire annuler la décision défavorable d’un agent, elles devaient démontrer qu’elle était déraisonnable parce que l’agent avait commis une erreur de droit, avait agi de mauvaise foi ou s’était fondé sur un principe erroné (Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 373 (C.F. 1re inst.), paragraphe 17; Baker; Bandzar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 772 (C.F. 1re inst.); Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 459 (C.F. 1re inst.)).

 

ANALYSE

 

[80]           Les demanderesses ne font plus valoir la question de la négligence du conseil dans le cadre de la présente demande. En outre, j’ai examiné attentivement les motifs avancés quant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et, conformément au critère bien connu énoncé dans l’arrêt Committe for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, page 394, je ne crois pas en l’existence d’une telle crainte. Les appels téléphoniques faits par l’agente à la demanderesse principale cadrent tout autant avec une tentative faite pour mettre de l’ordre dans une demande inexacte et incomplète en vue de son règlement qu’avec de l’animosité de la part de l’agente à l’endroit de la demanderesse principale. En outre, les termes vigoureux employés par l’agente quant au fait que la demanderesse principale se montrait fuyante et évasive ne donnent pas croire que l’agente ait été soupçonneuse à l’excès. Étant donné le dossier de la demanderesse principale en termes de rapports avec les autorités de l’immigration de notre pays, et sa volonté manifeste de demeurer coûte que coûte au Canada (elle y est revenue illégalement après son expulsion et elle a refusé de dévoiler aux autorités le lieu où ses filles se trouvaient), je ne crois pas que les soupçons de l’agente aient été sans justification. Quoi qu’il en soit, enfin, cela n’a pas empêché l’agente d’épurer le dossier des irrégularités et incohérences s’y trouvant, et d’apprécier la demande selon sa valeur intrinsèque et conformément à ses obligations en vertu de l’article 25 de la Loi.

 

[81]           À mon avis, les seules questions ayant un fondement soulevées par les demanderesses sont celles de savoir si l’agente a pris en compte correctement l’intérêt supérieur de Jacob et si des éléments de la Décision, considérés ensemble ou séparément, rendaient celle-ci déraisonnable.

 

[82]           Pour ce qui est de Jacob, la seule question justifiant l’examen de la Cour concerne, compte tenu de l’information fournie par la demanderesse principale (subséquemment clarifiée par l’agente), le traitement par l’agente des documents provenant du programme d’intervention précoce en maternelle (PIPM).

 

[83]           L’agente a manifestement examiné le bulletin de Jacob dans sa Décision, et elle a fait remarquer que celui-ci avait [traduction] « du mal à comprendre les concepts linguistiques ». L’agente a également fait allusion aux [traduction] « bulletins scolaires d’étape de Jacob à la maternelle » et relevé qu’il y était mentionné qu’on parlait [traduction] « l’espagnol et l’anglais à la maison ». Cela figurant à la première page du rapport final, tout indique dans la Décision même que l’agente avait connaissance des rapports du PIPM et qu’elle en a tenu compte dans l’appréciation de l’intérêt supérieur de Jacob.

 

[84]           Selon les demanderesses, l’agente ne s’est attardée, dans le rapport du PIPM, que sur la mention de l’espagnol comme la langue maternelle de Jacob, elle n’a fait référence qu’à cet élément du rapport, qui figure à la page 53 du dossier du tribunal, et elle n’a en réalité pas compris le reste de ce rapport et a présumé erronément que Jacob aurait accès à un programme équivalent au PIPM au Chili, sans qu’aucune preuve n’étaye cette présomption.

 

[85]           Les demanderesses ont affirmé que c’était là une erreur déraisonnable, puisque le PIPM était un programme adapté spécialement à Jacob et mettant à contribution des experts compétents, un fait dont l’agente a fait abstraction et qu’elle n’a pas compris.

 

[86]           On a contre-interrogé l’agente sur cette question. Elle a clairement indiqué avoir vu et lu les rapports, une affirmation qui se concilie bien avec les facteurs mentionnés dans sa Décision. Lors de son contre-interrogatoire, l’agente s’est également dite d’accord avec l’avocat pour affirmer que [traduction] « les renseignements sur la thérapie et le traitement en cours d’un enfant ayant, dans ce cas-ci, je suppose, un problème d’apprentissage, sont des renseignements importants qu’on doit prendre en compte pour apprécier son intérêt supérieur ».

 

[87]           L’agente a toutefois clairement indiqué que [traduction] « dans le contexte, je n’ai pas accordé une grande importance à cette question et je ne m’y suis pas attardée ».

 

[88]           L’agente a également affirmé qu’ils [traduction] « pourraient obtenir le même traitement au Chili », en admettant toutefois qu’aucune preuve ne le démontrait.

 

[89]           Il ressort aussi manifestement de la transcription du contre-interrogatoire (page 53) de l’agente, toutefois, que la question de la disponibilité d’un traitement au Chili n’a pas constitué un élément de son évaluation :

[traduction]

Q.                Alors, vous en êtes arrivée à cette évaluation sans la moindre preuve à son sujet?

R.         Bien, je n’ai pas fourni cette évaluation, alors je n’en ai même pas fait mention.

Q.                 Mais vous venez tout juste de nous dire que vous avez cru qu’il pourrait obtenir le même traitement au Chili, vous avez aussi […]

R.         Mais je ne l’ai pas mentionné dans l’évaluation. Alors […]

 

[90]           Ce que l’agente a invoqué comme motif pour ne pas en avoir fait mention dans l’évaluation, c’était qu’elle n’estimait pas [traduction] « que cela importait beaucoup eu égard à la présente demande ».

 

[91]           L’avocat des demanderesses a convenu, lors du contre-interrogatoire de l’agente, que les rapports du PIPM faisaient état de [traduction] « problèmes de lecture et d’écriture ».

 

[92]           Le traitement de la question par l’agente se trouve résumé comme suit, à la page 56 de la transcription du contre-interrogatoire :

[traduction]

R.                 Bien, parce que j’ai tout examiné dans ce contexte et, je veux dire, ce n’est pas que ce ne soit pas important. Je veux dire, je l’ai bel et bien examiné. Je ne l’ai pas mentionné dans mes motifs. Je n’ai abordé que les problèmes de langage avec la demanderesse et, bien oui, il y a de l’amélioration dans ses aptitudes, les aptitudes de Jacob.

Également, j’ai examiné en contexte le fait que […] vous savez, ces quelques phrases sur l’autre langue, vous savez, la langue dans le milieu familial et ainsi de suite, vous savez, comme dans le cas de Jacob ne peuvent, vous savez, on ne peut interpréter cela comme des indices propres de ses aptitudes naturelles. Avec ces éléments, je veux dire, soit qu’il connaît probablement, vous savez, qu’il parle, selon le rapport, qu’il parle effectivement l’espagnol et l’anglais.

 

Q.        Et je crois que vous nous avez aussi dit plus tôt avoir pris en considération qu’il pouvait recevoir ce type de traitement au Chili, est-ce exact?

            Mais bien sûr, n’avez-vous pas dit ne pas avoir d’information à ce sujet?

 

R.         C’est exact. Il s’agit d’une affirmation ouverte, qui n’apporte pas de conclusion sur ce point.

           

[93]           La preuve révèle en résumé, selon moi, les éléments qui suivent.

 

1.                  L’agente a lu les rapports du PIPM.

2.                  Elle a estimé importante la question de la langue, soit que Jacob parlait l’espagnol.

3.                  Elle a lu les réserves exprimées dans les rapports et figurant à la page 53 du dossier du tribunal, et elle a conclu que les rapports n’avaient pas une grande importance dans le cadre de la présente demande.

4.                  L’agente croyait également que Jacob pourrait obtenir le même traitement au Chili, bien qu’il n’y ait eu aucune preuve pour appuyer cette hypothèse, de nature purement conjecturale.

 

[94]           Ainsi, la question fondamentale que j’ai à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si le traitement réservé aux rapports du PIPM a rendu la Décision déraisonnable.

 

[95]           Les résultats d’évaluation pour Jacob étaient accompagnés, dans les rapports, de la sérieuse réserve qui suit – c’est à cette réserve qu’il est fait allusion dans la transcription du contre-interrogatoire de l’agente et c’est sur cette réserve que l’agente s’est fondée pour dire estimer, dans le contexte, que les rapports n’étaient guère importants :

[traduction]

Veuillez noter que les tests standardisés énumérés ci-dessous ont été conçus pour les enfants qui ont l’anglais international comme langue maternelle. Ils ne sont donc pas valides pour les enfants qui, comme Jacob, ont une autre langue maternelle, et on ne peut les interpréter à eux seuls pour en tirer des indices quant à l’habileté naturelle. Ainsi, des résultats inférieurs à la moyenne ne veulent pas nécessairement dire une faculté d’apprentissage des langues inférieure à la moyenne. On peut toutefois recourir avec circonspection aux tests standardisés pour les enfants ayant l’anglais comme langue seconde, pour évaluer les progrès, pour faire une estimation approximative du niveau de développement linguistique et pour relever divers problèmes particuliers aux fins de l’établissement de programmes.

 

[96]           La raison pour laquelle l’agente estimait la question de la langue importante est donc manifeste. Les rapports l’informaient que tel était le cas, tout en nous faisant savoir que Jacob parlait [traduction] « l’espagnol et l’anglais » à la maison, les documents mettent toutefois l’accent sur l’espagnol.

 

[97]           Dans la demande, la demanderesse principale (par l’entremise de son conseil) a mentionné que Jacob parlait l’anglais à la maison. L’agente, pour sa part, a obtenu des précisions sur cette question lors de ses conversations téléphoniques avec la demanderesse principale.

 

[98]           C’est donc la demanderesse principale qui a attiré l’attention sur la question de la langue en fournissant des renseignements inexacts à ce sujet. Elle a tenté de blâmer son conseil pour cette erreur, mais c’est bien elle qui en était et qui en est responsable.

 

[99]           On a clairement énoncé dans les rapports que Jacob n’avait pas [traduction] « actuellement de problèmes de santé » d’après la demanderesse principale, et celle-ci a affirmé que [traduction] « le développement du langage en bas âge » de Jacob était [traduction] « normal ». Ce que la demanderesse principale n’a toutefois pas dit clairement, selon les rapports, c’est si le développement du langage normal en bas âge de Jacob s’était manifesté en espagnol ou en anglais, ou dans ces deux langues à la fois. Dans les rapports, on a cependant fait principalement état de l’espagnol comme langue parlée à la maison, bien que l’anglais y ait également été utilisé.

 

[100]       D’après les rapports, il semble ainsi que Jacob aurait commencé à éprouver des problèmes de langage [traduction] « au début de la maternelle ».

 

[101]       Jacob a suivi le programme d’intervention précoce en maternelle mais, dans l’ensemble, il n’a fait que de [traduction] « légers progrès », et il est manifeste d’après les rapports qu’il fait face à d’importants problèmes.

 

[102]       Dans les rapports, on ne laisse nullement entendre que Jacob éprouve des problèmes en espagnol. Comme l’agente l’a d’ailleurs fait remarquer, on indique clairement dans les rapports que les problèmes en anglais de Jacob [traduction] « ne peuvent être interprétés à eux seuls pour en tirer des indices quant à l’habileté naturelle ». Les tests en cause n’ont pas été conçus pour les personnes qui, comme Jacob, [traduction] « ont une autre langue maternelle »; il s’agit bien clairement de l’espagnol dans le cas de Jacob.

 

[103]       On a formulé diverses recommandations et stratégies dans le rapport final, mais qui toutes prennent pour acquis que Jacob continuera à habiter au Canada et à côtoyer ses pairs.

 

[104]       Ainsi, à mon avis, il n’y avait rien de déraisonnable à ce que l’agente décide qu’il ne fallait pas accorder beaucoup d’importance aux renseignements figurant dans les rapports pour l’évaluation de l’intérêt supérieur de Jacob. En réalité, ce que disent les rapports, selon moi, c’est qu’il est manifeste que Jacob a [traduction] « une autre langue maternelle », soit l’espagnol, et qu’il éprouve des difficultés en anglais. Qui plus est, la participation de Jacob au PIPM ne l’a guère aidé. Il n’a fait que de [traduction] « légers progrès » et il fait face à des problèmes majeurs en anglais.

 

[105]       J’estime que l’agente a lu les rapports et qu’elle a très bien compris leur portée. Le PIPM n’a pas apporté grand-chose à Jacob et on ne saurait lui prêter beaucoup d’importance. L’information dans le rapport du PIPM laisse d’ailleurs croire, en fait, que Jacob s’en tirerait mieux s’il faisait ses études en espagnol, puisque c’est en anglais qu’il éprouve des difficultés.

 

[106]       La remarque formulée par l’agente lors du contre-interrogatoire, selon laquelle elle avait pris en considération l’aide disponible au Chili pour Jacob mais que cela n’avait pas été un élément de son évaluation, a également du sens. Si les demanderesses retournent au Chili, Jacob fera ses études en espagnol. Rien ne laisse croire que Jacob éprouverait des difficultés dans cette langue, dont on a privilégié l’emploi à la maison selon le rapport du PIPM. Rien ne laisse croire non plus que Jacob aura besoin d’un quelconque programme spécial en espagnol. Il ne requerra pas un programme équivalent au PIPM au Chili ou, à tout le moins, rien ne donne à penser qu’il en sera ainsi.

 

[107]       Il n’y avait, par conséquent, rien de déraisonnable dans la décision de l’agente d’accorder peu d’importance au PIPM et aux rapports dans le cadre de ce programme. Celui-ci n’a pas aidé Jacob de manière significative. Il a uniquement fait ressortir la situation d’un enfant dont la langue maternelle est l’espagnol, qui est forcé de faire ses études en anglais et qui éprouve, de ce fait, d’importantes difficultés.

 

[108]       J’ai également examiné tous les autres motifs soulevés par les demanderesses pour prétendre que la Décision était déraisonnable et, que je les considère ensemble ou séparément, je n’y trouve rien qui justifie l’intervention de la Cour. Des erreurs ont été commises et l’on s’est accusé de part et d’autre, mais lorsqu’on examine la Décision globalement en tenant compte des observations présentées par les demanderesses, l’on constate son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Même si la demanderesse principale n’a eu aucun scrupule à défier le droit canadien, elle continue à tirer profit des protections qu’il confère, la Décision n’y faisant pas exception.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-207-08

 

INTITULÉ :                                       EUGENIA ANTONIETA

                                                            ROJAS GUTIERREZ et al.

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 17 DÉCEMBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDERESSES

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.