Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2008
En présence de monsieur le juge Louis S. Tannenbaum
ENTRE :
et
ET L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 17 octobre 2007, par laquelle une agente d’immigration désignée (l’agente d’immigration) a conclu que Jie Jin (le demandeur) ne remplissait pas les conditions pour obtenir un visa de résident permanent à titre d’investisseur parce qu’il n’a pas démontré que son avoir net personnel provenait de sources légales et légitimes, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), L.C. 2001, ch. 27.
[2] La question en litige consiste à savoir si l’agente d’immigration a commis une erreur de fait ou de droit entachant sa décision selon laquelle le demandeur ne répondait pas aux conditions permettant d’obtenir le statut de résident permanent au Canada à titre d’investisseur dans la province de Québec.
[3] Le demandeur est né en Chine en 1975. Il est un homme d’affaires qui a obtenu en juillet 1993 un diplôme en économie et en administration de la Shenzhen University. Il est marié et a un enfant.
[4] En 1999, le demandeur et sa mère ont investi dans une société de textile appelée Changzhou Xinqu Xiongtian Textile Co. Ltd., en Chine, dans une proportion de 80 p. 100 et 20 p. 100 des actions. Il dirige le conseil d’administration et il est le directeur général de la société.
[5] Le 5 décembre 2005, il a présenté une demande en vue d’obtenir un « Certificat de sélection du Québec » (CSQ) afin de se réinstaller avec sa famille dans la province de Québec, à titre d’investisseur. Les autorités de l’immigration du Québec ont examiné sa demande et ont délivré un CSQ dans la catégorie des investisseurs le 19 septembre 2006.
[6] Le 13 novembre 2006, le demandeur et sa famille ont présenté une demande de résidence permanente au Canada. La demande a été assignée à l’agente d’immigration le 17 août 2007.
[7] Dans une lettre d’équité datée du 17 septembre 2007, l’agente d’immigration a écrit au demandeur et lui a demandé de répondre aux préoccupations suivantes :
[traduction]
La présente est pour vous informer que j’ai des préoccupations sérieuses quant au fait que vous ne semblez pas remplir les conditions d’admission au Canada à titre d’investisseur. Je remarque que vous avez déclaré dans votre demande que vous dirigez le conseil d’administration et que vous êtes le directeur général de Changzhou Xinqu Xiongtian Textile Co. Ltd. depuis 1999, puis que vous détenez 80 p. 100 des actions. Toutefois, vous n’avez présenté aucun élément de preuve, par exemple un rapport de vérification des capitaux propres, démontrant que vous êtes le propriétaire de cette société. Dans votre demande, je remarque que vous avez présenté un rapport de vérification des capitaux propres pour la société Changzhou Xinqu Nuoya Electronic Co. Ltd. qui n’est aucunement mentionnée dans cette demande. En outre, je remarque également que les lettres soumises, lesquelles provenaient prétendument de votre société étaient imprimées sur du papier à lettres de Xiongtian Industry. Par conséquent, je suis préoccupée quant au fait que vous auriez fourni dans votre demande des renseignements non véridiques et que vous auriez fait de fausses déclarations à l’égard de votre avoir net personnel et de vos fonds accumulés.
[8] Le demandeur a répondu à la demande le 10 octobre 2007 en fournissant une liste modificative d’enregistrement de taxe dûment notariée, de même qu’un dossier modificatif d’enregistrement d’entreprise notarié confirmant la modification de 2002 quant au nom de la société de Changzhou Xinqu Nuoya Electronic Co. Ltd. à Changzhou Xinqu Xiongtian Textile Co. Ltd. À l’égard du papier à lettres de la société, le demandeur a expliqué que les mots Xiongtian Industry signifient « Xiong Tian Shi Ye », une désignation utilisée fréquemment par le bureau national des marques de commerce, en Chine, et que les mots « Shi Ye » signifient que la société est une entreprise fructueuse et importante. Ces quatre mots sont également imprimés dans le haut du papier à lettres de la société, selon la pratique habituelle en Chine. Le demandeur a dit à l’agente d’immigration qu’il allait envoyer par télécopieur pour référence le papier de marque de commerce et qu’il enverrait ensuite l’original.
[9] Le 17 octobre 2007, l’agente d’immigration a examiné les explications et les renseignements additionnels fournis par le demandeur et elle a conclu que ce dernier n’expliquait pas pourquoi les lettres de Xiongtian Textile étaient imprimées sur le papier à lettres de Xiongtian Industry. En conséquence, le demandeur n’a pas réussi à dissiper les préoccupations de l’agente d’immigration selon lesquelles il semblait avoir fait de fausses déclarations quant à son avoir net personnel et à ses fonds accumulés. Par conséquent, l’agente d’immigration a rejeté la demande de statut de résident permanent par une lettre datée du 17 octobre 2007. C’est la décision de l’agente d’immigration qui constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire.
[10] L’agente d’immigration a fondé son refus sur les dispositions du paragraphe 16(1) de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :
Obligation du demandeur 16.(1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.
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Obligation — answer truthfully 16.(1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.
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[11] Pour les motifs ci-après énoncés, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit parce qu’elle a omis de se conformer aux règles de justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
[12] Il est bien établi qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle n’est pas nécessaire lorsque la question soumise à la Cour est un déni de justice naturelle ou un manquement à l’équité. Le contrôle judiciaire d’une décision administrative et l’évaluation de l’équité procédurale sont des exercices différents. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 102, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations ».
[13] Par conséquent, lorsqu’elle se penche sur une allégation d’un déni de justice naturelle, une cour n’a pas à se livrer à une évaluation de la norme de contrôle appropriée. Elle est plutôt tenue d’examiner la question de savoir si les règles d’équité procédurale ont été respectées. La cour accomplit cette tâche par l’évaluation des circonstances précises donnant lieu à l’allégation et par la détermination des procédures et des mesures de protection qui étaient nécessaires dans les circonstances pour qu’il y ait respect de l’obligation d’agir équitablement. Si la cour conclut que le décideur, par sa conduite, a porté atteinte à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, elle n’est tenue de faire preuve d’aucune déférence et elle annulera la décision du tribunal; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 766; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056 (QL), aux paragraphes 52 et 53; Hoque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 772, au paragraphe 11; Fontenelle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1432; Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2005 CF 401.
[14] Après avoir appliqué ces principes de droit aux faits de la présente affaire, je ne suis pas convaincu qu’on a accordé au demandeur l’équité procédurale. M. Jin n’a jamais été informé des préoccupations de l’agente d’immigration voulant qu’il ait fait de fausses déclarations quant aux sources de sa fortune ou qu’il ait menti à cet égard étant donné que la lettre du 17 septembre 2007 de l’agente d’immigration ne mentionnait aucunement ces préoccupations. Il s’ensuit par conséquent que le demandeur n’a jamais eu la possibilité de répondre à ces préoccupations avant que l’agente d’immigration décide de rejeter sa demande de statut de résident permanent au motif qu’il n’avait pas répondu véridiquement à toutes les questions qu’on lui a posées, selon ce qu’exige le paragraphe 16(1) de la Loi.
[15] Dans les circonstances, la marche à suivre appropriée consiste à annuler la décision contestée et à renvoyer l’affaire à un autre agent d’immigration désigné pour nouvel examen et nouvelle décision suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 octobre 2007 par l’agente d’immigration soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration désigné pour qu’il rende une nouvelle décision fondée sur les motifs précédemment énoncés.
Juge suppléant
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5387-07
INTITULÉ : Jie JIN c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 août 2008
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM
DATE DES MOTIFS : Le 6 octobre 2008
COMPARUTIONS :
Jean-François Bertrand
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Lisa Maziade
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bertrand, Deslauriers
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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