Date : 20080910
Toronto (Ontario), le 10 septembre 2008
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
ANILA BOCERRI
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande conteste la décision défavorable en matière de considérations d’ordre humanitaire visant une mère et un père, citoyens d’Albanie, et leur jeune enfant né au Canada. En ce qui concerne la décision en cause, la question essentielle me semble être de savoir si l’agent CH a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.
[2] Dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH), le conseil des demandeurs a présenté l’argument suivant concernant l’intérêt supérieur de l’enfant :
[traduction] En outre, il convient de tenir compte des conséquences négatives du renvoi de cette famille en Albanie sur leur enfant, né au Canada, qui, lui, ne peut pas être expulsé mais qui serait manifestement obligé de quitter le pays afin de ne pas être séparé de ses parents. Nous estimons que Kevin subira un préjudice irréparable s’il est contraint de quitter son pays natal et de s'adapter à la vie en Albanie, pays qui lui est totalement étranger.
[Dossier de la demande, p. 20]
[3] À l’appui de cet argument, les éléments de preuve suivants ont été produits concernant les conditions en Albanie :
[traduction]
Le gouvernement s’est montré généralement respectueux des droits de la personne
de sa population; cela dit, de graves problèmes se sont manifestés dans
plusieurs domaines. La police a battu et malmené des suspects, des détenus et
des prisonniers. Dans les prisons, les conditions demeurent mauvaises; il est
arrivé que la police ait procédé à des arrestations et détentions arbitraires
et la longueur des périodes de détention préalable fait toujours problème.
L’impunité des autorités reste aussi problématique. Il est arrivé que le
gouvernement enfreigne le droit à la vie privée des citoyens. Il y a eu, dans
les médias, moins d'ingérences politiques qu'auparavant. La police a,
semble-t-il, eu recours à une force disproportionnée pour s'opposer à des
protestataires. Les vendettas, généralement liées à de graves querelles interfamiliales
ont entraîné bon nombre de meurtres et entretiennent dans certaines régions du
pays un climat de peur. La violence dans la société et la discrimination à
l’encontre des femmes et des enfants sont de graves problèmes. La
discrimination à l’encontre des Roms, des membres de la communauté égyptienne
et des homosexuels est toujours présente. Le travail des enfants continue de
poser problème.
[Non souligné dans l’original.]
[…]
L’engagement du gouvernement en faveur des droits et du bien-être des enfants s’est retrouvé dans le droit interne, mais, en pratique, cet engagement est limité.
[Département d’État des États-Unis : Country Reports on Human Rights Practices, 2004 : Albanie, dossier de la demande déposé par les demandeurs, p. 93, 103]
[4] Sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, voici dans son intégralité le raisonnement retenu dans la décision en cause :
[traduction] Ont également été pris en compte la brièveté relative du séjour au Canada des demandeurs depuis 2003 et de leur emploi depuis 2005 et le jeune âge de leur enfant, qui a trois ans. Compte tenu de ces facteurs et malgré les difficultés que pourrait leur causer, à eux et à leur enfant, un retour en Albanie, les demandeurs sont jugés ne pas être établis au Canada à un degré tel que la rupture des liens avec ce pays entraînerait pour eux des conséquences défavorables au point de constituer des difficultés inhabituelles, injustes ou indues. Compte tenu de l’amour et des soins que prodigueraient les parents à leur enfant, celui‑ci finirait, s’ils décidaient de le ramener avec eux, par s’adapter aux conditions de l’Albanie, même si elles ne sont manifestement pas aussi favorables que celles qui caractérisent la vie au Canada.
[Dossier de la demande, p. 12]
[5] À mon avis, la décision rendue par l’agent CH concernant l’enfant est complètement défectueuse. En effet, l’agent CH devait considérer l’enfant né au Canada comme une personne, sans s’arrêter au fait que ses parents continueraient à s’occuper de lui s’ils étaient obligés de rentrer en Albanie. En tant que personne à part entière, l’enfant est en droit de voir examiner indépendamment la question de savoir si son installation en Albanie serait conforme à son intérêt supérieur.
[6] L’évaluation CH de l’intérêt supérieur de l’enfant exige l’analyse attentive de plusieurs facteurs importants, indépendamment de la question de savoir si les parents de l’enfant continueraient à s’occuper de lui s’ils étaient obligés de quitter le Canada (voir Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 613, par. 17). Les réalités de la potentielle vie future de cet enfant en Albanie n’occupaient pas une grande place dans l’esprit de l’agent CH lorsqu’il a pris la décision visée par la demande de contrôle judiciaire et, par conséquent, j’estime qu’il n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.
ORDONNANCE
En conséquence, la décision visée par la demande de contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent CH pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.
« Douglas R. Campbell »
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4754-07
INTITULÉ : YLLI BOCERRI et ANILA BOCERRI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 10 SEPTEMBRE 2008
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 10 SEPTEMBRE 2008
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman |
POUR LES DEMANDEURS
|
John Loncar |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |