Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2008
En présence de Monsieur le juge Martineau
DANS L’AFFAIRE DE la Loi de l’impôt sur le revenu
ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d’une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu,le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi
CONTRE :
1160, rue St-Andrews
Mascouche, (Québec) J7L 4G9
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] L’intimée, Sylvie Lépine, demande aujourd’hui à la Cour d’annuler l’ordonnance émise ex parte le 6 mai 2008, qui autorise le ministre du Revenu national (le ministre) à prendre immédiatement toutes et chacune des mesures de recouvrement visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch.1 (la Loi), ou l’une d’entre elles, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 25 avril 2008 à l’encontre de l’intimée (l’ordonnance contestée).
[2] Le 6 mai 2008, une autre ordonnance de recouvrement compromis, a également été rendue ex parte par la Cour dans le dossier T-705-08, afin de percevoir et/ou garantir le paiement des cotisations établies par le ministre le 25 avril 2008 à l’encontre de Claude Hernandez, l’époux de l’intimée. La légalité de cette autre ordonnance de recouvrement compromis fait l’objet d’un examen concurrent par la Cour.
[3] En principe, le ministre doit, selon le paragraphe 225.1(1) de la Loi, attendre 90 jours après la mise à la poste de l'avis de cotisation avant de recouvrer les sommes dues par un contribuable à Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (la couronne). Un juge peut toutefois autoriser le ministre à agir sans délai lorsqu’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.
[4] Le paragraphe 225.2(2) de la Loi dispose :
(2) Malgré l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'il estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. |
(2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.
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[5] Lors de la présentation de la requête ex parte dans le présent dossier le 6 mai 2008, la Cour s’est fondée pour rendre l’ordonnance contestée sur les affidavits respectifs de Scynthia Plante et de Daniel Goyette, tous deux assermentés le 1er mai 2008. Dans le dossier T-705-08, la Cour s’est également fondée sur d’autres affidavits de Scynthia Plante et de Daniel Goyette en date du 1er mai 2008 pour rendre l’autre ordonnance de recouvrement. La Cour est alors convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à l’intimée d’un délai pour payer les montants totaux résultants de l’émission des cotisations datées du 25 avril 2008 compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Je retiens ce qui suit de l’ensemble de la preuve alors soumise par la couronne.
[6] Le ou vers le 3 avril 2006, le dossier de Claude Hernandez a été attribué à Daniel Goyette, vérificateur au Programme Spécial d’Éxécution (PSE) à la Division de l’Exécution au bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) à Montréal, pour fins de vérification quant à son assujettissement à la Loi concernant les années d’imposition 2000 à 2004 initialement auxquelles s’est ajouté l’année 2005 inclusivement. Une vérification simultanée pour la même période d’imposition à l’égard de l’intimée, conjointe de Claude Hernandez, ainsi qu’à l’égard du père de Claude Hernandez, Antoine Hernandez a aussi été effectuée. Enfin, une vérification limitée de la compagnie Her-Comm Inc., dont Claude Hernandez et son père Antoine Hernandez étaient les uniques actionnaires a aussi été effectuée. La vérification du dossier de l’intimée a été effectuée suivant la méthode dite de « l’avoir net », méthode qui a pour but de déterminer l’augmentation des avoirs et des dépenses personnelles du contribuable durant les années visées.
[7] Soulignons ici que le 30 mars 2007, suivant une déclaration modificative déposée au registraire des entreprises, l’intimée a été désignée coactionnaire à 50% de la compagnie Her-Comm Inc., une compagnie spécialisée dans la vente et la location de cellulaires et de téléavertisseurs, remplaçant à ce titre le père de Claude Hernandez, Antoine Hernandez.
[8] Le 17 mai 2006, une rencontre entre Daniel Goyette et Normand Ducharme, le comptable de l’intimée a eu lieu en l’absence de l’intimée. En cours de vérification, Jacques Gagnon a remplacé Normand Ducharme à titre de représentant autorisé de l’intimée. Daniel Goyette a aussi eu une rencontre avec l’intimée. Dans le cadre de sa vérification, Daniel Goyette affirme avoir dû s’adresser à des tiers afin d’obtenir des informations et documents supplémentaires dans le but d’obtenir l’information la plus complète possible.
[9] Aussi, dans le cadre de sa vérification, Daniel Goyette soumet qu’il a été en mesure d’identifier les dépenses suivantes de l’intimée :
- Pour l’année 2002, alors que l’intimée ne déclarait que des revenus de 26 540,00$, une sommes de 93 373,57$ était utilisée à titre de dépenses personnelles ;
- Pour l’année 2003, alors que l’intimée ne déclarait que des revenus de 27 770,00$, une somme de 82 501,19$ était utilisée à titre de dépenses personnelles ;
- Pour l’année 2005, alors que l’intimée ne déclarait que des revenus de 28 308,00$, une somme de 123 940,00$ était utilisée à titre de dépenses personnelles ;
- Pour les années vérifiées, soit de 2000 à 2005, des dépenses de 27 826,75$ (montant qui s’ajoute aux montants précédemment mentionnés à titre de dépenses personnelles) au casino alors que pour les mêmes années une somme de 13 150,00$ a été émise par chèque du casino à l’intimée.
[10] Les informations suivantes ne figuraient pas au questionnaire de l’entrevue initiale de l’Agence, complété par l’intimée le 28 juin 2006 :
· Le 2 octobre 1995, l’intimée obtenait cession d’un immeuble situé au 226, 11e avenue à Ste-Anne-des-Plaines ;
· Le 3 août 2004, l’intimée a fait l’acquisition de l’immeuble situé au 1160 rue St-Andrews à Mascouche pour la somme de 60 000,00$. Il ressort de l’évaluation de cet immeuble datée du 23 février 2005 que la valeur marchande de l’immeuble était de 611 000,00$ ;
· Le 29 mars 2005, l’intimée a obtenu un prêt hypothécaire auprès de la Caisse populaire Desjardins de Montcalm au montant de 300 000,00$. En date du 7 décembre 2006, le solde dudit prêt était de 296 323,50$ ;
· Le 24 mai 2007, l’intimée a conclu un second contrat de prêt à taux révisable au montant de 394 263,33$ avec la Caisse populaire Desjardins de Montcalm ;
· Le 24 mai 2007, l’intimée a vendu l’immeuble situé au 226, 11e avenue à Ste-Anne-des-Plaines ;
· Au soutien de sa demande de prêt pour l’obtention de sa première hypothèque pour l’immeuble situé au 60 rue St-Andrews à Mascouche, l’intimée a fait des déclarations contradictoires et/ou a soumis de faux documents. Les informations fournies à la Caisse populaire Desjardins de Montcalm et à jour en date du 7 décembre 2006 font état que :
· La valeur des actifs de l’intimée était de 1 070 466,75$ ;
· La valeur du passif de l’intimée était de 314 323,50$ ;
· La valeur nette des avoirs de l’intimée était de 756 143,25$ ;
· Le revenu net d’emploi de l’intimée était de 97 800,00$ ;
· De plus, il s’avère que parmi les documents contenus dans le dossier de l’intimée auprès de Caisse populaire Desjardins de Montcalm :
· Un avis de cotisation au nom de l’intimée pour l’année 2003 fait mention d’une revenu net de 96 000,00$ alors que selon les données informatiques de l’Agence l’intimée a déclaré un revenu de 27 770,00$ dans sa déclaration de 2003 ;
· Un relevé 1 au nom de l’intimée pour l’année 2004 faisait état d’un revenu d’emploi de 97 800,00$ ; et
· Un T4 au nom de l’intimée pour l’année 2004 faisait aussi état d’un revenu d’emploi de 97 800,00$ alors que selon les données informatiques de l’Agence l’intimée a déclaré un revenu de 28 082,00$ dans sa déclaration de 2004.
[11] Selon l’affidavit de Scynthia Plante, personne ressource et agent de cas complexes à la section du recouvrement des recettes au bureau des services fiscaux de l’Agence:
· L’intimée a produit toutes ses déclarations de revenus pour les années 1996 à 2006 ;
· Pour chacune des années de 1996 à 2006, l’intimée a reçu un remboursement d’impôt ;
· En date du 20 février 2008, des avis de nouvelle cotisation ont été émis à l’encontre de l’intimée pour les années 2004 et 2005 totalisant un montant de 2 196,65$ ;
· Le 15 janvier 2008, la Fiducie familiale Lépine a été constituée. L’intimée, son conjoint Claude Hernandez et leurs enfants sont les bénéficiaires de la Fiducie familiale Lépine ;
· Le ou vers le 14 mars 2008, l’intimée et Claude Hernandez ont signé des demandes de crédit auprès de la Caisse populaire Desjardins dans le but de transférer l’hypothèque consentie au nom de l’intimée à la Fiducie familiale tout en gardant l’intimée responsable dudit prêt ;
· Le 16 avril 2008, l’intimée a vendu à la Fiducie familiale Lépine, l’immeuble situé au 1160 rue St-Andrews à Mascouche pour la somme de 500 000,00$ ;
· Le solde du prix de vente, soit une somme d’environ 387 706,00$, est payable par la Fiducie familiale Lépine pour l’assumation de l’hypothèque grevant l’immeuble qui a été consentie par la Caisse populaire de Montcalm le 27 mai 2007 à l’intimée ;
· L’intimée s’est portée caution de la Fiducie familiale Lépine pour le remboursement du prêt hypothécaire à la Caisse populaire ;
· Le 23 avril 2008, le prêt hypothécaire consenti par la Caisse populaire de Montcalm à l’intimée au mois de mai 2007 a complètement été remboursé ;
· Depuis le 18 juin 1996, l’intimée est propriétaire d’une remorque de marque Shore, modèle PWC10, 1996 ;
· Il appert du registre des droits personnels et réels mobiliers qu’une inscription faite au nom de l’intimée est à l’effet que l’intimée a acheté un véhicule de marque Mercedes, modèle SL350, 2003 lequel est enregistré au nom de la compagnie Her-Comm Inc. ;
· Il ressort aussi des inscriptions faites au nom de l’intimée au registre des droits personnels et réels mobiliers qu’en date du 20 mars 2008, trois inscriptions ont été faites au nom de l’intimée. Il s’agit en fait d’inscriptions d’insaisissabilité relativement à des sommes ou biens pouvant être remis à un bénéficiaire à même le revenu ou le capital d’une fiducie ;
· L’intimée et Claude Hernandez se sont portés cautions d’un prêt à terme au montant de 650 000,00$ consenti par la Caisse populaire de Terrebonne et garanti par une hypothèque sur un immeuble commercial situé au 1725-1755, chemin Gascon à Terrebonne acquis le 15 juin 2007 par Le Groupe Centruss Inc. ;
· La place d’affaires de Her-Comm Inc. dont l’intimée et Claude Hernandez sont les seuls et uniques actionnaires est située dans l’immeuble commercial acheté par Le Groupe Centruss Inc. ; et
· Aucune entente de paiement n’a été prise avec l’intimée et Scynthia Plante pour le paiement de la dette de l’intimée provenant des avis de cotisation émis en date du 20 février 2008.
[12] En date du 25 avril 2008, l’intimée est redevable envers l’Agence d’une somme de 175 411,16$ plus les intérêts courants.
[13] En rendant l’ordonnance contestée le 6 mai 2008, la Cour:
· Autorise la couronne à appliquer les alinéas 225.1(1)a) à g) de la Loi contre l’intimée à l’égard des cotisations établies le 25 avril 2008 ;
· Autorise la couronne à être dispensée de l’observation des dispositions 301, 304 ss. des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S,/98-106 (Règles), en ce qui a trait à l’avis de demande et sa signification ;
· Permet à la couronne d’être dispensée de l’observation des dispositions 359 ss. des Règles quant à l’avis de requête et sa signification ;
· Permet que le délai de soixante-douze (72) heures mentionné au paragraphe 225.2(5) de la Loi soit prolongé à dix (10) jours francs à compter du 6 mai 2008;
· Ordonne que la couronne signifie, dans le même délai de 10 jours et de la manière prévue au paragraphe 225.2(5) de la Loi, l’avis au défendeur ;
· Permet que le greffe soit dispensé de la signification de l’ordonnance contestée à l’intimée, conformément à la règle 395.
[14] Suite à l’émission de l’ordonnance contestée, l’Agence a effectué une saisie administrative au nom de l’intimée à la Banque Nationale du Canada, à la Financière Banque Nationale et à la Caisse populaire Desjardins. De même, l’Agence a effectué une saisie au nom de la Fiducie familiale Lépine à la Caisse populaire Desjardins. Une mainlevée de la saisie au nom de la Fiducie familiale a été donnée suite à l’obtention par l’Agence d’une ordonnance de saisie-arrêt provisoire du compte bancaire de la Fiducie familiale Lépine. Enfin, suite à ces saisies, l’Agence a inscrit une hypothèque sur l’immeuble situé au 1160, rue St-Andrews à Mascouche. En date du 9 septembre 2008, suite aux diverses mesures de recouvrement prises à l’encontre de l’intimée, l’Agence a perçu une somme de 45 437,84$. De plus, le ou vers le 14 mai 2008, l’Agence a été informée de la vente par l’intimée de deux des trois terrains situés à Terrebonne soit ceux dont le numéro de cadastre est le 1889 332 et le 1889 331 au montant de 17 000,00$ chacun. La vente de ces immeubles est intervenue le 12 mai 2008.
[15] Le paragraphe 225.2(8) de la Loi permet à un contribuable de demander à la Cour, au moyen d'une requête, de réviser l'autorisation ex parte obtenue en vertu du paragraphe 225.2(2) de la Loi. Les principes applicables en l’espèce sont bien établis. Voir notamment Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Services M.L. Marengère inc., [2000] 1 C.T.C. 229, [1999] A.C.F. no 1840 (QL) (Marengère) et Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc., [1989] 2 C.T.C. 291, [1989] A.C.F. no 912 (QL); Danielson v. Canada (Deputy Attorney General of Canada et al., [1986] F.C.J. No. 312 (QL).
[16] Le juge Lemieux, dans Marengère au paragraphe 63 explique :
[…]
(1) La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.
(2) En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.
(3) La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.
(4) Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.
(5) Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. […]
[17] L’intimée soumet aujourd’hui qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer les montants mentionnés dans les cotisations des années d’imposition allant de 2000 à 2005 compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ces montants. Elle allègue également que le ministre a contrevenu à son obligation de divulguer à cette Cour tous les faits pertinents lors de la présentation de la requête ex parte. Ainsi, les affidavits soumis par la couronne au soutien de la requête ex parte comportent notamment des allégations insuffisantes, inexactes, hors contexte, ou contiennent des opinions gratuites. De plus, l’intimée soutient que les mesures de recouvrement effectuées par l’Agence ont été effectuées de façon abusive.
[18] L’intimée soumet que l’Agence a fait un procès d’intention à son égard en se basant sur le fait que son conjoint, Claude Hernandez, a pu faire l’objet d’accusations ou de condamnations criminelles antérieures. Ainsi, à l’audience devant cette Cour, le savant procureur de l’intimée a fait valoir notamment que l’intimée a toujours collaboré avec l’Agence. Alors que la vérification a duré des années, elle n’a jamais dilapidé ses biens. Bien au contraire, l’intimée disposait de plusieurs liquidités dans ses comptes bancaires. D’autre part, l’intimée conteste la conclusion à laquelle Mme Plante et M. Goyette arrivent dans leurs affidavits respectifs à l’effet que l’intimée a tenté d’éluder le paiement de ses impôts et donc sur la nécessité d’une autorisation immédiate d’exécution fondée sur la mauvaise foi alléguée de l’intimée. D’ailleurs, l’intimée a promptement acquitté le montant réclamé à la suite de l’avis de cotisation du 20 février 2008, en remettant à l’Agence une série de chèques postdatés qui ont été encaissés depuis.
[19] L’intimée offre ses propres explications à l’égard des transactions en cause et du défaut de déclarer, pour les années d’imposition en cause, diverses sommes d’argent au fisc. C’est le cas, par exemple, du billet du 15 avril 2008 entre la Fiducie familiale Lépine et elle-même, ainsi que du billet non daté entre Le Groupe Centruss Inc. et elle-même prévoyant le remboursement à demande d’une somme de 100 000,00$. L’intimée reproche également à la couronne d’avoir allégué l’intention de l’intimée de dilapider ses biens par le biais de fiducies. En l’espèce, l’intimée a parfaitement le droit de créer, par des actes de fiducie, des patrimoines d’affectation autonomes et distincts. L’intimée fait valoir à cet égard que le transfert à la Fiducie familiale Lépine est parfaitement légitime même s’il s’agit d’une transaction révisable par le fisc. Enfin, l’intimée invoque que la plupart des transactions invoquées par la couronne ont eu lieu suite au projet de cotisation confirmant que l’intimée ne serait pas visée par les avis de nouvelles cotisation prévus par l’Agence et s’inscrivaient donc dans le cours d’une utilisation normale de ses biens.
[20] L’intimée conclut que les représentants du ministre n’ont pas fait une présentation honnête et complète des faits, mais une teintée de subjectivité et ce, à la suite d’une enquête insuffisante qui, si elle avait été exhaustive, aurait permis de découvrir l’ensemble des faits pertinents.
[21] Dans ses représentations écrites, l’intimée se réfère à la décision Sa Majesté la Reine c. Robert Duncan, [1992] 1 F.C. 713], [1991] A.C.F. no 1113 (QL), où le juge en chef adjoint Jerome écrit au paragraphe 21:
[…]
Dans [Satellite Earth], le juge MacKay a examiné les facteurs qu'une cour doit prendre en considération lorsqu'elle révise une ordonnance de recouvrement de protection en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi. Après avoir examiné la jurisprudence portant sur la version antérieure de l'article 225.2, il a conclu (à la page 296) que dans une requête fondée sur le paragraphe 225.2(8), le ministre a le fardeau ultime de justifier la décision malgré le fait que l'article 225.2 modifié ne comprend plus l'ancien paragraphe (5) qui disposait expressément qu'"[à] l'audition d'une requête visée à l'alinéa (2)c), il incombe au ministre de justifier l'ordre". C'est toutefois le contribuable qui a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que ce critère n'a pas été respecté. […]
Ainsi qu’aux propos du juge Gibson dans Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. 159890 CanadaInc.,[1997] A.C.F. no 1027 (QL) au paragraphe 11, [1997] 3 C.T.C. 284:
[…]
Je conclus que la communication complète et honnête exige effectivement que le ministre révèle ce qui pourrait être raisonnablement considéré comme étant les points faibles, que connaît le ministre, de la demande d'ordonnance de protection.
[12] Je suis convaincu que le ministre ne devrait déposer une demande ex parte en vue d'obtenir une ordonnance de protection aux termes du paragraphe 225.2(2) que lorsqu'il est en mesure de démontrer au juge qu'une telle ordonnance est nécessaire pour protéger sa position et qu'aucune autre procédure qui serait plus équitable à l'égard du contribuable qu'une procédure ex parte ne peut raisonnablement être intentée. Il n'a été satisfait à aucune de ces conditions en l'espèce. Il ressort du dossier qu'aucune preuve n'a été présentée au juge Rouleau en vue d'établir que le paragraphe 129(2) de la Loi ne répondait pas aux besoins du ministre. En outre, aucune preuve n'a été présentée au juge Rouleau pour démontrer que la procédure plus ouverte prévue au paragraphe 164(1.2) ne pouvait pas raisonnablement et légalement être appliquée. Enfin, la preuve produite devant le juge Rouleau selon laquelle l'occasion d'imputer le "remboursement au titre de dividendes" sur la dette du contribuable serait, en fait, compromise en raison du délai, était peu convaincante.
[13] Je conclus que, devant moi, le contribuable s'est acquitté de son fardeau de la preuve initial en établissant qu'il existait des motifs raisonnables de douter que le ministre s'est acquitté de son fardeau dans le cadre de la demande qu'il a présentée au juge Rouleau. Je conclus également que le ministre n'a pas réussi à s'acquitter de son fardeau ultime, qui consistait à justifier la décision du juge Rouleau, pour la simple raison qu'il n'a pas réussi à me convaincre qu'il a fait une divulgation complète et honnête, devant le juge Rouleau, de tous les renseignements pertinents dont il disposait relativement à la décision que celui-ci devait rendre. Le fait que le juge Rouleau aurait peut-être rendu la même décision à la suite d'une divulgation complète et honnête n'a aucune incidence. De la même façon, la possibilité qu'un autre juge rende une nouvelle ordonnance de protection suite à une demande relativement à laquelle une divulgation complète et honnête serait faite n'a aucune incidence non plus. Je ne ferai pas de spéculations en ce qui concerne cette possibilité, compte tenu de la preuve et des arguments qui m'ont été présentés.
[22] Ayant analysé les preuves soumises par les parties et considéré les représentations des procureurs, je conclus que l’intimée ne rencontre pas le fardeau initial de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) de la Loi n’a pas été respecté. Les allégations faites dans les affidavits de la couronne sont vérifiables. Les faits qui s’y trouvent sont difficilement contestables. Les craintes de l’Agence sont fondées et reposent sur des faits objectifs.
[23] La preuve doit démontrer, selon la balance des probabilités, qu’il est plus probable que le recouvrement soit compromis par le délai. Or la couronne soumet que la balance des probabilités penche en sa faveur. Je suis d’accord avec la couronne. Au moment où l’ordonnance d’exécution immédiate a été obtenue, les faits démontraient que bien que l’intimée possédait certains actifs, la plupart d’eux n’avaient pas fait l’objet d’une divulgation dans le cadre de la vérification effectuée par Daniel Goyette. Ainsi, les actifs au nom de l’intimée pouvaient facilement êtres dilapidés, transférés ou disparaître. À la lecture de son dossier de contestation, il ressort que l’intimée ne soulève aucun élément factuel déterminant que le ministre aurait omis de déclarer ou de prendre en considération. En l’espèce, je conclus que la couronne a satisfait à son obligation de divulgation suffisante. D’autre part, je suis d’avis que les conditions pour l’émission d’une ordonnance de recouvrement compromis sont satisfaites dans le présent dossier
[24] Il ressort de la preuve que la vérification effectuée par Daniel Goyette s’est étalée sur plus de 2 ans et qu’il a pris tous les moyens raisonnables pour obtenir le plus grand nombre d’informations et de documents possible afin que le résultat de sa vérification soit le plus conforme possible à la réalité. Or, les comptes bancaires de l’intimé auprès de la Caisse populaire Desjardins n’avaient pas été divulgués à Daniel Goyette lors de la vérification.
[25] Il appert aussi des affidavits de Daniel Goyette et Scynthia Plante que durant la période de la vérification, l’intimée s’est départie de quelques-uns de ses biens :
- En date du 27 mai 2007 l’intimée vendait l’immeuble situé au 226, 11e avenue à Ste-Anne-des-Plaines lui appartenant et cela, pour une somme de 170 000,00 $ (alors que l’hypothèque qui grevait l’immeuble devait certainement être en deçà de 85 000,00 $);
- Le ou vers le 16 avril 2008, l’immeuble situé au 1160 rue St-Andrews à Mascouche servant de résidence principale à l’intimée et à son conjoint Claude Hernandez a été vendu à la Fiducie familiale Lépine pour une somme de 500 000,00 $.
[26] La preuve est à l’effet qu’en date du 15 janvier 2008, la Fiducie familiale Lépine a été constituée alors que l’intimée (fiduciaire et bénéficiaire), Claude Hernandez (fiduciaire et bénéficiaire) et Antoine Hernandez (constituant) savaient qu’ils faisaient tous l’objet d’une vérification par l’Agence.
[27] Je note également que le ou vers le 14 mars 2008, l’intimée et Claude Hernandez ont signé des demandes de crédit auprès de la Caisse populaire Desjardins de Montcalm dans le but de faire transférer l’hypothèque consentie au nom de l’intimée à la Fiducie familiale Lépine. Toutefois, tel qu’il appert des demandes de crédit déposées au soutient de l’affidavit de Scynthia Plante, l’intimée reste responsable et se porte caution de l’hypothèque au montant de 385 000,00 $ envers la Caisse populaire. Lorsqu’interrogée au sujet d’une garantie qu’aurait pu lui donner la Fiducie familiale Lépine suite à l’achat dudit immeuble, l’intimée confirme qu’elle n’a obtenu aucune garantie mis à part un billet notarié reflétant son statut de créancière : or le nom du notaire n’apparaît nulle part. Or, il appert dudit billet qu’aucune somme d’argent n’est exigible par l’intimée envers la Fiducie familiale avant le 15 avril 2014.
[28] Je précise ici que les reproches formulés par l’intimée, incluant ceux spécifiquement soulevés dans les prétentions écrites de l’intimée, portent essentiellement sur le caractère hypothétique, insuffisant ou hors contexte de certaines allégations faites par M. Goyette et Mme Plante dans leurs affidavits respectifs. Or, je ne crois pas que ces reproches, même en les cumulant, permettent à la Cour de conclure aujourd’hui que la couronne a manqué à son obligation de divulgation franche et complète. En effet, la communication complète et honnête de renseignements n’exige pas que soient révélés des renseignements qui ne sont tout simplement pas pertinents quant à l’application du critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de recouvrement compromis. (Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Rouleau, [1995] A.C.F. no 1209 (QL)). Ainsi, je conclus qu’il est plus probable qu’autrement que l’octroi d’un délai à l’intimée compromettrait le recouvrement de la créance de Sa Majesté.
[29] Par conséquent, rien ne me permet d’annuler l’ordonnance contestée. Au passage, je souligne que si de l’avis de l’intimé, les saisies pratiquées sont en elles-mêmes abusives (parce que les garanties déjà offertes par l’intimé sont suffisantes) ou que les inscriptions effectuées au registre des immeubles sont illégales (parce que certain bien appartiennent effectivement à des tiers), il appartient alors à l’intimé ou à tout tiers intéressé de demander mainlevée ou de faire opposition de la manière prévue à la Loi.
[30] Pour les raisons mentionnées plus haut, la Cour rejette la présente requête de l’intimée avec dépens. Des motifs concurrents de rejet de l’autre requête en annulation de la deuxième ordonnance de recouvrement compromis sont émis dans le dossier T-705-08 (2008 CF 1105).