Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2008
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
ERGYS NDREU
RENATO NDREU
REBEKA NDREU
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] L’hospitalité et l’honneur sont deux bons principes moraux énoncés dans le Kanun, un code médiéval qui joue encore un rôle dans la vie des Albanais. La vengeance est l’un des principes les moins bons. Dans la présente affaire, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’y avait pas lieu de croire que chacun des Ndreu constituait des hommes à abattre au nom d’une vendetta selon le Kanun. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la Commission doit être annulée.
Contexte
[2] M. Dod Ndreu est le demandeur principal dans la présente affaire. Les demandes de ses trois enfants, Ergys, Renato et Rebeka, ont été jointes à la sienne. M. Ndreu a fui son pays d’origine l’Albanie pour le Canada. Il affirme avoir quitté l’Albanie avec sa fille et ses deux fils après qu’une vendetta eut été déclarée contre sa famille. La vendetta découlerait d’un litige portant un terrain. Les demandeurs ont décrit la vendetta de la façon suivante.
[3] En 1992, le père du demandeur principal est devenu propriétaire d’une parcelle de terrain dans le village d’Ishull, en Albanie, à la suite de la réforme agraire qui a eu lieu à la fin du régime communiste dans ce pays. La famille Kola, qui aurait une position de pouvoir et d’influence dans le village et en-dehors, soutient qu’elle a été dépossédée du terrain en question par le régime communiste après la Seconde Guerre mondiale, et elle estime que le terrain est légitimement le sien.
[4] En 1997, Ilir Kola a fait savoir qu’il avait l’intention de reprendre possession du terrain, de force si nécessaire. Le litige est demeuré non résolu jusqu’en février 2006, lorsque M. Kola a détruit une partie d’un nouveau bâtiment situé sur le terrain et a exigé que le père de M. Ndreu vide complètement les lieux. Après avoir appris l’incident, M. Ndreu a informé les autorités locales de ce qui s’était passé, et celles-ci l’ont rassuré que son père détenait un droit légal à l’égard du terrain, même si elles n’étaient pas prêtes à intervenir davantage.
[5] Deux jours plus tard, le 20 février 2006, M. Kola est revenu sur la propriété muni d’une arme. Les choses ont mal tourné et le père du demandeur principal a tiré sur M. Kola et l’a tué, prétendument en légitime défense. Les nouvelles sur l’incident se sont vite répandues et le patriarche de la famille Ndreu est allé se cacher, craignant d’être arrêté par les autorités ou tué par la famille Kola. Ce soir-là, la famille Kola a envoyé une personne chargée de déclarer une vendetta et d’informer chacun des hommes de la famille Ndreu élargie qu’ils étaient maintenant ciblés. M. Ndreu était la cible principale, suivi par ses deux fils.
[6] M. Ndreu a communiqué avec la police pour l’informer des menaces reçues, mais sans succès. Le lendemain, son épouse s’est rendue en personne au poste de police. On lui a dit que la préoccupation principale était d’arrêter son beau-père pour meurtre. On a ensuite fait appel à des conciliateurs locaux de vendetta, mais aucune solution pacifique n’a été trouvée pour régler le litige. On a encore une fois demandé à la police d’intervenir, mais elle n’a fourni aucune aide à part une déclaration générale selon laquelle elle arrêterait toute personne qui commettrait un crime.
[7] M. Ndreu a ensuite fait des démarches pour s’enfuir. Il a communiqué avec un passeur. Le 28 février 2006, il a quitté l’Albanie accompagné de ses enfants, et ils sont arrivés au Canada en passant par l’Italie le 2 mars 2006. Son épouse est restée en Albanie, parce qu’elle n’aurait pas été en mesure d’obtenir des faux titres de voyage.
[8] Divers documents ont été présentés à l’appui de la demande de la famille Ndreu, notamment un article faisant état de la vendetta, publié le 11 février 2007, dans l’édition du Metropol, un journal en albanais, des déclarations assermentées du chef du village d’Ishull et de Mme Ndreu, ainsi que de la documentation sur le titre de propriété de la parcelle de terrain en cause.
[9] La Commission a conclu à l’absence de lien entre la persécution alléguée par les demandeurs et les motifs prévus par la Convention. Pour le reste, la Commission a rejeté la demande des demandeurs en raison du manque de crédibilité. Pour arriver à cette décision, la Commission s’est fondée sur les conclusions suivantes :
· Il n’était pas plausible que M. Kola, supposément un homme influent, ait attendu jusqu’en 2006 pour obtenir de force le terrain réclamé, alors qu’il avait déjà prétendu que ce terrain lui appartenait en 1992.
· M. Ndreu n’a pas produit de copie du mandat d’arrêt contre son père, et il a affirmé à l’audience que le mandat pourrait seulement être obtenu en demandant à la police directement. Il a également affirmé qu’il ne pensait pas que la police le transmettrait. La Commission a conclu que cette réponse n’était pas crédible, qu’aucun mandat n’a été produit parce qu’il n’y en avait pas et, comme l’indique la documentation sur le pays, qu’un crime grave n’est pas seulement du ressort de la police locale, mais concerne également des procureurs et la police judiciaire.
· L’article de journal présenté par M. Ndreu indiquait qu’il se trouvait au Canada. La Commission a jugé qu’il n’était pas plausible que son épouse ait annoncé publiquement que sa famille était au Canada, alors que jusqu’à ce moment‑là, la famille Kola savait seulement que le demandeur d’asile et ses enfants n’étaient pas à Lezhe.
· M. Ndreu n’a pas pu expliquer pourquoi un journal publierait un article sur un acte de vendetta survenu un an plus tôt, alors qu’il y avait tant de familles impliquées dans des vendettas. On a souligné qu’il était possible de publier dans des journaux albanais des articles peu fiables et, selon la prépondérance des probabilités, la Commission a conclu que l’article avait été présenté avec l’intention expresse de l’induire en erreur. Elle a jugé que la présentation de ce faux document était suffisante pour que soit mise en doute la crédibilité de tous les témoignages des demandeurs.
· M. Ndreu a affirmé que les médiateurs, les « missionnaires de la paix », faisaient partie de la section de Lezhe du Comité de réconciliation nationale, tandis que la documentation sur le pays indiquait clairement qu’il s’agissait de deux organisations distinctes.
· M. Ndreu a produit un document, daté du 31 juin 2004, indiquant que son père était propriétaire du terrain en cause, et il a déclaré dans son témoignage que les documents originaux avaient brûlé en 1997 lors d’un vaste incendie qui avait touché le bureau d’enregistrement des titres de propriété. Soulignant qu’il aurait été facile d’obtenir la preuve documentaire d’un vaste incendie, la Commission a conclu que le demandeur avait ajouté l’incendie à son témoignage le jour de l’audience pour embellir sa demande d’asile.
· M. Ndreu a allégué, à plusieurs reprises, qu’il avait communiqué avec les autorités pour signifier que son père détenait un droit légal à l’égard du terrain en litige. La Commission a jugé qu’il n’était pas raisonnable qu’il cherche constamment à obtenir une reconnaissance, alors que ses démarches ne donnaient rien, y compris celles qu’il avait amorcées auprès de la police.
· Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas demandé de l’aide auprès des autorités supérieures quand la police locale avait refusé de l’aider, M. Ndreu a répondu qu’il ne pensait pas qu’il pouvait s’adresser ailleurs qu’à la police locale et qu’il ne savait pas qu’il existait un ombudsman ou qu’il pouvait s’adresser à un procureur. La Commission a jugé que cette réponse n’était pas crédible, puisque son épouse était assez informée pour demander de l’aide au ministère du Travail et des Chances égales afin d’obtenir un visa canadien.
Question en litige
[10] Les demandeurs n’ont soulevé qu’une seule question en litige. Ils ont allégué que les conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité ne reposent pas sur une incohérence ou une invraisemblance réelle, mais plutôt sur des conjectures ou des hypothèses pour lesquelles il n’y a rien dans la preuve qui les étaye. Dans la même veine, les demandeurs soutiennent que la Commission ne pouvait pas rejeter l’authenticité de l’article de journal sans le justifier par des motifs raisonnables, et que la conclusion selon laquelle l’article avait été produit avec l’intention expresse de l’induire en erreur était absurde. Les demandeurs soutiennent que la Commission ne pouvait pas leur demander une preuve de l’incendie de 1997 qui avait détruit le bureau d’enregistrement des titres de propriété de Lezhe sans d’abord leur donner la possibilité de fournir cette preuve.
[11] Le défendeur soutient que la Commission pouvait tirer ses conclusions quant à la crédibilité, compte tenu de la preuve dont elle disposait, et que la Cour doit faire preuve de la plus grande retenue à l’égard de telles conclusions. Il ajoute qu’il était loisible à la Commission de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité en se fondant uniquement sur l’invraisemblance du témoignage de M. Ndreu.
Analyse
[12] En l’espèce, la Commission a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur un certain nombre de conclusions distinctes selon lesquelles divers aspects du récit de M. Ndreu n’étaient pas plausibles. Les demandeurs allèguent que, dans certains cas, la Commission a tiré des inférences et des hypothèses qui étaient tout simplement injustifiées et qui sont incompatibles avec la présomption de véracité du témoignage d’un demandeur : Voir Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 et Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776. Je suis du même avis.
[13] La conclusion selon laquelle M. Kola aurait fait des démarches pour reprendre possession du terrain en cause avant 2006, à titre d’exemple, semble arbitraire. En fait, l’avocat a présenté des observations quant aux raisons pour lesquelles il était improbable qu’il ait fait des démarches pour reprendre possession du terrain entre 1992 et 1997. Ensuite, des éléments de preuve ont permis d’établir qu’il avait effectivement réclamé le terrain entre 1997 et 2006. Aucune preuve ne permettait de savoir ce qui avait déclenché sa précipitation à agir en 2006, mais cela ne veut pas dire qu’il était improbable qu’il n’ait fait aucune démarche, légalement ou par la violence, pour reprendre possession du terrain avant 2006. Il faut faire une distinction entre les faits inexpliqués et les faits invraisemblables qui semble avoir été floue dans l’esprit de la Commission. Ce qui n’est pas expliqué, et qui est peut être inexplicable par les demandeurs, c’est la raison pour laquelle en 2006 M. Kola a décidé de prendre lui-même l’affaire en mains.
[14] Selon moi, il y a trois conclusions de la Commission qui sont particulièrement troublantes. La première porte sur le fait que les documents relatifs aux titres de propriété produits par les demandeurs étaient datés de 2004. Selon la Commission :
Le demandeur d’asile a présenté un document indiquant que son père était le propriétaire du terrain. Le document était daté du 31 juin 2004. Le demandeur d’asile a déclaré que les documents originaux de son père avaient brûlé en 1997 lors d’un vaste incendie qui avait touché le bureau d’enregistrement des titres de propriété. Il n’avait aucun document à l’appui de cette allégation voulant que Lezhe ait été la proie des flammes en 1997, prétendant que c’était un fait bien connu. J’estime donc que, selon la prépondérance des probabilités, il serait facile d’obtenir de la documentation au sujet d’un incendie bien connu qui a détruit le bureau d’enregistrement. Selon la prépondérance des probabilités, je suis d’avis que le demandeur d’asile a ajouté l’incendie dans le bureau d’enregistrement à son témoignage le jour de l’audience pour embellir et soutenir sa demande d’asile et j’estime qu’il n’est pas crédible ou digne de foi.
[15] Le témoignage de M. Ndreu sur ce « vaste incendie » est révélateur. Lorsque l’agent a demandé à M. Ndreu à l’audience s’il avait des documents indiquant que le bureau d’enregistrement à Lezhe avait été la proie des flammes en 1997, il a donné la réponse suivante :
[traduction]
De très nombreux bureaux gouvernementaux, presque tous, ont été la proie des flammes. Les banques ont brûlé, et aussi tous les dollars. Les gens pouvaient voir les billets s’envoler des banques et brûlés dans les grandes rues. C’est ce que les gens disaient lorsque la banque a été incendiée.
La fumée était visible, on pouvait la voir, des personnes tiraient des coups de feu dans les airs, c’était comme si tout le pays passait au feu. Et je crois que c’est un fait très connu qu’en Albanie, de nombreux artefacts et de nombreux bureaux ont été détruits. Le monde entier le sait, parce que si le monde extérieur n’était pas intervenu, je me demande ce qui serait advenu. D’autres pays nous ont apporté leur aide car les gens commençaient à s’entretuer, (inaudible) les uns les autres.
[16] C’est un fait historique qu’en septembre 1997, une insurrection d’une ampleur considérable a frappé l’Albanie. Le soulèvement avait été déclenché à la suite de mesures prises par le gouvernement contre les banques albanaises qui avaient adopté un certain régime prévoyant des taux d’intérêt mensuels très élevés, dans lequel de nombreux Albanais avaient déposé toutes leurs économies. Par suite de cette intervention du gouvernement, la plupart des citoyens ont perdu leurs économies. Les gens ont pris leurs affaires en mains. Des manèges militaires ont été attaqués et des armes ont été distribuées; des prisonniers ont été relâchés; des édifices gouvernementaux ont été incendiés; des postes de police et des cours de justice ont été complètement détruits par le feu; des agents de la police secrète ont été assassinés; des banques ont été pillées; des palais présidentiels ont été sous occupation. La révolte s’est propagée et n’a pas tardé à toucher le pays tout entier. Il y a eu beaucoup de morts.
[17] Dans ses observations présentées à la Commission, l’avocat des demandeurs a fait référence à l’« agitation » qui régnait dans le pays en 1997. Il aurait peut-être fallu qu’il soit plus précis. Néanmoins, la Commission aurait dû prendre connaissance de ces faits historiques incontestés, mais elle ne l’a pas fait. Par conséquent, la Commission a conclu que le témoignage de M. Ndreu était une invention récente pour donner plus de poids à sa demande et, tel qu’elle l’a mentionné dans le passage de sa décision, citée antérieurement, elle a rejeté l’ensemble du témoignage du demandeur. Pourtant, ces faits historiques concordent avec le témoignage de M. Ndreu et appuie sa version des faits. Pour ce seul motif, je vais accueillir la présente demande et annuler la décision en raison de son caractère déraisonnable. Cependant, ce n’est pas la seule conclusion de fait ayant été tirée par la Commission qui ne concordait pas avec le témoignage rendu.
[18] M. Ndreu a également produit devant la Commission un article tiré d’un journal albanais, daté du 11 février 2007, qui décrit la vendetta impliquant la famille Ndreu, la situation déplorable de son épouse qui est restée en Albanie, et qui relate le fait que son époux et ses enfants à elle ont fui au Canada. La Commission a complètement rejeté cette preuve, citant une preuve documentaire qui indique que des articles peuvent être publiés dans des journaux albanais moyennant un prix. Le passage pertinent de la décision de la Commission est ainsi rédigé :
Il y avait 860 familles impliquées dans des vendettas en 2006. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime qu’il n’est pas raisonnable qu’un journal publie un article sur un acte de vendetta survenu il y a un an. Il a été souligné au demandeur d’asile qu’il était possible de publier dans des journaux albanais des articles qui n’étaient pas fiables. Le demandeur d’asile n’a pas expliqué la publication du récent article. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que l’article a été présenté avec l’intention expresse d’induire la Commission en erreur et je n’y accorde aucune importance. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ou digne de foi.
[19] Le raisonnement de la Commission comporte deux graves lacunes. Premièrement, nos journaux canadiens publient constamment des [traduction] « articles à intérêt humain » qui ne sont pas nouveaux ni actuels, ni même peut-être dignes d’être publiés. Il n’y a rien d’intrinsèquement déraisonnable à ce qu’un journal albanais fasse la même chose. Deuxièmement, et peut-être ce qui est encore plus préoccupant, c’est que le document auquel fait référence la Commission dans sa décision, pour appuyer sa proposition selon laquelle il serait possible de payer pour faire publier des articles dans des journaux albanais ne dit pas tout à fait cela. Le document en question publié en 2002 mentionne que, bien que cela soit possible, et probablement courant dans certains journaux, la situation est différente en ce qui concerne les journaux nationaux. Plus précisément, le document, citant le conseiller en immigration à l’ambassade du Canada en Italie, énonce : [traduction] « Notre bureau de Tirana est d’avis que le journaliste d’une presse de grande diffusion ne serait probablement pas en mesure ou susceptible d’y "insérer" lui-même un article totalement inexact, sans d’abord au moins avoir obtenu l’approbation du rédacteur en chef ou du propriétaire ». La Commission ne disposait d’aucune preuve pour déterminer si le journal produit par M. Ndreu visait le grand public ou non. La conclusion de la Commission ne pourrait être raisonnable que si le journal n’était pas de grande diffusion. Puisque la Commission ne connaissait pas la nature du journal, il était déraisonnable qu’elle rejette cette preuve, comme elle l’a fait.
[20] Ma troisième préoccupation relative à la décision de la Commission découle de sa conclusion selon laquelle la lettre du Comité de réconciliation nationale produite par les demandeurs ne devrait recevoir aucun poids. La lettre contient des déclarations confirmant le témoignage des demandeurs sur la vendetta, les circonstances qui l’ont déclenchée, et l’échec des efforts déployés par le Comité pour régler le litige. La Commission a rejeté cet élément de preuve étant donné que, dans son Formulaire de renseignements personnels, daté du 6 avril 2006, M. Ndreu a dit qu’il s’était adressé aux « missionnaires pour la paix » pour obtenir de l’aide, alors que le document produit provenait du Comité de réconciliation nationale. La Commission a conclu qu’il n’était pas plausible que le demandeur ne connaisse pas le nom de l’organisation à qui il aurait demandé de l’aide. La Commission a écrit :
La documentation sur le pays indique clairement que les missionnaires pour la paix et le Comité de réconciliation nationale sont deux organisations distinctes. Bien que le conseil ait fait valoir que le terme « missionnaires pour la paix » est utilisé fréquemment, je ne considère pas cette réponse comme étant crédible. Le demandeur d’asile connaîtrait le nom de l’organisation vers laquelle il s’est tourné pour une question aussi importante. Il n’a pas dit qu’il avait utilisé le terme comme une expression, mais plutôt qu’il s’agissait du nom de l’organisation à Lezhe. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ou digne de foi et qu’il a présenté à la Commission un faux document pour l’induire en erreur.
La Cour fédérale a soutenu que lorsqu’il est démontré qu’un demandeur d’asile a jeté le doute sur sa crédibilité en présentant un faux document, cet acte est suffisant pour que soit mise en doute la crédibilité de tout son témoignage. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que le tribunal a des motifs valables de mettre en doute et de rejeter l’ensemble du témoignage du demandeur d’asile. [Non souligné dans l’original et les notes de bas de page omises.]
[21] En réalité, le témoignage de M. Ndreu n’est pas aussi précis ou déterminant que l’affirme la Commission. C’est ce qui ressort d’une interprétation objective du témoignage de M. Ndreu dans lequel il a bien dit que la population utilisait fréquemment le terme « missionnaires pour la paix » pour désigner ces médiateurs, même si ce n’était pas le nom officiel de l’association. Les propos suivants ont été échangés lors de l’audience, lorsque l’agent de protection des réfugiés a interrogé M. Ndreu sur la contradiction apparente entre le papier à en-tête indiquant le Comité de réconciliation nationale comme nom de l’organisation et sa référence aux « missionnaires pour la paix » (dossier certifié, page 431) :
[traduction]
APR : Alors, la Mission de la réconciliation nationale c’est la même chose que les missionnaires pour la paix. Est-ce exact monsieur? (Inaudible)?
DEMANDEUR 1: (Inaudible).
APR : Parce que vous nous avez dit que vous aviez - - désolé.
DEMANDEUR 1 : Oui, ce sont ces missionnaires qui sont venus chez moi, oui.
APR : Parce que leur papier à en-tête, selon moi, indique généralement missionnaires pour la paix.
DEMANDEUR 1 : Alors, je ne vois pas la différence?
APR : Eh bien, il est question d’une mission de la réconciliation nationale et non de missionnaires pour la paix.
DEMANDEUR 1 : C’est la section de Lezhe, c’est le nom de l’association. En fait, c’est la Mission, ---
AVOCAT : D’où nous vient le terme missionnaires pour la paix?
APR : Il nous a parlé de missionnaires pour la paix, il a vu des missionnaires pour la paix, et je crois aussi qu’il en parle dans son FRP, mais il l’a affirmé dans son témoignage (inaudible).
DEMANDEUR 1 : Ce sont des missionnaires pour la paix, les gens les appellent missionnaires pour la paix.
APR : D’accord.
DEMANDEUR 1 : Les gens les appellent les missionnaires pour la paix, mais c’est le nom officiel de l’organisation. C’est la première fois que j’avais affaire à cette association.
[Non souligné dans l’original.]
[22] Compte tenu de ce témoignage, rien n’appuie la conclusion de la Commission selon laquelle la lettre du Comité de réconciliation nationale qui a été produite était mensongère.
[23] Le fait historique du soulèvement de 1997 et l’incendie de bureaux gouvernementaux et de banques, ainsi que l’article de journal et la lettre du Comité de réconciliation nationale, appuient tous le récit des demandeurs et le témoignage de M. Ndreu. La Commission a respectivement écarté le récit, présumé que l’article n’avait pas été publié dans un journal national et elle a mal interprété le témoignage de M. Ndreu au sujet des « missionnaires pour la paix ». Pour ces motifs, la décision est annulée et renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
[24] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Au vu des faits de l’espèce, aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande est accueillie et renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
2. Aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1708-08
INTITULÉ : DOD NDREU ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 16 octobre 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE ZINN
DATE DES MOTIFS : Le 20 octobre 2008
COMPARUTIONS :
Robert Gertler |
POUR LES DEMANDEURS
|
David Tyndale |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert Gertler Gertler and Associates Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |