Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2008
En présence de monsieur le juge O'Reilly
ENTRE :
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Après le rejet initial de sa demande de pension de survivant présentée en vertu du Régime de pensions du Canada, Mme Mona Pelland a été jugée admissible à cette pension par un tribunal de révision. Le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences a, à son tour, demandé à la Commission d’appel des pensions (la CAP) l’autorisation de porter en appel la décision du tribunal de révision. Un membre de la CAP a refusé la demande du ministre.
[2] Le ministre fait valoir que la CAP a erré de deux façons : premièrement, elle a appliqué le mauvais critère juridique; deuxièmement, sa décision de rejeter la demande d’autorisation d’appel était déraisonnable. Le ministre me demande d’annuler la décision de la CAP et d’ordonner à un autre membre de réexaminer la demande d’autorisation d’appel.
Je suis convaincu que la CAP a erré et je vais donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
[3] Les deux questions en litige sont :
1. La CAP a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique visant les demandes d’autorisation d’appel?
2. La décision de la CAP de rejeter la demande d’autorisation d’appel était-elle déraisonnable?
I. Les faits
[4] Mme Pelland a commencé, à la fin des années 1980, sa cohabitation avec M. Colin Sinclair à Churchill, au Manitoba. M. Sinclair avait plusieurs problèmes de santé, dont un diabète, une cirrhose et une maladie rénale. À la fin des années 1990, il a commencé à recevoir des traitements médicaux à Thompson et à Winnipeg en raison du manque d’établissements de santé à Churchill. En 2002, M. Sinclair recevait fréquemment des traitements de dialyse et il a déménagé à Winnipeg pour se rapprocher des établissements de santé. En 2004, M. Sinclair est décédé à l’hôpital.
[5] Mme Pelland a demandé une pension de survivant en 2004. Dans sa demande et les documents à l’appui, Mme Sinclair a affirmé qu’elle et M. Sinclair s’étaient séparés quelque temps au milieu des années 1990 (différentes dates ont été données). Le ministre a conclu qu’elle n’était pas admissible à une pension de survivant au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-6, car elle n’a pas vécu en union de fait avec M. Sinclair au cours des 12 mois précédant la mort de celui-ci. Mme Pelland a sollicité le réexamen de cette décision, mais le ministre n’a pas changé d’avis.
[6] Mme Pelland a interjeté appel de la décision du ministre au tribunal de révision. Celui-ci a accueilli son appel pour le motif que Mme Pelland et M. Sinclair ont poursuivi leur union de fait jusqu’au décès de ce dernier, même s’ils ne cohabitaient plus en raison de l’état de santé de M. Sinclair.
[7] Le ministre a demandé l’autorisation de faire appel de la décision du tribunal de révision à la CAP, demande qui a été refusée par un membre de celle-ci. Le membre a fait remarquer que l’existence d’une union de fait entre Mme Pelland et M. Sinclair n’avait [traduction] « pas été contestée ». En outre, selon le membre, le ministre n’a pas [traduction] « établi » que le tribunal de révision avait commis une erreur de fait ou de droit. Par conséquent, l’« appel n’avait aucune chance de succès ».
La CAP a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique?
[8] Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’autorisation d’appel, la CAP doit établir s’il existe un motif valable pour lequel l’appel pourrait être accueilli. Elle ne doit pas décider si le demandeur peut avoir gain de cause.
[9] Les principes susmentionnés sont exposés dans plusieurs décisions : Kurniewicz c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1974), 6 N.R. 225 (C.A.F.); Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252; Martin c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1972; Callihoo c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 612.
[10] J’estime que la CAP a appliqué un critère trop élevé en l’espèce. Elle a signalé que le ministre n’avait pas [traduction] « établi » une erreur de la part du tribunal de révision. La CAP a ensuite conclu que l’appel n’avait [traduction] « aucune chance raisonnable de succès ». Ces deux énoncés révèlent des normes qui dépassent le critère du « motif valable »; je dois donc conclure que le membre a commis une erreur de droit en appliquant ces normes.
II. La décision de la CAP de rejeter la demande d’autorisation d’appel était-elle déraisonnable?
[11] Le ministre prétend que le droit et la preuve présentée à la CAP auraient dû entraîner l’octroi de l’autorisation d’appel. La décision de refuser cette autorisation était donc déraisonnable.
[12] Le ministre invoque d’abord les règles législatives sur le droit d’un conjoint de fait à une pension de survivant. La notion de « survivant » englobe le conjoint de fait d’une personne au décès de celle-ci. Le « conjoint de fait » est la personne qui vivait avec la personne décédée dans une relation conjugale depuis au moins un an au moment du décès (voir le paragraphe 2(1), l’article 42 et le paragraphe 44(1) reproduits en annexe).
[13] Le ministre fait valoir que les règles énoncées ci-dessus empêchent Mme Pelland d’avoir droit à une pension de survivant, car elle n’a pas vécu avec M. Sinclair pendant au moins les deux années précédant le décès de celui-ci. En fait, la preuve montrait qu’ils s’étaient peut-être séparés bien plus tôt. D’après le ministre, la question de savoir si Mme Pelland respectait les règles d’admissibilité à une pension de survivant constituait tout au moins un « motif valable pour lequel l’appel pourrait être accueilli ». En conséquence, le ministre soutient que l’affirmation de la CAP selon laquelle l’existence d’une union de fait au moment du décès « n’avait pas été contestée », ainsi que sa décision de refuser la demande d’autorisation d’appel, étaient déraisonnables. De toute évidence, la question a été âprement débattue devant le tribunal de révision.
[14] J’estime qu’il appartient à la CAP de décider s’il y a un point susceptible d’être débattu. Puisque j’ai conclu plus haut que la CAP n’avait pas encore répondu à cette question, je ne suis pas disposé à juger que le refus de l’autorisation d’appel était déraisonnable. Étant donné l’erreur de droit de la CAP, il convient de régler la présente demande de contrôle judiciaire en renvoyant l’affaire à un autre membre de la CAP, pour que celui-ci examine les observations du ministre et tranche la demande d’autorisation en fonction du bon critère.
III.
Conclusion
[15] À la lumière de l’erreur de droit commise par la CAP, un autre membre doit examiner les observations du ministre et déterminer si elles révèlent un motif valable pour lequel l’appel du ministre pourrait être accueilli. Aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. Un autre membre de la Commission d’appel des pensions réexaminera la demande d’autorisation d’appel du ministre.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
Annexe A
Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
«conjoint de fait » La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s’entend du moment du décès.
42. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
survivant » S’entend :
a) à défaut de la personne visée à l’alinéa b), de l’époux du cotisant au décès de celui-ci;
b) du conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci.
44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie : a) une pension de retraite doit être payée à un cotisant qui a atteint l’âge de soixante ans;
b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui : (i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, (ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,
(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1; (iv) [Abrogé, 1997, ch. 40, art. 69]
c) une prestation de décès doit être payée à la succession d’un cotisant qui a versé des contributions pendant au moins la période minimale d’admissibilité; d) sous réserve du paragraphe (1.1), une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant : (i) soit a atteint l’âge de soixante-cinq ans, (ii) soit, dans le cas d’un survivant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans : (A) ou bien avait au moment du décès du cotisant atteint l’âge de trente‑cinq ans, (B) ou bien était au moment du décès du cotisant un survivant avec enfant à charge, (C) ou bien est invalide; e) une prestation d’enfant de cotisant invalide doit être payée à chaque enfant d’un cotisant invalide qui : (i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, (ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été, (iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1; (iv) [Abrogé, 1997, ch. 40, art. 69]
f) une prestation d’orphelin doit être payée à chaque orphelin d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité.
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Canada Pension Plan Act, R.S.C. 1985, c. P-6 2. (1) In this Act,
"common-law partner" , in relation to a contributor, means a person who is cohabiting with the contributor in a conjugal relationship at the relevant time, having so cohabited with the contributor for a continuous period of at least one year. For greater certainty, in the case of a contributor’s death, the “relevant time” means the time of the contributor’s death.
42. (1) In this Part,
"survivor" , in relation to a deceased contributor, means (a) if there is no person described in paragraph (b), a person who was married to the contributor at the time of the contributor’s death, or (b) a person who was the common-law partner of the contributor at the time of the contributor’s death;
44. (1) Subject to this Part,
(a) a retirement pension shall be paid to a contributor who has reached sixty years of age; (b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty-five years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and who (i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,
(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or (iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made; (iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69] (c) a death benefit shall be paid to the estate of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period; (d) subject to subsection (1.1), a survivor’s pension shall be paid to the survivor of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period, if the survivor
(i) has reached sixty-five years of age, or (ii) in the case of a survivor who has not reached sixty-five years of age, (A) had at the time of the death of the contributor reached thirty-five years of age, (B) was at the time of the death of the contributor a survivor with dependent children, or (C) is disabled; (e) a disabled contributor’s child’s benefit shall be paid to each child of a disabled contributor who (i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period, (ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or (iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1, had not been made; and (iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69] (f) an orphan’s benefit shall be paid to each orphan of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-94-08
INTITULÉ : LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.
MONA PELLAND
LIEU DE L’AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 8 octobre 2008
ET JUGEMENT : Le juge O’Reilly
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 16 octobre 2008
COMPARUTIONS :
Dale Noseworthly |
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Mona Pelland |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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Mona Pelland Winnipeg (Manitoba)
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DÉFENDERESSE SE REPRÉSENTANT ELLE-MÊME
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