Montréal (Québec), le 7 octobre 2008
En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé
ENTRE :
partie demanderesse
et
ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 31 octobre 2007, à l’effet que la demanderesse Edith Angelica Vasquez Luna et sa fille Brenda January Barrientos Vasquez ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention, ni des personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[2] Notons toutefois que seule la mère est partie à la présente demande de contrôle judiciaire, et qu’elle ne fait valoir aucun motif pour la justifier à agir au nom de sa fille Brenda January Barrientos Vasquez, également visée par la décision de la Commission. Le présent jugement ne concerne donc que la demande de Edith Angelica Vasquez Luna.
II. Exposé des faits
[3] La demanderesse allègue que sa fille, une jeune femme de 19 ans, est devenue enceinte suite au viol d’un dénommé Paul qui aurait menacé de la tuer et de la violer à nouveau advenant son refus de l’avortement. De plus, celui-ci aurait proféré les mêmes menaces à la demanderesse.
[4] La Commission rejette la demande de protection de la mère et sa fille pour trois motifs : non-crédibilité de leur récit, possibilité pour elles d’obtenir la protection de l’État mexicain et existence d’un refuge interne.
III. Questions en litige
[5] La demande soulève les questions suivantes :
a. La Commission commet-elle une erreur déraisonnable dans son appréciation négative de la crédibilité de la demanderesse et de sa fille, en refusant à la demanderesse le statut de réfugiée et de personne à protéger, et en décidant qu’elle n’aurait pas à subir un traitement cruel et inusité advenant son retour au Mexique pour se prévaloir de la protection de son pays?
b. La Commission commet-elle une erreur déraisonnable en concluant à l’existence d’un refuge interne?
IV La norme de contrôle
[6] En tant que tribunal administratif spécialisé, la Commission bénéficie d’une expertise dans les affaires où s’exerce sa juridiction. Les cours doivent traiter avec déférence les décisions rendues par de tels tribunaux, lorsque, comme dans l’espèce, ils agissent à l’intérieur de leur juridiction. Il faut donc se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de sa justification, et de son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). La norme de la décision raisonnable ne commande pas une plus grande intervention que la réponse à cette question.
[7] À l’intérieur de cette norme de contrôle, peut-on conclure que la Commission erre lorsqu’elle décide que la demanderesse ne se qualifie, ni comme « réfugiée », ni comme « personne à protéger », au sens où l’entend la Loi?
V. Analyse
La crédibilité de la demande
[8] La Commission déclare avoir considéré les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives) lors de son évaluation de la demande d’asile.
[9] Elle n’en conclut pas moins à l’absence d’éléments de preuves crédibles ou vraisemblables pouvant étayer la crainte de persécution ou le grave préjudice allégués au soutien de la demande d’asile, et ce, tant dans les actions de la demanderesse que celles de sa fille:
a. Aucune plainte de la demanderesse ou de sa fille à la police suite au viol reproché à l’agresseur;
b. Aucun examen médical de la fille par un médecin, suite à l’évènement, et aucune suggestion par ses parents, y compris la demanderesse, d’en consulter un;
c. Aucune identification de l’agresseur ou des parents de celui-ci, pas même un nom, et ce malgré l’affirmation, que l’agresseur serait un « bum » et un criminel protégé par un père avocat exerçant une grande influence politique qui mettrait la demanderesse encore plus en danger advenant une dénonciation à la police;
d. Aucun recours de la demanderesse ni de sa fille, aux mesures de protection disponibles dans leur pays;
e. Aucune recherche d’un refuge interne par la demanderesse et sa fille.
[10] Un tribunal administratif a compétence pour juger de la vraisemblance d'un témoignage, dans la mesure où sa conclusion n’est pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour (Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 FCT 653, 114 A.C.W.S. (3d) 923, aux paragraphes 22 à 24). De sorte que, la Cour n’interviendra pour annuler une conclusion en matière de vraisemblance, seulement si la preuve ne donne pas ouverture aux motifs énoncés (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), 42 A.C.W.S. (3d) 886).
[11] Comme la Commission pouvait tenir compte des actions ou omissions ci -haut résumées de la demanderesse et de sa fille, lors de l’évaluation négative de la crédibilité de leur récit, il n’y a pas matière à intervention sur cette question.
La protection de l’État
[12] La Commission note de plus que la demanderesse aurait pu se prévaloir de la protection disponible au Mexique contre son agresseur.
[13] On ne saura jamais si la demanderesse et sa fille ont eu raison de ne pas faire confiance à l’appareil judiciaire mexicain, puisqu’elles n’ont jamais recouru à l’aide de la police, suite aux actes reprochés à l’agresseur, pas plus qu’elles n’ont demandé ni recherché la protection d’une autorité ou d’un organisme interne quelconque susceptible de fournir aide, support ou refuge.
[14] Afin de justifier sa conduite, la demanderesse insiste, tout comme sa fille, sur l’inefficacité de la protection policière offerte au Mexique pour les femmes victimes de viol. Cette vision doit néanmoins résulter d’une preuve claire et convaincante (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 41 A.C.W.S. (3d) 393)). Or la Cour ne peut ignorer que la démocratie fonctionne au Mexique, que ce pays est membre de l’ALENA, et qu’il possède des institutions démocratiques. En conséquence, il existe pour ce pays une forte présomption de protection de l’État, même si la situation n’est pas toujours idéale (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 491, aux paragraphes 17 et 18).
[15] La demanderesse devait prouver qu'il était objectivement raisonnable de sa part de ne pas solliciter une protection auprès des autorités mexicaines. Il ne suffit pas de qualifier cette protection d’inefficace, encore faut-il le démontrer par une preuve convaincante que la demanderesse n’a pas offerte. Se contenter d’affirmer, comme elle le fait, et sans preuve à l’appui, qu’elle n’a pas sollicité la protection parce que le père de l’agresseur bénéficie d’une grande influence politique qui la mettrait encore plus en danger advenant une dénonciation à la police, suppose que la demanderesse connait à tout le moins l’identité de l’agresseur et/ou celle de son père. Autrement comment peut-elle affirmer que le père de l’agresseur de sa fille possède une telle influence, si elle ne sait pas qui il est? Peut-on blâmer la Commission d’avoir douté d’une telle assertion?
[16] Faute par la demanderesse d’avoir démontré à la Commission qu’elle avait épuisé tous les recours dont elle disposait, ou qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de ne pas solliciter de recours, elle ne saurait être exemptée de son obligation de solliciter la protection de son pays. Conséquemment, la Cour ne saurait intervenir sur les conclusions de fait tirées par la Commission, quant à l’existence dans l’État mexicain d’une forte présomption de protection dont pourrait bénéficier la demanderesse.
La possibilité de refuge interne
[17] Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR est libellé comme suit:
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : […] b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : […] (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, […] |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally […] (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if […] (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, […]
|
[18] Cet extrait de la Loi prévoit que la personne doit être exposée à une menace à sa vie, ou à un risque de peines cruelles et inusitées en tout lieu de son pays. Le refuge interne constitue ainsi un élément constitutif de la notion de « personne à protéger » prévue au sous-alinéa 97(1)b) (ii) précité. De sorte que le demandeur d'asile se doit de démontrer qu'il existe, sur l'ensemble du territoire, un risque sérieux de persécution sans aucune possibilité de refuge interne. (Gilgorri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 559, 152 A.C.W.S. (3d) 695).
[19] En l’espèce, la Commission conclut que la demanderesse pouvait trouver refuge ailleurs au Mexique. La demanderesse affirme néanmoins, qu’en raison du pouvoir du père de l’agresseur et de ses contacts, elle serait pourchassée et ultimement retrouvée. Toutefois, la Commission pouvait tenir compte du fait qu’elle n’a porté aucune plainte, douter du motif invoqué pour n’en rien faire, retenir qu’elle n’a recherché aucune aide auprès des autorités pour elle et sa fille, et qu’elle n’a consulté aucun médecin pour sa fille suite au viol et pas plus conseillé à celle-ci d’en consulter un, soit autant d’éléments de preuve qui pris dans leur ensemble permettaient à la Commission de conclure comme le fait.
[20] Faute pour la demanderesse d’avoir convaincu la Commission, par une preuve crédible et convaincante, qu'il existait sur l'ensemble du territoire un risque sérieux de persécution sans aucune possibilité de refuge interne, la Cour ne voit pas matière à intervention.
[21] Il n’appartient pas à cette Cour, à ce stade-ci, d’apprécier la preuve de nouveau et de substituer son opinion à celle de la Commission. La Commission bénéficie de l’avantage de son expertise, et surtout de l’avantage unique d’avoir entendu la demanderesse et sa fille sur leurs prétentions et revendications. Maître des faits, la Commission demeure la mieux qualifiée pour juger de la crédibilité à accorder au récit de la demanderesse et de sa fille.
VI. Conclusion
[22] Après l’analyse de la preuve en dossier, la Cour conclut que les conclusions de la décision visée par le présent recours sont plus que justifiées, appuyées tant par les faits que le droit. Il s’agit donc d’une décision raisonnable, ce qui entraîne le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
POUR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Maurice E. Lagacé »
Juge suppléant
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-482-08
INTITULÉ : EDITH ANGELICA VASQUEZ LUNA
c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 10 septembre 2008
DATE DES MOTIFS : le 7 octobre 2008
COMPARUTIONS :
Me Stéphanie Valois
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
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Me Alain Langlois
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Stéphanie Valois Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur general du Canada Montréal (Québec)
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |