Date : 20021115
Dossier : IMM‑5518‑02
Référence neutre : 2002 CFPI 1196
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O’KEEFE
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
demandeur
et
KAILESHAN THANABALASINGHAM
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une requête présentée par le demandeur pour obtenir une ordonnance suspendant la décision rendue le 5 novembre 2002 par Vladislav Tumir, commissaire à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, jusqu’au prochain examen des motifs de détention du défendeur, prévu par la loi, ou jusqu’à ce que la Cour soit en mesure de statuer sur la demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire. Par cette décision, Vladislav Tumir ordonnait la libération du défendeur moyennant la fourniture d’un cautionnement et d’une garantie et d’autres conditions.
[2] Le défendeur, Kaileshan Thanabalasingham, est un citoyen du Sri Lanka. Il possède le statut de résident permanent du Canada où il est établi depuis le 31 août 1992. Le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été accordé. Il fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion qui a été rendue le 14 février 2002.
[3] Le défendeur est marié à une citoyenne canadienne. Sa mère et ses deux sœurs résident à Ajax, en Ontario.
[4] Il a fait l’objet de trois condamnations au criminel :
1. 1996 - Possession d’une arme
2. 1997 - Défaut de se conformer à un engagement
3. 1998 - Complot en vue de commettre des voies de fait
La condamnation de 1998, laquelle était fondée sur des accusations portées en 1997, a servi de fondement à l’ordonnance d’expulsion du défendeur.
[5] En 1994, le défendeur a quitté Toronto pour aller étudier à l’Université d’Ottawa. Après la condamnation de 1998, il est retourné à Ottawa pour y poursuivre ses études. En mars 2000, il a obtenu son diplôme en science appliquée, génie électrique. Son mariage a été enregistré en avril 1999 et célébré par une cérémonie traditionnelle en septembre 2001.
[6] Le défendeur a fait l’objet d’un rapport daté du 8 juillet 1998, en l’application du paragraphe 27.(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, et ses modifications, qui alléguait qu’il pouvait être renvoyé du Canada en raison de sa condamnation au criminel pour complot en vue de commettre des voies de fait. La directive prévoyant la tenue d’une enquête a été signée le 19 février 1999. L’ordonnance d’expulsion était fondée sur ce rapport.
[7] Question en litige
La suspension devrait‑elle être accordée?
[8] Il faut se rappeler que, dans la présente requête, la seule question à trancher est de savoir si la suspension de la décision doit être accordée ou non. Le bien‑fondé de la demande de contrôle judiciaire sera établi à l’audition de cette demande si l’autorisation est accordée.
Analyse et décision
[9] La Cour d’appel fédérale a établi dans la décision Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 587 (QL) (C.A.), un critère en trois volets qui doit être réalisé pour que la suspension soit accordée. Il incombe au demandeur de satisfaire à chacun des volets du critère qui se résume comme suit :
1. Le demandeur a‑t‑il fait la preuve d’une question grave à juger?
2. Le demandeur a‑t‑il démontré qu’il subirait un préjudice irréparable si la suspension n’était pas accordée?
3. Le demandeur a‑t‑il établi que la prépondérance des inconvénients compte tenu de la situation des parties dans l’ensemble favorise la suspension?
[10] Questions graves
Je suis d’avis que le demandeur a démontré l’existence de questions graves à juger, notamment :
1. Les condamnations antérieures peuvent‑elles servir à établir que le défendeur constitue actuellement une menace pour la sécurité publique?
2. Les accusations non fondées peuvent‑elles être prises en compte pour déterminer si une personne constitue une menace pour la sécurité publique?
3. La preuve peut‑elle être jugée crédible ou digne de foi pour les besoins d’une audience relative à l’examen des motifs de détention si elle n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire?
[11] Préjudice irréparable
Le demandeur allègue que si le défendeur est mis en liberté, la sécurité du public canadien sera menacée, ce qui constituerait un préjudice irréparable. La preuve établissant que les VVT forment l’un des deux gangs de rue installés à Toronto n’est pas contestée. Dans sa déposition, l’agent Furlong a déclaré avoir enquêté sur les homicides, les infractions relatives aux armes, les tentatives d’homicide, les enlèvements, les rapts et les infractions liées aux cartes de crédit, aux passeports et à la fabrication de faux documents en rapport avec ces groupes (voir le dossier de la requête du demandeur, aux pages 242 et 243). En outre, les documents produits dans le cadre de la requête montrent que le défendeur était l’une des personnes avec lesquelles l’ancien chef des VVT a été interdit de communication par le juge de la sentence. Le défendeur a insisté sur le fait que la dernière condamnation remonte à 1998. Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là. Les documents déposés indiquent que la police croit que le défendeur est un leader des VVT. Dans son témoignage, l’agent Furlong a également révélé qu’en 1999, il a reçu un appel concernant une personne armée d’un fusil à canon tronçonné et il a aperçu le défendeur sur les lieux de l’intervention à Toronto. Aucun fusil n’a alors été trouvé. Le 15 janvier 2001, l’agent Furlong a participé à l’arrestation de plusieurs personnes associées aux Gilder Boys (un groupe qui était allié aux VVT [voir le dossier de la requête du demandeur, aux pages 242 et 284]) et deux armes à feu ont été saisies par la suite. L’une des personnes présentes a dit que les armes appartenaient au défendeur. Le 18 août 2001, la police de Toronto a reçu un appel concernant une personne armée et, lorsque les policiers sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé le défendeur et une autre personne associée aux VVT, avec quatre autres personnes. Aucune arme n’a été saisie (voir le dossier de la requête du demandeur, à la page 280). Le 19 juin 1999, le défendeur a été aperçu à Toronto (voir le dossier de la requête du demandeur, aux pages 288 et 289).
[12] Dans la décision rendue le 18 mars 2002, l’arbitre Gratton a résumé, à la page 3, les autres éléments de preuve déposés au dossier en ces termes :
[traduction] Les documents versés sont les suivants : Annexe 1, l’entrevue de Bimal Hasan Mohanrajah (phonétique), en date du 6 février 1999; Annexe 2, l’affidavit de Jaykumar Munaswara Kumar (phonétique), en date du 7 mai 1999; Annexe 2 [sic], l’affidavit de Vival Maharajah (phonétique), en date du 3 juin 1999; Annexe 4, l’affidavit de Sassytharan Sassykumar (phonétique), en date du 16 juin 1999; Annexe 5, l’affidavit de Probaken Giva (phonétique), en date du 4 février 2002; Annexe 6, l’entrevue de Paranrupatan Ariaratnam (phonétique), en date du 22 février 2001.
Puis il écrit aux pages 5 et 6 :
[traduction] Il a été allégué que M. Thanabalasingham est un leader des VVT. Il a été dépeint comme étant une tête dirigeante qui planifie en catimini les activités violentes des autres membres de l’organisation mais qui n’y participe pas.
Les personnes qui ont fait état dans leur déclaration ou leur affidavit du fait que le défendeur était un membre actif des VVT se sont rétractées. Il est tout de même révélateur que toutes ces personnes ont à l’origine insinué que le défendeur était toujours un membre actif au sein de l’organisation.
[13] Considérant le témoignage de l’agent Furlong et les autres éléments de preuve présentés dans cette requête, je suis d’avis que le demandeur a démontré que la mise en liberté du défendeur pourrait causer un préjudice irréparable.
[14] Prépondérance des inconvénients
Je suis d’avis que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur dans la présente requête puisque l’intérêt public qu’il cherche à maintenir est, dans la présente affaire, un facteur prédominant.
[15] La requête du demandeur est accueillie et l’ordonnance de Vladislav Tumir prononcée le 5 novembre 2002 est suspendue jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au prochain examen des motifs de détention prévu par la loi. Je ne saurais accorder une suspension jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire puisque je n’en connais pas la date. En outre, je ne suis pas disposé à limiter le droit du défendeur à un examen des motifs de sa détention tous les 30 jours comme le prévoit la loi.
[16] Comme la question de l’audition accélérée n’a pas été entièrement débattue devant la Cour, je ne me prononcerai pas sur celle‑ci et elle pourra être tranchée à l’occasion d’une future requête.
ORDONNANCE
[17] LA COUR ORDONNE QUE la requête du demandeur soit accueillie et que l’ordonnance de Vladislav Tumir prononcée le 5 novembre 2002 soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au prochain examen des motifs de détention prévu par la loi.
« John A. O’Keefe »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 15 novembre 2002
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑5518‑02
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
et
KAILESHAN THANABALASINGHAM
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le samedi 9 novembre 2002
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE
DATE DES MOTIFS : Le vendredi 15 novembre 2002
COMPARUTIONS :
M. Greg G. George POUR LE DEMANDEUR
Mme Barbara Jackman POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ministère de la Justice POUR LE DEMANDEUR
The Exchange Tower
130, rue King Ouest
Bureau 3400, B.P. 36
Toronto (Ontario) M5X 1K6
Barbara Jackman POUR LE DÉFENDEUR
Unité 3
596, avenue St. Clair Ouest
Toronto (Ontario)
M6C 1A6
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20021115
Dossier : IMM‑5518‑02
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
demandeur
et
KAILESHAN THANABALASINGHAM
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE