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Date : 20080826

Dossier : T-1399-07

Référence : 2008 CF 963

Ottawa (Ontario), le 26 août 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

ANDREW TULK

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et JOSEPH FARRAH

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Est-ce raisonnable qu’il y ait seulement une réponse qualifiée de correcte à une question posée lors d’une sélection par voie de concours, alors que deux des réponses proposées veulent dire exactement la même chose?

 

CONTEXTE

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision rendue le 7 juin 2007 par un comité d’appel établi par la Commission de la fonction publique en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (maintenant abrogée par l’article 284 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22).

 

[3]               On a procédé à un concours en vue de pourvoir au poste de surintendant de la production offert par le ministère de la Défense nationale à Gagetown, au Nouveau-Brunswick. Suivant le processus d’évaluation, on a créé une liste d’admissibilité dans laquelle étaient classés six candidats qualifiés. Le comité d’appel a fait droit à un appel interjeté contre le processus de sélection le 24 mai 2006. Le 10 août 2006, la Commission de la fonction publique a prescrit des mesures correctives visant à répondre aux irrégularités relevées par le comité d’appel. Pour se conformer aux mesures correctives, le MDN devait réévaluer les candidats en tenant compte des facteurs suivants :

·        Le Code national du bâtiment

·        La santé et la sécurité

·        La gestion et l’examen du rendement du personnel civil

·        La capacité d’interpréter et d’appliquer les données tirées de plans et devis

·        La capacité d’appliquer des conventions collectives

·        La capacité de gérer des ressources financières

 

[4]               Les candidats ont été réévalués à la lumière de ces facteurs dans un examen écrit. Le 13 décembre 2006, une nouvelle liste d’admissibilité a été créée. Le défendeur M. Joseph Farrah était placé au premier rang sur la liste et le demandeur, M. Andrew Tulk, était placé au second rang. M. Tulk a interjeté appel de la nomination de M. Farrah auprès du comité d’appel en invoquant un certain nombre de moyens qui ont tous été rejetés dans la décision rendue par le comité d’appel le 7 juin 2007.

 

[5]               M. Tulk sollicite le contrôle judiciaire de la décision du comité d’appel à l’égard d’une seule des questions qu’il a soulevées auprès de ce dernier. Il allègue que la décision du jury de sélection du concours était déraisonnable, puisque le jury ne lui a pas accordé un point pour sa réponse à une question portant sur sa connaissance des normes et des procédures de santé et de sécurité au travail du MDN, même si sa réponse était correcte.

 

[6]               Le jury de sélection a uniquement accordé à M. Tulk 0,11 d’un point de moins que ce qu’il a accordé au candidat reçu. Si la réponse de M. Tulk à la question en cause avait été jugée correcte, il se serait vu accorder un autre point et il aurait donc été le candidat reçu au concours.

 

[7]               La question en cause, la question 4, figurant sous la rubrique Connaissances 2 [traduction] « Santé et sécurité », est rédigée comme suit :

 

[traduction] L’article 124 de la partie II du Code canadien du travail énonce sous la rubrique « Obligations de l’employeur » que; choisissez la réponse correcte parmi celles qu’on vous propose :

A.     L’employeur devrait veiller (« should ensure » dans le texte original de la question) à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

B.     L’employeur doit veiller (« must ensure » dans le texte original de la question) à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

C.     L’employeur veille (« shall ensure » dans le texte original de la question) à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. 

 

M. Tulk a choisi la réponse B. La réponse à laquelle s’attendait le MDN, soit la réponse correcte selon lui, était C. La différence entre les réponses est la différence, s’il y en a une, entre les mots anglais « must » et « shall ». Le jury de sélection a seulement accepté la réponse contenant le mot « shall » comme étant la réponse correcte, parce qu’elle reprenait le libellé précis de la version anglaise de l’article 124 du Code canadien du travail. Les conclusions tirées par le comité d’appel sur ce point sont les suivantes :

[traduction] Pour ce qui est de la question 4, M. Doherty [l’avocat du demandeur] a fait valoir que les mots anglais « shall » et « must » signifient la même chose. Après avoir examiné la question dont j’étais saisi de façon approfondie, je suis parvenu à la même conclusion. Cependant, le ministère s’est fondé sur la terminologie utilisée dans le CCT [Code canadien du travail] et a accepté l’énoncé comportant le mot « shall » comme étant la réponse correcte. En appliquant les critères énoncés dans la décision Scarizzi (précitée), je ne peux conclure que l’opinion formulée par le jury de sélection est déraisonnable à un point tel qu’aucune personne raisonnable n’aurait formulé la même opinion.

 

[8]               Comme l’a souligné le comité d’appel, l’article 124 du Code canadien du travail indique : « L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail » (« Every employer shall ensure the health and safety at work of every person employed by the employer is protected »), ce qui constitue le libellé de la réponse C.

 

QUESTION EN LITIGE

[9]               En l’espèce, M. Tulk soulève la question de savoir si la décision du comité d’appel était déraisonnable, parce qu’il a omis d’intervenir à l’égard du refus du jury de sélection d’accepter sa réponse à la question 4 comme étant correcte, même si cette réponse signifiait la même chose que la réponse C, soit la réponse qualifiée de correcte par le jury de sélection.

 

ANALYSE

[10]           Les deux parties au présent contrôle judiciaire soutiennent, et je conviens, que la norme de contrôle applicable à la décision du comité d’appel en l’espèce est la décision raisonnable, définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[11]           Lorsqu’il examine la décision d’un jury de sélection, le comité d’appel doit appliquer la norme énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Le procureur général du Canada c. Le Comité d’appel établi par la Commission de la fonction publique, [1982] 1 C.F. 803. Dans cet arrêt, la Cour d’appel semble avoir désigné la norme de la décision « manifestement déraisonnable » comme étant la norme applicable dans ce genre de contrôle, tout en indiquant que l’objectif principal du comité d’appel établi en vertu de la loi est de s’assurer de l’application du principe du mérite dans le processus de sélection :

Un Comité d’appel établi en application de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, a pour fonction de déterminer, après enquête, si la sélection faite dans un cas donné est une « sélection établie au mérite » au sens de l’article 10 de la même Loi. Le Comité d’appel est tenu de s’assurer que l’appréciation visée au sous-alinéa 5c)(i), rappelé ci-dessus, du Règlement a été effectivement faite, mais il n’a pas le droit d’en contrôler le caractère raisonnable si l’appréciation n’est pas dénuée de fondement. Ou alors il faudrait que celle-ci soit si déraisonnable qu’elle ne saurait être le fait d’une personne raisonnable. Le Comité d’appel n’est pas habilité à substituer son opinion à celle du Ministère, auquel le pouvoir a été délégué à cet effet. Il appartient au Comité de s’assurer de l’application du principe du mérite, en vérifiant si l’appréciation requise a été faite; mais pour ce qui est du caractère raisonnable de cette appréciation, un Comité d’appel est soumis aux mêmes restrictions qu’une cour de justice exerçant le contrôle judiciaire ou siégeant en juridiction d’appel.

 

 

[12]           En l’espèce, le comité d’appel a en fait conclu que les mots anglais « must » et « shall » utilisés dans les deux réponses possibles à la question 4 avaient le même sens. Le comité d’appel n’a pas mentionné sur quoi il s’était fondé pour tirer cette conclusion. Cependant, la preuve présentée par le demandeur sur ce point doit avoir été jugée convaincante. Une partie considérable de cette preuve provenait de documents établis par le défendeur. Dans les documents préparés et utilisés par le MDN pour son « Cours de législation sur la sécurité » – documents énumérés comme documents de référence pour certaines des questions de connaissances, mais non pour la question 4 qui avait comme référence [traduction] « l’article 124 de la partie II du Code canadien du travail » –, le défendeur a écrit ce qui suit :

« DOIT » ET « EST »

108.  L’utilisation de « doit » et « est » dénote des fonctions obligatoires (elle signifie « doit »). Par exemple, l’article 125.(q) lit, en partie :

« un employeur doit fournir… à chaque employé(e) l’information, l’instruction, la formation et le contrôle nécessaires pour assurer la sécurité et la santé de cet(te) employé(e) au travail ».

109.  Cela signifie que les employeurs doivent fournir l’information, l’instruction, la formation et le contrôle pour assurer la sécurité et la santé de leurs travailleurs. Les employeurs n’ont pas le choix.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[13]           Le demandeur soutient que, comme le comité d’appel a conclu que les réponses B et C signifiaient la même chose, il était déraisonnable et, en fait, abusif de n’accepter qu’une de ces réponses comme étant correcte, plutôt que d’accepter les deux. Le défendeur soutient que la question posée visait à savoir si le candidat savait ce qui était [traduction] « énonc[é] » à l’article 124, et qu’il était raisonnable d’accepter comme étant la réponse correcte celle qui reproduisait le libellé de l’article 124. Le demandeur convient que la réponse [traduction] « à laquelle on s’attendait », soit la réponse C, était raisonnable, mais il allègue qu’il était tout aussi raisonnable d’accepter l’autre réponse, soit la réponse B, qui avait une signification semblable.

 

[14]           À mon avis, le comité d’appel a commis une erreur dans son analyse et il a rendu une décision déraisonnable qui ne peut pas être maintenue. Selon moi, s’il avait analysé correctement la question, le comité d’appel aurait conclu que la décision du jury de sélection ne pouvait être le fait d’une personne raisonnable.

 

[15]           Le comité d’appel doit procéder à l’examen du processus de sélection en partant du principe que « la question principale soumise au comité d’appel est de savoir si le choix du candidat reçu a été effectué conformément au principe du mérite » : Blagdon c. Canada (Commission de la fonction publique, Comité d’appel), [1976] 1 C.F. 615 (C.A.F.), au paragraphe 6. Si on garde ce principe à l’esprit, le comité d’appel, avant d’examiner s’il était raisonnable qu’il y ait pour la question 4 seulement une réponse correcte à laquelle on pouvait s’attendre, aurait dû se demander quel était le but de la question du point de vue du principe du mérite. En d’autres mots, qu’est-ce que la question tentait de mesurer?

 

[16]           Le défendeur a reconnu que la question 4 ne visait pas à déterminer si le candidat avait mémorisé et pouvait réciter le libellé de l’article 124 du Code canadien du travail. S’il s’agissait du but de la question, il n’y avait alors clairement qu’une seule réponse correcte et acceptable, la réponse C. Comme l’a reconnu le défendeur, la question 4 visait plutôt à déterminer si le candidat était au courant de la nature obligatoire des obligations de l’employeur prévues à l’article 124 du Code canadien du travail. Autrement dit, le but de la question était de vérifier non pas si le candidat connaissait le libellé précis de l’article, mais bien s’il connaissait sa signification. Si la question avait visé le libellé précis de l’article, elle aurait plus précisément été formulée et aurait utilisé des mots comme l’article 124 [traduction] « est rédigé ainsi », ou toute autre formule semblable, plutôt que d’utiliser le mot [traduction] « énonce ». Plus important encore, si la question visait à déterminer si le candidat pouvait réciter le libellé précis de la loi, elle aurait bien pu être contestée au motif qu’être en mesure de réciter le Code canadien du travail ou des parties de celui-ci ne faisait pas partie des connaissances exigées pour obtenir le poste.

 

[17]           Une fois qu’il a compris le but de la question, le comité d’appel peut alors examiner s’il était raisonnable du jury de sélection de conclure qu’il n’y avait qu’une seule réponse correcte à la question, compte tenu du critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Le procureur général du Canada c. Le Comité d’appel établi par la Commission de la fonction publique, précité. 

 

[18]           Comme il a conclu que deux des réponses signifiaient exactement la même chose – les deux réponses énonçaient précisément ce qui était prescrit à l’article 124 du Code canadien du travail –, le comité d’appel devait alors se demander si une personne raisonnable accepterait uniquement une de ces réponses comme étant correcte. À mon avis, la réponse à cette question est évidente, et c’est non.

 

[19]           Dans un contexte mathématique, cela reviendrait à se demander si une personne raisonnable accepterait uniquement la réponse C comme étant correcte pour la question suivante :

À quoi équivaut 2+2? Choisissez la réponse correcte parmi celles qu’on vous propose :

A. 3+0

B. 3+1

C. 4+0

 

[20]           Comme le comité d’appel ne s’est pas penché sur le but réel de la question 4, compte tenu du principe du mérite, sa décision selon laquelle une personne raisonnable pourrait juger qu’une seule réponse à la question était correcte était, en soi, déraisonnable et ne peut être maintenue. La décision doit être annulée.

 

[21]           Les parties ont convenu que la partie qui obtiendrait gain de cause se verrait adjuger des dépens de 200 $.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 7 juin 2007 par le comité d’appel est annulée et l’appel interjeté par M. Tulk de la décision du jury de sélection est renvoyé au comité d’appel pour qu’il rende une décision conforme aux présents motifs.

2.                  Le demandeur a droit à des dépens de 200 $, plus la TPS, pour la présente demande.

 

 

 

     « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1399-07

 

INTITULÉ :                                       ANDREW TULK c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                                            JOSEPH FARRAH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 AOÛT 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 26 AOÛT 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harold L. Doherty

 

POUR LE DEMANDEUR

W. Dean Smith

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harold L. Doherty

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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