Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2008
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
L’ALBERTA WILDERNESS ASSOCIATION,
LA SOCIÉTÉ POUR LA NATURE ET LES PARCS DU CANADA,
LA PEACE PARKLANDS NATURALISTS et
LA SOUTH PEACE ENVIRONMENT ASSOCIATION
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT,
LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,
L’ALBERTA UTILITIES COMMISSION,
LA NATURAL RESOURCES CONSERVATION BOARD et
GLACIER POWER LTD.
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demanderesses sont des organismes sans but lucratif ou des groupes environnementaux reconnus qui ont pour objet la protection de l'environnement. Elles sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision d'une Commission d'examen conjoint (la CEC), dans laquelle la CEC a rejeté la demande d'ajournement de l'audience prévue pour lundi prochain, le 22 septembre 2008. D'autres parties qui souhaitaient que l'audience soit ajournée n'ont pas participé au contrôle judiciaire.
[2] La présente affaire devait initialement se tenir à Edmonton, mais il a été impossible d'y tenir une audience. La première question à trancher est la demande des demanderesses qui souhaitent que l'audience relative au contrôle judiciaire soit avancée et se tienne aujourd'hui. Toutes les parties ont consenti ou, du moins, ne se sont pas opposées à cette demande en raison du début imminent des audiences de la CEC. La Cour a conclu que toutes les parties gagneraient à ce que l'affaire soit entendue immédiatement.
I. Résumé des faits
[3] Glacier Power Ltd. (ci-après nommée Glacier) a présenté une demande d'approbation pour construire et exploiter une centrale hydro-électrique sur la rivière de la Paix. Le projet avait initialement été rejeté par une commission constituée en vertu d'une loi de l'Alberta.
[4] Glacier a présenté de nouveau sa demande et la présente affaire devait finalement être instruite devant une CEC grâce à une entente intervenue le 10 avril 2008 entre la Natural Resources Conservation Board, l'Alberta Utilities Commission et le ministre fédéral de l'Environnement.
[5] Avant le 10 avril 2008, il y a eu des étapes de procédure qui ont été entreprises en vertu du régime de l'Alberta et qui portaient sur des questions préalables à l'audience. Les demanderesses étaient présentes lors de ces procédures, mais on a refusé de leur reconnaître la qualité pour agir.
[6] Après réception de l'avis concernant l'audience devant la CEC envoyé par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale (l’Agence), les demanderesses ont présenté une demande de fonds pour l'audience. Des fonds ont été accordés le 21 juillet 2008, et les demanderesses ont retenu les services de la firme Klimek Law qui les avait déjà représentées antérieurement dans d'autres instances.
[7] Les demanderesses ont été avisées le 19 août 2008 que l'audience devant la CEC allait débuter le 22 septembre 2008 près de la rivière de la Paix, à Fairview.
[8] Le jour suivant, l'avocate de Klimek Law a demandé un ajournement parce qu'elle avait déjà pris des engagements dans d'autres affaires les jours où les audiences doivent se tenir. Cette demande a été rejetée le 27 août 2008. Comme je l'ai mentionné précédemment, les demanderesses n'étaient pas les seules à demander un ajournement : un groupe communautaire et BC Hydro en avaient notamment fait la demande.
[9] La CEC a affirmé que, à moins que la date de l'audience ne soit choisie de nombreux mois à l'avance, il y aurait des conflits d'horaire. Après avoir reconnu le problème, la CEC a conclu que l'inconvénient subi par les intervenants ne justifiait pas un ajournement. Les demanderesses avaient mentionné que leur avocate serait libre en novembre. La CEC a conclu qu'elle s'attendait à ce que les demanderesses trouvent un autre avocat.
[10] Les demanderesses ont sollicité le réexamen de la décision à la CEC, ce qui a été rejeté.
I. Analyse et conclusion
[11] Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire rendue par un tribunal spécialisé au sujet du déroulement d’une de ses instances. Accorder le contrôle judiciaire aurait comme effet de retarder l'audience de la CEC pour un temps indéterminé.
[12] En l'absence de « circonstances exceptionnelles », la Cour est réticente à intervenir à l'égard d'une décision interlocutoire rendue par un tribunal. On peut habituellement présenter une demande de contrôle judiciaire quand l'instance est terminée. La politique judiciaire de non‑intervention découle d'un élément pratique, à savoir l'utilisation efficace des ressources judiciaires, de même que d'un principe, à savoir le respect envers le pouvoir d'un tribunal de contrôler ses propres instances.
[13] En plus de l'obstacle susmentionné concernant l'établissement d'une certaine circonstance exceptionnelle justifiant une intervention judiciaire, les demanderesses doivent montrer que la décision de la CEC ne satisfait pas à la « norme de contrôle » applicable. En raison du pouvoir d'un tribunal spécialisé de régir ses instances et de la nature très discrétionnaire d'une décision relative à un ajournement, la norme de contrôle applicable, en application de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, est la raisonnabilité combinée à une grande retenue.
[14] Je conclus qu'il n'y a aucune circonstance exceptionnelle qui pourrait justifier une intervention judiciaire. Les demanderesses n'ont pas établi qu'il y avait effectivement préjudice, ni qu'aucun autre avocat n'est disponible ou ne pourrait être disponible. Une plainte de préjudice et de déni de justice présuppose qu'il y ait eu une décision défavorable sur le fond de l'affaire. À cet égard, les demanderesses ont agi prématurément. La tenue d'une nouvelle audience dans une affaire qui devrait prendre 5 cinq jours (à supposer qu'une décision défavorable sur le fond soit infirmée par les cours) ne constitue pas le type de préjudice ou de situation dont fait mention l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735.
[15] En outre, la conclusion de la CEC selon laquelle l’audience ne devrait pas être ajournée n'est en rien déraisonnable. La CEC a examiné la question du préjudice que pouvait subir les demanderesses. Rien dans la preuve n'établit que les demanderesses ne pourraient satisfaire à l'attente de la CEC relativement à la nomination d'un autre avocat.
[16] La CEC a également tenu compte du préjudice que pourraient subir Glacier et les nombreux autres intervenants et participants, dont un certain nombre de groupes autochtones locaux et d'autres membres du public. La date d'audience a été fixée, les autres parties sont prêtes et les témoins ont été convoqués. Modifier la date de l'audience au bénéfice d'un groupe touche tous les autres.
[17] Il n'existe aucune garantie que ce qui convient aux demanderesses, soit une audience au cours du mois de novembre, convient à toute autre partie. Un ajournement en raison de la non-disponibilité de l'avocat de l'une des parties signifie essentiellement le report de l'audience jusqu'à ce que tous les avocats soient disponibles.
[18] Il incombe à la CEC de trancher de telles demandes contradictoires, et sa conclusion selon laquelle l’audience doit avoir lieu à la date fixée n'est aucunement déraisonnable.
[19] En outre, les demanderesses se sont fondées sur les lignes directrices de l’Agence, lesquelles mentionnent qu'un avis doit être envoyé 45 jours avant le début de l'audience, comme s'il s'agissait d'un délai fixé par une loi. Au contraire, les lignes directrices ne sont pas contraignantes (même si des lignes directrices peuvent l'être dans d'autres circonstances) dans le cas d'un examen conjoint auquel participent des organisations provinciales.
[20] L'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, ne s'applique pas en l'espèce. L'application des lignes directrices dans l'affaire Friends of the Oldman River Society, qui avaient été prises par arrêté, était obligatoire. L'application des lignes directrices en l'espèce est plus discrétionnaire.
[21] En outre, on s’était entendu sur un avis de 30 jours avant audience lors de l’entente sur une CEC en juillet 2008. Les demanderesses ne s'y étaient pas opposées, et elles ne peuvent maintenant soulever la question d'une « attente légitime ».
[22] Même si le préavis avait été de 45 jours, cela n'aurait été guère utile étant donné que l'avocat des demanderesses n'est pas disponible non plus au cours de cette plus longue période.
[23] Par conséquent, pour ces motifs, le présent contrôle judiciaire sera rejeté avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
Traduction certifiée conforme,
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1380-08
INTITULÉ : L’ALBERTA WILDERNESS ASSOCIATION, LA SOCIÉTÉ POUR LA NATURE ET LES PARCS DU CANADA, LA PEACE PARKLANDS NATURALISTS ET LA SOUTH PEACE ENVIRONMENT ASSOCIATION
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT, LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, L’ALBERTA UTILITIES COMMISSION, LA NATURAL RESOURCES CONSERVATION BOARD ET GLACIER POWER LTD.
LIEU DE L’AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO) (vidéoconférence)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 SEPTEMBRE 2008
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 19 SEPTEMBRE 2008
COMPARUTIONS :
Jennifer Klimek
|
POUR LES DEMANDERESSES |
Maureen Killoran
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POUR LA DÉFENDERESSE GLACIER POWER LTD.
|
William Kennedy |
POUR LES DÉFENDERESSES L’ALBERTA UTILITIES COMMISSION LA NATURAL RESOURCES CONSERVATON BOARD
|
Robert Drummond |
POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Klimek LawLIMEK LAW Avocats Edmonton (Alberta)
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POUR LES DEMANDERESSES |
Osler, Hoskin & Harcourt LLP Avocats Calgary (Alberta)
|
POUR LA DÉFENDERESSE GLACIER POWER LTD. |
Alberta Utilities Commission Natural Resources Conservation Board Calgary (Alberta) |
POUR LES DÉFENDERESSES L’ALBERTA UTILITIES COMMISSION LE NATURAL RESOURCES CONSERVATION BOARD
|
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |