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Date : 20081202

Dossier : IMM-47-08

Référence : 2008 CF 1342

Ottawa (Ontario), le  2 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Blanchard

ENTRE :

SAM OR PHAN

Demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.   Introduction

[1]                Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal), rendue en date du 19 novembre 2007, qui a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de « réfugié » conformément à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, S.C. (2001) chapitre 27 (la LIPR), ni celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR.  La demande a été présentée en vertu de l’article 72(1) de la LIPR.

 

II.  Contexte factuel

[2]                La demanderesse est une citoyenne du Cambodge âgée de 63 ans. Elle est veuve depuis 1977 et prétend avoir perdu son mari aux mains des sbires de Pol Pot. Elle a quatre enfants, dont deux sont citoyens canadiens et vivent au Canada.  Les deux autres vivent au Cambodge.

 

[3]                La demanderesse était professeure de français et fonctionnaire administratif au ministère de l’Éducation à Phnom Penh, jusqu’au moment de sa retraite en 2005, après laquelle elle a continué son travail au Centre culturel français à Phnom Penh. 

 

[4]                La demanderesse est devenue membre du parti Sam Rainsy, un parti d’opposition, en 1997. Elle s’opposait à la corruption et à l’absence de démocratie dans le pays dirigé par le Parti du peuple cambodgien (Cambodian People’s Party - le CPP). Elle est devenue plus active dans le parti Sam Rainsy quelques mois avant sa retraite en 2005. Elle atteste que ses activités consistaient à distribuer des livres auprès des communautés locales, des articles scolaires aux élèves et des denrées aux familles des ouvriers et aux habitants les plus démunis. Elle prétend aussi avoir participé aux réunions préliminaires des élections communales prévues pour avril 2007. Elle était présente dans toutes les réunions concernant le travail de propagande. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), elle écrit que depuis 1997,  « j’ai fait le travail de sensibilisation et d’imprégnation des idées de démocratie concernant le droit et le devoir de citoyens d’un pays démocratique, dans l’esprit des gens de mon quartier, surtout dans celui des jeunes ».

 

 

 

[5]                La demanderesse prétend que ses activités ne passaient pas inaperçues pour les agents du CPP. Elle témoigne que des fonctionnaires de différents ministères venaient suivre le cours qu’elle donnait au Centre culturel français. Dans ce cours elle parlait des « actualités du pays ». Elle dit aussi avoir parlé de déclarations politiques « quelquefois deux ou trois minutes avant la classe,  …  ».

 

[6]                Dans son FRP, la demanderesse écrit que le 14 septembre 2005, les agents du CPP l’auraient menacé en lui disant de ne plus travailler pour le parti d’opposition. Par compte, dans son témoignage, elle dit avoir été menacée au téléphone et « au son de la voix, au ton de la voix » elle aurait déduit que c’étaient les agents du CPP qui l’auraient menacé.

 

[7]                La demanderesse atteste que des coups de feu ont été tirés en direction de sa maison en novembre 2005.  Elle dit aussi qu’elle fut attaquée en juillet 2006. Lors de cette attaque, ses agresseurs l’ont injuriée en lui disant : «La vieille, la ferme si tu tiens à ta peau ».

 

[8]                La demanderesse craignant de mourir d’une mort violente comme son défunt mari a décidé de quitter le pays. Ayant déjà obtenu un visa canadien pour visiter ses filles, elle est venue au Canada le 6 août 2006 et a déposé sa demande d’asile le 14 septembre 2006, revendiquant le statut de réfugié en raison de ses activités politiques au sein du parti Sam Rainsy.

 

 

 

III.  Décision contestée

[9]                Le tribunal a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger.  Je résume les motifs de décision rendue par le tribunal le 19 novembre 2007 :  

 

  • le tribunal ne croit pas que la demanderesse, selon la prépondérance des probabilités, ait fourni des éléments de preuve crédible ou digne de foi appuyant l’existence d’un lien entre les problèmes qu’elle a connus dans son pays et ses activités politiques;

 

  • la demanderesse n’est qu’un simple membre du parti Sam Rainsy, et elle est seulement devenue active en 2003;

 

  • les activités qu’elle a menées semblaient être davantage des activités communautaires, et elle n’a jamais été empêchée de faire aucune de ses activités politiques;

 

  • à part de la distribution de livres, les seules autres activités de la demanderesse consistaient à partager ses pensées et ses réflexions avec ses étudiants au Centre culturel français;

 

  • les incidents auxquels la demanderesse fait allusion semblent être liés à des personnes anonymes, et puisque la demanderesse elle-même n’a aucun élément de preuve qui démontre que ces incidents étaient liés à une prétendue participation à des événements politiques, le tribunal a déterminé que la demanderesse a été victime de crime ou d’activités criminelles;

 

  • la preuve documentaire, quoiqu’elle fasse mention d’attaques contre des représentants du parti Sam Rainsy, semble souligner le fait que les attaques sont liées à de véritables activités politiques menées au cours d’une campagne électorale. La demanderesse n’a jamais participé à une telle campagne; et

 

  • finalement, le fait que la demanderesse a pu voyager à l’extérieur du pays à plusieurs reprises pendant qu’elle était membre du parti Sam Rainsy démontre qu’elle n’est pas considérée comme une menace pour le parti au pouvoir.

 

IV. Question en litige

[10]            Est-ce que le tribunal a erré en déterminant qu’il n’existait aucun lien entre la persécution subie par la demanderesse et ses activités politiques? 

 

V.   Norme de contrôle

[11]            La détermination de l’absence de lien entre les attaques et les activités politiques de la demanderesse porte sur une question de fait.  Il est de jurisprudence constante que la norme applicable à de telles déterminations est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir v. New Brunswick, 2008 CSC 9, 1 R.C.S. 190 au para. 51).

 

[12]            Le caractère raisonnable d’une décision tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47.

 

VI.  Analyse

[13]            Le tribunal a déterminé qu’il n’existait aucun lien entre la persécution subie par la demanderesse et ses activités politiques. Il s’agit de la détermination concluante du tribunal.

 

[14]            Le tribunal reconnait que la preuve documentaire fait mention d’attaques contre des représentants du parti Sam Ramsy et particulièrement celles liées à de véritables activités politiques. Les activités politiques de la demanderesse, résumées plus haut, n’ont pas été contestées par le tribunal. Son appartenance au parti Sam Rainsy non plus. Par compte, le tribunal a déterminé que les menaces et l’attaque physique qu’aurait subie la demanderesse sont le fruit d’une activité criminelle et non pas relié aux activités politiques de cette dernière.

 

[15]            Le tribunal ne fait aucune mention quant à la crédibilité de la demanderesse. On doit donc  présumer que la crédibilité de la demanderesse n’est pas mise en question par le tribunal. En l’espèce, selon le témoignage de la demanderesse, les menaces alléguées faisaient explicitement référence à ses activités politiques. Je reproduis certains passages pertinents de son témoignage lors de l’audience devant le tribunal :

            (a)        à la page 155 du dossier du tribunal :

Q.  Est-ce que c’est la première… la seule fois que vous avez des problèmes dans votre pays?

 

R.   C’est la deuxième fois, mais la première fois c’était en… c’était en septembre, oui, mais ça, c’est la menace verbale seulement, puis au téléphone.

 

Q. Par qui?

 

R.   Au son de la voix, au ton de la voix, alors j’en déduis que ce sont les… c’étaient les agents du PPC, c’est-à-dire du peuple qui…

 

Q.  Et qu’est –ce que…

 

R.   … du parti du peuple cambodgien.

 

Q. O.K., mais qu’est-ce que c’est le message?

 

R.   Le message c’était que : « La vieille, occupe-toi de tes affaires, bois à la pagode au lieu de… », parce que dans mon pays, les gens, surtout le… les personnes de mon âge, 60, 55 ans comme ça…

 

-     Um-hum.

 

R.   … on boit à la pagode pour faire des prières, quelque chose comme ça.

 

 

(b)        à la page 160 du dossier du tribunal :

 

Q. O.K. Alors, pouvez-vous expliquer qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui s’est passé au mois de juillet?

 

R.   Oui. En juillet, alors c’était le 19 juillet, oui c’étaie le 19 juillet. Alors, quand je rentais à la maison, on est… ce jour-là alors je pense que c’était le mauvais jour pour moi, parce que mon fils a eu un empêchement, il n’a pas pu venir me cherche et j’ai pris un… un moto-taxi, bon, un moto-taxi là et nous sommes arrivées presque chez moi.

 

      Alors, peut-être è 400, 500 mètres de chez moi, alors il y a deux motards qui s’est approché, qui se sont approchés et le… celui qui était en groupe là, il m’a donné un… un coup de poing ici par derrière.

 

-     Um-hum.

 

R.   En m’injuriant, en disant que : « La vieille, la ferme si tu tiens à ta peau ». Alors, je suis tombée sur la chaussée, mais avant de tomber là, j’ai eu la… le réflexe de mettre mon bras comme ça.

 

-     Um-hum.

 

R.   Oui et ensuite, je suis tombée sur la chaussée et voilà. Tout le long de mon corps ici, cette partie et cette partie là…

 

-     O.K.

 

R.   … c’est endolori et puis ensuite, on m’a transportée à la maison.

 

 

 

                 

[16]            Également, dans le formulaire de renseignements personnels, la demanderesse avait déjà expliqué la source des menaces qu’elle avait vécues. Elle y écrit ce qui suit :

 

J’ai été menacée à plusieurs reprises par les gens du parti qui détient actuellement le pouvoir au Cambodge, c’est-à-dire le « parti du peuple cambodgien » et ce, c’était à la suite de mes activités, en tant que membre du « parti Sam Rainsy » auprès de mes étudiants et des habitants.

 

 

[17]            La détermination du tribunal à l’effet que les menaces et l’attaque physique qu’aurait subie la demanderesse sont le fruit d’une activité criminelle est spéculative. Il n’y a aucune preuve tangible à cet effet. Par ailleurs, la preuve testimoniale de la demanderesse est à l’effet que ces menaces et l’attaque sont reliées aux activités politiques de cette dernière. Bien qu’elle n’a pu identifier ces agresseurs, elle témoigne que ces derniers lui ont expressément dit de se fermer si elle tenait à sa peau. Cette preuve va à l’encontre de la conclusion du tribunal. Bien qu’il soit loisible pour le tribunal de rejeter ce témoignage de la demanderesse, compte tenu de la pertinence et l’importance de cette preuve dans le contexte de la demande d’asile, et que le tribunal n’a pas attaqué la crédibilité de cette dernière, il se devait de traiter expressément de cette preuve et d’expliquer pourquoi elle n’a pas été retenue. Ce qui ne fut pas fait. Je ne peux que conclure que le tribunal a omis de considérer cette preuve de la demanderesse sur un point essentiel de sa revendication. Cepeda-Gutierrez v. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. nº 1425 (Lexis) au para 17. Le tribunal a donc rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il dispose. Cette omission constitue une erreur donnant lieu à révision.

 

 

VII.  Conclusion

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accordée. L’affaire sera renvoyée pour être reconsidérée par un tribunal différemment constitué en conformité de ces motifs.

 

[19]            Les parties n’ont pas proposé la certification d’une question grave de portée générale telle qu’envisagée à l’alinéa 74(d) de la LIPR. Je suis satisfait qu’une telle question ne soit soulevée en l’espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE ET STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire soit accordée. L’affaire sera renvoyée pour être reconsidérée par un tribunal différemment constitué en conformité de ces motifs.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-47-08

 

INTITULÉ :                                       SAM OR PHAN c. LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Claudia Gagnon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stéphanie Valois

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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