Date : 20081104
Dossier : IMM-322-08
Référence : 2008 CF 1226
Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2008
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Le présent contrôle judiciaire vise la décision d’une agente d’immigration qui a refusé la demande de résidence permanente de Mme Sklyar présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés et fondée sur l’article 75 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Les questions en litige dans le présent contrôle judiciaire ont trait tant au caractère raisonnable de la décision, qu’à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Pour les motifs exposés ci‑après, la décision du défendeur doit être annulée et le contrôle judiciaire sera accueilli.
II. LES FAITS
[2] Comme je l’ai énoncé ci-dessus, la demanderesse a présenté une demande fondée sur l’article 75 du Règlement, qui est rédigé comme suit :
Le paragraphe 80(7) du Règlement précise que pour l’application de la disposition ci‑dessus, un emploi à temps plein équivaut à au moins trente‑sept heures et demie de travail par semaine.
[3] Il ne ressortait pas clairement du dossier si la demanderesse avait présenté sa demande au titre de trois ou de cinq catégories d’emploi différentes. Les parties semblent s’être mises d’accord que le nombre exact est cinq et, aux fins du présent contrôle judiciaire, la Cour admettra cette conclusion.
[4] Les catégories d’emploi énumérées dans un affidavit déposé par l’agente d’immigration responsable (l’agente) étaient les suivantes : économiste, analyste financier, agent de développement économique, analyste économique et autres agents financiers.
[5] En octobre 2007, l’agente a informé la demanderesse que sa demande était refusée parce que l’agente n'était pas convaincue que la demanderesse avait présenté des éléments de preuve suffisants pour établir qu’elle avait travaillé à temps plein, de façon continue, pendant au moins une année dans un emploi pertinent. La lettre était extrêmement brève quant aux motifs de la décision.
[6] En plus de la lettre d’octobre 2007, les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI) montrent qu’une conclusion semblable, quant à l’absence de preuve d’emploi continu à temps plein, avait été tirée le 5 octobre 2006. Ultérieurement, en mai 2007, on avait demandé à la demanderesse la mise à jour de ses renseignements d’emploi et une lettre de recommandation. Les notes du STIDI comportaient aussi une note du 9 octobre 2007 selon laquelle [traduction] « l’expérience [de la demanderesse] à l'étranger ne peut pas être confirmée, est douteuse ».
[7] La demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et elle a soulevé comme étant une des principales questions, le fait que l’agente n’avait pas tenu compte des cinq catégories d’emploi que la demanderesse avait énumérées, comme le démontraient la lettre de décision et les notes du STIDI. En réponse, l’agente a déposé un affidavit dans lequel elle a attesté qu’elle avait tenu compte de tous les documents présentés, qu’elle avait pris note des cinq catégories d’emploi dans lesquelles la demanderesse affirmait avoir présenté sa demande et qu’elle avait analysé en détail les compétences de la demanderesse relativement à une seule catégorie d’emploi ‑ celle d’économiste.
III. ANALYSE JURIDIQUE
[8] Depuis l’arrêt Dunsmuir (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9), la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité. Toutefois, lorsqu’on examine les analyses précédentes de la norme de contrôle faites par la Cour, il existe une jurisprudence selon laquelle une décision relative à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) attire un haut degré de retenue; voir Oladipo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366. Un degré important d’expérience et d’expertise entre dans cette décision. La retenue est due à l’égard d’une telle décision et donc l’éventail des issues raisonnables auxquelles l’agent peut parvenir est assez large.
[9] Cela étant dit, il y a une question importante d’équité procédurale qui est soulevée en l’espèce et pour laquelle la norme de contrôle est la décision correcte.
IV. L’ÉVALUATION DES EMPLOIS
[10] La question soulevée est de savoir si l’évaluation que l’agente a faite de l’expérience professionnelle de la demanderesse était raisonnable. À cet égard, le défendeur a tenté d’étayer la lettre de décision et les notes du STIDI par un affidavit attestant que les cinq catégories d’emploi avaient été examinées.
[11] Bien qu’il puisse exister des cas où les motifs de la décision sont correctement exposés non seulement dans la lettre de décision et les notes du STIDI, mais également dans un affidavit (voir Hayama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1305), la Cour a des réserves lorsque la preuve qui est présentée après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire vise à combler les lacunes du dossier de la décision précisément sur les questions en litige et que cela est fait par l’ajout d’éléments importants au dossier. La tentative d’étayer le dossier doit être abordée avec prudence, qu’elle soit le fait du demandeur ou du défendeur. Si elle est admissible, la Cour doit soupeser son poids. En l’espèce, le poids qui est accordé au dossier tel qu’il était avant la demande de contrôle judiciaire est supérieur au poids accordé à l’affidavit.
[12] La principale question en l’espèce était de savoir si l’agente avait en réalité tenu compte des cinq catégories d’emploi. Il en est ainsi parce qu’il incombe à l’agent d’évaluer les compétences du demandeur pour toutes les catégories d’emploi énumérées par lui; voir Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 79 (C.F. 1re inst.). Il ressort clairement du dossier que l’agente a concentré pratiquement toute son attention sur l’emploi d’économiste.
[13] Dans son argumentation devant la Cour, l’avocat du défendeur a décrit une bien meilleure évaluation du bien‑fondé de chacune des catégories que celle qui ressort de l’ensemble du dossier. Le dossier donne à penser que l’agente a basé sa conclusion relativement à l’emploi d’économiste en grande partie sur le fait que la lettre de recommandation de l’employeur, qui énumérait les tâches effectuées par la demanderesse, n’était pas le reflet du code de la Classification nationale des professions pour l’emploi d’économiste. Toutefois, il n’y a aucune indication que l’agente ait procédé à une analyse approfondie ou qu’elle ait concilié la preuve des tâches effectuées pour décider dans laquelle des quatre autres classifications professionnelles la demanderesse aurait pu entrer.
[14] Selon moi, l’agente n’a pas évalué de façon appropriée ou n’a pas du tout évalué les autres emplois sur lesquels la demanderesse s’était fondée. Pour ce seul motif, le présent contrôle judiciaire devra être accueilli.
[15] La demanderesse a aussi soulevé, comme question d’équité procédurale, le fait que l’agente ne l’avait pas avisée des doutes qu’elle avait quant à l’expérience professionnelle de la demanderesse. Il est de droit constant que, lorsque les doutes de l’agent des visas ont trait aux exigences énoncées dans la loi, l’agent des visas n’est pas tenu d’avertir le demandeur de ces doutes : voir Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1997] 139 F.T.R. 203 (1re inst.); Ramos‑Frances c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 142. Toutefois, dans la présente affaire, le défendeur a soutenu que la lettre par laquelle on demandait à la demanderesse la mise à jour de ses renseignements d’emploi et le dépôt d’une lettre de recommandation constituait en fait un avis sur les doutes quant à la preuve à la fois sur son expérience et sur les classifications professionnelles.
[16] Je ne suis pas en mesure de comprendre comment la demanderesse, ou n’importe quel demandeur, aurait pu être avertie des carences relatives à son expérience et aux classifications professionnelles simplement par la réception d’une lettre dans laquelle on lui demandait la mise à jour de ses renseignements. La lettre était suffisamment vague pour induire en erreur la demanderesse et son avocat et, selon moi, pour induire en erreur toute autre personne raisonnable. En l’espèce, puisque l’agente avait décidé de donner un avis, cet avis était insuffisant.
V. CONCLUSION
[17] Pour les motifs exposés ci-dessus, le présent contrôle judiciaire sera accueilli, la décision de l’agente d’immigration sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a aucune question aux fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente d’immigration est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-322-08
INTITULÉ : LIUDMILA SKLYAR c. LE MINISTRE DE LA
CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 octobre 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 4 novembre 2008
COMPARUTIONS :
Mario Bellissimo
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POUR LA DEMANDERESSE |
Tamrat Gebeyehu
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS au DOSSIER :
Inna Kogan Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c. r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |