Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date :  20080818

Dossier :  IMM-4208-07

Référence :  2008 CF 952

Ottawa (Ontario), le 18 août 2008

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

LUIS DUENAS SORIANO

MONICA GABRIELA ARGUETA SAINZ

ANA DUENAS ARGUETA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), rendue le 13 septembre 2007. Le tribunal a déterminé que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Deux questions sont soulevées par les demandeurs dans la présente affaire :

a)      Le tribunal a-t-il erré en tirant des inférences négatives sur la crédibilité des demandeurs?

b)      Le tribunal a-t-il erré en concluant que les demandeurs n’ont pas renversé la présomption de protection de l’état mexicain?

 

[3]               À la suite d'une analyse du dossier, la Cour considère que le tribunal n'a pas tiré de conclusion au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Il y a donc lieu d'examiner seulement la deuxième question.

 

[4]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[5]               Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique : le demandeur est âgé de 31 ans, la demanderesse de 33 ans et l’enfant est mineur. Ils ont quitté le Mexique suite à des problèmes qui ont commencé en février 2007.

 

[6]               Le 20 février 2007, la demanderesse a remarqué une camionnette blanche qui l’a suivie alors qu’elle se rendait au cours de musique de sa fille. Le lendemain, la même camionnette l’a suivie, et elle a reçu deux appels téléphoniques de la part d’une femme qui s’enquérait où elle appelait. Le 22 février 2007, la demanderesse a encore été suivie. Le 23 février 2007, la demanderesse a encore reçu deux appels téléphoniques. La première fois, on a demandé à parler avec elle, et on a raccroché rapidement. La deuxième fois, une femme a dit à la demanderesse qu’elle était au courant de ses activités et qu’elle savait qu’elle était seule avec sa fille à tous les jours. La demanderesse a reçu plusieurs appels dans les deux jours suivants, et elle a remarqué la camionnette blanche stationnée au coin de la rue.

 

[7]               Le 25 février, les demandeurs ont reçu des appels au cours de la nuit, et ont appelé la police étatique. Les policiers sont arrivés peu de temps après et leur ont posé plusieurs questions au sujet des incidents. Les policiers leur ont dit qu’ils allaient faire des tournées dans la rue, et leur ont dit de garder l’œil ouvert.

 

[8]               Le 26 février, un homme a téléphoné et a demandé à parler à la fille mineure, leur disant qu’il devait la prendre, parce qu’il avait trouvé un acheteur pour elle. Les demandeurs ont appelé la police étatique de nouveau. Les policiers leur ont dit de loger une plainte devant le ministère public, ce qu’ils ont fait le jour même. Les demandeurs ont été obligés d’attendre à la station pendant 40 minutes avant de faire cette dénonciation. 

 

[9]               Les demandeurs ont pris la décision de quitter le Mexique afin d'assurer la sécurité de leur fille. Ils sont arrivés au Canada le 2 mars 2007 et ont demandé l’asile le même jour.

 

 

 

DÉCISION CONTESTÉE

[10]           Le tribunal a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. En particulier, le tribunal a déterminé que les demandeurs n’ont pas renversé la présomption de protection de l’État. La conclusion du tribunal est basée sur les motifs suivants :

a)      Le tribunal a noté que la demanderesse n’avait aucune idée qui était les gens qu’elle craignait. Le tribunal a pris en considération l’explication de la demanderesse à la question de savoir pourquoi elle n’a pas cherché à se réfugier ailleurs du Mexique : elle a expliqué que sa première pensée était de sortir du Mexique.

b)      Le tribunal a mentionné que les demandeurs ont quitté le Mexique à peine quatre jours après avoir fait une dénonciation au ministère public, malgré que les agents leur aient assuré qu’ils allaient enquêter et qu’ils feraient tout ce qu’ils pourraient. Le tribunal a demandé à la demanderesse si elle pensait avoir laissé une chance au ministère public de les aider. Sa réponse a aussi été notée : elle a expliqué qu’elle n’a pas donné le temps au ministère public parce qu’elle ne se sentait pas protégée. Elle a expliqué qu’elle avait entendu parler de cas similaires.

c)      Le tribunal a indiqué avoir informé les demandeurs du fardeau de preuve requise pour renverser la présomption de protection d’un État. En réponse, la demanderesse a dit que l’attitude des agents du ministère public l’a fâchée et lui a fait peur. Elle a cité, en particulier, le fait qu’ils ont dû attendre 40 minutes, pendant que les agents mangeaient avant que leur cas soit traité. Le tribunal a demandé à la demanderesse pourquoi ces gestes porteraient à croire qu’ils ne pourraient pas être protégés au Mexique, et elle a répondu que les nouvelles et les journaux rapportent des enlèvements. Le tribunal a demandé pourquoi elle n’a pas pris d’autres démarches.  Elle a répondu qu’elle avait peur et elle ne voulait pas prendre la chance de rester au Mexique avec sa fille.

d)      Le tribunal a considéré que la preuve documentaire indique qu’il y a une certaine corruption au Mexique, mais ce n’est pas toutes les autorités qui sont corrompues.  De plus, la preuve documentaire ne démontrait pas qu’il y avait effondrement complet de l’appareil étatique.

e)      Finalement, le tribunal a mentionné le fait que les demandeurs avaient un visa valable pour entrer aux États-Unis. La question a été posée à savoir pourquoi ils ont choisi de venir au Canada et non d’aller aux États-Unis. La réponse de la demanderesse était vague.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable (Chagoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 721, au paragraphe 3, [2008] A.C.F. no 908; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 57, 62, et 64).

 

[12]           Selon la Cour suprême, les éléments à considérer sont : la justification de la décision, sa transparence et son intelligibilité. Il faut que les solutions retenues puissent se justifier eu égard aux faits et au droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

Le tribunal a-t-il erré en concluant que les demandeurs n’ont pas renversé la présomption de protection de l’état mexicain?

 

[13]           Pour que cette demande de contrôle judiciaire soit accueillie, les demandeurs doivent démontrer qu’il était déraisonnable pour le tribunal de conclure que les demandeurs n’ont pas renversé la présomption de protection de l’état mexicain.

 

[14]           Les demandeurs soutiennent dans leurs argumentations écrites qu’il est bien établi que la société mexicaine dans son ensemble est corrompue. Ils allèguent que les policiers sont indifférents à la criminalité et à la corruption au sein des institutions gouvernementales. Ils soumettent également que les changements visés par la législation mexicaine anti-corruption ne sont pas atteints.

 

[15]           Pour sa part, le défendeur rappelle dans son mémoire qu’il est impératif que les demandeurs puissent démontrer par une preuve claire et convaincante que le Mexique est incapable de leur fournir la protection. (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689).

 

[16]            Le défendeur souligne aussi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’état est capable de protéger le revendicateur. La protection du pays n’a pas à être parfaite, mais seulement adéquate (Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.); Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.F.)).

 

[17]           Il ressort clairement des faits de cette cause, tels qu’admis par les demandeurs, que les autorités du Mexique ont reçu les plaintes et la dénonciation de la demanderesse au sérieux et que les officiers de l’état ont réagi de façon adéquate lorsque les demandeurs ont porté plainte. Il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les demandeurs n’ont pas démontré par une preuve claire et convaincante que le Mexique était incapable de les protéger.

 

[18]           Les demandeurs ont quitté le pays avant de donner aux autorités le temps d’agir. Les policiers ont procédé rapidement lorsque la demanderesse a appelé le 25 février 2007. Le fait que les agents du ministère public ont obligé les demandeur à attendre 40 minutes n’est pas suffisant pour indiquer que la protection de l’état n'est pas disponible.

 

[19]           Le tribunal n’a pas commis d’erreur susceptible de révision.  La décision est justifiée et intelligible, et la solution retenue en est une qui se justifie eu égard aux faits et au droit.

 

[20]           Aucune question à certifier n’a été proposée et ce dossier n'en contient aucune.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                         IMM-4208-07

 

INTITULÉ:                                        LUIS DUNAS SORIANO

                                                            MONICA GABRIELA ARGUETA SAINZ

                                                            ANA DUENAS ARGUETA 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE:                  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE:                Le 12 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               Beaudry J.

 

DATE DES MOTIFS:                       Le 18 août 2008

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Anthony Karkar                                                                       POUR LES DEMANDEURS

                                                                                               

 

Susanne Trudel                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Chantal Ianniciello                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.