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Date : 20081202

Dossier : IMM-1752-08

Référence : 2008 CF 1333

Toronto (Ontario), le 2 décembre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ARIEL ARENAS PAREJA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) la révision judiciaire de la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (agente ERAR) rendue le 25 janvier 2008, ayant pour effet de lui refuser sa demande d’examen des risques avant renvoi.

 

II.        Les faits

[2]               Citoyen mexicain, marié et père de deux enfants, le demandeur arrive pour la première fois au Canada le 11 juin 1990 alors qu’on l’admet pour un mois avec le statut de visiteur qu’il ne demandera pas de prolonger.

 

[3]               Le 12 septembre 1990, il revendique le statut de réfugié en raison d’une crainte de persécutions liées à ses activités d’enquêteur sur le narcotrafic mexicain. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) rejette sa demande en raison d’un manque de crédibilité. Le demandeur quitte le Canada le 28 août 1991 à destination du Mexique.

 

[4]               Le demandeur revient le 17 mai 2007 et obtient l’autorisation de séjourner au Canada jusqu’au 20 juin 2007, avec le statut de résident temporaire.

 

[5]               Le 16 juillet 2007, il présente une demande d’asile jugée alors irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la Loi, vu le rejet antérieur de sa demande d’asile par la CISR.

 

[6]               La mesure de renvoi devenue effective, le demandeur est convoqué le 23 juillet 2007 par l’Agence des services frontaliers du Canada pour les arrangements de son départ. À cette occasion, on l’informe de la possibilité de présenter une demande d’ERAR, ce qu’il fait.

 

[7]               Le 25 janvier 2008, l’agente ERAR conclut que le demandeur ne sera pas à risque advenant son retour au Mexique et en conséquence refuse sa demande ERAR.

[8]               Son renvoi du Canada est fixé au 30 mai 2008. Toutefois, le 27 mai 2008, cette Cour accorde un sursis d’exécution de la mesure de renvoi pour permettre au demandeur de faire valoir au mérite par le présent recours le bien-fondé des reproches faits au refus ERAR.

 

III.       Motifs de la décision

[9]               L’agente ERAR conclut dans sa décision que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir le bien-fondé de ses allégations, et plus précisément de n’avoir pas su démontrer être personnellement ciblé par des narcotrafiquants ou par des policiers corrompus.

 

[10]           L’agente ERAR conclut aussi que même en admettant le bien-fondé de la crainte exprimée par le demandeur, ce dernier n’a pas plus démontré l’incapacité ou le manque de volonté des autorités mexicaines à le protéger.

 

IV.       Question en litige

[11]           L’agente ERAR erre-t-elle de façon déraisonnable en concluant que « le demandeur n’a pas démontré l’existence de plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté au Mexique ni qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il y serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités dans son pays »?

 

V.        Analyse

Norme de contrôle

[12]           La détermination des risques avant renvoi par l’agente ERAR repose essentiellement sur une appréciation de faits à laquelle cette Cour doit accorder une grande déférence. En conséquence, la norme de la « déraisonnabilité » s’applique aux conclusions de fait de la décision de l’agente ERAR, et d’ailleurs le demandeur ne conteste pas la norme applicable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[13]           Cette Cour n’interviendra donc sur les questions de fait que si la conclusion de l’agente ERAR est déraisonnable; mais comme nous le verrons ci-après, tel n’est pas le cas ici.

 

Bien-fondé de la décision contestée

i) L’agente ERAR a considéré la situation prévalant au Mexique relativement à la question de la protection de l’État

 

[14]           Le demandeur reproche à l’agente ERAR d’ignorer la situation de danger qui prévaut pour lui au Mexique.

 

[15]           L’étude du dossier et des motifs de la décision démontre que l’agente ERAR a fait une analyse complète et détaillée de la preuve soumise par le demandeur ainsi que de la preuve documentaire récente sur la situation actuelle pour conclure au rejet de la demande. Ce n’est pas parce que le demandeur ne partage pas le résultat de cette analyse et aurait souhaité un autre résultat ou une autre conclusion qu’il faut nécessairement l’écarter et conclure à sa déraisonnabilité. Au contraire, il appartient à l’agente ERAR en sa qualité de décideur, et non pas au demandeur et pas plus à cette Cour, de déterminer le poids à accorder à la preuve documentaire déposée au soutien de la demande ERAR (Bashir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 783, par. 35; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (1re inst.) (QL), par.3).

 

[16]           Or, suite à cet exercice, l’agente ERAR conclut que « le gouvernement mexicain agit activement contre les narcotrafiquants et la corruption liée aux crimes organisés. Les documents de référence font état d’une structure d’intervention et de protection existante, et accessible au demandeur. De plus, des organismes gouvernementaux peuvent supporter les individus et les orienter dans leurs démarches ».

 

[17]           Donc, après une analyse complète et détaillée de la preuve soumise par le demandeur, ainsi que de la preuve documentaire récente sur la situation qui prévaut actuellement au Mexique, l’agente ERAR se satisfait que non seulement la protection existe mais qu’elle est aussi disponible au demandeur.

 

[18]           Alors que le demandeur semble vouloir faire le procès de la protection générale offerte par l’État mexicain, il faut rappeler que la protection étatique n’a pas à être parfaite, mais qu’il suffit qu’elle soit adéquate et qu’on ne saurait exiger qu’un État protège ses citoyens à tout moment. (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immgiration) c. Villafranca (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)).

[19]           L’analyse du risque et de la protection de l’État constitue essentiellement une question des faits qui relève de la compétence et de l’expertise de l’agente ERAR et non pas de cette Cour et pas plus des prétentions du demandeur. Les conclusions de l’agente ERAR ne sont de toute évidence pas celles recherchées par le demandeur; mais elles sont justifiées au regard des faits et du droit. Bref, il s’agit de conclusions raisonnables qui ne justifient pas l’intervention de cette Cour.

 

ii) L’agente ERAR n’avait pas à tenir une audience

[20]           Le demandeur reproche à l’agente ERAR de ne pas avoir tenu d’audition. Il souligne que puisque sa demande d’asile de juillet 2007 a été jugée irrecevable par la CISR, il n’a jamais eu l’occasion d’être entendu sur les risques invoqués et qu’en conséquence l’agente ERAR aurait dû lui accorder une audition.

 

[21]           Cet argument n’est pas tout à fait exact puisque le demandeur a été entendu par la CISR lors de sa demande de protection de 1990 alors qu’il invoquait des risques similaires pour revendiquer le statut de réfugié, demande d’ailleurs rejetée en raison d’un manque de crédibilité.

 

[22]           Mais ici, le demandeur l’admet, l’agente ERAR n’a jamais mis en cause sa crédibilité. Elle s’est contentée d’analyser les observations écrites du demandeur et son procureur ainsi que les divers éléments de preuve documentaire reçus. L’agente ERAR a de plus considéré dans sa décision que « [l]a règle de la nouvelle preuve ne s’applique pas dans le présent cas, puisque le demandeur n’a pas été entendu devant la CISR après la mise en vigueur de la nouvelle loi le 28 juin 2002 ». Cette remarque indique que l’agente ERAR n’a pas limité son analyse à la nouvelle preuve depuis la première décision de la CISR, et que le demandeur n’a donc pas été restreint dans la preuve documentaire qu’il pouvait fournir au soutien de ses prétentions.

 

[23]           L’agente ERAR a, quant à elle, analysé et pesé toute la preuve documentaire que le demandeur a jugé utile de lui fournir au soutien de ses prétentions. Si l’agente ERAR n’a pas considéré la preuve documentaire déposée en langue espagnole seulement, c’est bien comme l’indique cette dernière dans sa décision, parce que le demandeur a choisi d’ignorer sa demande de lui fournir, dans un délai plus que raisonnable, la traduction de cette preuve dans une des deux langues officielles canadiennes. Le fardeau de preuve appartient au demandeur dans le contexte d’une demande d’ERAR. Il lui appartient donc de placer devant l’agente ERAR tous les éléments de preuve soutenant ses prétentions et nécessaires à une décision. Si comme dans le présent cas la preuve est insuffisante, le demandeur doit en supporter les conséquences et l’agente ERAR n’a aucune obligation de l’en aviser (Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 311), bien qu’ici il ait été avisé de cette lacune dans sa preuve.

 

[24]           Le demandeur n’a pas droit à une audition orale devant l’agente ERAR du seul fait que sa deuxième demande d’asile n’a pas été entendue par la CISR, puisque sa crédibilité n’était pas en cause devant l’agente ERAR. Loin de reprocher au demandeur de n’être pas crédible, l’agente ERAR conclut seulement que ce dernier ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve quant à la démonstration d’un risque personnalisé. L’agente d’ERAR n’avait pas l’obligation de tenir une entrevue dans le cas sous étude.

 

[25]           Le droit à une audition devant l’agente ERAR peut exister lorsque la crédibilité constitue un élément clé de sa décision; tel n’est pas le cas ici et d’ailleurs le demandeur l’admet. Le processus prévu dans la Loi et le Règlement prévoit que la demande ERAR doit être déterminée sur la base de la preuve documentaire et des soumissions écrites, soit un processus reconnu conforme aux principes de justice fondamentale (Sylla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 475 au paragraphe 4, 135 A.C.W.S. (3d) 472).

 

[26]           Une audition n’aurait rien donné de plus au demandeur puisqu’il a eu pleine opportunité de faire valoir ses moyens et de soumettre toute la preuve documentaire et les observations écrites jugés nécessaires pour soutenir ses prétentions. L’agente ERAR ne conclut pas dans sa décision que le demandeur n’est pas crédible, mais bien qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve de démontrer un risque personnalisé. Cette conclusion est parfaitement justifiée et possible au regard de la nature de la preuve offerte ici et du droit. Bref, il s’agit encore une fois d’une conclusion raisonnable qui ne justifie pas l’intervention de cette Cour.

 

[27]           L’agente ERAR a poussé plus loin son analyse en appréciant la preuve documentaire pertinente aux allégations du demandeur et à la disponibilité de la protection de l’État. Les conclusions tirées par celle-ci à cet égard sont déterminantes et suffisent pour entraîner le rejet de la demande ERAR du demandeur.

 

iii) Test de la « question sérieuse à trancher »

[28]           Le demandeur argumente que le fait pour un juge de cette Cour d’accorder le sursis d’exécution de la mesure de renvoi équivaut à reconnaître sinon le bien‑fondé du moins le sérieux des prétentions du demandeur.

 

[29]           Cette prétention ne tient pas la route puisque lors de la demande de sursis l’état du dossier différait de celui qu’il est devenu depuis, de sorte que le juge du sursis ne pouvait avoir la même vision et compréhension que le juge saisi du recours en révision à qui on présente un portrait plus complet.

 

[30]           Le fardeau d’un demandeur devant le juge des requêtes en sursis se limite à déterminer si le test tripartite est rencontré et non pas de déterminer de façon concluante si le décideur, ici l’agente ERAR, a commis une erreur déraisonnable, mais bien de constater s’il paraît avoir commis une erreur pouvant justifier une intervention. Il s’agit en d’autres termes à cette étape de faire une évaluation préliminaire et provisoire du bien-fondé de la requête en révision judiciaire sur un dossier incomplet, et ce, dans un contexte urgent auquel on associe au droit apparent du demandeur la notion du préjudice irréparable et celle de la balance des inconvénients, et bien que ni l’une ni l’autre des parties n’ait eu le temps de se préparer efficacement pour présenter au juge des requêtes en sursis autre chose qu’un canevas incomplet du différend qui les oppose.

 

[31]           Le sursis d’exécution n’ajoute aucune valeur au bien-fondé des prétentions d’un demandeur et ne décharge pas ce dernier de convaincre aujourd’hui la Cour en quoi et pourquoi la décision ERAR serait déraisonnable. Demander à la Cour de substituer son opinion à celle du décideur chargé de l’ERAR comme le suggère le demandeur équivaut à lui demander de s’ingérer dans la juridiction de celui à qui la Loi confie la responsabilité d’évaluer, de peser et décider. Tel n’est pas le rôle de la Cour.

 

                      iv) Charte canadienne des droits et libertés (Charte) et le droit international

[32]           Il ne suffit pas comme le fait le demandeur d’invoquer la Charte et les obligations internationales du Canada pour contester la décision ERAR et s’opposer à son renvoi. Encore faut-il démonter en quoi la décision ERAR viole la Charte et les obligations du Canada.

 

[33]           Ici l’agente ERAR détermine que le demandeur « n’a pas démontré qu’il y aurait plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté au Mexique ni qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il y serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités dans son pays ». Pour conclure ainsi, l’agente ERAR a fait une analyse complète et détaillée de la preuve soumise par le demandeur, ainsi que de la preuve documentaire récente sur la situation qui prévaut actuellement au Mexique. Le demandeur ne démontre aucune erreur dans cette conclusion de l’agent ERAR.  Il s’ensuit donc que l’argument du défendeur voulant que la décision visée par le présent recours viole les articles 7 et 12 de la Charte n’est pas sérieux et ne mérite pas considération.

 

VI.       Conclusion

[34]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la décision ERAR visée par le présent recours est pleinement justifiée au regard des faits et du droit. Il s’agit en conséquence d’une décision raisonnable ne justifiant pas l’intervention de cette Cour, ce qui entraîne le rejet de la demande.

 

[35]           Les parties n’ayant présenté à juste titre aucune question pour certification, aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

                                                                                                           « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1752-08

 

INTITULÉ :                                       ARIEL ARENAS PAREJA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Itsvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Maziade

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Itsvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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