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Date : 20080724

Dossier : IMM-2644-07

Référence : 2008 CF 903

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2008

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

MICHAELA CECILE LAURINE FERGUSON,

ZACCARY CLAYTON CLOUDEN,

TRAVISH NATHANIEL DENIS CLOUDEN

ET DWAYNE MICHAEL FERGUSON

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Michaela Ferguson (Michaela) et ses trois enfants mineurs (les enfants et, collectivement, les demandeurs) sollicitent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision défavorable (la décision) rendue le 8 mai 2007 par une agente d’évaluation des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR).

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               Les demandeurs, tous des citoyens de la Grenade, sont arrivés au Canada, munis de visas de visiteurs, le 12 octobre 2004 et ont présenté une demande d’asile peu de temps après, sans l’aide d’un avocat. Ils ont fondé leur demande sur les ravages qui ont été causés par l’ouragan Ivan à la Grenade en septembre 2004, notamment sur la destruction de leur maison et de l’entreprise de Michaela. Dans une décision datée du 21 juillet 2005, leur demande d’asile a été rejetée.

 

[3]               Dans leur demande d’asile, les demandeurs n’ont pas mentionné qu’ils craignaient l’ex‑conjoint de fait de Michaela (le conjoint) qui est le père de deux des enfants de cette dernière. L’existence de cette crainte a été mentionnée pour la première fois dans une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) présentée le 10 août 2006. Elle a été mentionnée à nouveau dans l’évaluation des risques avant renvoi qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[4]               Michaela prétend que son conjoint la battait et la menaçait de mort, surtout lorsqu’il était ivre ou qu’il avait consommé de la drogue. Elle prétend également qu’il a battu les enfants et que ceux‑ci avaient peur de lui et qu’ils avaient subi un traumatisme émotionnel à la suite de cette violence. Elle a produit une lettre émanant de la police confirmant que, le 24 mars 2004, elle avait signalé un incident dans le cadre duquel son époux l’avait obligée par la force à quitter son lieu de travail, l’avait battue et l’avait menacée de mort. Elle a également produit une copie d’un rapport du médecin qui avait été rédigé pour la police à la suite de son signalement de l’incident. Le rapport confirmait qu’elle avait une ecchymose importante sur son bras gauche.

 

[5]               Michaela prétend que si elle retournait à la Grenade, elle aurait besoin de l’aide de son conjoint. Elle déclare que, comme sa maison et son entreprise ont été détruits et que, comme tous ses autres parents vivent dans des abris temporaires, elle n’aurait personne d’autre à qui elle pourrait demander de l’aide financière.

 

[6]               Le 8 mai 2007, l’agente d’ERAR a rejeté la demande CH des demandeurs et a également rendu sa décision. L’agente d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que les demandeurs seraient exposés à des risques s’ils retournaient à la Grenade. L’agente d’ERAR a également conclu que, de toute façon, ils disposeraient d’une protection adéquate de l’État.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

 

[7]               Les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR a commis trois erreurs susceptibles de révision. Premièrement, elle a imposé un fardeau de preuve trop lourd. Deuxièmement, elle n’a pas examiné les aspects des craintes des demandeurs. Enfin, les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[8]               Selon moi, en vertu des principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, ces questions doivent toutes être examinées en fonction de la norme de raisonnabilité. Le fardeau de la preuve applicable et la présomption relative à la protection de l’État sont des questions juridiques qui relèvent du champ d’expertise de l’agente d’ERAR et l’importance de la crainte des demandeurs est une question de fait.

 

DISCUSSION

 

(i) Le fardeau de la preuve

 

[9]               L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour me convaincre que l’ex‑conjoint de fait de la demanderesse principale veut toujours lui faire du mal ou faire du mal aux demandeurs mineurs s’ils retournaient à la Grenade à ce moment‑ci ». Plus loin dans sa décision, l’agente d’ERAR ajoute ce qui suit : [traduction] « [l]es demandeurs ont eu l’occasion de présenter de nouveaux éléments de preuve pour me convaincre d’en arriver à une conclusion différente de celle de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais ils ne l’ont pas fait ».

 

[10]           Les demandeurs affirment que l’utilisation par l’agente d’ERAR du mot « convaincre » donne à penser qu’elle a utilisé un fardeau de preuve plus lourd que celui de la prépondérance des probabilités. Je ne souscris pas à cette affirmation. Le mot « convaincre » comme le mot « démontrer » ou le mot « persuader » est un mot qui indique que le décideur a estimé que la preuve était suffisante et fiable. La simple utilisation de ce mot n’établit pas le fardeau de la preuve. On doit plutôt examiner le contexte afin d’établir le fardeau de la preuve.

 

[11]           L’importance du contexte est illustrée dans les décisions auxquelles les demandeurs renvoient. Par exemple, dans Petrescu c. Canada (Solliciteur général) (1993), 73 F.T.R. 1, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu que l’utilisation par la Section du statut de réfugié du mot « convaincue » dans sa décision signifiait dans ce contexte « tout à fait convaincue » et imposait donc un fardeau de la preuve trop lourd. Toutefois, le juge Frederick Gibson a conclu dans la décision qu’il a rendue dans Flores c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 77 F.T.R. 137, que l’utilisation par la Section du statut de réfugié (SSR) du mot « convaincue » dans ce contexte n’imposait pas un fardeau trop lourd. L’erreur que le juge Gibson a relevée n’était pas que la SSR avait utilisé le mot « convaincue » mais qu’elle avait examiné la question de savoir si la requérante principale « courrait le risque d’être persécutée ».

 

[12]           Rien dans les mots employés ailleurs dans la décision ne permet de conclure que le mot « convaincue » est synonyme de « tout à fait convaincue » ou établit un fardeau de la preuve trop lourd. Au contraire, dans la décision, l’agente d’ERAR a décrit le critère approprié qui consistait à savoir s’il existait plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée  pour l’un des motifs prévus dans la Convention (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593).

 

(ii) Les craintes des demandeurs

 

[13]           Dans les prétentions qu’elle a soumises à l’agente d’ERAR, Michaela a affirmé ce qui suit quant à leur retour à la Grenade : [traduction] « Je serai obligée de demander l’aide du père de mes deux jeunes enfants ». La crainte des demandeurs était que cette dépendance les rendrait à la merci du conjoint de Michaela. Dans sa décision, l’agente d’ERAR a conclu ce qui suit :

[traduction]

 

Selon moi, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour me convaincre que l’ex‑conjoint de la demanderesse principale veut toujours lui faire du mal ou faire du mal aux demandeur mineurs s’ils retournaient à la Grenade à ce moment‑ci. Toutefois, même si l’ex‑conjoint de la demanderesse principale désirait toujours s’en prendre à elle ou aux demandeurs mineurs lors de leur retour à la Grenade, je conclus que, selon la preuve documentaire objective, les demandeurs disposeraient au besoin d’une protection adéquate.

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Manifestement, la question de savoir si le conjoint de Michaela désire s’en prendre aux demandeurs n’est pas pertinente compte tenu des faits en l’espèce. Je suis d’accord avec les demandeurs pour affirmer qu’il importe peu de savoir s’il s’en prendrait à eux s’ils étaient obligés de lui demander son aide.

 

[15]           Toutefois, l’utilisation de l’expression « faire du mal » dans l’extrait susmentionné s’applique au cas où ils demanderaient l’aide du conjoint. Pour ce motif, j’ai conclu que l’agente d’ERAR a bel et bien traité cet aspect des craintes des demandeurs et j’ai décidé qu’il n’existait aucune preuve objective que le conjoint leur ferait du mal si les demandeurs lui demandaient son aide.

 

[16]           Les demandeurs prétendent également que l’agente d’ERAR a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le conjoint de Michaela est le père de ses deux plus jeunes enfants. Ils prétendent que celui‑ci voudra rester en contact avec ses fils et que, par conséquent, il ne les laissera pas tranquille. Toutefois, aucun élément de preuve ne donnait à penser que le conjoint tentait de retracer les demandeurs.

 

(iii) La protection de l’État

 

[17]           L’agente d’ERAR a conclu ce qui suit :

[traduction]

 

Après avoir examiné les faits de la présente demande ainsi que la preuve documentaire figurant dans le renvoi, je conclus que le gouvernement de la Grenade ne serait pas réfractaire ou incapable de fournir, au besoin, aux demandeurs, une protection adéquate.

 

[18]           L’agente d’ERAR a renvoyé au Country Reports on Human Rights Practices – 2006 sur la Grenade du Département d’État des États‑Unis (le Rapport du Département d’État des États‑Unis) ainsi qu’à la réponse à la demande d’information GRD100710.E (la réponse), datée du 6 décembre 2005, envoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

 

[19]           En plus de renvoyer à de longs extraits du Rapport du Département d’État des États-Unis qui étayait en grande partie l’opinion selon laquelle la protection de l’État était disponible, l’agente d’ERAR a renvoyé à la conclusion de la réponse qui est ainsi libellée :

[traduction]

 

Il y a d’importants problèmes à régler en ce qui a trait à la violence conjugale à la Grenade. Cependant, les femmes qui sont victimes d’abus ne se trouvent pas sans ressources. Une femme peut demander de la protection à sa famille, à son réseau d’amis, à la police, à un organisme non gouvernemental tel que le LACC, à des services offerts par le gouvernement comme le refuge Cedars, ou elle peut disposer de recours judiciaires, soit intenter des poursuites judiciaires ou obtenir une ordonnance de protection à la cour.

 

[20]           Le problème est que l’agente d’ERAR n’a pas renvoyé à la discussion qui a précédé cette conclusion. Elle révélait qu’il y avait des limites à la protection de l’État offerte aux femmes et faisait état des difficultés auxquelles celles‑ci étaient confrontées lorsqu’elles s’adressaient aux autorités. En renvoyant tout simplement à la conclusion positive sans renvoyer à l’analyse, l’agente d’ERAR a essentiellement véhiculé une impression exagérément optimiste de la réponse.

 

[21]           Maintenant que cette erreur a été relevée, la question consiste à savoir si elle est importante, compte tenu que le Rapport du Département d’État des États-Unis étaye les conclusions de l’agente d’ERAR.

 

[22]           L’agente d’ERAR a également tenu compte des témoignages des demandeurs quant aux expériences qu’ils avaient vécues avec les autorités. Lorsque Michaela a dit à la police, le 24 mars 2004, que son conjoint l’avait agrippée et l’avait battue, les autorités ont pris l’affaire au sérieux. Ils ont pris sa déposition et l’ont envoyée subir des examens médicaux afin de confirmer l’existence de ses blessures. Aucune autre mesure n’a été prise parce que Michaela a demandé à la police de ne pas donner suite à cette affaire.

 

[23]           L’agente d’ERAR a clairement affirmé que sa conclusion relative à la protection de l’État était fondée sur une lecture attentive [traduction] « des faits de la présente demande ». L’agente d’ERAR avait le droit d’accorder une importance considérable au témoignage des demandeurs quant à leur expérience positive. Ces circonstances, conjuguées au Rapport du Département d’État des États-Unis, signifient, selon moi, que l’agente d’ERAR n’a commis aucune erreur importante en ne mentionnant pas que la preuve figurant dans la réponse était équivoque.

 

CONCLUSION

 

[24]           Je suis convaincue que l’agente d’ERAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision. Elle a appliqué le fardeau de la preuve approprié, elle a dûment pris en compte les craintes des demandeurs et elle a fondé sa décision relative à la protection de l’État sur une preuve suffisante et adéquate. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

            VU l’examen des documents déposés et l’audition des arguments des avocats des parties à Toronto, le lundi 25 février 2008;

 

 

            ET VU qu’on m’a informée qu’aucune question n’était déposée en vue de sa certification;

 

LA COUR ORDONNE DONC que, pour les motifs susmentionnés, la demande soit rejetée.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2644-07

 

INTITULÉ :                                       MICHAELA CECILE LAURINE FERGUSON,

                                                            ZACCARY CLAYTON CLOUDEN,

                                                            TRAVISH NATHANIEL DENIS CLOUDEN ET

DWAYNE MICHAEL FERGUSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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