Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
Entre :
LES LABORATOIRES SERVIER, ADIR, ORIL INDUSTRIES, SERVIER CANADA INC., SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD. et SERVIER LABORATORIES LIMITED
(défenderesses reconventionnelles)
et
APOTEX INC. et APOTEX PHARMACHEM INC.
(demanderesses reconventionnelles)
Motifs du jugement et jugement
I. Introduction
A. Aperçu
[1] Les demanderesses (présentées ci-après et collectivement appelées Servier) fabriquent, distribuent et vendent un médicament sous la marque de commerce COVERSYL, principalement utilisé pour le traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque. L'ingrédient actif du COVERSYL est le perindopril, un composé visé par le brevet canadien numéro no 1 341 196 (le brevet 196), qui est détenu par l'une des demanderesses, ADIR. Les autres demanderesses, toutes des sociétés affiliées à ADIR, participent à un aspect ou à un autre de la distribution, de la fabrication ou de la vente du COVERSYL dans divers pays, dont le Canada.
[2] Depuis au moins 2006, l'une des défenderesses, Apotex Pharmachem Inc. (Pharmachem), fabrique une version générique des comprimés de perindopril erbumine en doses de 2 mg, de 4 mg et de 8 mg à son installation de Brantford (Ontario), de même que des comprimés contenant une combinaison de perindopril erbumine et d'indapamide (un diurétique). Les produits sont vendus à l'autre défenderesse, Apotex Inc., laquelle société vend à son tour les comprimés de 8 mg au Canada et exporte les comprimés de toutes les doses et le produit combiné à des sociétés affiliées et à d'autres sociétés à l'étranger.
B. Fondement de la demande et de la demande reconventionnelle
[3] Dans la présente instance, Servier soutient que Pharmachem et Apotex Inc. (conjointement appelées Apotex) contrefont son brevet 196 par la fabrication de tous les produits de perindopril au Canada et par la vente des comprimés de 8 mg au Canada. De plus, Servier allègue qu'Apotex Inc. a incité d'autres à contrefaire le brevet 196.
[4] Dans sa défense et demande reconventionnelle, Apotex soutient qu'aucune des demanderesses, à l'exception de Servier Canada Inc. (Servier Canada) et ADIR, n'a qualité pour intenter la présente action.
[5] Bien qu'Apotex ne nie pas expressément que ses produits de perindopril sont visés par les revendications du brevet 196, elle prétend que le brevet est invalide pour les raisons suivantes :
· l'invention divulguée par le brevet 196 n'est pas inventive à la lumière des divulgations antérieures et des connaissances générales communes;
· ADIR n'était pas le premier inventeur de l'objet du brevet;
· l'utilité promise de l'invention échoue;
· la plupart des composés revendiqués n'avaient pas été fabriqués ni soumis à des tests à la date de la demande au Canada et il n'existait aucun fondement solide pour prédire qu'ils pouvaient être fabriqués et qu'ils auraient l'utilité promise.
[6] Apotex soutient de plus que la manière dont ADIR a obtenu le brevet 196 devrait la priver du droit de faire respecter ce monopole, même si le brevet était autrement valide. Au bout du compte, ADIR a obtenu le brevet 196 uniquement après des procédures en cas de conflit qui ont finalement été résolues par une entente conclue par ADIR et deux autres parties et approuvée par le tribunal. Étant donné la manière dont le brevet a été obtenu, Apotex réclame des dommages-intérêts en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C‑34 (la Loi sur la concurrence), à l'égard de la violation alléguée de l'article 45 de la Loi sur la concurrence.
[7] Finalement, Apotex fait valoir que, même si la revendication no 5, telle qu'elle est libellée aujourd'hui, du brevet 196 est par ailleurs valide, la portée appropriée du monopole accordé par le brevet n'est pas celle indiquée dans la revendication no 5 modifiée à deux reprises. Apotex soutient que la revendication no 5 modifiée à deux reprises est invalide parce qu'elle découle de deux certificats de correction qui n'ont pas été obtenus en conformité avec l'article 8 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4.
C. Aperçu des conclusions
[8] Pour les motifs exprimés dans les présents motifs du jugement et en termes très généraux, mes conclusions générales sont les suivantes :
· seules ADIR, à titre de titulaire du brevet, et Servier Canada, qui se réclame du titulaire du brevet, ont qualité pour intenter la présente action;
· le brevet 196 est valide et a été contrefait par Apotex par la fabrication, au Canada, de comprimés de 2 mg, de 4 mg et de 8 mg et de comprimés combinés et par la fabrication et la vente au Canada de comprimés de 8 mg;
· Apotex n'a pas incité d'autres à contrefaire le brevet 196;
· Apotex échoue dans sa demande de dommages-intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence.
D. Loi applicable
[9] La demande menant au brevet dans la présente instance a été déposée au Canada le 1er octobre 1981. Selon les articles 78.1 et 78.2 de la Loi sur les brevets actuellement en vigueur, les demandes de brevet déposées avant le 1er octobre 1989 doivent être traitées conformément aux dispositions de la Loi sur les brevets dans leur version antérieure à cette date. En conséquence, dans les présents motifs, les renvois à la Loi sur les brevets (appelée la Loi sur les brevets ou la Loi) seront, à moins d'indication expresse contraire, des renvois à la Loi dans sa version antérieure au 1er octobre 1989.
E. Table des matières
[10] Par souci de commodité pour le lecteur, je présente une table des matières des présents motifs du jugement.
I. Introduction .................................................................................... [1 ] à [10]
A. Aperçu .......................................................................................... [1]
B. Fondement de la demande et de la demande reconventionnelle ........ [3]
C. Aperçu des conclusions [8]
D. Loi applicable................................................................................. [9]
E. Table des matières ....................................................................... [10]
II. Les témoins.................................................................................... [11] à [38]
A. Les témoins des faits .................................................................... [12]
B. Les témoins experts....................................................................... [21]
(1) Les témoins experts de Servier.......................................... [22]
(2) Les témoins experts d'Apotex............................................ [29]
(3) Remarques générales au sujet des témoins experts............. [35]
III. Le contexte..................................................................................... [39] à [66]
A.
Renseignements
généraux concernant les inhibiteurs de l'ECA,
dont le perindopril ................................................................. [39]
(1) Généralités concernant les inhibiteurs de l'ECA.................. [39]
(2) Historique des inhibiteurs de l'ECA.................................... [43]
(3) Les travaux de Schering sur les inhibiteurs de l'ECA .......... [50]
(4) Mise au point du perindopril par ADIR.............................. [56]
(5) Procédures en cas de conflit.............................................. [63]
IV. La qualité pour agir......................................................................... [67] à [95]
A. Aperçu......................................................................................... [67]
B. Disposition légale.......................................................................... [69]
C. Jurisprudence et principes.............................................................. [70]
D. La preuve présentée à la Cour....................................................... [78]
E. Conclusion.................................................................................... [95]
V. L'interprétation des revendications................................................. [96] à [133]
A. Le droit en matière d'interprétation de revendications..................... [96]
B. Application des principes en l'espèce........................................... [101]
(1) Personne versée dans l'art............................................... [101]
(2) Interprétation des revendications en litige......................... [105]
a) Description......................................................... [108]
b) Les revendications en litige.................................. [120]
(3) Argument d'Apotex selon lequel il n'y a qu'une seule « invention » [125]
VI. La contrefaçon............................................................................ [134] à [173]
A. Aperçu....................................................................................... [134]
B. Contrefaçon directe..................................................................... [135]
C. Incitation..................................................................................... [139]
(1) Critère applicable à l'incitation......................................... [141]
(2) L'acte de
contrefaçon a-t-il été exécuté par le
contrefacteur directement?............................................... [142]
D. Exonérations de responsabilité..................................................... [161]
(1) Dispositions légales......................................................... [161]
(2) Usage à des fins expérimentales et réglementaires............. [162]
(3) Autres exonérations......................................................... [169]
(4) Conclusion concernant les exonérations........................... [172]
VII. Les corrections apportées à la revendication no 5......................... [174] à [222]
A. Aperçu....................................................................................... [174]
B. Contexte de la question............................................................... [177]
C. Pouvoir conféré au commissaire par la Loi................................... [186]
D. Apotex doit-elle procéder par voie de contrôle judiciaire?............ [187]
E. Norme de contrôle applicable à une décision du commissaire....... [199]
F. L'une ou l'autre des décisions du commissaire était‑elle déraisonnable? [210]
G. Conclusion concernant cette question........................................... [222]
VIII. L'évidence.................................................................................. [223] à [266]
A. Droit applicable........................................................................... [223]
B. L'état de la technique................................................................... [229]
C. La position des parties................................................................. [241]
D. Application du droit aux faits....................................................... [244]
(1) Évidence du bicycle 6,5................................................... [244]
a) L'invention.......................................................... [248]
b) La personne versée dans l'art............................... [251]
c) Les connaissances............................................... [252]
d) Le climat régnant dans le domaine........................ [253]
e) La motivation...................................................... [257]
f) Le temps et les efforts......................................... [260]
g) Le succès commercial......................................... [261]
h) Les prix et autres récompenses............................ [262]
(2) Évidence de la chaîne latérale alkyle linéaire..................... [264]
E. Conclusion.................................................................................. [266]
IX. L'utilité........................................................................................ [267] à [343]
A. Aperçu....................................................................................... [267]
B. Promesse du brevet..................................................................... [273]
(1) Position d'Apotex............................................................ [274]
(2) Position de Servier.......................................................... [278]
(3) Analyse........................................................................... [281]
C. L'article de M. Vincent paru en 1992........................................... [295]
(1) Le contexte de l'article de M. Vincent paru en 1992......... [296]
(2) Le tableau I dans l'article de M. Vincent paru en 1992..... [301]
(3) L'aveu de M. Laubie....................................................... [304]
(4) L'objet de l'article de M. Vincent paru en 1992................ [311]
(5) Données sous-jacentes.................................................... [314]
(6) Le témoignage de M. Vincent.......................................... [317]
(7) Conclusion
à l'égard de l'article de M. Vincent paru
en 1992.......................................................................... [319]
D. Le rapport des tests du Dr Gavras............................................... [320]
(1) Description des tests....................................................... [321]
(2) Argument d'Apotex......................................................... [329]
(3) Hypothèse sous-jacente d'Apotex................................... [330]
(4) Problèmes liés à la méthode d'analyse.............................. [331]
(5) Conclusion concernant le rapport du Dr Gavras................ [342]
E. Conclusion concernant l'utilité...................................................... [343]
X. La prédiction valable................................................................... [344] à [380]
A. Aperçu....................................................................................... [344]
B. Prédiction de l'utilité des composés (R,R,R)................................. [352]
C. Les composés « trans » [369]
D. Conclusion ................................................................................. [380]
XI. La paternité de l'invention............................................................ [381] à [456]
A. Aperçu....................................................................................... [381]
B. Cadre légal pertinent en vertu de la Loi sur les brevets................ [385]
C. L'interprétation de l'alinéa 61(1)b)............................................... [393]
(1) Observations de nature générale et position des parties.... [393]
(2) Le contexte des procédures en cas de conflit................... [399]
(3) L'intention du législateur................................................... [404]
(4) L'objet de la Loi sur les brevets..................................... [411]
(5) Jurisprudence pertinente.................................................. [417]
(6) Conclusion concernant cette question............................... [426]
D. Y
avait-il un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure
en cas de conflit? ............................................................... [428]
E. Qui était le premier inventeur du brevet 196?............................... [440]
F. Résumé de la question concernant la paternité de l'invention......... [456]
XII. La demande en vertu de la Loi sur la concurrence..................... [457] à [494]
A. Aperçu....................................................................................... [457]
B. Dispositions légales pertinentes.................................................... [460]
C. L'existence du brevet comme obstacle......................................... [463]
D. Délai de prescription................................................................... [479]
E. Conclusion.................................................................................. [491]
XIII. Les réparations........................................................................... [495] à [517]
A. Aperçu....................................................................................... [495]
B. Ordonnance de disjonction.......................................................... [497]
C. Injonction permanente................................................................. [498]
D. Dommages-intérêts ou bénéfices.................................................. [502]
E. Intérêts....................................................................................... [512]
F. Dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.................................. [514]
G. Conclusion.................................................................................. [516]
XIV. Conclusion d'ensemble............................................................................ [518]
II. Les témoins
[11] Au cours des 30 jours de témoignages dans le présent procès, la Cour a entendu plusieurs témoins, tant des témoins des faits que des témoins experts. Dans les paragraphes qui suivent, je présenterai un bref aperçu de ces témoins et des sujets à l'égard desquels ils ont témoigné. Des précisions supplémentaires concernant les éléments de preuve seront fournies au besoin et tout au long des présents motifs.
A. Les témoins des faits
[12] Servier a présenté plusieurs employés du groupe de sociétés Servier (appelé le Groupe Servier) comme témoins des faits :
· M. Michael Sumpter est le chef de la direction de Servier Canada. Son témoignage portait sur les activités d'exploitation de Servier Canada et sur sa relation avec les entités du Groupe Servier. M. Sumpter a aussi comparu plus tard dans l'instance pour discuter des stratégies de mise en marché de Servier Canada.
· Mme Sylvie Jaguelin, directeur des brevets chez Les Laboratoires Servier (LLS), est entrée au Groupe Servier en 1985. Elle a parlé de son rôle durant les procédures en cas de conflit, les discussions concernant le règlement et les corrections apportées ultérieurement à la revendication no 5 du brevet 196.
· M. Yves Langourieux est l'actuel directeur général de Servier International et le responsable des activités du Groupe Servier pour un secteur géographique formé par l'Amérique du Nord, l'Europe du Nord, l'Europe centrale et l'Europe de l'Est. Il travaille au Groupe Servier depuis 1977. Outre son témoignage au procès, il a fait l'objet d'un interrogatoire préalable par Apotex au cours du processus préalable au procès. Son témoignage a porté sur la structure d'entreprise du Groupe Servier.
· M. Guillaume de Nanteuil est le directeur de la Division de la chimie médicinale du Groupe Servier. Il a présenté, sous forme de pièces commerciales, et a expliqué plusieurs notes de laboratoire et de travail liées à la mise au point du perindopril. Comme témoin, M. de Nanteuil a également été soumis à un interrogatoire préalable.
[13] Servier a aussi fait comparaître M. Michel Vincent, qui est l'un des inventeurs nommés du brevet 196. M. Vincent a pris sa retraite du Groupe Servier. Son témoignage a porté sur son rôle dans l'invention, y compris les travaux de laboratoire menant à la demande de brevet et les travaux de laboratoire qu'il a poursuivis après la demande.
[14] Apotex a fait entendre plusieurs témoins qui ont traité de la mise au point des composés génériques du perindopril par Apotex, des étapes de la formulation dans la production du perindopril, des tests expérimentaux et de l'utilisation du perindopril. Il s'agissait des personnes suivantes : M. Stephen Horne, vice-président de la recherche et du développement chez Pharmachem, M. Donald John Barber, directeur des formulations chez Apotex Inc., M. John Leslie Hems, directeur des affaires réglementaires chez Apotex Inc., et M. Lance Lovelock, vice‑président de la qualité chez Apotex Inc.
[15] Le témoignage de plusieurs dirigeants ou employés d'Apotex a porté sur la structure d'entreprise d'Apotex et ses activités :
· M. Bernard Sherman est le fondateur d'Apotex. Son témoignage a porté sur plusieurs sujets, notamment : le processus de mise au point des produits d'Apotex, le rôle des sociétés étrangères affiliées, les installations de fabrication d'Apotex en Inde et les marchés du perindopril et des inhibiteurs de l'ECA.
· M. Colin Darroch est le directeur général d'Apotex U.K. Ltd. (Apotex UK). Il a exposé les arrangements contractuels mis en place avec Apotex Inc. pour la vente du perindopril au Royaume‑Uni.
· M. Roger Millichamp est le directeur général d'Apotex Pty Ltd. (auparavant GenRx Pty Ltd. et appelée GenRx). Il a exposé les arrangements mis en place avec Apotex Inc. pour la vente du perindopril en Australie, le processus de réglementation en Australie (notamment les approbations nécessaires pour la production du perindopril dans les installations d'Apotex en Inde) et les litiges en Australie auxquels GenRx et Servier sont parties.
· M. Gordon Fahner est le vice-président des finances d'Apotex Inc. Comme témoin, il a été très utile et a donné des renseignements sur les activités mondiales d'Apotex Inc. et de ses sociétés affiliées, d'un point de vue financier. Son témoignage a également porté sur les opérations de transport concernant les ventes étrangères aux sociétés affiliées.
[16] Me J. Nelson Landry a comparu comme témoin des faits d'Apotex après avoir été assigné. Me Landry, maintenant avocat chez Ogilvy Renault, était l'avocat inscrit au dossier et l'agent de brevets de Servier pendant les procédures en cas de conflit. Il a traité de deux questions connexes : a) la traduction de la revendication no 5 de l'anglais au français, pour les besoins du brevet 196; b) les deux corrections apportées à la revendication no 5 du brevet 196. L'assignation à comparaître à l'intention de Me Landry a fait l'objet d'une requête présentée à la Cour; cette requête a été examinée dans la décision Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 FC 321.
[17] Mme Elizabeth Smith était un témoin des faits qui a comparu à Newark (New Jersey), en vertu d'une commission rogatoire de la Cour, demandée par Apotex. Mme Smith, qui était et est une employée de Schering Corporation (Schering), est l'un des inventeurs nommés dans le brevet canadien numéro no 1 341 206 (le brevet 206). Le brevet 206 a été délivré à Schering à la suite des procédures en cas de conflit et d'une ordonnance sur consentement rendue par le juge Nadon (analysées plus loin dans les présents motifs). Son témoignage portait sur sa participation dans l'élaboration des revendications de Schering qui ont fait partie des procédures en cas de conflit et sur son rôle dans ces procédures.
[18] Après avoir été assigné, Me Joel Patrick Roche a comparu comme témoin des faits d'Apotex. Il était l'avocat de la demanderesse, Sheila Wilson, dans un recours collectif intenté devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dossier du tribunal no 98‑CV‑158832. Les défendeurs nommés dans cette instance incluaient plusieurs entités qui font partie du Groupe Servier.
[19] Par souci d'exhaustivité, je mentionne deux témoins des faits d'Apotex dont le témoignage n'a pas été mentionné dans l'argumentation finale. M. Edward Lee-Ruff, professeur à l'Université York, et Mme Gabriella Mladenova, étudiante postdoctorale à l'Université York, ont mené certaines expériences, à la demande de l'avocat d'Apotex. Les expériences étaient destinées à recréer les résultats du brevet 196.
[20] Un autre témoin d'Apotex dont le témoignage n'a pas été expressément mentionné lors de l'argumentation finale était Mme Nadia Corelli‑Rennie, superviseur des Projets spéciaux chez Pharmachem. Elle a présenté les échantillons des composés qui ont été envoyés au Dr Gavras, un expert d'Apotex, pour des tests.
B. Les témoins experts
[21] Comme il s'agit d'une action en contrefaçon de brevet, accompagnée de demandes reconventionnelles portant sur l'invalidité et sur des infractions à la Loi sur la concurrence, les experts présentés à la fois par Apotex et Servier ont été très utiles à la Cour. Pour les besoins de la présente section introductive des motifs, je fournirai une très brève description des études et de l'expérience des témoins et des domaines à l'égard desquels la Cour les a jugés compétents.
(1) Les témoins experts de Servier
[22] M. Paul Bartlett est professeur émérite de chimie à l'Université de Californie à Berkeley. La Cour a reconnu les compétences de M. Bartlett comme expert en synthèse chimique et comme chimiste médicinal. Pour ce qui est des questions qui demeuraient en suspens à la fin du procès, son témoignage a été particulièrement pertinent concernant l'interprétation des revendications, la contrefaçon, l'utilité, la prédiction valable, l'évidence et la paternité de l'invention.
[23] M. Barry Trost est professeur de chimie à l'Université Stanford. La Cour l'a reconnu comme expert en chimie organique synthétique, notamment les procédés de fabrication des composés ayant une utilisation médicinale. Le témoignage de M. Trost a été particulièrement pertinent concernant les questions de l'évidence et de la prédiction valable.
[24] M. Christopher Cimarusti a pris sa retraite de Bristol‑Myers Squibb (Squibb) en 2006 après avoir travaillé pendant 37 ans dans l'industrie pharmaceutique. Depuis 2006, il agit à titre de conseil auprès de l'industrie pharmaceutique et biotechnologique. Il a été reconnu comme expert en chimie organique synthétique ayant des connaissances et une expérience particulières en chimie médicinale. Il est utile de souligner que M. Cimarusti a travaillé avec MM. Ondetti et Cushman chez Squibb au moment où les scientifiques de Squibb ont inventé le captopril, le premier inhibiteur de l'ECA. Ses opinions et son témoignage ont été particulièrement utiles concernant les questions de l'interprétation des revendications, de l'utilité, de l'évidence, de la prédiction valable et de la paternité de l'invention.
[25] M. Morris Karmazyn a été déclaré expert en pharmacologie cardiovasculaire, y compris le rôle du système rénine-angiotensine dans la fonction cardiaque et les méthodes expérimentales in vivo et in vitro utilisées pour évaluer l'activité biologique des composés. Son témoignage d'expert a principalement porté sur les expériences réalisées par le Dr Gavras (voir ci‑dessous). Ainsi, son témoignage est très pertinent en ce qui a trait à la question de l'utilité.
[26] M. Zola Horovitz a été reconnu comme expert en pharmacologie ayant une expérience spécialisée dans les domaines de l'hypertension et de l'inhibition de l'ECA. Depuis 1994, lorsqu'il a pris sa retraite après 35 années chez Squibb, M. Horovitz exerce les fonctions de conseil, principalement auprès de l'industrie pharmaceutique. En 1967, il a démarré le programme de recherche de Squibb qui a mené à la mise au point du captopril. Il a travaillé avec MM. Ondetti et Cushman. Outre ses observations concernant les expériences réalisées par le Dr Gavras, et donc la question de l'utilité, M. Horovitz a témoigné à propos des questions de l'évidence et de la prédiction valable.
[27] M. Aslam Anis est professeur de santé et d'économie à l'Université de la Colombie‑Britannique, à la Faculté de médecine. Il a été déclaré expert en économie de la santé possédant une expertise particulière en ce qui a trait au marché pharmaceutique et à la concurrence au sein de ce marché. Son témoignage a été utile à la Cour concernant la question de la violation alléguée de la Loi sur la concurrence.
[28] M. Iain Cockburn est un deuxième économiste dont Servier a retenu les services pour témoigner sur la question de la violation alléguée de la Loi sur la concurrence. Il a été reconnu comme expert en économie de la santé possédant une expertise spécialisée en économétrie, en fixation des prix et en modélisation de la demande dans les marchés pharmaceutiques.
(2) Les témoins experts d'Apotex
[29] M. Garland Marshall est professeur de biochimie et de biophysique moléculaire à l'Université Washington. Il a été reconnu compétent pour donner un témoignage d'expert à titre de chimiste médicinal spécialisé dans les domaines du système rénine‑angiotensine, de la pharmacologie cardiovasculaire et de l'hypertension et, dans ces domaines, plus particulièrement à l'égard de l'ECA, de l'angiotensine I, de l'angiotensine II, des inhibiteurs de l'ECA et de la reconnaissance moléculaire. Dans le présent procès, son témoignage a principalement porté sur les questions de l'utilité, de la prédiction valable, de l'évidence et de la paternité de l'invention.
[30] M. Eugene Thorsett est chimiste dans le domaine de la synthèse chimique organique. En 1975, il s'est joint à Merck & Co., Inc. (Merck) dans ses laboratoires de recherche à Rahway (New Jersey). M. Thorsett était chez Merck en 1980 lorsque Merck a initialement divulgué l'énalapril. La Cour a reconnu ses compétences pour donner un témoignage d'expert à l'égard de la chimie organique, plus particulièrement la synthèse chimique organique et la chimie organique physique en ce qu'elle se rapporte à la découverte de médicaments et à la conception d'inhibiteurs d'enzymes, surtout les enzymes protéolytiques de la catégorie des métalloprotéases à zinc telles que l'ECA. Il a également été reconnu comme expert dans la mise au point préclinique de médicaments. Son témoignage a principalement porté sur les questions de l'utilité, de la prédiction valable et de l'évidence.
[31] M. Robert McClelland est titulaire d'un doctorat en chimie de l'Université de Toronto, où il a été professeur permanent au Département de chimie de 1980 à 2005. Il a été reconnu compétent pour témoigner à titre d'expert en chimie organique physique, notamment en ce qui concerne les intermédiaires réactionnels générés dans la substitution nucléophile et les réactions d'addition, de même qu'en chimie biologique et médicinale, plus particulièrement en ce qui a trait aux propriétés de médicaments hétérocycliques et à la synthèse de nouveaux analogues. Tout en reconnaissant les compétences de M. McClelland, je constate qu'il a beaucoup moins d'expérience de travail dans le domaine de l'inhibition de l'ECA que les autres experts en chimie. Son témoignage a porté sur les questions de l'évidence, de l'utilité, de la prédiction valable et de la paternité de l'invention.
[32] Le Dr Haralambos Gavras, médecin, est professeur de médecine à la Faculté de médecine de l'Université de Boston. Il participe étroitement au traitement des maladies cardiovasculaires depuis au moins 1972. La Cour a reconnu le Dr Gavras comme expert dans le traitement des maladies cardiovasculaires, notamment l'hypertension et l'insuffisance cardiaque chronique, ainsi que l'utilisation pharmacologique des inhibiteurs de l'ECA. Il a fourni à la Cour des renseignements généraux très utiles sur la mise au point des inhibiteurs de l'ECA et les divers traitements de l'hypertension. Toutefois, son témoignage visait principalement à traiter la question de l'utilité et à faire rapport sur ses expériences avec certains composés inclus dans la revendication no 3 du brevet 196.
[33] Le Dr Hans Brunner, médecin possédant une vaste expérience dans le domaine des maladies cardiovasculaires, a été appelé par Apotex, en réplique, pour répondre aux critiques concernant la méthodologie des tests du Dr Gavras. La Cour l'a reconnu comme expert dans le traitement des maladies cardiovasculaires, notamment l'hypertension et l'insuffisance cardiaque chronique, ainsi que l'utilisation et la pharmacologie des inhibiteurs de l'ECA.
[34] M. Aidan Hollis est professeur agrégé d'économie à l'Université de Calgary. Même si sa thèse de doctorat n'avait pas de lien avec l'économie de la santé, M. Hollis a fait de la consultation au sein de l'industrie pharmaceutique et y a donné des conseils. Il a été reconnu comme expert en économie possédant une expertise spécialisée en organisation industrielle et en économie de la réglementation, notamment en ce qui concerne les marchés pharmaceutiques et la concurrence qui s'y pratique. À l'instar de MM. Anis et Cockburn, les opinions et le témoignage d'expert de M. Hollis ont porté sur la question de la violation alléguée de la Loi sur la concurrence. Il est revenu après les comparutions de MM. Anis et Cockburn lors de la réplique d'Apotex.
(3) Remarques générales au sujet des témoins experts
[35] Au cours du procès, les deux parties ont fait des commentaires concernant la solidité des compétences ou du témoignage des témoins de la partie adverse. Pour ce qui est de l'évidence, par exemple, Apotex et Servier ont toutes deux soutenu que les experts de l'autre partie examinaient la question a posteriori. La neutralité de plus d'un témoin a été contestée. Dans la mesure où je dois traiter des critiques individuelles lorsque j'examine des aspects particuliers du témoignage, je le ferai. Je souhaiterais toutefois faire quelques remarques d'ordre général.
[36] Les témoins experts sont choisis par les parties à un litige. Il est évident qu'une partie ne présentera pas un expert qui n'est pas d'accord avec la position de cette partie au litige. Il arrive fréquemment qu'un expert qui a comparu pour le compte d'une société de médicaments génériques dans un litige ne comparaîtra pas comme expert d'une société pharmaceutique dans le litige suivant. L'inverse est également vrai. Cependant, cette pratique ne signifie pas, à mon avis, que le témoignage des experts qui comparaissent devant la Cour est entaché d'une partialité inhérente. Les experts que j'ai eu le plaisir d'entendre dans le présent procès étaient tous éminemment compétents dans leur domaine et ont présenté leurs opinions de manière professionnelle. Cela n'a empêché aucun d'entre eux de défendre ses opinions avec vigueur et de critiquer directement les experts qui avaient des opinions contraires.
[37] Je souhaite faire une observation directe concernant les critiques générales dirigées contre MM. Bartlett, Cimarusti et Trost. Dans sa plaidoirie finale, l'avocat d'Apotex a fait valoir ce qui suit :
[TRADUCTION]
Mais je ferai valoir, Madame le juge, que si [vous] examinez le témoignage des trois principaux experts de mes collègues, MM. Cimarusti, Bartlett et Trost, vous conclurez, à mon avis, qu'ils manquaient d'objectivité, qu'ils jouaient le rôle de plaideurs, et qu'ils ont constamment, constamment fourni de l'information à l'appui de la position qu'ils défendaient.
L'avocat a alors présenté une liste de renvois aux pages de la transcription pour chacun de ces trois témoins qui, à son avis, indiquaient [TRADUCTION] « la défense de leur position, une absence d'objectivité, de même que des erreurs, de même que des contradictions... ».
[38] Je ne suis pas d'accord avec la description du témoignage de ces trois experts par l'avocat. Je reconnaîtrai que, dans son rapport, M. Bartlett s'est permis d'utiliser des mots non professionnels pour décrire le témoignage des experts qui n'étaient pas d'accord avec lui. Il ne lui était pas nécessaire de le faire. De plus, M. Trost a parfois semblé éviter certaines questions pendant le contre‑interrogatoire. J'ai dû intervenir pour lui parler. Je ne conclus pas que le problème est si important à l'égard de ces deux témoins que je devrais négliger leurs opinions. Je pense également que, si les avocats de Servier avaient cherché des exemples de prises de défense de positions, de manque d'objectivité, d'erreurs et de contradictions concernant les experts d'Apotex, leur liste aurait été tout aussi longue.
III. Le contexte
A. Renseignements généraux concernant les inhibiteurs de l'ECA, dont le perindopril
(1) Généralités concernant les inhibiteurs de l'ECA
[39] Les experts ne divergeaient pas d'opinion en ce qui concerne les aspects de la chimie organique et de la biochimie s'appliquant à la présente instance. Voici une brève description de la preuve relative à ces aspects.
[40] Les acides aminés sont les éléments constitutifs de base de la matière vivante. Lorsque des nombres et des groupements variés de ces acides aminés se combinent dans diverses configurations, des structures plus grosses appelées peptides se forment. Les acides aminés sont reliés entre eux par des liaisons peptidiques. Les protéines sont des groupements encore plus gros qui peuvent être formés à partir de ces acides.
[41] Les enzymes présentes dans le corps facilitent la transformation de matériaux tels que les protéines et les peptides en d'autres matériaux. L'enzyme qui nous intéresse en l'espèce est l'enzyme de conversion de l'angiotensine (ECA). L'ECA peut se lier à un composé appelé angiotensine I pour produire l'angiotensine II. Cette conversion a pour effet d'élever la pression artérielle par constriction des vaisseaux sanguins.
[42] Les médicaments dont il est question dans la présente instance, notamment le perindopril, l'énalapril, le captopril, le lisinopril et le quinapril, sont tous des « inhibiteurs de l'ECA ». Les inhibiteurs de l'ECA, tels que le perindopril, se lient à l'ECA pour prévenir la conversion de l'angiotensine I en angiotensine II, ce qui contribue à abaisser la pression artérielle.
(2) Historique des inhibiteurs de l'ECA
[43] Un certain nombre d'experts dans ce procès étaient présents à divers moments cruciaux de l'histoire des inhibiteurs de l'ECA et ont fourni des témoignages très utiles. Un certain nombre des articles produits en preuve ont été éclairants. Je résume cette preuve dans les paragraphes qui suivent.
[44] M. Horovitz, qui a travaillé pour Squibb à partir de 1967, a présenté dans son rapport un excellent résumé des débuts des inhibiteurs de l'ECA. L'histoire commence à la fin des années 1960, au moment où des scientifiques se mettent à étudier le venin d'un serpent indigène du Brésil, Bothrops jararaca, en raison du fait que l'on savait qu'il réduisait la tension artérielle. Des scientifiques de la société Squibb ont isolé le composé actif et synthétisé un peptide appelé téprotide. Le téprotide a d'abord été testé chez des sujets humains en 1973 et s'est révélé efficace comme agent antihypertenseur chez l'humain. Toutefois, le téprotide n'était efficace que par administration intraveineuse.
[45] La transformation du téprotide en un inhibiteur de l'ECA efficace par voie orale est le fruit des travaux d'une équipe de scientifiques travaillant pour Squibb, dont faisaient partie MM. Miguel Ondetti et David Cushman. La structure précise de l'ECA n'était pas connue à cette époque, mais les scientifiques de Squibb ont été en mesure de formuler certaines hypothèses éclairées concernant un modèle opératoire de l'ECA dans le corps humain, s'appuyant sur ce qu'on connaissait d'une autre enzyme appelée carboxypeptidase A. Selon M. Horovitz, une des premières mesures prises par les scientifiques de Squibb a été d'inclure un groupe carboxyle (HO2C) à l'extrémité de la molécule de téprotide en se basant sur les réalisations antérieures associées à la carboxypeptidase A. Puis, ils ont ajouté un groupe CH2 au squelette. Ensuite, les scientifiques ont introduit un groupe sulfhydryle (SH) en position terminale au lieu du groupe carboxyle. C'est ainsi qu'est né le captopril, la première petite molécule efficace par voie orale qui inhibait l'ECA. Comme l'a déclaré M. Horovitz, [TRADUCTION] « après presque dix ans de travail et l'analyse de milliers de composés, Squibb a finalement obtenu un médicament qui pouvait être utilisé pour le traitement de l'hypertension et était actif par voie orale ». La structure du captopril est indiquée ci‑dessous :
Captopril
[46] Bien que le captopril représente une innovation de taille, la présence de l'atome de soufre causait de graves effets secondaires chez certaines personnes. Un des experts, M. Thorsett, a travaillé pour Merck à partir de 1975 et pendant la période palpitante qui a suivi; il nous a raconté ce qui est arrivé par la suite.
[47] Pour contrer le problème des effets secondaires, les scientifiques de Merck (y compris M. Patchett) ont tenté principalement d'enlever le groupe sulfhydryle (SH) (aussi connu sous le nom de groupe thiol). C'est ainsi que l'énalapril a été créé. Selon M. Marshall, qui a témoigné comme expert à ce sujet, l'énalapril [TRADUCTION] « conservait l'unité C‑terminale Ala‑Pro, mais le groupe sulfhydryl‑méthylène (HSCH2-) dans le captopril était remplacé par un groupe N‑carboxyalkyle ». Bien qu'on ne retrouve pas le groupe sulfuré du captopril dans l'énalapril, ce qui est demeuré constant dans les deux produits, c'est la présence de l'unité proline ou de la structure cyclique à cinq membres située du côté droit du composé. Ce nouvel inhibiteur de l'ECA avait trois stéréocentres, qui étaient tous de configuration (S). En 1980, au moment où les résultats des travaux des scientifiques ont été confirmés, il y avait de l'électricité dans l'air chez Merck, selon M. Thorsett. La structure de l'énalapril est illustrée ci‑dessous :
Énalapril
[48] Le 18 juin 1980, à l'occasion d'un congrès sur la chimie médicinale à Troy (New York) (le congrès de Troy), M. Patchett a présenté le nouvel inhibiteur de l'ECA de Merck. La divulgation faite par Merck au congrès de Troy était attendue avec impatience par les scientifiques dont les travaux portaient sur les inhibiteurs de l'ECA. Les scientifiques de plusieurs sociétés pharmaceutiques avaient réalisé d'importants projets de recherche pour développer de nouveaux médicaments inhibiteurs de l'ECA. M. Vincent, de Servier, et Mme Smith, de Schering, se trouvaient parmi ces scientifiques. Tous deux avaient réalisé des travaux préliminaires qui, espéraient‑ils, pouvaient s'ajouter à la divulgation de Merck ou y être incorporés.
[49] Comme nous le verrons plus en détail plus loin dans les présents motifs, M. Vincent et Mme Smith ont tous deux effectué des travaux qui ont mené aux molécules qui ont donné le ramipril (Mme Smith) et le perindopril (M. Vincent).
(3) Les travaux de Schering sur les inhibiteurs de l'ECA
[50] Même si plus de précisions seront apportées dans la présente décision concernant les travaux de mise au point effectués par Schering à la fin des années 1970 et au début des années 1980, il est utile ici d'avoir un aperçu de la nature des travaux de recherche qui étaient réalisés par Schering et qui ont mené à la demande de ce qui deviendrait le brevet 206 et le ramipril. La preuve présentée par Mme Elizabeth Smith, à la fois sous forme de témoignage et par affidavit, a été utile.
[51] Avant l'annonce faite par Merck au congrès de Troy en juin 1980, des scientifiques de la société Schering, dont Mme Smith, essayaient de mettre au point un composé antihypertenseur qui serait plus efficace que le captopril. Alors que les travaux de Merck portaient sur l'élimination du groupe thiol, ceux de Schering étaient axés sur un aspect différent de la molécule de captopril, à savoir l'unité proline. À la fin de 1979 ou au début de 1980, Mme Smith et ses collègues ont constaté que le remplacement de la proline dans le captopril par certains cycles fusionnés ou spirocycles produisait des composés actifs.
[52] Par suite de la divulgation de Merck au congrès de Troy, les scientifiques de Schering ont décidé d'essayer de créer des composés en s'inspirant en partie des travaux de Merck sur l'extrémité thiol de la molécule, mais en utilisant aussi les cycles fusionnés que Schering avait déjà étudiés relativement à l'extrémité proline de la molécule. Autrement dit, les scientifiques de Schering ont décidé d'essayer d'utiliser diverses structures bicycliques au lieu de la proline sur une molécule de type énalapril. Ce projet a été documenté dans un rapport de divulgation d'invention daté du 20 juin 1980. Selon Mme Smith, ce rapport illustre la structure générale des composés dans ce qui allait devenir le brevet 206.
[53] Au cours des mois suivants, Mme Smith et les autres scientifiques de Schering ont fabriqué plusieurs de ces composés en utilisant différentes structures bicycliques. Les tests initiaux effectués sur ces composés ont montré que ceux‑ci présentaient une activité d'inhibition de l'ECA.
[54] Durant toute cette époque, Mme Smith et ses collègues ont continué de créer et d'évaluer d'autres composés en employant la structure bicyclique couplée au « squelette » de type énalapril de Merck. Un des composés créés durant cette période, le SCH 31335, contenait des molécules ayant un cycle perhydroindole à l'extrémité proline. Des tests pharmacologiques préliminaires ont révélé que le SCH 31335 était actif in vitro et in vivo.
[55] Le 20 octobre 1981, Schering a présenté une demande de protection par un brevet au Canada pour ses travaux dans ce domaine. Sa demande a mené à la délivrance du brevet 206 en mars 2001. Le brevet 206 concerne la molécule appelée ramipril, un composé qui a été commercialisé avec beaucoup de succès. La structure du ramipril est illustrée ci‑dessous :
(4) Mise au point du perindopril par ADIR
[56] M. Vincent a retracé pour la Cour la genèse du perindopril au sein du Groupe Servier. Il a décrit comment les travaux de Servier sur les inhibiteurs de l'ECA ont débuté en 1977 après l'invention du captopril. Ses premiers travaux sur les inhibiteurs de l'ECA remontent à 1978. M. Vincent a mis l'accent sur la portion proline du captopril, avançant l'hypothèse que la proline pourrait être remplacée par un substituant plus gros.
[57] Servier a tenu un registre de la synthèse et de l'analyse des composés qu'elle a créés durant cette période dans des documents appelés « feuilles S »; les feuilles S sont elles‑mêmes classées par série. Elles ont été déposées en preuve par un autre témoin, M. de Nanteuil.
[58] M. Vincent a tenté pour la première fois de trouver une meilleure molécule de type captopril avec la série V‑812. Ses travaux sur la série V‑812 se sont poursuivis tout au long de l'hiver 1979‑1980. Le 27 février 1980, les scientifiques avaient synthétisé le S‑8935, le premier composé à contenir l'acide perhydroindole carboxylique au lieu de la proline. Le cycle perhydroindole comporte, à sa base, une structure bicyclique 6,5 avec trois centres chiraux – deux en tête de pont (positions 3a et 7a) et une en position C2, où est fixé un groupe acide carboxylique (‑COOH). Les résultats des tests ont montré que le composé était très actif. Le S‑8935‑1 a été déterminant dans la recherche de M. Vincent. C'est à ce moment qu'il a pris conscience de la « grande importance » de la chiralité du composé qu'il était en train de synthétiser et qu'il a décidé de concentrer ses efforts futurs sur le perhydroindole.
[59] Pendant ce temps, les connaissances scientifiques progressaient sans cesse à l'extérieur de la société Servier. La divulgation de l'énalapril par Merck au congrès de Troy a eu un effet immédiat sur M. Vincent, qui est retourné dans son laboratoire et a intégré dans un nouveau programme les résultats divulgués lors de la conférence; la série V‑827 a alors vu le jour.
[60] À partir d'août 1980, M. Vincent a synthétisé et a évalué un certain nombre de composés faisant partie de cette série. Deux de ces composés, le S‑9178‑1 et le S‑9179‑1, synthétisés le 26 août 1980, combinaient une substitution de la proline par un bicycle avec le squelette de Merck et une chaîne latérale se terminant par un méthyle.
[61] Après qu'un certain nombre d'autres composés eurent été synthétisés, avec des résultats variés, le composé S‑9332‑1 a été synthétisé et envoyé pour subir des tests le 4 décembre 1980. Ce composé, qui contenait une variation du squelette de Merck avec une chaîne latérale de « dicyclopropylméthyle », a obtenu des résultats moyens aux tests. Peu après, le S‑9352‑1 a été synthétisé et transmis pour des tests le 22 décembre 1980. Aux dires de M. Vincent, le S‑9352‑1, « un éther éthylique », a pavé la voie à son utilisation d'une chaîne latérale entre le méthyle et le phénéthyle.
[62] Le premier composé important produit en 1981, le S‑9490‑1, créé le 6 avril 1981, combinait le perhydroindole et le squelette de Merck, mais utilisait un propyle sur la chaîne latérale. Les résultats des tests in vivo étaient excellents – meilleurs que ceux obtenus avec le captopril et l'énalapril. À la suite de cette percée, M. Vincent a déclaré à M. Laubie, un autre chercheur faisant partie des inventeurs nommés du brevet 196 : « Voilà un produit qu'il vaudrait le coup de commercialiser. » Les travaux sur ce composé, qui ne semblait pas être un stéréoisomère pur, n'en sont pas restés là. Dans les semaines qui ont suivi, le S‑9490‑1 a été soumis à des analyses plus approfondies. Le 22 mai 1981, une analyse chromatographique a révélé que le composé était en fait un isomère de configuration exclusivement (S). Le 1er septembre 1981, une forme maléate du composé (S‑9490‑2) a été envoyée pour des tests, mais les résultats n'étaient pas très prometteurs; le composé n'était simplement pas assez stable pour être commercialisable. Le même jour, cependant, une version sous forme de sel de configuration exclusivement (S), le S‑9490‑3, a été testée. Le perindopril avait été synthétisé et testé avec succès.
(5) Procédures en cas de conflit
[63] Le processus suivi pour breveter les travaux de Servier a commencé, au Canada, le 1er octobre 1981, lorsque ADIR a déposé la demande no 387 093 (la demande 093). Dans des demandes distinctes, d'autres demandeurs ont également revendiqué la délivrance de brevets protégeant certains composés. Plus précisément, Schering a déposé la demande de brevet no 388 336 (la demande 336) et Hoechst Aktiengesellschaft (société remplacée par Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et appelée Hoechst) a déposé la demande de brevet no 384 787 (la demande 787). Comme le prévoyait la Loi sur les brevets, certaines des revendications contenues dans la demande 093 ont été confrontées à celles d'autres demandes. Voici, sous forme de tableau, les détails concernant les demandes et les revendications concurrentes :
Demanderesse |
Numéro de la demande |
Date de la demande |
Revendications concurrentes |
ADIR |
la demande 093 |
le 1er octobre 1981 |
C19, C25 à C28, C33, C34, C39 et C40 |
Schering |
la demande 336 |
le 20 octobre 1981 |
C19, C39 et C40 |
Hoechst |
la demande 787 |
le 28 août 1981 |
C19, C25 à C28 |
Hoechst |
418 453 (la demande 453) |
le 23 décembre 1982 |
C33 et C34 |
[64] Dans quatre décisions en date du 8 août 1996, le commissaire aux brevets (le commissaire) a rendu ses décisions sur la paternité des inventions, conformément au paragraphe 43(7) de la Loi sur les brevets. Les conclusions du commissaire sont résumées dans le tableau ci-après.
Numéro de la revendication |
Date de la première invention |
Revendication attribuée à : |
Revendications rejetées |
C19 |
le 8 août 1980 |
Schering (demande 336) |
ADIR (demande 093) Hoechst (demande 787) |
C25, C27 |
le 8 mai 1981 |
Hoechst (demande 787) |
ADIR (demande 093) |
C26, C28 |
le 2 octobre 1980 |
ADIR (demande 093) |
Hoechst (demande 787) |
C33 |
le 8 octobre 1981 |
Hoechst (demande 453) |
ADIR (demande 093) |
C34 |
le 29 décembre 1981 |
Hoechst (demande 453) |
ADIR (demande 093) |
C39, C40 |
le 8 août 1980 |
Schering (demande 336) |
ADIR (demande 093) |
[65] Conformément au paragraphe 43(8) de la Loi sur les brevets, les parties ont introduit six actions demandant à la Cour fédérale de déterminer leurs droits respectifs relativement aux éléments visés par les revendications concurrentes. Toutes les instances ont été réunies dans le dossier T‑228‑97 de la Cour à la suite d'une ordonnance rendue le 27 mai 1997 par le juge Joyal (l'ordonnance du juge Joyal). Cette ordonnance prévoyait que chaque partie avait le droit de contester tout aspect de toute décision du commissaire concernant l'attribution d'une revendication déclarée en conflit entre les parties, peu importe que la partie ait participé directement ou non aux procédures en cas de conflit devant le Bureau des brevets à l'égard de cette revendication en particulier.
[66] Une fois les examens préalables terminés, ADIR, Hoechst et Schering ont signé un procès‑verbal du règlement dans lequel elles convenaient de régler l'instance réunie. Peu après, le 12 décembre 2000, une ordonnance sur consentement a été prononcée par le juge Nadon (l'ordonnance du juge Nadon) qui prévoyait la répartition des revendications entre les trois parties. Plus précisément, elle prévoyait que, compte tenu de la demande 093, ADIR avait droit à la délivrance d'un brevet limité aux revendications indiquées dans l'annexe A du procès-verbal du règlement. En fin de compte, le résultat des revendications attribuées à ADIR a été le brevet 196.
IV. La qualité pour agir
A. Aperçu
[67] Apotex conteste la qualité de toutes les demanderesses à l'exception de deux, soit ADIR et Servier Canada, pour intenter la présente action. ADIR est la titulaire nommée du brevet 196 et Servier Canada exploite les droits de brevet au Canada. Toutes les autres demanderesses, à savoir LLS, Oril Industries (Oril), Servier Laboratories (Australia) Pty Ltd. (Servier Australia) et Servier Laboratories Limited (Servier UK) (collectivement appelées les demanderesses étrangères autres qu'ADIR) n'« exploitent » pas le brevet 196 au Canada, selon la prétention d'Apotex. Apotex soutient que les demanderesses étrangères autres qu'ADIR se sont jointes à la présente action pour tenter de recouvrer les frais d'activités de commercialisation dans les ressorts étrangers où les brevets correspondant au brevet 196 avaient expiré.
[68] Pour sa part, Servier fait valoir que chaque demanderesse étrangère autre qu'ADIR détient une licence implicite pour « exploiter » le brevet 196 et que par conséquent, chacune d'elles répond aux exigences de la qualité pour intenter la présente action, comme le prévoit le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.
B. Disposition légale
[69] Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets contient la disposition qui accorde aux demanderesses étrangères autres qu'ADIR la capacité de réclamer des dommages-intérêts. Cette disposition de la Loi sur les brevets est rédigée comme suit :
55(1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, des tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne. [Non souligné dans l'original.] |
55(1) Any person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under him for all damages sustained by the patentee or by any person, by reason of the infringement. [Emphasis added.] |
C. Jurisprudence et principes
[70] Le critère applicable pour déterminer qui est une personne se réclamant du breveté n'est pas simplement la question de savoir si le breveté a consenti à ce que la personne se joigne comme demanderesse à une action, pas plus qu'il est suffisant de démontrer que les parties sont liées. Dans chaque cas, les faits doivent montrer un fondement crédible et suffisant en droit pour se réclamer d'un breveté (JAY‑LOR International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 59 C.P.R. (4th) 228 (C.F.), aux paragraphes 31 et 36 (JAY‑LOR)).
[71] Dans l'arrêt Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée, [1993] 1 C.F. 341, no A‑949‑92, 21 décembre 1992, 46 C.P.R. (3d) 199 (C.A.F.), aux pages 210 et 211, la Cour d'appel fédérale a statué ainsi :
[...] une personne « se réclamant » du breveté est une personne qui tire du breveté son droit d'utilisation de l'invention brevetée, à quelque degré que ce soit. Le droit d'employer une invention en est un dont le monopole est conféré par un brevet. Lorsque la violation de ce droit est alléguée par une personne qui peut directement faire remonter son titre jusqu'au breveté, cette personne « se réclame » du breveté. Peu importe le moyen technique par lequel le droit d'utilisation peut avoir été acquis. Il peut s'agir d'une cession directe ou d'une licence. Comme je l'ai indiqué, il peut s'agir de la vente d'un article constituant une réalisation de l'invention. Il peut également s'agir de la location de l'invention. Ce qui importe est que le réclamant invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit puisse remonter au breveté. [...]
[72] Plus récemment, dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., no T‑3197‑90, 25 mars 1998, 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), inf. pour d'autres motifs, [2001] 1 C.F. 495, 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), conf. par [2002] 4 R.C.S. 153 (Wellcome (C.F. 1re inst.)), la Cour a examiné le lien entre deux sociétés liées qui alléguaient la contrefaçon d'un brevet et a fourni une analyse utile sur la question du droit de revendiquer des droits en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Dans cette affaire, le breveté était Wellcome Foundation Ltd. (Wellcome). Glaxo Wellcome Inc. (GWI) fabriquait, distribuait et vendait le produit breveté au Canada et soutenait qu'elle avait le droit d'intenter une action en contrefaçon parce qu'elle détenait de la société Wellcome une licence exclusive implicite pour l'importation, la fabrication, l'utilisation et la vente de l'invention exposée dans le brevet. Bien qu'aucune licence écrite n'ait été présentée pour montrer que GWI était titulaire d'une licence, GWI soutenait que la licence était implicite.
[73] Dans l'affaire Wellcome (C.F. 1re inst.), les demanderesses faisaient valoir que GWI avait omis d'établir, comme il lui incombait de le faire, qu'elle avait qualité pour agir selon le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Le juge Wetston a examiné les éléments de preuve concernant les pratiques d'exploitation des sociétés GWI et Wellcome, qui étaient toutes deux la propriété de Glaxo Wellcome plc, qui les dirigeait :
M. Jenkins a témoigné que, selon la politique générale au sein du groupe en matière de licences, la Wellcome Foundation Ltd. a concédé par licence le brevet de l'AZT à une société qui s'appelait alors Burroughs Wellcome Inc. Il a déclaré que, au sein de la société, les licences étaient rarement écrites et étaient généralement implicites, sauf dans les cas de filiales qui n'étaient pas en propriété exclusive. Il a encore dit que, d'ordinaire, la politique suivie était de donner une licence implicite exclusive. Il a également témoigné que cette situation subsiste encore aujourd'hui.
M. Jenkins a également témoigné qu'il n'existe pas de documents sociaux confirmant cette politique sur la concession de licences. En outre, il a déclaré que la concession d'une licence implicite n'était précédée d'aucune discussion et qu'on ne prenait pas de mesures avant la prise d'effet de la licence. Il a même été plaidé qu'avant les deux fusions les deux groupes avaient la même pratique à l'égard de l'utilisation des licences implicites et que, si on avait eu quelque inquiétude sur le statut de filiale de GWI, la licence aurait été mise par écrit. (Wellcome (C.F. 1re inst.), précité, aux paragraphes 365 et 366).
[74] Compte tenu de son examen des faits dans cette affaire, le juge Wetston a conclu, au paragraphe 367, que « GWI est en mesure d'établir un intérêt dont la source remonte au breveté du fait des pratiques concernant la concession de licences implicites au sein du groupe de sociétés contrôlé par Glaxo Wellcome plc ».
[75] En appel, cette conclusion particulière du juge Wetston a été maintenue. Dans son jugement, le juge Rothstein a fait l'observation suivante :
Peut-être est-il indiqué de faire remarquer qu'en l'espèce, la présumée titulaire de licence n'est pas la seule à ester en justice pour contrefaçon de brevet, la brevetée également s'adresse à la Cour comme codemanderesse et appuie la revendication de GWI. Il est difficile de concevoir ce qu'on pourrait demander de plus. Lorsque la brevetée et la personne se réclamant de celle-ci sont toutes deux parties à l'action, sont affiliées parce que toutes deux détenues par la même société mère et ont le même intérêt relativement au litige — la brevetée appuyant la demande de la personne se réclamant d'elle — il est surprenant, c'est le moins qu'on puisse dire, que des arguments techniques relatifs à la qualité pour agir soient avancés comme moyen de défense à une action en contrefaçon.
(Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495, 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), au paragraphe 99 (Wellcome (C.A.F.)), conf. par [2002] 4 R.C.S. 153.)
[76] Dans la décision JAY‑LOR, précitée, la Cour a conclu qu'il existait une licence implicite entre JAY‑LOR International Inc., la titulaire du brevet en cause, et JAY‑LOR Fabricating Inc., la société qui fabriquait et vendait l'équipement breveté au Canada et aux États‑Unis. Les principaux faits étayant cette conclusion étaient les suivants : a) les deux sociétés étaient dirigées par la même personne; b) aucune autre licence n'avait été concédée, soit explicitement soit implicitement, à un tiers; c) les deux sociétés avaient structuré leurs activités d'une manière compatible avec une relation de licencié‑concédant de licence (JAY‑LOR, précité, au paragraphe 37).
[77] En résumé, la jurisprudence canadienne a donné une interprétation large à l'expression « personne se réclamant » du breveté. La capacité d'une partie de se réclamer d'un breveté n'exige pas nécessairement l'existence d'une licence accordée expressément. En l'absence d'une licence de ce genre, chaque cause sera tranchée suivant les faits de l'espèce pour décider s'il existe une licence implicite ou un autre droit qui permet à une partie de se réclamer du breveté.
D. La preuve présentée à la Cour
[78] Compte tenu de ces principes, j'examine maintenant les éléments de preuve dont la Cour est saisie.
[79] Je commence par examiner les éléments de preuve à propos du lien entre le breveté et chacune des demanderesses étrangères autres qu'ADIR. M. Yves Langourieux, le directeur général de Servier International, a témoigné au sujet des liens entre les diverses sociétés. Les divers postes que M. Langourieux a occupés au sein du groupe de sociétés Servier sont une indication de l'étroitesse des relations d'entreprise. Outre le fait qu'il occupe le poste de directeur général de Servier International, il est président de Servier Canada et siège au conseil d'administration de Servier UK et de Servier Australia. Servier International est détenue à 100 % par LLS. M. Langourieux relève de M. John Phillip Seta, vice-président de l'exploitation du groupe de sociétés Servier. M. Seta relève directement du Dr Jacques‑Paul Servier, le fondateur, président et unique propriétaire de ce qui est appelé le Groupe Servier. M. Langourieux a présenté en preuve un organigramme du Groupe Servier. L'organigramme appuie le témoignage de M. Langourieux au sujet des liens entre les sociétés et montre que la propriété de chacune des demanderesses (y compris ADIR, Servier Canada et les demanderesses étrangères autres qu'ADIR) remonte à 100 % au Dr Servier lui-même. Je suis convaincue que chacune des demanderesses, y compris les demanderesses étrangères autres qu'ADIR, fait partie d'un groupe de sociétés familiales à actionnariat restreint. De plus, compte tenu du témoignage de M. Langourieux, je reconnais que le Dr Servier fixe les politiques et directives générales du Groupe Servier.
[80] Malgré cet actionnariat restreint, je n'irai pas jusqu'à dire que le Groupe Servier constitue une entité unique, comme l'a exposé M. Langourieux. L'existence même de sociétés distinctes au sein de la famille est la preuve qu'il y a plus d'une entité. Pour des raisons qui lui appartiennent, le Dr Servier a décidé de créer plusieurs sociétés distinctes pour remplir diverses fonctions séparées. À titre d'exemple, Servier Canada exerce ses activités au Canada. Selon M. Langourieux :
[TRADUCTION]
Le rôle de Servier Canada est de commercialiser, de promouvoir les ventes et de distribuer les produits Servier sur le marché canadien [...] Pour Servier Canada uniquement.
[81] M. Langourieux a confirmé qu'aucune demanderesse étrangère autre qu'ADIR ne fabrique, ne propose à la vente, ni n'importe au Canada de composant revendiqué dans le brevet 196. Il a également reconnu que chaque filiale dans un pays donné se concentre sur la promotion, la commercialisation et l'enregistrement du produit dans son ressort. Par exemple, Servier UK assure la promotion, la commercialisation, la vente et la distribution des médicaments du Groupe Servier uniquement sur le marché du Royaume‑Uni. Je n'ai vu aucune preuve que Servier Canada vend du perindopril au Royaume‑Uni. Servier UK existe à cette fin. Servier Australia assure la promotion, la commercialisation, la vente et la distribution des produits Servier sur les marchés australien et néo‑zélandais. La fabrication de l'ingrédient actif du COVERSYL est réalisée par Oril Industries en France. Ainsi, la preuve montre que les sociétés affiliées du Groupe Servier n'exercent pas d'activités en tant qu'unité unique. Chacune a son propre champ d'activités et ses propres responsabilités au sein du Groupe Servier. Néanmoins, les demanderesses étrangères autres qu'ADIR pourraient quand même répondre aux exigences du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, grâce à une licence ou à un autre arrangement du même genre.
[82] Ainsi que je l'ai déjà signalé, la simple existence d'un lien entre des sociétés n'est pas une preuve concluante d'un droit en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Il doit y avoir plus. La jurisprudence a, de façon constante, présenté cet élément supplémentaire comme une « licence » ou quelque autre arrangement (par exemple, un bail, une cession ou une vente) qui accorderait à la société affiliée le droit d'utiliser le brevet.
[83] En l'espèce, aucune licence n'a été expressément accordée en vertu de laquelle Servier Canada ou les demanderesses étrangères autres qu'ADIR ont le droit explicite d'utiliser le brevet 196. Servier soutient toutefois que toutes les sociétés du Groupe Servier détiennent une licence implicite d'utiliser le brevet 196. Partant de là, Servier fait valoir que Servier Canada et les demanderesses étrangères autres qu'ADIR ont des liens qui répondent aux exigences du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets (comme dans les décisions Wellcome (C.F. 1re inst.) et JAY‑LOR, précitées). J'examine maintenant les éléments de preuve pour vérifier si cette affirmation est étayée par la preuve.
[84] À mon avis, les faits présentés constituent une preuve convaincante de l'existence d'une licence implicite accordée à Servier Canada. Comme dans la décision JAY‑LOR, ADIR et Servier Canada sont dirigées par la même entité. La relation est semblable à celle dans la décision Wellcome (C.F. 1re inst.), dans laquelle la partie se réclamant du breveté exploite le brevet au Canada. Apotex ne conteste pas la qualité pour agir de Servier Canada dans la présente action.
[85] La situation concernant les demanderesses étrangères autres qu'ADIR suscite plus de difficultés.
[86] Dans son témoignage, M. Langourieux a présenté une [TRADUCTION] « politique collective », en vertu de laquelle des licences implicites, non écrites, sont accordées [TRADUCTION] « à tous nos services pour qu'ils exercent leurs activités » :
[TRADUCTION]
Q. D'accord. J'aimerais que vous expliquiez à la Cour comment il se fait que Servier Canada a le droit d'utiliser le 196, d'exploiter le brevet 196.
R. Dans les faits, cela est lié à la politique générale du Groupe Servier et cette politique est dictée par le Dr Servier. Servier se voit comme une entreprise mondiale unique qui — dans chaque filiale, et encore ici c'est la volonté du Dr Servier — chaque filiale a le droit d'utiliser tous les brevets du Groupe Servier à des fins commerciales pour son propre usage.
Q. Ainsi, à défaut d'une meilleure expression, on pourrait appeler cela une politique concernant les brevets, si vous voulez?
R. C'est la position du Dr Servier concernant les brevets. C'est une politique concernant les brevets, oui.
Q. D'accord. Et cette politique concernant les brevets est‑elle consignée par écrit?
R. Non, celle-ci n'est pas écrite. Encore une fois, c'est la notion de ce groupe mondial unique avec des filiales ayant le droit d'utiliser, de profiter du brevet des sociétés Servier à l'échelle mondiale. Nous sommes une organisation privée qui appartient à un seul homme, le Dr Servier. Toutes les décisions et les politiques passent par le haut. Il prend les décisions et établit les politiques, et les filiales mettent ces politiques en oeuvre par la suite.
Q. Et par conséquent, ce que cela veut dire, c'est que Servier UK, Servier UK par exemple, a accès aux brevets de toutes les autres entités de Servier. Est-ce que cela serait exact?
R. Oui, elle y aurait accès. C'est exact.
Q. C'est la même chose pour Servier Australia?
R. C'est la même chose pour Servier Australia.
Q. LLS?
R. LLS.
Q. Oril Industrie?
R. Oril Industrie, et toutes les sociétés Servier.
Q. Cette politique non écrite, comme vous l'avez expliquée ou désignée, est-ce une chose qui — est-elle communiquée aux dirigeants des filiales locales, comme Servier Canada, Servier UK, Servier Australia?
R. Pas nécessairement. Cette politique est connue de la haute direction de la société, mais pour le déroulement de leurs activités, il n'est pas nécessaire que les chefs de la direction, les directeurs généraux connaissent les détails de leur politique. Leurs tâches, leur responsabilité est de faire croître les activités de leur entreprise, c'est‑à‑dire veiller à ce que nos médicaments soient reconnus et connus pour leurs avantages par les médecins, les médecins qui savent comment les utiliser, comment les prescrire, et à ce que les patients, les patients locaux au Canada et en Australie bénéficient des avantages de nos médicaments.
[87] Malgré la description de la politique collective qu'a présentée M. Langourieux, je ne suis pas d'accord que les faits établissent l'existence d'une licence implicite dotée d'une portée aussi grande que celle soutenue par Servier.
[88] Comme les éléments de preuve le démontrent, aucune demanderesse étrangère autre qu'ADIR n'exerce d'activités au Canada. Dans sa plaidoirie finale, l'avocat de Servier a tenté de réfuter les arguments d'Apotex concernant l'utilisation des brevets par les demanderesses étrangères autres qu'ADIR au moyen de l'exemple hypothétique suivant :
[TRADUCTION]
Il est tout à fait possible d'envisager que si Servier Australia n'avait plus de perindopril et que Servier Canada en avait trop, que Servier Australia achèterait le perindopril du Canada, ou même au Canada.
La position de mon collègue soit empêcherait cette situation de se produire, parce que Servier Australia ne détiendrait pas une licence au Canada, soit ferait que tout le monde s'arrêterait pour négocier une sous‑licence en vertu du brevet 196, ou on ferait intervenir ADIR pour accorder une licence à Servier Australia en vertu du brevet canadien.
Cela est illogique [...] lorsque l'on examine la manière dont le groupe de sociétés Servier se perçoit et exerce ses activités.
[89] Ce raisonnement pose deux problèmes. Premièrement, il n'est fondé sur aucun élément de preuve selon lequel cela se serait déjà produit dans l'histoire du Groupe Servier; il s'agit d'une pure hypothèse. Deuxièmement, il n'est pas du tout [TRADUCTION] « illogique » d'exiger que des sociétés affiliées signent un document quelconque pour établir des droits juridiques.
[90] De plus, aucune de ces demanderesses n'a eu besoin d'une licence à l'égard du brevet 196 parce qu'aucune activité étrangère se rapportant à la fabrication, à l'utilisation ou à la vente de perindopril ne peut constituer une contrefaçon du brevet 196.
[91] Manifestement, les demanderesses étrangères autres qu'ADIR n'utilisent pas le brevet 196 au Canada ou ailleurs. Elles n'ont pas besoin qu'ADIR leur accorde une licence à l'égard de ce brevet. Il est exagéré de dire que les demanderesses étrangères autres qu'ADIR sont parties à une licence implicite pour le brevet 196 lorsqu'une telle licence n'est pas exigée.
[92] Une action antérieure devant la Cour supérieure de l'Ontario, dans laquelle certaines sociétés du Groupe Servier étaient défenderesses, étaye aussi la conclusion qu'il n'existe pas de licence implicite. De façon plus précise, dans les années 1970 et 1980, Servier, comme elle l'avait fait à l'échelle mondiale, a commercialisé au Canada un médicament pour la perte de poids connu sous le nom de Ponderal (fenfluramine) et de Redux (dexfenfluramine). Compte tenu d'allégations d'effets secondaires graves, Servier était exposée à des réclamations en responsabilité du fait d'un produit à l'étranger et au Canada. Un recours collectif a été intenté à la Cour supérieure de justice de l'Ontario au nom de Sheila Wilson (dossier du tribunal no 98‑CV‑158832, appelé le recours Wilson). Les défenderesses de l'action étaient désignées comme Servier Canada, LLS, Servier Amérique, Institut de recherches internationales Servier, Science Union et cie, Oril S.A. et Biofarma S.A. Lorsqu'au cours de l'examen préalable il a été demandé de [TRADUCTION] « produire tous les accords de licence régissant les relations entre Servier Canada d'une part et LLS, Science Union et Cie, Oril ou Biofarma, ou l'une d'entre elles d'autre part, de 1978 à septembre 1997 concernant le Ponderal ou le Redux », la réponse a été la suivante : [TRADUCTION] « Une telle entente n'existe pas. »
[93] Dans une motion déposée ultérieurement, la demanderesse souhaitait ajouter d'autres sociétés apparentées (Servier Monde, par exemple). Diverses entités étrangères Servier, notamment LLS, Oril et ADIR, ont contesté la compétence du tribunal canadien à leur égard, au motif, entre autres, qu'elles [TRADUCTION] « n'exercent pas d'activités au Canada et qu'en tant que telles, elles ne sont pas assujetties à la compétence de la Cour ».
[94] Ces réponses sont en contradiction avec les éléments de preuve dont je suis saisie dans la présente action, tels que M. Langourieux les a fournis. Je constate tout d'abord que la plupart des défenderesses désignées dans le recours Wilson, sinon toutes, ont été incluses dans l'organigramme du Groupe Servier. Selon le témoignage de M. Langourieux, toutes ces sociétés avaient [TRADUCTION] « le droit d'utiliser, de profiter du brevet » en cause dans le recours Wilson; elles avaient une licence implicite. Cependant, lorsqu'elles ont été poursuivies, ces sociétés affiliées étrangères ont présenté des observations claires et non équivoques à la Cour selon lesquelles elles n'étaient pas des titulaires de licence. Il me semble que, si une licence existait et qu'elle s'appliquait à tous les brevets du Groupe Servier, elle s'appliquerait aux brevets visant le Ponderal ou le Redux. De plus, le fait que certaines sociétés affiliées à Servier aient nié qu'elles exercent des activités au Canada est contraire à l'opinion de M. Langourieux selon laquelle toutes les sociétés affiliées fonctionnent comme une seule entité.
E. Conclusion
[95] En résumé, la preuve dont je suis saisie n'étaye pas l'affirmation des demanderesses de ce qui est, essentiellement, une licence ouverte mondiale entre les sociétés. Je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que les demanderesses étrangères autres qu'ADIR détiennent une licence pour utiliser le brevet 196 ni qu'elles peuvent autrement se réclamer du breveté, ADIR. Je conclus que ces sociétés n'ont pas qualité pour intenter la présente action.
V. L'interprétation des revendications
A. Le droit en matière d'interprétation de revendications
[96] Lors d'une action en matière de brevets, la première étape est l'interprétation des revendications. Les principes à appliquer à l'interprétation des brevets ont été énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool), et exigent que la Cour interprète les revendications contestées en fonction de l'objet du brevet « pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité et pour cerner les limites du monopole » (Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 586, au paragraphe 49, conf. par 2007 CAF 278 (Dimplex)). De plus, au besoin, tout le brevet doit être interprété et non seulement les revendications (Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, au paragraphe 25, Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm ltée, 2007 CF 596, au paragraphe 103).
[97] Il appartient à la Cour de trancher la question de l'interprétation des revendications. La Cour devrait interpréter les revendications à la lumière de la description dans le mémoire descriptif, avec l'aide, si c'est nécessaire, de preuve d'experts pour ce qui concerne la signification des termes techniques, s'ils ne peuvent être compris à la lecture du mémoire (Shire Biochem Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538, au paragraphe 22 (Shire), Whirlpool, précité, au paragraphe 45).
[98] Il est également important de reconnaître que l'interprétation téléologique devrait porter sur les points en litige entre les parties. Voici ce que dit le juge Hughes dans la décision Shire, précitée, au paragraphe 21 :
Cependant, la Cour ne peut interpréter une revendication dans l'ignorance de l'objet du litige entre les parties. Comme l'écrivait le juge Floyd de la Haute Cour d'Angleterre et du Pays de Galles (Chambre des brevets) aux paragraphes 7 à 11 de Qualcomm Incorporated v Nokia Corporation [2008] EWHC 329 (Pat), citant la décision Nokia v Interdigital Technology Corporation [2007] EWHC 3077 (Pat), due au défunt juge Pumfrey (qui devait plus tard être promu à la Cour d'appel), [TRADUCTION] « il est essentiel [...] de voir où le bât blesse, de manière à pouvoir se concentrer sur les points importants ».
[99] En tout temps, l'interprétation téléologique exige que la Cour interprète les revendications du point de vue d'une personne ordinaire versée dans l'art (Whirlpool, précité, aux paragraphes 45 et 53). De plus, lorsqu'un brevet est de nature hautement technique, la personne versée dans l'art possédera un niveau élevé de connaissances scientifiques spécialisées et d'expertise dans le domaine scientifique particulier dont relève le brevet (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, au paragraphe 64, conf. par 2006 CAF 64, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 31414, 3 août 2006, [2006] C.S.C.R. no 136 (Aventis Pharma), Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., no T‑2870‑96, 23 avril 1999, [1999] A.C.F. no 548 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 38).
[100] Enfin, comme le brevet 196 a été délivré en vertu de l'ancienne Loi sur les brevets, les revendications en litige doivent être interprétées à la date à laquelle le brevet a été délivré (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 36).
B. Application des principes en l'espèce
(1) Personne versée dans l'art
[101] Apotex soutient que la personne versée dans l'art du brevet 196 est un chimiste médicinal, un formulateur pharmaceutique, un biochimiste, un pharmacologue ou un médecin, qui possède de l'expérience dans le traitement de l'hypertension ou de l'insuffisance cardiaque chez les humains, ou des deux. De plus, la personne versée dans l'art est titulaire d'au moins une maîtrise, avec plusieurs années d'expérience.
[102] Pour sa part, Servier fait valoir qu'il n'existe pas de véritable litige en ce qui concerne la personne versée dans l'art, qu'elle définit comme une personne titulaire d'un doctorat en chimie (chimie organique synthétique ou chimie médicinale) ou en pharmacologie ou une personne qui détient un diplôme en médecine. À l'instar d'Apotex, Servier précise cette définition en disant que la personne possède [TRADUCTION] « une certaine expérience pertinente ».
[103] Après avoir examiné les observations des parties et le libellé du mémoire descriptif du brevet 196, je suis convaincue que la personne versée dans l'art inclut des personnes qui répondent à ces deux définitions. En conséquence, je décrirais la personne à qui le brevet 196 s'adresse comme une personne possédant au moins quelques années d'expérience en milieu universitaire ou dans l'industrie dans son domaine et titulaire d'une maîtrise ou d'un doctorat en chimie organique synthétique, en chimie médicinale, en pharmacologie ou en biochimie ou un médecin possédant plusieurs années d'expérience dans le traitement de l'hypertension ou de l'insuffisance cardiaque chez les humains.
[104] Bien que, selon le témoignage de certains témoins experts, une expérience plus précise soit requise afin de comprendre le brevet 196, je suis convaincue que la définition fournie ci-dessus correspond à « une attitude équitable et ouverte quant aux qualités qui font qu'une personne est versée dans l'art » (Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, au paragraphe 90, conf. par 2007 CAF 217, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32200, 6 décembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 442 (Janssen‑Ortho)).
(2) Interprétation des revendications en litige
[105] Je commence par faire quelques brèves observations préliminaires.
[106] Premièrement, les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196 sont en cause dans la présente instance. La date de délivrance, et par conséquent la date d'interprétation de ces revendications, est le 6 mars 2001 pour les revendications nos 1 à 3 et le 14 mai 2001 pour la revendication no 5. La date plus tardive pour la revendication no 5 provient des deux corrections qui sont survenues après la délivrance initiale.
[107] Deuxièmement, le brevet 196 est rédigé en français. L'importance de cet aspect deviendra apparente plus loin dans les présents motifs.
a) Description
[108] J'examine maintenant la description du brevet 196.
[109] La description du brevet commence à la page 1, laquelle expose ce qui suit :
La présente invention a pour objet de nouveaux imino diacides substitués, plus précisément des acides azabicycloalcane dicarboxyliques substitués et leur procédé de préparation.
Spécifiquement, l'invention concerne les composés répondant à la formule générale :
dans laquelle :
le cycle A est saturé et n = 0 ou 1, ou bien le cycle A est benzénique et n = 1,
R1 représente un groupe alkyle inférieur de 1 à 4 atomes de carbone pouvant porter un groupe amino,
R2 représente un atome d'hydrogène ou un groupe alkyle de 1 à 4 atomes de carbone,
R3 représente un groupe alkyle linéaire ou ramifié, mono‑ ou di‑cycloalkyl‑alkyle ou phényl‑alkyle ayant au plus au total 9 atomes de carbone, ou bien un groupe alkyle substitué de formule :
- (CH2)p - Y - CH – R5
│
R4
avec R4 = H, alkyle inférieur (C1 à C4) ou cycloalkyle (de C3 à C6)
R5 = H, alkyle inférieur (C1 à C4), cycloalkyle (C3 à C6) ou alcoxycarbonyle,
Y = S ou > N – Q où Q = H, acétyle ou benzyloxycarbonyle, et
p = 1 ou 2, et
q = 0 ou 1.
[110] Autrement dit, la page 1 du brevet 196 attire l'attention du lecteur versé dans l'art sur le fait que l'« objet » du brevet 196 concerne des imino diacides substitués, plus précisément des acides azabicycloalcane dicarboxyliques substitués. De façon encore plus précise, le brevet 196 « concerne » des composés dont la structure est conforme à la formule générale I. Les composés inclus varient selon : le cycle A (qui peut être saturé ou non saturé), la taille de l'autre cycle (qui varie selon que n = 0 ou 1), la nature des groupes R1, R2 et R3, et la longueur de la chaîne latérale (qui varie selon que q = 0 ou 1).
[111] Le nombre de composés visés par la formule générale I augmente encore lorsqu'on lit, à la page 2 du brevet 196, que les sels thérapeutiquement compatibles sont également inclus. En outre, la description indique que les composés pertinents comporteront un nombre variable de centres chiraux et que l'invention alléguée englobe également les composés racémiques ainsi que les diastéréoisomères et les énantiomères :
Les composés de formule (I) comportent au moins 3 atomes de carbone asymétrique. Selon la position des substituants et le degré d'hydrogénation, il existe 3 à 6 centres d'asymétrie. Les composés racémiques peuvent être dédoublés en leurs mélanges diastéréoisomères ou d'épimères, ou dédoublés en leurs énantiomères de manière connue. Ces divers isomères font partie de l'invention de même que les composés racémiques.
[112] La page 2 du brevet 196 attire ensuite l'attention du lecteur versé dans l'art sur les dérivés du perhydroindole correspondant à des composés de formule différente :
L'invention comprend plus particulièrement les dérivés du perhydroindole (formule I; A est saturé et n = 0) répondant à la formule générale :
dans laquelle les symboles R1, R2 et R3 ont la même signification que dans la formule (I), sous leur forme racémique ou d'isomères optiques, ainsi que leurs sels obtenus avec des acides ou des bases thérapeutiquement compatibles.
[113] Cette formule (la formule générale I') est en fait un sous‑ensemble de la formule générale I, où le système cyclique sur la partie C‑terminale de la formule générale I est expressément limité à un perhydroindole.
[114] Une série de composés préférés est ensuite indiquée; R1 dans la formule générale I' « peut être utilement » un radical méthyle, et R3 dans la formule générale I' inclut des alkyles linéaires comme l'indiquait précédemment la formule générale I, mais n'inclut pas de phénéthyle. Toutefois, comme l'ont reconnu les experts tant d'Apotex que de Servier, cette série de composés préférés ne correspond à aucune des revendications du brevet 196.
[115] La prochaine partie importante de la description débute à la page 3, où l'on expose l'utilité de l'invention prétendue. Les paragraphes de cette page décrivent certaines des propriétés pharmacologiques intéressantes des composés visés par l'invention présumée, en particulier l'inhibition de certaines enzymes comme « les carboxypolypeptidases, les enkephalinases ou la kininase II », ce qui, à son tour, inhibe la transformation de l'angiotensine I en angiotensine II. On continue en disant que :
L'emploi en thérapeutique de ces composés permet donc de réduire ou même supprimer l'activité de ces enzymes responsables de la maladie hypertensive ou de l'insuffisance cardiaque. L'action sur la kininase II a pour résultat l'augmentation de la bradykinine circulante et également la baisse de la tension artérielle par cette voie.
L'invention s'étend aussi aux compositions pharmaceutiques renfermant comme principe actif au moins un composé de formule générale I ou un de ses sels d'addition, avec une base ou un acide minéral ou organique, en association avec un excipient inerte, non toxique, pharmaceutiquement acceptable. [Non souligné dans l'original.]
[116] Bref, une simple lecture du brevet 196 montre qu'en utilisant les composés, il est possible de réduire l'activité des enzymes responsables de l'hypertension ou de l'insuffisance cardiaque. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin dans les présents motifs.
[117] Le reste de la page 3 et la majeure partie de la page 4 montrent que le brevet inclut des composés utiles dans le domaine pharmaceutique et donnent des indications générales sur les formes posologiques et la dose. Puis, à partir du dernier paragraphe de la page 4, le brevet décrit le procédé d'obtention des composés de formule générale I. Six exemples sont ensuite donnés, à partir de la page 6, pour illustrer la préparation des composés qui relèvent de l'invention prétendue. Les résultats analytiques portant sur 28 composés préparés selon les exemples ou préparés de manière semblable sont présentés dans deux tableaux aux pages 24 à 27. Il s'agit surtout, mais pas exclusivement, de composés du perhydroindole et il y a également un composé (composé 4) qui comporte un cycle phényle.
[118] Enfin, aux pages 28 et 29 du brevet 196, une section intitulée « Étude pharmacologique des composés de l'invention » donne une description des études pharmacologiques auxquelles ont été soumis les composés.
[119] À la lumière de ces renseignements de base, examinons maintenant les revendications en litige.
b) Les revendications en litige
[120] La revendication no 1 se lit comme suit :
1. Composés répondant à la formule générale
dans laquelle :
R1 représente un atome d'hydrogène ou un groupe alkyle de 1 à 4 atomes de carbone
R2 représente un groupe alkyle linéaire de 1 à 6 atomes de carbone
et leurs sels d'addition pharmaceutiquement acceptables.
[121] La revendication no 2 se lit comme suit :
Un composé selon la revendication 1 où R2 est un alkyle de 3 ou 4 atomes de carbone
et leurs sels pharmaceutiquement acceptables.
[122] La revendication no 3 se lit comme suit :
Un composé selon la revendication 1 où R2 est un n-propyle
et ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[123] Enfin, la revendication no 5 (qui a été corrigée deux fois) se lit comme suit :
Le composé selon la revendication 1 qui est le {N - [(1,S) éthoxycarbonyl - 1 butyle] (S) - alanyle} - 1 carboxy – 2(S) (3aS,7aS) perhydroindole
et ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[124] Compte tenu de la description fournie, je pense qu'une personne versée dans l'art n'aurait pas de difficulté à interpréter les revendications de la façon suivante :
· La revendication no 1 se rapporte à un sous‑ensemble de composés répondant à la formule générale I, dans laquelle R1 représente un atome d'hydrogène ou un groupe alkyle d'un à quatre atomes, et R2 représente un groupe alkyle linéaire d'un à six atomes de carbone, et leurs sels d'addition pharmaceutiquement acceptables. Les composés selon la revendication no 1 ont 5 centres chiraux, mais rien n'est indiqué quant à la configuration stéréochimique particulière des stéréocentres. L'essentiel est que chaque composé selon la revendication contient à la fois un groupe perhydroindole bicyclique 6,5 sur la partie C‑terminale et un groupe alkyle linéaire d'un à six atomes sur la partie N‑terminale.
· Les revendications nos 2, 3 et 5 dépendent de la revendication no 1. À titre de revendications dépendantes, elles ont nécessairement une portée plus limitée que la revendication no 1 et doivent être interprétées conformément à la revendication plus large (Dimplex, précité, au paragraphe 65).
· La revendication no 2 se rapporte à un sous‑ensemble de composés visés par la revendication no 1, dans lesquels R2 se limite à un n‑propyle ou à un n‑butyle, et leurs sels pharmaceutiquement acceptables. Le composé selon la revendication no 2 possède 5 centres chiraux, mais la configuration stéréochimique particulière d'aucun des stéréocentres n'est précisée.
· La revendication no 3 correspond à un ensemble encore plus restreint de composés visés par la revendication no 1, dans lesquels R2 se limite à un n‑propyle et à ses sels pharmaceutiquement acceptables. Comme pour les revendications nos 1 et 2, la revendication no 3 porte sur un composé ayant 5 centres chiraux, dont la configuration stéréochimique particulière n'est cependant pas précisée. Comme il y a 5 centres chiraux ou centres d'asymétrie, la revendication no 3 englobe 32 (25) composés différents.
· Enfin, la revendication no 5 (dans sa version d'aujourd'hui) se rapporte à un seul stéréoisomère dans lequel chacun des 5 centres chiraux est de configuration (S). Il n'est pas contesté que la revendication no 5 englobe le perindopril de même que ses sels pharmaceutiquement acceptables. Bien qu'elle soit formulée comme étant une revendication dépendante (« Le composé selon la revendication 1 »), la revendication concerne un seul composé. Les mots indiquant une dépendance ne sont pas nécessaires à l'interprétation de la revendication no 5.
(3) Argument d'Apotex selon lequel il n'y a qu'une seule « invention »
[125] L'interprétation des revendications du brevet 196 ne semble pas être sérieusement en litige. Là où « le bât blesse » entre les parties est plutôt la question de savoir si, à la lumière de la description, les revendications devraient être interprétées comme étant des exemples d'une invention supposée ou d'une classe de composés englobant l'ensemble de la formule générale I (comme le prétend Apotex), ou si les revendications devraient être complètes en elles-mêmes (comme le soutient Servier). De manière plus générale, la question à poser est la suivante : de quelle manière les revendications devraient-elles être interprétées lorsqu'un breveté revendique seulement une partie des composés relevés dans la description?
[126] À mon avis, la réponse à cette question se trouve dans les décisions C.H. Boehringer Sohn c. Bell‑Craig Ltd., [1962] R.C.É. 201, conf. par [1963] R.C.S. 410 (Boehringer), et Hoechst Pharmaceuticals of Canada Ltd. c. Gilbert & Co., [1965] 1 R.C.É. 710, conf. par [1966] R.C.S. 189 (Hoechst).
[127] Dans la décision Boehringer, précitée, le brevet en litige exposait en termes généraux le procédé de production d'une importante classe de composés. Le breveté a intenté une poursuite pour contrefaçon alléguée d'une des revendications du brevet (la revendication no 8), qui était limitée à un seul composé de la classe générale. Le composé n'était mentionné à aucun endroit de la description, sauf [TRADUCTION] « à titre d'exemple cité pour décrire les avantages que tous les membres de cette très grande classe de substances ou de substances possibles posséderaient et, sauf dans deux des exemples, indiquant la manière de procéder pour fabriquer la classe de substances » (Boehringer, précité, à la page 210). Lors de l'interprétation du brevet à la lumière de cette apparente incohérence, le juge Thurlow a fait les observations utiles suivantes :
[TRADUCTION]
À mon avis, les passages que j'ai cités appuient le point de vue selon lequel la revendication pour une substance unique annexée à une divulgation prétendant se rapporter uniquement à l'invention d'un genre ou d'une classe de substances n'aurait pas dû être autorisée compte tenu du paragraphe 38(1) de la Loi sur les brevets, parce que deux inventions ou inventions alléguées différentes seraient en cause. Mais que la revendication no 8 aurait dû être autorisée ou non dans le brevet ici en cause, tel qu'il a été délivré, le même paragraphe prévoit qu'aucune objection soulevée simplement au motif que le brevet a été délivré pour plus d'une invention ne peut réussir. En conséquence, à mon avis, en raison de la présence de la revendication no 8, il devient nécessaire de lire le mémoire descriptif non seulement pour vérifier ce qu'il dit et expose concernant une invention supposée de procédés pour la préparation de la classe de substances, mais également pour voir, le cas échéant, ce qu'il dit et expose concernant une invention de la 2‑phényl‑3‑méthylmorpholine et les procédés pour sa production. En effet, si les exigences de l'article 36 de la Loi sur les brevets à l'égard de la description, etc., de l'invention de la 2‑phényl-3‑méthylmorpholine sont respectées, le simple fait que l'information exigée soit mélangée avec la description d'une autre invention supposée et incluse dans la description ne rendra pas à lui seul la revendication no 8 invalide. Le problème que pose une telle interprétation du mémoire descriptif est gênant du fait que la divulgation, prise dans son contexte, suggère toujours qu'il n'y a qu'une seule invention. Mais, sur le plan de l'interprétation du mémoire descriptif, cette idée qu'il suggère doit, à mon avis, s'effacer devant son sens pris dans son ensemble, qui comprend la revendication no 8 et indique donc qu'outre l'invention de la classe, la divulgation vise l'invention d'une substance individuelle, la 2‑phényl‑3‑méthylmorpholine. (Boehringer, précité, aux pages 214 et 215). [Non souligné dans l'original.]
[128] Le juge Thurlow a tiré une conclusion semblable dans la décision Hoechst, précitée, aux pages 718 et 719 :
[TRADUCTION]
J'examine maintenant les mémoires descriptifs. La section dans laquelle la divulgation est effectuée est la même dans le cas des dix brevets, les seules différences entre ceux-ci étant les revendications et certains exemples supplémentaires qui ne sont certes pas pertinents en l'espèce. La divulgation ne prétend pas viser l'invention du tolbutamide seul ou du tolbutamide associé à un ou plusieurs procédés de préparation, mais prétend au contraire viser une classe de sulfonylurées dont le tolbutamide est l'un des membres, et elle expose en termes généraux des méthodes de production des urées de la classe tout en établissant l'utilité des substances de la classe. Le tolbutamide est mentionné à l'occasion comme exemple de la classe, mais ce n'est qu'à la revendication no 10 (ou no 13 dans le cas du dernier brevet) qu'on trouve une indication que l'invention vise autre chose qu'une classe globale de substances et des méthodes générales de production de ces substances. À cet égard, le mémoire descriptif ressemble à celui qui a été examiné dans la décision C.H. Boehringer Sohn c. Bell‑Craig Ltd. ([1962] R.C.É. 201) et, pour les motifs qui y sont donnés aux pages 209 à 215, je suis d'avis que ce mémoire descriptif doit être interprété comme visant à divulguer plusieurs inventions différentes, dont l'une ou plusieurs concernent une classe ou des classes de substances, une autre la substance individuelle connue sous la désignation de tolbutamide et d'autres substances particulières revendiquées dans les revendications nos 11 à 19 inclusivement (ou nos 14 à 21 dans le dernier brevet). [Non souligné dans l'original.]
[129] La Cour d'appel fédérale a récemment mentionné les décisions Hoechst et Boehringer dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323 (Merck (C.A.F.)), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 31754, 10 mai 2007, [2006] C.S.C.R. no 507. Dans Merck (C.A.F.), Apotex a soutenu que le juge du procès avait « commis une erreur en considérant que les décisions Boehringer et Hoechst ont posé comme principe que chaque revendication d'un brevet divulgue une invention distincte ». La Cour d'appel a rejeté l'argument après avoir conclu que le juge du procès s'était appuyé sur les décisions antérieures uniquement pour le principe limité selon lequel, lorsqu'une demande de brevet contient des revendications distinctes pour une classe de composés chimiques et pour un seul composé faisant partie de cette classe, chaque revendication divulgue une invention distincte (Merck (C.A.F.), précité, au paragraphe 31). Par conséquent, les décisions Boehringer et Hoechst continuent de faire autorité sur la question de la définition de l'« invention ».
[130] Gardant cette jurisprudence à l'esprit, j'examine l'affaire dont je suis saisie.
[131] Ainsi que je l'ai déjà signalé, la description du brevet 196 présente la structure chimique générale d'une classe de composés (la formule générale I) ainsi que les propriétés, la préparation et l'utilité des composés appartenant à la classe générale. Les revendications nos 1, 2, 3 ou 5 ne sont mentionnées à aucun endroit avant d'arriver aux revendications du brevet 196. À la lecture du brevet dans son ensemble, je conclus que les revendications nos 1, 2, 3 et 5 constituent une ou plusieurs inventions qui sont distinctes de la classe plus vaste de composés de la formule générale I dans la description. Telle qu'elle a été exposée dans la revendication no 1, la classe de composés revendiquée doit contenir un groupe perhydroindole bicyclique 6,5 à la partie C‑terminale et un groupe alkyle linéaire d'un à six atomes à la partie N‑terminale. Ces deux limites sont donc des éléments essentiels du brevet 196. La classe de composés de la formule générale I peut divulguer une « invention », mais il ne s'agit pas de l'invention revendiquée. Pour cela, nous devons nous pencher sur les revendications du brevet 196.
[132] Dans la plaidoirie qui m'a été présentée, Apotex a mentionné l'arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504 (Consolboard), à l'appui de son argument selon lequel il faut, pour établir « l' » invention du brevet 196, examiner l'ensemble du mémoire descriptif pour vérifier la nature de l'invention, la divulgation et les revendications. À mon avis, cette proposition n'est pas incompatible avec ma conclusion selon laquelle, dans certaines circonstances, la lecture des revendications à la lumière du mémoire descriptif révélera l'existence de plus d'une invention.
[133] En conclusion, le mémoire descriptif, lorsqu'il est lu dans son ensemble, aide la personne versée dans l'art à comprendre le contexte et le contenu des revendications. La description ne définit pas une invention. Les revendications lues dans le contexte de la description définissent plutôt l'invention (ou les inventions) du brevet. Dans le cas du brevet 196, je conclus que l'invention revendiquée par le brevet, selon une interprétation téléologique des revendications en litige, est celle divulguée par les revendications nos 1, 2, 3 et 5, et rien de plus.
VI. La contrefaçon
A. Aperçu
[134] L'article 44 de la Loi sur les brevets confère à un breveté et à ses représentants légaux « le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres, pour qu'ils l'exploitent, l'objet de l'invention » d'un brevet. Servier prétend qu'Apotex porte atteinte à ses droits en vertu du brevet 196, à la fois directement et en incitant d'autres personnes à contrefaire le brevet. Apotex admet, dans une certaine mesure, la contrefaçon directe, sous réserve de ses demandes reconventionnelles en invalidité (lesquelles seront toutes examinées plus loin dans les présents motifs). Apotex conteste cependant l'allégation d'incitation et soutient que certains de ses produits contenant du perindopril sont assujettis à une exemption. Dans la présente section des motifs, j'examine ces questions.
B. Contrefaçon directe
[135] Le dossier du présent procès contient des preuves abondantes de contrefaçon directe par Apotex. En bref, les faits suivants se rapportant à la fabrication et à la vente de produits de perindopril par Apotex, sous le nom commercial Apo‑Perindopril, sont établis :
· Apotex Inc. achète la matière première du perindopril erbumine au moins depuis le 30 avril 2004. Avec cette matière, Apotex a utilisé, fabriqué (au Canada) et vendu, et continue d'utiliser, de fabriquer et de vendre, des comprimés de perindopril erbumine de 2, 4 et 8 mg, de même que des comprimés contenant une combinaison de perindopril erbumine et d'indapamide.
· Le 1er février 2007, Apotex Inc. a obtenu un avis de conformité (AC) au Canada pour les comprimés d'Apo‑Perindopril de 8 mg, qu'elle propose à la vente et vend au moins depuis le 6 mars 2007, à des fins de consommation au Canada.
· Pharmachem, dont les bureaux sont situés au Canada, auparavant connue sous le nom de Brantford Chemicals Inc., est jusqu'à maintenant l'unique fabricant et fournisseur de la matière première du perindopril acquise par Apotex Inc. et ultérieurement vendue au Canada (comprimés de 8 mg) et exportée ailleurs pour la vente.
[136] Par voie de stipulation, Apotex a admis que, sous réserve de la validité des revendications nos 3 et 5, et sous réserve de l'interprétation par la Cour de la revendication no 5, le perindopril erbumine dans les comprimés d'Apo‑Perindopril est visé par les revendications nos 3 et 5 du brevet 196.
[137] Selon le témoignage de M. Bartlett, la substance médicamenteuse que contiennent les produits de perindopril d'Apotex est visée par chacune des revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196. Ce témoignage n'était pas contesté.
[138] En conséquence, je conclus qu'Apotex fabrique, construit, exploite, offre en vente et vend des produits de perindopril qui sont visés par les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196. Sous réserve des analyses qui suivent dans les présents motifs, Apotex contrefait directement le brevet 196.
C. Incitation
[139] Après avoir conclu qu'Apotex a contrefait le brevet 196, la question suivante est celle de savoir si les ventes d'Apotex constituent des actes d'incitation. Comme elle l'a déclaré dans sa déclaration, Servier sollicite un jugement déclaratoire selon lequel Apotex a incité plusieurs sociétés affiliées à contrefaire les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196. Plus particulièrement, Servier allègue qu'Apotex a incité Apotex UK, GenRx, Katwijk Farma B.V. (Katwijk) et Orifarm Supply A/S (Orifarm) (collectivement appelées les acheteurs étrangers) à contrefaire le brevet 196.
[140] La preuve montre qu'Apotex vend ses comprimés de perindopril erbumine de 2, 4 et 8 mg à des fins de consommation à l'extérieur du Canada à Apotex UK depuis le 24 juillet 2006, à GenRx depuis le 20 octobre 2006, à Katwijk depuis le 27 juillet 2006 et à Orifarm depuis le 7 décembre 2007. Apotex vend son produit combiné à GenRx depuis au moins le 20 juillet 2007. Toutefois, la seule vente d'un produit contrefait aux acheteurs étrangers n'est pas suffisante pour établir l'incitation.
(1) Critère applicable à l'incitation
[141] Comme l'a déclaré le juge en chef adjoint Jerome, tel était alors son titre, dans Warner‑Lambert c. Wilkinson Sword Canada Inc., no T‑830‑87, 29 janvier 1988, 19 C.P.R. (3d) 402 (C.F. 1re inst.), à la page 407 (Warner Lambert), [TRADUCTION] « un défendeur porte atteinte aux droits légaux du breveté demandeur lorsqu'il incite ou amène sciemment une autre partie à contrefaire le brevet du demandeur ». Pour avoir gain de cause dans une telle demande, un breveté désirant invoquer la doctrine de l'incitation à la contrefaçon doit prouver chacun des éléments suivants (Warner Lambert, à la page 407, AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2002] 3 C.F. 221 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 68, conf. par 2002 CAF 421, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 29533, 27 mars 2003, [2002] C.S.C.R. no 531) :
a) l'acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement;
b) l'exécution de l'acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur, à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n'aurait pas été commise par l'acheteur;
c) l'influence a été sciemment exercée par le vendeur, c'est-à-dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l'exécution de l'acte de contrefaçon.
(2) L'acte de contrefaçon a-t-il été exécuté par le contrefacteur directement?
[142] La première partie du critère applicable à l'incitation exige que Servier établisse que les acheteurs étrangers ont contrefait le brevet 196. Il n'est pas contesté que les acheteurs étrangers distribuent et vendent des comprimés de perindopril à l'extérieur du Canada. Ces activités ne contrefont pas le brevet 196. Ce n'est que si une partie des activités des acheteurs étrangers a lieu au Canada que je peux conclure qu'un acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement.
[143] Servier prétend (avec raison, selon moi) que l'achat ou la possession d'articles contrefaits au Canada, en vue de les vendre ou d'en faire le commerce, ou à des fins d'exportation, constitue une contrefaçon (H. G. Fox, Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969 (Fox), à la page 393, Wellcome Foundation Ltd. c. Interpharm Inc., no T‑2624‑91, 17 février 1992, 41 C.P.R. (3d) 215 (C.F. 1re inst.), aux pages 226 et 227, Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, aux paragraphes 55 à 58). En l'espèce, Servier soutient que les acheteurs étrangers acquièrent le titre concernant les comprimés de perindopril au Canada et exportent ensuite ces comprimés dans le ressort étranger. À son avis, il s'ensuit que les acheteurs étrangers exécutent des actes de contrefaçon directe du brevet 196.
[144] Pour évaluer le bien-fondé de cette prétention, il est nécessaire d'examiner les arrangements contractuels et les arrangements de livraison conclus par Apotex et chacun des acheteurs étrangers. Comme les ventes à Apotex UK sont représentatives, je me concentrerai sur cette relation.
[145] Servier avance que l'arrangement conclu par Apotex Inc. et Apotex UK est défini par l'entente qu'elles ont conclue le 1er mai 2006 (l'entente d'indemnisation et de prix de transfert). Cette position illustre le problème général que suscite la prétention de Servier. L'entente d'indemnisation et de prix de transfert représente seulement un aspect de l'arrangement commercial global entre les sociétés affiliées.
[146] L'objet de l'entente d'indemnisation et de prix de transfert semble être double. Premièrement, les articles 1 à 4 prévoient qu'Apotex UK sera indemnisée dans le cas où une action ou une instance [TRADUCTION] « est intentée ou menacée d'être intentée à l'encontre de [l'une des parties] et dans laquelle il est allégué que la fabrication du produit [défini comme une version générique de COVERSYL] par Apotex ou la distribution et la vente du produit par Apotex UK sur le territoire [défini comme étant le Royaume‑Uni] contrefait le brevet d'un tiers ou porte atteinte à tout autre droit de propriété intellectuelle... ». Dans un tel cas, Apotex [TRADUCTION] « prend la direction de la défense dans une telle instance sur le territoire et assume tous les frais et coûts se rapportant à la défense d'une telle instance ». Deuxièmement, l'article 5 de l'entente fixe les « prix de transfert » des produits vendus.
[147] Pour les besoins de la présente analyse, le seul autre article utile de l'entente d'indemnisation et de prix de transfert est l'article 10 qui prévoit que l'entente [TRADUCTION] « est régie par les lois de l'Ontario et les lois du Canada en vigueur dans la province et est interprétée selon celles‑ci ».
[148] L'entente d'indemnisation et de prix de transfert est muette sur le passage du titre d'Apotex Inc. à Apotex UK. Cela n'est pas surprenant, compte tenu de l'objet limité de l'entente. Comme l'a confirmé M. Darroch, aucune autre entente n'a été présentée pour définir la question du moment du transfert de titre ou toute autre modalité régissant la relation commerciale entre les parties. Puisque l'entente d'indemnisation et de prix de transfert n'est évidemment pas la seule entente qui énonce la relation entre les parties, nous devons aller au-delà de cette entente pour trancher la question du transfert de titre. En l'absence de toute autre convention écrite, il est raisonnable de conclure que la relation entre ces deux sociétés affiliées est, pour une large part, fondée sur des ententes et des accords verbaux. Cela inclurait toute entente concernant le moment où le titre du produit est transféré à Apotex UK, la société affiliée acheteuse.
[149] En l'espèce, nous avons des témoignages compatibles et clairs à la fois du vendeur (Apotex Inc.) et d'au moins deux des acheteurs étrangers (GenRx et Apotex UK) selon lesquels l'intention des parties est que le titre de propriété des marchandises soit transféré à la livraison des produits sur le territoire étranger.
[150] Le 10 mars 2008, lorsque l'avocat de Servier l'a interrogé sur les modalités en vertu desquelles les comprimés de perindopril étaient expédiés, M. Sherman a fait les observations suivantes :
[TRADUCTION]
Le client l'achète en vue de le faire livrer en Australie. Notre responsabilité est de l'acheminer jusque-là.
[...]
Elle est CAF Londres, ce qui signifie que nous sommes responsables de l'expédition et de la rendre à Londres, y compris le fret et les assurances.
[...]
Le client veut simplement que les marchandises soient livrées en Australie ou au Royaume‑Uni. C'est ce pour quoi il paie. Notre responsabilité est de les acheminer jusque-là. Et la question de savoir si nous souscrivons une assurance pour les protéger ou si nous ne souscrivons pas d'assurance, en cas de perte des marchandises, cela est notre responsabilité. Nous sommes donc responsables des marchandises jusqu'à ce qu'elles arrivent réellement en Australie ou au Royaume‑Uni et nous avons la responsabilité de les y acheminer.
[151] M. Millichamp, le directeur général de GenRx, a donné le témoignage suivant pendant son interrogatoire principal :
[TRADUCTION]
Q. D'accord. Et en ce qui a trait aux risques de perte et au transfert du titre des marchandises, savez-vous quand cela se produit?
R. En vertu de ces modalités, le risque sera transféré — le risque sera transféré — une fois que le produit est dédouané en Australie et que GenRx prend le contrôle du produit, le risque nous est transféré.
Q. Et qu'en est-il du titre de propriété?
R. Il est également transféré.
[152] Lors de l'interrogatoire principal, le directeur général d'Apotex UK, M. Darroch, a exposé comme suit le transfert de responsabilité pour le produit acheté d'Apotex Inc. par Apotex UK :
[TRADUCTION]
Q. Peut-être votre directeur des finances est-il le seul à le savoir, mais savez-vous quand Apotex UK assume la responsabilité à l'égard du produit?
R. Oh, ouais, je le sais. Le produit devient la responsabilité d'Apotex UK au moment où il est dédouané, pas avant.
[...]
Q. Où est-il dédouané?
R. Bien, cela dépend. S'il arrive directement du Canada, il sera dédouané à l'aéroport Heathrow. S'il arrive, par exemple, avec un autre de nos produits, s'il arrivait, disons, des Pays‑Bas, il serait dédouané dans un port de réception au Royaume‑Uni.
Q. Mais qu'en est-il précisément à l'égard du perindopril?
R. Oh, le perindopril. Il sera dédouané à Heathrow.
[153] La preuve est on ne peut plus claire. Même si les ententes écrites sont muettes au sujet de cette question, l'intention d'Apotex Inc. et de chaque acheteur étranger est que le titre de propriété ne soit pas transféré avant que le produit soit livré par Apotex Inc. dans le pays de destination. Selon une formulation négative, les parties n'ont pas l'intention que le titre de propriété soit transféré au Canada.
[154] Servier s'appuie sur la Loi sur la vente d'objets de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. S.1 (la Loi sur la vente d'objets) et sur les dispositions des incoterms (analysés ci-après) pour étayer sa position selon laquelle le titre de propriété passe à la société acheteuse à la livraison du produit à Toronto pour être transporté par voie de lettre de transport aérien à sa destination. Ce faisant, Servier souligne la preuve présentée à la Cour sur le mode d'expédition. Un examen des diverses factures et lettres de transport présentées en preuve montre qu'Apotex Inc. emballe le produit et le livre à un transporteur de fret aérien vers le pays de destination. Les documents fournissent la preuve qu'Apotex Inc. utilise la nomenclature des incoterms, tels que CAF, POP ou PAP, pour ses expéditions et ses ventes. J'examinerai chacun de ces arguments.
[155] En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la vente d'objets, la propriété des objets « est transférée à l'acheteur au moment où les parties au contrat ont l'intention de la transférer ». L'intention n'est pas une question relevant de la croyance subjective des parties, mais plutôt de l'intention contractuelle objective (Naber Seed & Grain Co. c. Prairie Pulse Inc., 2007 SKCA 58, aux paragraphes 49, 50, 59 et 60 (Naber)). En l'absence d'une preuve convaincante contraire, la règle 5 de l'article 19 de la Loi sur la vente d'objets présume que les parties ont l'intention que la propriété des objets soit transférée à l'acheteur lorsqu'ils sont « affectés sans condition au contrat », ce qui se produit lorsque le vendeur « les livre [...] à un transporteur [...] pour les lui faire remettre ». Ainsi, Servier fait valoir que le titre de propriété des produits de perindopril est réputé avoir été transféré lorsqu'Apotex a livré les marchandises aux transporteurs canadiens pour les remettre aux acheteurs étrangers.
[156] Cet argument présente un problème évident. En l'espèce et tel que je l'ai exposé précédemment, il existe une preuve convaincante de la part des parties aux opérations commerciales que les parties ont l'intention que la propriété des comprimés de perindopril soit transférée à l'acheteur uniquement une fois que les comprimés sont dédouanés dans le pays de l'acheteur. De plus, l'arrêt Naber n'est pas utile à Servier. Dans cette affaire, les parties étaient le vendeur et l'acheteur. La Cour d'appel de la Saskatchewan était donc tenue de choisir entre des témoignages contradictoires. Par contraste, selon la preuve dont je suis saisie, les deux parties sont tout à fait d'accord sur le moment où le titre de propriété est transféré. Il n'est pas nécessaire d'appliquer la présomption de la Loi sur la vente d'objets.
[157] Au cours de la plaidoirie finale, Servier a, pour la première fois, mentionné les « incoterms ». Les incoterms désignent les règles officielles d'interprétation des termes du commerce de la Chambre de commerce internationale, tels que « CAF », « POP », « PAP », et ainsi de suite, à l'égard du contrat de vente des parties (voir Chambre de commerce internationale, Incoterms 2000, Paris, ICC Publishing S.A., 1999) à la page 5 (Incoterms 2000). Lorsque les parties assujettissent leurs contrats aux incoterms, les tribunaux appliqueront ces définitions, même lorsque l'usage de l'incoterm est différent de la common law. (Voir A. G. Guest, réd., Benjamin's Sale of Goods, 7e éd., Londres, Thomson Sweet & Maxwell, 2005, au paragraphe 18-002.)
[158] L'essentiel de l'argument de Servier sur ce point est le suivant : puisque Apotex Inc. a remis des envois de produits de perindopril à des transporteurs à Toronto, en vertu des incoterms utilisés dans les factures commerciales, la livraison a été exécutée et le risque de perte ou de dommage à la marchandise a été transféré au Canada aux acheteurs étrangers (Incoterms 2000, aux pages 13, 14, 65, 66, 68, 73 à 75, 81, 82, 84 et 85).
[159] Apotex s'est opposée à l'introduction des Incoterms 2000 à cette phase du procès, au motif que ce document ne pouvait être qualifié d'autorité (AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 487, aux paragraphes 6 à 10 et 15). J'ai entendu les arguments des parties sur ce point et j'ai pris ma décision en délibéré. Après avoir examiné les arguments, je suis d'accord avec Apotex sur ce point et j'exclurai l'utilisation des incoterms à cette phase de l'instance. Cela dit, je ne suis toutefois pas convaincue que les incoterms appuient l'argument de Servier. Je n'interprète pas les incoterms comme écartant l'intention claire des parties quant au titre de propriété ou à la responsabilité durant le transport.
[160] En conclusion, je ne suis pas convaincue que le titre de propriété des comprimés de perindopril ou des comprimés combinés soit transféré aux acheteurs étrangers au Canada. Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu d'acte de contrefaçon de la part des acheteurs étrangers. Puisque Servier n'a pas réussi à répondre au premier élément du critère applicable à l'incitation, sa réclamation sur ce point est rejetée.
D. Exonérations de responsabilité
(1) Dispositions légales
[161] Apotex s'appuie sur le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (après le 1er octobre 1989) pour soutenir qu'elle ne devrait pas être tenue responsable de quelque contrefaçon concernant son utilisation du perindopril à des fins expérimentales ou réglementaires. Apotex fait également valoir qu'elle n'est pas responsable de contrefaçon à l'égard de ce qui suit : a) ses ventes pour l'exportation; b) le transfert de technologie pour la production du perindopril aux sociétés affiliées en Inde; c) la fabrication, l'utilisation ou la vente en Inde ou depuis celle-ci.
(2) Usage à des fins expérimentales et réglementaires
[162] Je commence par l'exonération de responsabilité envisagée qui se fonde sur le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (tel qu'il s'applique aujourd'hui). Cette disposition est rédigée comme suit :
55.2(1) Il n'y a pas contrefaçon de brevet lorsque l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d'une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d'information qu'oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente d'un produit. |
55.2(1) It is not an infringement of a patent for any person to make, construct, use or sell the patented invention solely for uses reasonably related to the development and submission of information required under any law of Canada, a province or a country other than Canada that regulates the manufacture, construction, use or sale of any product. |
[163] Le juge Hughes a analysé avec soin la question des exonérations possibles de responsabilité dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 524 (Merck (C.F.)), inf. pour d'autres motifs 2006 CAF 323 (Merck (C.A.F.)), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 31754, 10 mai 2007, [2006] C.S.C.R. no 507. Dans l'arrêt Merck (C.A.F.), précité, au paragraphe 113, la Cour d'appel s'est dite d'accord avec son application du paragraphe 55.2(1). Ainsi, il semble établi qu'Apotex peut demander une exonération de responsabilité pour certaines quantités du produit contrefait. Servier n'était pas en désaccord, mais a simplement déclaré qu'il incombait à Apotex de montrer que le produit était utilisé aux fins autorisées (comme obtenir une approbation réglementaire ou se conformer aux règlements).
[164] Au procès, des éléments de preuve détaillés ont été présentés à propos des quantités de produits visés par une ou plusieurs revendications du brevet 196 et qu'Apotex Inc. ou Pharmachem ont acquises ou fabriquées pour la recherche et le développement, ou à des fins expérimentales ou réglementaires. Plusieurs témoins se sont prononcés sur ces quantités et la manière dont elles étaient fabriquées, testées et entreposées. Parmi les utilisations du produit prétendument exonéré, mentionnons la synthèse initiale, la mise à l'échelle, la fabrication de lots pour les demandes et l'homologation, les essais de stabilité, les études de bioéquivalence et l'échantillonnage au cours de la production. Les formulations d'échantillons et les données les accompagnant ont été élaborées et produites en utilisant les stocks de matières premières d'Apotex et cette information a été présentée et préparée pour les besoins des demandes adressées aux autorités de réglementation au Canada, aux États‑Unis et dans d'autres ressorts qui l'exigeaient.
[165] Apotex a continué de produire, et de rendre accessibles aux fins des demandes, de nombreux registres contenant des renseignements sur les analyses et les essais pour chaque lot de matières premières et chaque lot des divers produits finis qu'exigent les régimes réglementaires des ressorts dans lesquels elle vend des produits de perindopril. Apotex a conservé des échantillons de la matière en vrac qu'elle a utilisée et des comprimés finis qu'elle a préparés pour respecter les exigences réglementaires régissant la fabrication de divers produits pharmaceutiques dans les ressorts dans lesquels elle vend ses formules de perindopril. En vertu de ces règlements, Apotex doit tenir un registre de ses procédures d'essais et compiler l'information à propos des échantillons conservés pour les besoins des demandes adressées aux autorités de réglementation comme condition pour conserver son permis d'établissement et afin de respecter des exigences réglementaires précises.
[166] À mon avis, le fait qu'aucune matière première ni les formules qui ont été produites dans le cours du processus de mise au point n'ont été vendues ou utilisées à des fins commerciales est d'une importance cruciale. Les quantités de matières qui ont été utilisées au cours du processus de mise au point des formules ont été consignées sur les fiches des stocks de matières premières pour les lots correspondants de matière en vrac ou étaient saisies dans le système des stocks SAP d'Apotex.
[167] M. Fahner a examiné ces documents et des documents connexes portant sur l'utilisation du perindopril par Apotex. Il a dressé des tableaux qui indiquaient la quantité de matière première qu'Apotex utilisait de chaque lot qu'elle recevait pour ses diverses activités de recherche et de développement concernant le processus de mise au point des formules et un tableau qui indiquait les quantités de perindopril de chaque lot qu'Apotex recevait qui étaient échantillonnées et conservées aux fins réglementaires en cours.
[168] Je suis convaincue que les quantités de perindopril relevées sont visées par l'exonération à des fins réglementaires et expérimentales prévue à l'article 55.2 de la Loi sur les brevets (après le 1er octobre 1989). M. Fahner a indiqué sous forme de tableau (voir la pièce D‑193) les quantités précises qui étaient visées par cette exonération le 15 janvier 2008.
(3) Autres exonérations
[169] Apotex sollicite deux autres exonérations. À mon avis, je ne suis pas en mesure de me prononcer de manière définitive sur les exonérations demandées.
[170] Plus précisément, je n'ai pas d'arguments ou de preuves sur lesquels je pourrais fonder une décision selon laquelle le transfert de technologie pour la fabrication du perindopril aux sociétés affiliées en Inde ou la fabrication, l'utilisation ou la vente en Inde ou depuis celle-ci ne contrefont pas le brevet 196. Je ne comprends pas non plus très clairement ce qu'Apotex veut dire par [TRADUCTION] « transfert de technologie ». Si Apotex fait référence à un transfert matériel des quantités de perindopril qui sont visées par l'exonération du paragraphe 55.2(1), je pourrais vraisemblablement être d'accord avec la prétention d'Apotex. Toutefois, il devrait être évident qu'Apotex ne pourrait pas utiliser cette exonération relative au [TRADUCTION] « transfert de technologie » pour envoyer la totalité des stocks existants de perindopril du Canada en Inde.
[171] J'ai de la difficulté à conclure, comme on me demande de le faire, qu'Apotex n'a pas de responsabilité à l'égard de ses ventes pour l'exportation. La contrefaçon exécutée par Apotex comporte, en partie, la fabrication de perindopril à des fins d'exportation. À cet égard, j'ai conclu qu'Apotex a contrefait le brevet 196 et est responsable envers Servier Canada et ADIR.
(4) Conclusion concernant les exonérations
[172] Je conclus que les quantités de perindopril mentionnées dans la pièce D‑193 sont visées par l'exonération prévue à l'article 55.2 le 15 janvier 2008; Apotex n'est pas responsable de contrefaçon à l'égard de ces quantités.
[173] Je souligne que les éléments de preuve concernant cette demande d'exonération étaient très détaillés jusqu'au 15 janvier 2008. Comme l'a déclaré l'avocat d'Apotex, d'autres quantités qui répondent aux exigences du paragraphe 55.2(1) peuvent avoir été produites après cette date. Je suppose qu'Apotex continuera, après le procès, de tenir les mêmes registres méticuleux de ces quantités. S'il devait y avoir des modifications aux quantités produites ou entreposées, Apotex devrait être prête à fournir le même niveau de preuve pour les besoins de la phase des dommages‑intérêts de la présente instance.
VII. Les corrections apportées à la revendication no 5
A. Aperçu
[174] Il n'est pas contesté que la revendication no 5, telle qu'elle apparaît aujourd'hui, est une revendication concernant le perindopril. Apotex admet que l'ingrédient actif de ses comprimés d'Apo-Perindopril de 2, 4 et 8 mg et le perindopril dans ses comprimés combinés sont visés par les revendications nos 1, 2, 3 et 5 (telles qu'elles apparaissent aujourd'hui) du brevet 196. Apotex prétend cependant que, même si la Cour conclut que les revendications nos 1, 2 et 3 sont valides, elle ne contrefait pas la revendication no 5.
[175] Cette prétention de non-contrefaçon est fondée sur le fait que le commissaire aux brevets a corrigé à tort, à deux reprises, la revendication no 5 du brevet. De l'avis d'Apotex, puisque les certificats de correction ont été délivrés sans fondement juridique, la version déterminante de la revendication no 5 est celle délivrée le 6 mars 2001. Puisque la version du 6 mars ne comportait pas de revendication concernant le perindopril, Apotex conclut que la fabrication ou la vente de comprimés d'Apo-Perindopril de 2, 4 et 8 mg ou de perindopril dans ses comprimés combinés ne constitue pas une contrefaçon de la revendication no 5.
[176] Compte tenu des arguments des parties sur cette question, il importe de répondre aux questions suivantes :
1. Apotex est‑elle précluse de contester ainsi les certificats de correction dans la présente instance au motif que la décision du commissaire de délivrer ces certificats peut uniquement être contestée par voie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales)?
2. Est-il interdit à Servier d'invoquer l'argument concernant le contrôle judiciaire au motif qu'il n'a pas été avancé dans les actes de procédure?
3. Quelle est la norme de contrôle applicable à une décision du commissaire de délivrer un certificat de correction?
4. Le commissaire a-t-il agi déraisonnablement ou incorrectement (selon la norme de contrôle) en concluant que les erreurs (ou l'une d'elles) étaient des « erreurs d'écriture » qui pouvaient être corrigées en vertu du pouvoir que lui accorde l'article 8 de la Loi sur les brevets, tel qu'il était rédigé en 2001?
B. Contexte de la question
[177] Ainsi que je l'ai exposé précédemment dans les présents motifs, le brevet 196 a été délivré à la suite de l'ordonnance du juge Nadon. Le procès-verbal du règlement (l'entente de règlement) conclu par ADIR, Hoechst et Schering était joint à cette ordonnance, et les revendications qui devaient être délivrées à chaque partie accompagnaient l'entente de règlement. L'ordonnance du juge Nadon, l'entente de règlement et l'annexe des revendications jointe étaient toutes rédigées en anglais. La clause 1(a) de l'entente de règlement prévoyait ce qui suit :
[TRADUCTION]
ADIR a droit à la délivrance d'un brevet fondé sur la demande pendante portant le numéro de série 387 093 limité aux revendications énoncées dans l'annexe A jointe aux présentes.
[178] En vertu de la clause 2(a) de l'entente de règlement, les parties ont, entre autres, convenu de ce qui suit :
[TRADUCTION]
ADIR modifiera sa demande pour supprimer toutes les revendications actuellement visées par cette demande et remplacera ces revendications par celles énoncées dans l'annexe A jointe aux présentes.
[179] L'annexe A énonçait les revendications d'ADIR, notamment la revendication suivante qui est plus particulièrement pertinente pour la présente question :
5. The compound (2S)-2-[(1S)-1-carbethoxybutylamino]-1-oxopropyl-(2S,3aS,7aS)-perhydroindole-2-carboxylic acid and its pharmaceutically acceptable salts thereof.
[TRADUCTION]
5. Le composé (2S)-2-[(1S)-1- carbéthoxybutylamino]-1-oxopropyl-(2S,3aS,7aS)- perhydroindole-2-acide carboxylique et ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[180] Ainsi que je l'ai déjà signalé, la demande 093 a été déposée en français au Bureau des brevets. Le texte du brevet 196, tiré de la demande 093, a été rédigé en français. Le paragraphe 172(3) des Règles sur les brevets, DORS/96-423 (les Règles sur les brevets), énonce ce qui suit : « Le texte à la fois de l'abrégé, de la description, des dessins et des revendications est rédigé entièrement en français ou entièrement en anglais. » Par conséquent, les revendications ont été traduites en français à partir de la version anglaise de l'entente de règlement. Cette tâche aurait apparemment été exécutée par Me Nelson Landry, à titre d'avocat et d'agent de brevets pour ADIR. Une fois la traduction terminée et le document produit au Bureau des brevets, le brevet 196 a été délivré le 6 mars 2001. Telle qu'elle avait été délivrée, la revendication no 5 était rédigée comme suit :
Le composé selon la revendication 1 qui est le {N - [(R,S) éthoxycarbonyl - 1 butyle] (S) - alanyle} - 1 (S) carboxy 2 (3aS,7aS) perhydroindole
et ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[181] Telle qu'elle a été rédigée, produite et délivrée dans le brevet 196, cette revendication ne correspondait pas à la revendication no 5 de l'entente de règlement, telle qu'elle était approuvée par la Cour dans l'ordonnance du juge Nadon, et ne constituait pas une revendication à l'égard du perindopril. Plus précisément, cette version comportait un (R,S) pour le groupe éthoxycarbonyl et un (S) déplacé relativement au groupe carboxy. Comme l'ont tous deux déclaré Mme Jaguelin et Me Landry lors de leur témoignage, le problème a été porté à l'attention de Me Landry à l'occasion d'un appel téléphonique de Mme Jaguelin, qui avait remarqué l'erreur, peu après le 6 mars 2001.
[182] Pour tenter de corriger l'erreur, Me Landry a déposé une demande de correction. Le commissaire a délivré un certificat de correction daté du 3 avril 2001, énonçant ce qui suit :
La formule de la revendication 5 a été corrigée pour se lire comme suit « {N - [(2,S) éthoxycarbonyl - 1 butyle] (S) - alanyle} - 1 carboxy – 2 (S) (3aS,7aS) perhydroindole.
[183] Malheureusement, cette version contenait une autre erreur. Plutôt que de remplacer le (R,S) pour le groupe éthoxycarbonyl par (1,S), la formule a été modifiée, comme le demandait Me Landry dans sa lettre, par (2,S). M. Caignard, un collègue de Mme Jaguelin et la personne responsable des procédures en matière de brevets à ce moment‑là, a informé Me Landry de l'erreur dans une lettre datée du 18 avril 2001.
[184] Me Landry a rédigé une autre lettre de demande de correction le 25 avril 2001. Le second et dernier certificat de correction a été délivré par le commissaire le 14 mai 2001. Ce certificat prévoyait ce qui suit :
La formule de la revendication 5 a été corrigé [sic] pour se lire comme suit « {N - [(1,S) éthoxycarbonyl - 1 butyle] (S) - alanyle} - 1 carboxy – 2 (S) (3aS,7aS) perhydroindole.
[185] Enfin, la revendication no 5 du brevet 196 était la revendication concernant le perindopril.
C. Pouvoir conféré au commissaire par la Loi
[186] Le commissaire détient le pouvoir de corriger des « erreurs d'écriture » en vertu de l'article 8 de la Loi sur les brevets. Cet article, tel qu'il existait en 2001, est rédigé comme suit :
8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n'est pas invalide en raison d'erreurs d'écriture; elles peuvent être corrigées sous l'autorité du commissaire. |
8. Clerical errors in any instrument of record in the Patent Office do not invalidate the instrument, but they may be corrected under the authority of the Commissioner. |
D. Apotex doit-elle procéder par voie de contrôle judiciaire?
[187] Servier soutient qu'Apotex ne peut contester la décision du commissaire de délivrer les certificats de correction dans la présente action; elle doit plutôt procéder par voie de contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. À son avis, le régime de la Loi sur les Cours fédérales (voir notamment l'article 2 et les paragraphes 18(1) et 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales) exige qu'une partie à un litige procède par voie de contrôle judiciaire pour faire annuler la décision d'un office fédéral. Servier s'appuie sur plusieurs décisions de la Cour d'appel fédérale et de notre Cour. Voir, à titre d'exemples, Grenier c. Canada, [2006] 2 R.C.F. 287, 2005 CAF 348, aux paragraphes 20, 29 et 31 (Grenier), Mohiuddin c. Canada, 2006 CF 664, et Malkine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 573, aux paragraphes 5 et 15.
[188] Selon les faits de l'affaire dont je suis saisie, je ne suis pas convaincue qu'Apotex doive procéder par voie de contrôle judiciaire. Je reconnais toutefois que la question soulève des interrogations.
[189] L'arrêt Grenier, précité, contient une analyse soignée des principes touchant le mandat de la Cour fédérale d'entendre les demandes de contrôle judiciaire des décisions d'offices fédéraux et de trancher ces demandes. La Cour s'est dite préoccupée par la possibilité de contestations indirectes de ces décisions qui pourraient ne pas comprendre une analyse de la norme correcte de contrôle de la décision du tribunal. La Cour était également préoccupée par la finalité des décisions des tribunaux. Au paragraphe 31, le juge Létourneau, s'exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit :
Le principe de la finalité des décisions commande également, dans l'intérêt public, que les possibilités de contestations indirectes d'une décision administrative soient limitées et circonscrites, particulièrement lorsque le législateur a opté pour une procédure de contestation directe de cette décision, à l'intérieur de paramètres définis.
[190] À première vue, les mêmes principes s'appliquent à une décision du commissaire, agissant en vertu du pouvoir que lui accorde la Loi sur les brevets. Il y a néanmoins de très importantes distinctions à faire en l'espèce.
[191] Dans la jurisprudence mentionnée par Servier, les parties en litige étaient toutes parties à la décision initiale de l'office fédéral et auraient clairement eu qualité pour demander le contrôle judiciaire.
[192] À titre d'exemple, M. Grenier dans l'arrêt Grenier, précité, était un prisonnier qui avait été condamné à une heure d'isolement préventif par le directeur de l'établissement. Il n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision, mais quelque trois ans plus tard, il a intenté une poursuite en dommages-intérêts découlant de l'isolement. Dans ces circonstances, la Cour d'appel a conclu que M. Grenier devait demander directement l'annulation ou l'invalidation de cette décision par voie de contrôle judiciaire, conformément à l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.
[193] En l'espèce, Apotex n'était pas partie à l'instance qui a donné lieu à la délivrance des deux certificats de correction. Il est possible de soutenir qu'Apotex n'avait pas qualité pour contester la délivrance des certificats par voie de contrôle judiciaire. À moins d'une surveillance continue de toutes les décisions du commissaire et des notes apposées au dossier du brevet 196, Apotex n'aurait pas eu connaissance des certificats ni du contexte dans lequel ils ont été délivrés. Comment Apotex aurait-elle alors pu présenter une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales?
[194] Un autre élément distinctif de la présente affaire est que les décisions du commissaire de délivrer des certificats de correction découlent de la Loi sur les brevets. À mon avis, il s'agit d'une distinction essentielle. Il saute aux yeux qu'Apotex fonde la demande reconventionnelle qu'elle intente notamment sur l'invalidité de la revendication no 5. Trois dispositions différentes de la Loi sur les brevets sont pertinentes à l'égard de cette question :
· L'article 59 de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit : « Dans toute action en contrefaçon de brevet, le défendeur peut invoquer comme moyen de défense tout fait ou manquement qui, d'après la présente loi ou en droit, entraîne la nullité du brevet [...]. »;
· Le paragraphe 60(1) prévoit ce qui suit : « Un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale, [...] à la diligence d'un intéressé. »;
· En vertu du paragraphe 60(2), toute personne dont les actions peuvent faire l'objet d'une allégation de contrefaçon « peut intenter une action devant la Cour fédérale contre le breveté afin d'obtenir une déclaration que ce procédé ou cet article ne constitue pas ou ne constituerait pas [une contrefaçon du brevet] ».
[195] Aucune exception n'est prévue pour les allégations d'invalidité fondées sur des actions illégales du commissaire. Il s'ensuit qu'Apotex peut soulever ses allégations de décisions illégales du commissaire dans le contexte d'une action. Exiger qu'Apotex présente une demande de contrôle judiciaire de la délivrance des deux certificats de correction par le commissaire rendrait l'article 59 et les paragraphes 60(1) et (2) dénués de sens.
[196] Pour ces motifs, je conclus que la meilleure position juridique est qu'Apotex n'a pas pour seul recours de soulever, dans une demande de contrôle judiciaire, les actes du commissaire lors de la délivrance des certificats de correction.
[197] Apotex invoque un moyen de défense supplémentaire à l'égard des prétentions de Servier selon lesquelles Apotex n'avait pas la capacité de soulever la question des corrections autrement que par voie de contrôle judiciaire. Dans sa plaidoirie finale, Apotex a soutenu que les actes de procédure de Servier ne comportaient aucune mention concernant cette objection. Je conviens que les actes de procédure sont muets. Toutefois, puisque je conclus que l'objection de Servier fondée sur des motifs de capacité ne peut être maintenue au fond, il n'est pas nécessaire d'examiner l'omission de Servier d'inclure l'objection dans ses actes de procédure.
[198] Ayant conclu qu'il n'est pas nécessaire que la question de la légalité des décisions du commissaire soit tranchée au moyen d'une demande de contrôle judiciaire, j'examine maintenant les arguments soulevés.
E. Norme de contrôle applicable à une décision du commissaire
[199] Toute analyse de la légalité des décisions du commissaire de délivrer les deux certificats de correction doit commencer par une évaluation de la norme de contrôle à appliquer aux décisions en cause. Apotex soutient que la question de savoir si une modification demandée constitue une « erreur d'écriture » est une pure question de droit à laquelle devrait s'appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Servier prétend que la décision commande la norme de la décision raisonnable. Pour les motifs énoncés ci-après, je préfère la norme de contrôle proposée par Servier.
[200] La méthode à employer pour déterminer la norme de contrôle qui s'applique à une décision d'un tribunal administratif a récemment été reformulée dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Les juges Bastarache et Lebel, se prononçant au nom de la majorité, résument la nouvelle « analyse de la norme de contrôle » au paragraphe 62 de l'arrêt :
Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l'analyse des éléments qui permettent d'arrêter la bonne norme de contrôle.
[201] Appliquant l'arrêt Dunsmuir, j'examine d'abord la jurisprudence existante sur la norme de contrôle à l'égard de l'article 8 de la Loi sur les brevets.
[202] La jurisprudence à l'égard de l'article 8 de la Loi sur les brevets est limitée, mais uniforme.
[203] Dans la décision Pason Systems Corp. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 753 (Pason), le juge Hughes a statué qu'une décision du commissaire en vertu de l'article 8 comportait deux étapes, chacune assujettie à sa propre norme de contrôle :
Cette opération comporte deux étapes : il faut d'abord établir s'il y a bien une erreur d'écriture, après quoi le Commissaire « peut » la corriger, c'est‑à‑dire qu'il conserve un pouvoir discrétionnaire à cet égard. La question de savoir s'il y a effectivement une « erreur d'écriture » est essentiellement une question de fait, à laquelle on peut répondre sans les connaissances spéciales que le commissaire peut posséder en matière de brevets ou dans le domaine de la science. On peut faire preuve à cet égard d'un degré raisonnable, mais non considérable, de retenue relativement à la décision du commissaire. La deuxième étape, celle qui consiste à établir s'il y a lieu de corriger l'erreur dont on a constaté l'existence, relève d'un pouvoir discrétionnaire — voir Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire aux brevets, [1981] 1 C.F. 656 (1re inst.), le juge Mahoney, à la page 660 — et commande un niveau élevé de retenue. (Pason, précité, au paragraphe 21)
[204] Le juge Barnes a tiré une conclusion semblable dans la décision Dow Chemical Co. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1236, aux paragraphes 14, 15 et 26 lorsque, citant en partie l'arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Commissaire aux brevets, no T‑381‑97, 24 octobre 1997, 138 F.T.R. 144, conf. par no A‑748‑97, 26 juin 1998, 82 C.P.R. (3d) 192 (C.A.F.), il a souligné qu'à la deuxième étape, « la Cour ne devrait infirmer cette décision que si elle est déraisonnable », alors qu'une « retenue considérable » était de mise dans la première étape.
[205] En d'autres mots, les juges Barnes et Hughes ont tous deux conclu que la norme de contrôle applicable à l'égard des deux étapes d'une décision prise en vertu de l'article 8 est la norme de la décision raisonnable. En conséquence, il semble que la jurisprudence « établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant » à la décision en cause en l'espèce et il est inutile que j'aille plus loin. Toutefois, tel qu'il est indiqué ci-après, je tire la même conclusion après avoir effectué mon propre examen des facteurs pertinents.
[206] Pour débuter, je me trouve de nouveau en accord avec le juge Hughes dans Pason, précitée, au paragraphe 21, lorsqu'il conclut que CertainTeed Corp. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 436, résume bien trois des quatre facteurs pertinents applicables à l'analyse de la norme de contrôle :
· La Loi ne comporte aucune clause privative et l'article 41 permet de faire appel d'une décision du commissaire. Le premier facteur est donc neutre.
· Le commissaire a de l'expérience dans l'examen des demandes de brevet et des appels interjetés en vertu de la Loi. Il possède une expertise dans le domaine et, par conséquent, ses décisions commandent un degré élevé de retenue.
· L'objet de la Loi est d'encourager l'invention et de réglementer la délivrance de brevets au Canada; voir Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp and Paper Mills Ltd., [1929] A.C. 269 (C.P. Canada).
[207] En ce qui a trait à la nature de la question dont la Cour est saisie, Apotex soutient essentiellement que le commissaire a commis une erreur en délivrant les certificats de correction car les corrections n'étaient pas des corrections d'erreurs d'écriture. En d'autres mots, Apotex conteste la première étape de la décision du commissaire prise en vertu de l'article 8.
[208] La détermination de ce qui constitue une erreur d'écriture est de nature hautement factuelle (Pason, précité, au paragraphe 21) et, au mieux, une question mixte de fait et de droit. En conséquence, vu ce facteur, une certaine retenue est de mise.
[209] Ce facteur, jumelé aux autres (dont aucun ne commande la norme de la décision correcte), m'amène à conclure que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.
F. L'une ou l'autre des décisions du commissaire était-elle déraisonnable?
[210] Le commissaire a délivré les certificats en vertu de l'article 8 de la Loi sur les brevets. Pour ce faire, il devait être convaincu que les corrections portaient sur des « erreurs d'écriture ». Tel que l'expose l'arrêt Dunsmuir au paragraphe 47 à propos de la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si les décisions du commissaire appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[211] Je commence par ce que la jurisprudence a déclaré à propos des erreurs d'écriture. On a dit qu'une erreur d'écriture au sens de l'article 8 de la Loi est « une erreur qui survient dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription » (Bayer Aktiengesellschaft c. Le commissaire des brevets, [1981] 1 C.F. 656 (C.F. 1re inst.), à la p. 660).
[212] Apotex soutient que les erreurs commises par Me Landry ne peuvent être qualifiées d'erreurs d'écriture.
[213] Me Landry, qui a agi comme avocat et agent de brevets pour ADIR pendant les périodes pertinentes, a comparu comme témoin au présent procès en vertu d'une assignation à comparaître pour témoigner uniquement sur la question des corrections. Le témoignage de Me Landry établit que la première erreur est survenue pendant la traduction. Comme Me Landry l'a indiqué dans son témoignage, il savait que le brevet 196 devait être délivré en français, alors que l'entente de règlement et l'annexe A étaient en anglais. Selon le témoignage de Me Landry, il a travaillé à la fois avec la demande 093 (qui était en français) et la version anglaise de la revendication no 5 pour rédiger la version française de la revendication no 5 pour le brevet 196. Le résultat de son travail de réflexion contenait deux erreurs : a) un (R,S) pour le groupe éthoxycarbonyl dans la description plutôt que (1,S); b) un (S) déplacé concernant le groupe carboxy. En apportant sa première correction à l'erreur, Me Landry a commis la seconde erreur. Plutôt que de demander que le (R,S) du groupe éthoxycarbonyl soit remplacé par (1,S), Me Landry a erronément demandé qu'il soit remplacé par (2,S).
[214] Apotex fait valoir que l'erreur commise dans la traduction d'un document ou d'une phrase dans celui-ci est fondamentalement différente d'une erreur qui survient dans la copie, l'écriture ou la transcription d'information d'un document à un autre. Ces derniers processus sont des processus de nature mécanique et exigent peu ou pas de pensée originale et consciente. Par conséquent, ils sont reconnus comme ayant les caractéristiques qui définissent une erreur « d'écriture ». Par ailleurs, l'action de traduire, de manière générale et plus particulièrement dans les circonstances précises de l'espèce, comporte un processus de pensée qui, de l'avis d'Apotex, est l'antithèse même d'une erreur d'écriture. La traduction, particulièrement en l'espèce, n'est pas une simple question de rechercher les mots équivalents dans un dictionnaire anglais‑français et de remplacer un mot anglais par sa contrepartie littérale française. Apotex soutient qu'une erreur découlant d'un tel processus ne peut pas, en droit, constituer une erreur d'écriture.
[215] La deuxième correction peut être aisément réglée. À mon avis, il n'est pas déraisonnable d'envisager que l'insertion erronée de (2,S) au lieu de (1,S) est une erreur d'écriture. Contrairement à la prétention d'Apotex, il est plus probable qu'improbable qu'une telle erreur soit de nature mécanique et soit commise sans réfléchir. En fait, si Me Landry avait appliqué une pensée originale et consciente au processus, il se serait rendu compte de son erreur. L'inclusion de (1,S) pour le groupe éthoxycarbonyl est clairement énoncée dans la version anglaise de la revendication no 5 figurant dans l'annexe A de l'entente de règlement.
[216] La première correction, survenue au cours de la traduction, peut présenter plus de problèmes. En général, la traduction est une tâche difficile. Me Landry devait appliquer une certaine pensée et analyse pour traduire la revendication no 5 de l'annexe A, qui était en anglais, en vue de la version française nécessaire pour le brevet 196. Ainsi que je l'ai déjà signalé, il a travaillé avec la demande no 093 rédigée en français, de même qu'avec l'annexe de l'entente de règlement.
[217] Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (le RPBB) offre des indications à l'intention des fonctionnaires du Bureau des brevets. Dans la version en vigueur du RPBB (Bureau des brevets, Recueil des pratiques du Bureau des brevets, Ottawa‑Gatineau, Office de la propriété intellectuelle du Canada, 2006), le paragraphe 23.04 porte sur les corrections en vertu de l'article 8. L'alinéa 23.04.02 prévoit que la correction d'une erreur de traduction n'est pas une erreur de transcription. Apotex s'appuie sur le RPBB pour établir le caractère déraisonnable de la décision du commissaire lorsqu'il a conclu que la première correction visait une « erreur d'écriture ». L'utilisation par Apotex du RPBB en vigueur présente au moins trois problèmes. Premièrement, le RPBB utilisé au moment des corrections (Bureau canadien des brevets, Recueil des pratiques du Bureau des brevets, Ottawa‑Hull, Office de la propriété intellectuelle du Canada, 1998) ne disait pas qu'une erreur de traduction n'était pas une erreur de transcription. Deuxièmement, le RPBB contient des lignes directrices, qui ne peuvent lier le commissaire.
[218] Troisièmement, il est raisonnable de penser que les erreurs n'étaient pas des erreurs de traduction. Le fait que les erreurs sont survenues pendant la traduction n'en fait pas automatiquement des « erreurs de traduction ». Ce point de vue est étayé par la définition des mots [TRADUCTION] « traduire » ou [TRADUCTION] « traduction ». Selon le dictionnaire intitulé Canadian Oxford Dictionary, la signification la plus pertinente du mot [TRADUCTION] « traduire » est d' [TRADUCTION] « exprimer le sens de (un mot, une phrase, un discours, un livre, et ainsi de suite) dans une autre langue » (Concise Canadian Oxford Dictionary, « translate »). La [TRADUCTION] « traduction » est [TRADUCTION] « l'action de traduire » ou [TRADUCTION] « la signification d'un mot, d'un discours, d'un livre, et ainsi de suite, exprimée par écrit ou oralement » (Concise Canadian Oxford Dictionary, « translation »). En d'autres mots, la traduction comporte l'expression de mots, de phrases, de discours, de livres, et ainsi de suite, d'une langue à une autre. Ainsi, une personne qui rédige un brevet peut commettre une erreur dans la traduction de phrases ou de termes techniques particuliers dans une autre langue. En l'espèce, cependant, les erreurs de Me Landry ne découlent pas de la traduction des revendications ou de leurs termes. Elles sont plutôt survenues pendant le processus de traduction. Chacune des erreurs visait la configuration de lettres ou de chiffres (comme R,S ou 1,S) et non pas [TRADUCTION] « des mots, des phrases, des discours, des livres, et ainsi de suite ». En conséquence, les erreurs peuvent raisonnablement être qualifiées de simples désignations alphanumériques incorrectes et non d'erreurs de traduction. Il s'ensuit qu'on ne peut pas dire que la décision du commissaire, même si le RPBB actuel avait été en vigueur, est déraisonnable.
[219] Enfin, je constate que, tout au long de l'exercice, la revendication no 5 du brevet 196 était définie, même si elle était en anglais, dans l'annexe A de l'entente de règlement. Toutes les parties à l'entente de règlement savaient qu'une revendication à l'égard du perindopril devait être attribuée à ADIR. En outre, le commissaire connaissait particulièrement la revendication no 5 attribuée à ADIR. Le commissaire a été saisi de la totalité du dossier du brevet 196. Ainsi, tous les documents et toute la correspondance menant à la délivrance du brevet 196 faisaient partie du dossier. Il est particulièrement important de souligner que le commissaire était en possession de l'ordonnance du juge Nadon dans laquelle le règlement final du conflit était documenté. Le commissaire était tenu de donner effet à ce document. En fait, toute décision du commissaire visant à modifier l'ordonnance du juge Nadon, sans ordonnance judiciaire supplémentaire, aurait pu vraisemblablement faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Selon une modalité expresse de cette ordonnance, ADIR avait droit aux revendications énoncées à l'annexe A de l'entente de règlement, notamment ce qui suit :
5. The compound (2S)-2-[(1S)-1-carbethoxybutylamino]-1-oxopropyl-(2S,3aS,7aS)-perhydroindole-2-carboxylic acid and its pharmaceutically acceptable salts thereof.
[TRADUCTION] 5. Le composé (2S)-2-[(1S)-1- carbéthoxybutylamino]-1-oxopropyl-(2S,3aS,7aS)- perhydroindole-2-acide carboxylique et ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[220] Le commissaire était donc aux prises avec un ensemble inhabituel de faits. Il ne s'agissait pas d'une situation où un titulaire de brevet tentait de modifier la formule chimique d'une revendication en se fondant uniquement sur sa déclaration. Dans la présente affaire, le commissaire pouvait lire la revendication dans l'ordonnance du juge Nadon et comparer les corrections demandées à cette revendication. Il savait que l'objet des corrections visait à atteindre le résultat envisagé par l'ordonnance du juge Nadon. Je reconnais que cela n'explique pas la raison pour laquelle le commissaire a accepté la première demande incorrecte de certificat de correction. Néanmoins, dans l'ensemble, je suis convaincue que l'existence de la revendication no 5 de l'annexe A a fait office de filet d'arrêt. Aujourd'hui, en raison de deux certificats de correction, le brevet d'ADIR reflète avec exactitude la revendication d'ADIR à l'égard du perindopril, tel que le décrit la revendication no 5 du brevet 196.
[221] À la lumière des faits inhabituels de l'espèce et du dossier dont était saisi le commissaire, je conclus que les décisions du commissaire de délivrer les deux certificats de correction appartiennent aux issues possibles acceptables. Il s'agit de décisions raisonnables et elles ne devraient pas être infirmées.
G. Conclusion concernant cette question
[222] Après examen des arguments concernant cette question, je conclus que les certificats de correction n'ont pas été délivrés sans fondement juridique (comme le soutenait Apotex). Il s'ensuit que la revendication no 5 du brevet 196 n'est pas invalide en raison de la délivrance illégale de certificats de correction.
VIII. L'évidence
A. Droit applicable
[223] Apotex soutient que le brevet 196 est invalide pour cause d'évidence.
[224] Je commence par les principes juridiques pertinents.
[225] Le premier point à souligner est qu'il incombe à la partie qui conteste d'établir qu'une revendication est évidente selon la prépondérance des probabilités.
[226] Le critère de l'évidence a fait couler beaucoup d'encre dans la jurisprudence. Je crois cependant que, dans l'arrêt Novopharm Ltd. c. Janssen‑Ortho Inc., 2007 CAF 217 (Janssen‑Ortho (C.A.F.)), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32200, 6 décembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 442, la Cour d'appel fédérale a maintenant fourni un résumé très utile du critère de l'évidence et de la manière dont le juge du procès devrait aborder la question. La juge Sharlow, s'exprimant pour la Cour d'appel dans Janssen‑Ortho (C.A.F.), a ainsi présenté le critère de l'évidence aux paragraphes 23 et 24 :
Le critère juridique admis de l'évidence a été formulé comme suit par le juge Hugessen à la page 294 de l'arrêt‑clé Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :
La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
L'examen que commande le critère Beloit est de nature factuelle et fonctionnelle et doit être guidé par la preuve d'expert touchant les compétences pertinentes de la personne hypothétique normalement versée dans l'art et l'état de la technique à l'époque pertinente. Il convient d'évaluer attentivement la crédibilité et la fiabilité de cette preuve d'expert. Il ne faut en effet jamais oublier la mise en garde classique que fait le juge Hugessen contre la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit :
Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »
[227] Au paragraphe 25, la juge Sharlow a exposé, de manière très pertinente, plusieurs facteurs qui peuvent « orienter la recherche nécessaire des faits » et qui peuvent être utilisés « en tant que cadre de l'analyse à laquelle ces faits doivent être soumis ». La juge a ensuite énuméré et expliqué la liste non exhaustive suivante des facteurs qui peuvent orienter la recherche des faits. Ces facteurs sont les suivants :
Principaux facteurs
1. L'invention.
2. La personne hypothétique versée dans l'art dont parle Beloit.
3. Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art.
4. Le climat régnant dans le domaine en question à l'époque où l'invention supposée a été faite.
5. La motivation qui, à l'époque où l'invention supposée a été faite, incitait à résoudre un problème reconnu.
6. Le temps et les efforts qu'a exigés l'invention supposée.
Facteurs secondaires
7. Le succès commercial.
8. Les prix et autres récompenses.
[228] L'évidence doit être évaluée à la date de l'invention (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1205, au paragraphe 89, infirmé pour d'autres motifs par 2007 CAF 209, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32132, 15 novembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 377 (Pfizer)). En l'espèce, il n'est pas pertinent de se demander si la date de l'invention est le 1er octobre 1981, comme le soutient Apotex dans son acte de procédure, ou le 1er octobre 1980, comme elle l'a soutenu dans sa plaidoirie finale. En conséquence, j'utiliserai la date plus tardive, celle du 1er octobre 1981.
B. L'état de la technique
[229] Gardant ces principes juridiques à l'esprit, j'examine les réalisations antérieures pertinentes.
[230] Apotex, dans les documents qu'elle a soumis, renvoie à un certain nombre d'articles scientifiques qui seraient représentatifs de l'état de la technique. Apotex soutient que ces articles, qui ont tous trait à la série de composés du captopril, sont importants pour les raisons suivantes :
· Cushman et al., « Inhibition of Angiotensin-Converting Enzyme by Analogs of Peptides from Bothrops jaracara Venom », (1973) Experientia 29/8 1032 (l'article paru dans Experientia) : les auteurs ont démontré l'activité raisonnable du tripeptide Phe‑Ala‑Pro comme inhibiteur de l'ECA, enseignant ainsi que la proline (Pro) à l'extrémité C‑terminale contribuait à la liaison à l'ECA;
· Miguel A. Ondetti & Bernard Rubin & David W. Cushman, « Design of Specific Inhibitors of Angiotensin-Converting Enzyme: New Class of Orally Active Antihypertensive Agents », 196 Science 441 (l'article paru dans Science) : enseigne la stéréochimie préférable de la série de composés du captopril en fournissant des données d'analyses pour les stéréoisomères du captopril;
· Cushman et al., « Design of Potent Competitive Inhibitors of Angiotensin-Converting Enzyme Carboxyalkanoyl and Mercaptoalkanoyl Amino Acids », (1977) 16 No. 25 Biochemistry 5484 (l'article paru dans Biochemistry); Cushman et al., « Design of New Antihypertensive Drugs: Potent and Specific Inhibitors of Angiotensin-Converting Enzyme », (1978) XXI No. 3 Progress in Cardiovascular Diseases 176 (l'article paru dans Progress in Cardiovascular Diseases) : ces deux articles ont indiqué que la spécificité de substrat du site actif de l'ECA était « très large » et que le groupe en position C‑terminale pouvait varier. De plus, bien qu'ils enseignent que la proline était préférable en position C‑terminale, ils ont également indiqué que des acides aminés plus exigeants du point de vue stérique conservaient toujours une activité;
· Hong-Son Cheung et al., « Binding of Peptide Substrates and Inhibitors of Angiotensin-converting Enzyme: Importance of the COOH‑Terminal Dipeptide Sequence », 255(2), J. Biol. Chem., 25 janvier 1980, 401 (l'article paru dans Biological Chemistry) : enseigne que le tryptophane, un groupe ayant une plus grande taille stérique que la proline, était plus actif que la proline lorsqu'il prenait la place de la proline à l'extrémité C‑terminale.
[231] Apotex soutient que les enseignements à tirer de ces articles ont été renforcés par un certain nombre de brevets américains obtenus par Squibb (brevets des États‑Unis nos 4 046 889, 4 154 942, 4 105 776, 4 113 715 et 4 105 789), qui enseignent que d'autres acides aminés pouvaient être utilisés au lieu de la proline en position C‑terminale.
[232] En plus des réalisations antérieures liées au captopril, Apotex s'appuie sur celles associées aux travaux de Merck sur l'énalapril. Ces réalisations antérieures incluent les divulgations faites lors du congrès de Troy, la demande de brevet européen no 0 012 401 A1 (la demande 401) et l'article de Patchett, A. A. et al., « A new class of Angiotensin-converting enzyme inhibitors », 288 Nature 280 (l'article paru dans Nature). Selon Apotex, ces réalisations antérieures sont importantes à trois égards :
· Elles ont montré que les composés de configuration S étaient préférables.
· Elles ont montré par des exemples et enseigné que les composés préférables dans la classe de l'énalapril comprenaient ceux dont la chaîne latérale était un groupe alkyle linéaire plutôt que phénéthyle.
· Elles ont montré que les groupes plus volumineux, y compris le tryptophane, la thiaproline et l'acide pipécolique, pouvaient remplacer la proline dans la partie C‑terminale.
[233] Apotex s'appuie également sur la demande de brevet européen no 0 012 845 B1 (la demande de Tanabe). La demande de Tanabe, selon Apotex, divulgue une classe de composés ayant une substitution bicyclique 6,6 (tétrahydroisoquinoline ou THIQ) à la place de la proline sur le squelette du captopril. Ainsi, à partir de cette divulgation, une personne versée dans l'art comprendrait que des groupes aussi volumineux que la THIQ en position C‑terminale se lieraient à l'ECA.
[234] Enfin, Apotex s'appuie sur un nombre limité de techniques non liées aux inhibiteurs de l'ECA pour soutenir que les systèmes bicycliques, notamment les systèmes cycliques 6,5, étaient décrits dans la littérature en 1976 et ont été intégrés dans des antihypertenseurs non inhibiteurs de l'ECA.
[235] Servier ne prétend pas que le contenu des réalisations antérieures susmentionnées est autre chose que ce que déclare Apotex. Servier a plutôt soutenu qu'il ne faudrait pas s'appuyer sur une partie des réalisations antérieures citées pour deux raisons :
1. s'appuyer sur des réalisations antérieures à l'extérieur du domaine de l'inhibition de l'ECA est [TRADUCTION] « non seulement de mauvais droit, mais non valable du point de vue scientifique »;
2. M. Marshall ne connaissait pas la demande de Tanabe avant la présente instance.
[236] En ce qui a trait au premier argument de Servier, je ne suis pas d'accord que s'appuyer sur des réalisations antérieures à l'extérieur du domaine en cause sera toujours de mauvais droit. La jurisprudence indique toutefois qu'on ne saurait présumer que le technicien versé dans l'art sans imagination et non inventif examinerait des réalisations antérieures dans d'autres domaines (Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd., no T‑762‑88, 26 février 1996, [1996] A.C.F. no 240 (QL) (C.F. 1er inst.), au paragraphe 67, conf. par no A‑232‑96, 6 février 1997, 72 C.P.R. (3d) 397, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 25942, 25 septembre 1997, [1997] C.S.C.R. no 374). En d'autres mots, il doit exister une raison, appuyée par des éléments de preuve, qui inciterait une personne versée dans l'art à aller au‑delà du domaine en cause. C'est à cet égard que je conclus qu'Apotex a trébuché.
[237] Un examen des experts d'Apotex sur ce point révèle plusieurs problèmes. Le témoignage de M. Marshall est miné par le fait que l'avocat d'Apotex lui a fourni des références qui ne se rapportaient pas à l'inhibition de l'ECA. L'affidavit et le témoignage de M. Thorsett sont vagues et généraux. Il a omis d'attirer l'attention de la Cour sur quelque réalisation antérieure qu'une personne versée dans l'art aurait examinée. Finalement, M. McClelland s'est uniquement appuyé sur des réalisations antérieures provenant de Squibb et de Merck. Par conséquent, son témoignage n'est d'aucune utilité à la Cour sur ce point.
[238] En résumé, Apotex ne m'a pas convaincue que la personne versée dans l'art irait au-delà du domaine de l'inhibition de l'ECA. Je souligne toutefois que ma conclusion sur ce point n'enlève rien aux autres articles, brevets et divulgations mentionnés ci-dessus, portant tous sur l'inhibition de l'ECA.
[239] En ce qui a trait au deuxième argument de Servier, je conclus qu'il influe sur le poids du témoignage de M. Marshall, tel qu'il est exposé ci-après, et ne justifie pas l'exclusion de la demande de Tanabe du domaine pertinent des réalisations antérieures. En fait, ni Servier ni aucun de ses experts n'ont indiqué que la demande de Tanabe ne devrait pas être prise en compte comme réalisation antérieure valable.
[240] En somme, je suis convaincue que les réalisations antérieures susmentionnées représentaient l'état de la technique le 1er octobre 1981. Résumons en quelques mots les leçons qui peuvent être tirées de ces réalisations :
· Une hypothèse de travail relativement à l'ECA, à sa nature et à la façon dont les inhibiteurs interagissent avec l'ECA avait été formulée et publiée par des scientifiques de Squibb et de Merck.
· On savait que les effets de liaison résultant de la modification de parties différentes d'une molécule inhibitrice étaient en grande partie indépendants. Ainsi, une personne versée dans l'art pourrait escompter, et ne pas être surprise de voir, qu'une modification du cycle proline dans le captopril qui maintenait ou amplifiait l'activité aurait un effet similaire ou accru dans l'énalapril.
· On savait que le sous‑site S2' de l'ECA pouvait accepter des molécules volumineuses comme le tryptophane et la THIQ.
· Le 1er octobre 1981, on avait démontré que des changements considérables pouvaient être apportés à la charpente d'un inhibiteur non peptidique de l'ECA, en particulier à l'extrémité C‑terminale.
C. La position des parties
[241] Maintenant que j'ai établi les réalisations antérieures pertinentes, je résumerai la position des parties.
[242] Apotex divise son argumentation concernant l'évidence du brevet 196 en deux parties principales. Elle soutient d'abord que l'ajout du cycle perhydroindole 6,5 au squelette de Merck était évident. À l'appui de cet argument, Apotex se réfère : (i) aux réalisations antérieures démontrant la promiscuité du sous‑site S2' de l'ECA qui peut accepter des groupes volumineux; (ii) à l'« admission effective » de Servier, dans le brevet 196 et la demande 093, qu'il n'y a pas de distinction entre la THIQ et le perhydroindole; (iii) aux aptitudes générales d'un spécialiste en chimie médicinale d'utiliser la relation structure‑activité (RSA) comme méthode pour modifier ces cycles au besoin; (iv) au fait que des chimistes travaillant pour Hoechst, Warner‑Lambert et Schering avaient également incorporé des modifications au système bicyclique après le congrès de Troy; (v) aux motifs allégués par ces différents groupes de chimistes. Deuxièmement, Apotex soutient que le reste de l'invention dans le brevet 196, à savoir l'ajout d'une chaîne latérale alkyle linéaire, était évident vu que de telles chaînes latérales avaient été incluses dans la demande 401 et vu l'article paru dans Nature, et parce que rien dans la description du brevet 196 n'indiquait que l'invention se limitait à une chaîne latérale alkyle linéaire.
[243] En réponse, Servier déclare que, pour ce qui est de l'ajout du cycle perhydroindole 6,5, les réalisations antérieures, notamment la demande de Tanabe, sont trop différentes du perhydroindole dans le perindopril pour que le brevet 196 soit évident. En ce qui concerne l'ajout de la chaîne latérale, Servier prétend que ni l'article publié dans Nature ni la demande 401 ne parlent de la chaîne latérale n‑propyle indiquée dans les revendications nos 3 et 5 du brevet 196. Dans le meilleur des cas, le n‑propyle fait partie des milliards de composés divulgués. De plus, Servier soutient que le perindopril est le seul inhibiteur de l'ECA fabriqué après le captopril et ayant reçu une approbation réglementaire au Canada qui a un propyle sur sa chaîne latérale. Enfin, Servier souligne que la structure cristalline de l'ECA n'était pas connue avant 2003 et prétend que le succès commercial du perindopril devrait être pris en compte dans toute analyse du caractère évident du brevet 196.
D. Application du droit aux faits
(1) Évidence du bicycle 6,5
[244] J'examinerai à tour de rôle chacun des arguments d'Apotex à la lumière des facteurs analysés dans l'arrêt Janssen‑Ortho (C.A.F.), en commençant par la question de l'évidence de l'ajout du groupe perhydroindole bicyclique 6,5.
[245] Toutefois, avant de débuter, je souhaite faire des observations concernant des critiques de nature générale lancées par Apotex à l'égard des experts de Servier.
[246] Apotex soutient que MM. Trost, Cimarusti et Bartlett ont tous commis une erreur en appliquant le critère juridique, une question qui va au-delà de leur compétence. Dans chacun des cas, l'expert avait reçu de l'avocat de Servier une définition de l'évidence ou un critère applicable à celle-ci. Les rapports des experts ont énoncé et examiné les éléments du critère. Apotex a fait valoir que je ne devrais accorder aucun poids aux opinions qui portaient sur la question juridique ultime. Je suis d'accord. Il n'appartient pas aux experts de répondre à la question de savoir si les composés énumérés dans le brevet 196 étaient évidents ou non; c'est le rôle de la Cour de le faire. Cependant, cela ne signifie pas que les opinions et le témoignage que ces experts ont donnés devraient, dans l'ensemble, se voir accorder aucun poids. Cela signifie que je dois tirer ma propre conclusion sur la question de l'évidence et c'est ce que j'ai fait.
[247] Apotex soutient également que les experts ont commis une erreur lorsqu'ils ont « analysé la technique » en prenant chaque segment de la technique et en l'analysant par rapport à l'invention, plutôt qu'en examinant les réalisations antérieures prises dans leur ensemble. Je ne peux critiquer la démarche adoptée par chacun des experts de Servier pour cette raison, même si je reconnais que c'est la démarche qu'ils ont adoptée. Tel que je l'ai indiqué ci‑dessus, je ne m'appuie sur aucune conclusion juridique tirée par les experts. En fin de compte, je suis responsable du choix de la démarche à l'égard de la preuve et des opinions qui m'ont été présentées, quelle que soit la manière dont elles l'ont été.
a) L'invention
[248] Selon Apotex, il n'y a aucune distinction inventive entre le groupe perhydroindole bicyclique 6,5 et d'autres groupes, tels que la THIQ, et que, dans la divulgation du brevet 196 et de la demande 093, Servier a en fait admis qu'il n'y a pas de distinction. On ne fait essentiellement que répéter qu'il n'y a qu'une seule invention dans le brevet 196.
[249] Il est également vrai que Servier inclut les composés de la THIQ dans le tableau 1 de la divulgation du brevet 196. On ne peut prétendre que Servier admet ainsi qu'il n'y a pas de distinction inventive entre les deux structures chimiques. En fait, en ne revendiquant pas les composés avec un groupe THIQ, on peut penser que Servier reconnaît les différences entre les deux groupes.
[250] Je répéterai ma conclusion antérieure, à savoir que la revendication no 1 du brevet 196 concerne une invention qui est distincte de la classe plus large des composés selon la formule générale I dans la description. Cette invention a un bicycle 6,5 à l'extrémité C‑terminale du composé et un groupe alkyle linéaire de 1 à 6 atomes de carbone à l'extrémité N-terminale. Le fait que les descriptions du brevet 196 et de la demande 093 n'établissent pas de distinction entre un cycle perhydroindole et d'autres groupes importe peu.
b) La personne versée dans l'art
[251] La personne hypothétique versée dans l'art en l'espèce vise plusieurs personnes versées dans l'art possédant de l'expérience professionnelle ou universitaire et titulaires d'une maîtrise, d'un doctorat ou d'un diplôme en médecine. La personne ordinaire versée dans l'art est un « technicien » apte, « mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination » (Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY, no A‑362‑84, 10 février 1986, 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.)). J'ajouterai uniquement que je suis d'accord avec Apotex qu'en l'espèce une telle personne connaîtrait la méthode RSA. Je reviendrai sur ce point lorsque j'examinerai le quatrième facteur ci-après.
c) Les connaissances
[252] J'ai déjà résumé les connaissances que la personne normalement versée dans l'art devrait posséder. À l'exception des réalisations antérieures à l'extérieur du domaine de l'inhibition de l'ECA, je suis en grande partie d'accord avec le résumé de l'état de la technique présenté par Apotex, tel qu'il existait avant le 1er octobre 1981.
d) Le climat régnant dans le domaine
[253] Le quatrième facteur énuméré dans Janssen‑Ortho (C.A.F.) est le climat qui régnait à l'époque dans ce domaine. Je reconnais que la tendance générale des réalisations antérieures était de penser que le sous‑site S2' de l'ECA était capable d'accepter un large éventail de groupes, dont certains étaient plus gros que le perhydroindole. Je reconnais que deux des groupes décrits dans les réalisations antérieures, soit le tryptophane et la THIQ dans la demande de Tanabe, contiennent des structures bicycliques (chaîne latérale indole dans le tryptophane). En outre, je reconnais qu'un spécialiste en chimie médicinale aurait la capacité d'utiliser la méthode RSA pour manipuler les composés chimiques. Je conserve toutefois des doutes quant à l'évidence du cycle perhydroindole 6,5 dans le brevet 196, compte tenu des réalisations antérieures. Comme l'a indiqué M. Cimarusti, on ne trouve dans les réalisations antérieures aucun exemple de groupe acide perhydroindole carboxylique dans un composé qui pourrait inhiber l'ECA. Par conséquent, la personne versée dans l'art devrait sélectionner puis combiner une série de divulgations faites dans les réalisations antérieures. Je résume les difficultés auxquelles aurait fait face une personne ordinaire versée dans l'art en ce qui concerne le tryptophane et la THIQ (les réalisations antérieures sur lesquelles s'est appuyée Apotex) :
· Tryptophane :
o Il contient une chaîne latérale flexible, contrairement au perindopril. On ne savait pas comment cette chaîne latérale s'insère dans le sous‑site S2'.
o Le groupe amino s'attache au squelette de la molécule alors que, dans le perindopril, c'est le cycle azoté qui établit la connexion.
o Le tryptophane contient des liaisons doubles, mais pas le perindopril. Bien que je reconnaisse que l'utilisateur versé dans l'art pourrait avoir employé la méthode RSA pour réduire les liaisons, il s'agit d'une complication additionnelle.
· Demande de Tanabe :
o L'utilisateur versé dans l'art devrait prendre la THIQ de la demande de Tanabe et la combiner avec la chaîne latérale de Merck pour obtenir un composé appelé quinapril. Bien que cela ne soit pas déterminant, il est instructif que la Cour d'appel fédérale ait confirmé une décision d'une instance inférieure suivant laquelle le quinapril n'était pas évident le 19 juin 1980 ni le 3 octobre 1980 (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, aux paragraphes 133 et 134 (Pfizer (C.A.F.), demande d'autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32132, 15 novembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 377).
o La THIQ dans la demande de Tanabe contient un cycle 6,6 avec des liaisons doubles alors que le perindopril renferme un cycle 6,5 sans liaisons doubles. Il en résulte des propriétés structurales et électroniques différentes incitant à penser que les deux groupes interagiraient différemment. Comme dans le cas du tryptophane, le technicien versé dans l'art devrait ne pas tenir compte de ces différences et devrait réduire les liaisons.
o Enfin, l'utilisateur versé dans l'art devrait savoir qu'il devait choisir une chaîne alkyle linéaire parmi les chaînes latérales possibles dans les divulgations de Merck. Que j'accepte ou non la prétention d'Apotex selon laquelle la chaîne latérale alkyle linéaire ne fait pas partie de l'invention 196, je souligne qu'il s'agit d'une complication additionnelle.
[254] Comme l'a reconnu Servier, il est possible de réunir une mosaïque de réalisations antérieures afin de faire en sorte qu'une revendication soit évidente. On suppose que même des techniciens non inventifs versés dans l'art lisent différentes revues professionnelles, participent à différents congrès et appliquent les enseignements tirés d'une source à un autre contexte ou qu'ils combineraient même les sources. Toutefois, ce faisant, la partie faisant valoir l'évidence doit être en mesure de montrer non seulement l'existence de réalisations antérieures, mais aussi la manière dont la personne normalement versée dans l'art aurait été amenée à combiner les éléments pertinents provenant de la mosaïque des réalisations antérieures. La présente affaire est un bon exemple. Apotex demande à la Cour de conclure qu'une personne normalement versée dans l'art, sans esprit inventif ou original, pourrait colliger une quantité relativement importante de connaissances précises provenant d'une longue liste de réalisations antérieures sur les inhibiteurs de l'ECA (et même certaines sources à l'extérieur du domaine de l'inhibition de l'ECA), formuler certains postulats fondamentaux et combiner ces connaissances pour arriver à une molécule de perindopril.
[255] Un autre facteur rend la tâche plus difficile, comme l'a admis M. Marshall : de petites modifications de structure peuvent avoir des effets pharmacologiques imprévisibles.
[256] Les experts présentés par Apotex qui se sont prononcés sur cette question ont mis l'accent sur chacune des composantes individuelles des réalisations antérieures. Lorsqu'ils parlaient de l'évidence du bicycle 6,5, les experts n'ont su expliquer efficacement de quelle manière une personne versée dans l'art aurait su comment combiner toutes les divulgations des réalisations antérieures pour en arriver à la structure du cycle perhydroindole. Je reconnais que les réalisations antérieures contenaient des indications selon lesquelles un tel cycle pourrait fonctionner. Toutefois, combiner toutes les indications des réalisations antérieures est, à mon avis, vraisemblablement une tâche qui exige une pensée originale et inventive. Dans l'ensemble, je préfère le témoignage d'expert de MM. Trost, Bartlett et Cimarusti.
e) La motivation
[257] En ce qui a trait au facteur suivant, seul un des témoins d'Apotex, M. Marshall, a parlé de la motivation qui existait au sein du domaine de l'inhibition de l'ECA aux environs du 1er octobre 1980. Voici ce qu'il a déclaré lors de son interrogatoire principal :
[TRADUCTION]
Il leur était interdit d'aller dans certaines directions en raison de la position de Squibb en matière de propriété intellectuelle. Ainsi, l'une des directions que plusieurs, je crois au moins quatre sociétés pharmaceutiques différentes dont je suis au courant, ont adoptées était fondamentalement de produire des analogues bicycliques de la THIQ, par exemple, la tétrahydroisoquinoline, ou divers autres dérivés d'indole et ainsi de suite pour essentiellement remplacer la proline parce qu'ils avaient suffisamment de preuves indiquant qu'il y avait de la place pour des modifications.
[258] En bref, selon l'opinion de M. Marshall, la motivation de Servier était simplement de contourner la position de Merck en matière de propriété intellectuelle. Je conclus que cette opinion est de nature entièrement hypothétique. M. Marshall ne travaillait ni chez Merck, ni chez Squibb, ni pour aucune autre société dont les travaux portaient sur l'inhibition de l'ECA à la période pertinente. Son opinion sur ce point n'est corroborée par aucun élément de preuve. Par contraste, voici ce qu'avait à dire M. Horovitz, qui travaillait chez Squibb en 1980 :
[TRADUCTION]
Je crois avoir tout juste mentionné que nous avons fait de gros efforts — lorsque nous avons vu que Merck avait réalisé un meilleur captopril, si vous voulez, nous avons fait de gros efforts pour tenter de protéger notre marché, que nous avions découvert, et tenter d'obtenir des composés qui étaient des inhibiteurs de l'ECA qui avaient des avantages sur le captopril et, nous l'espérions, sur l'énalapril, bien que nous ne comprenions pas entièrement l'énalapril à cette époque.
Et nous n'avons pas réussi avant le début ou le milieu des années 1980 lorsque nous avons découvert un composé appelé fosinopril, mais nous concentrions toutes nos connaissances de base dans le domaine que nous avions à peu près découvert chez Squibb et nous n'avons pas été en mesure de le faire jusqu'à beaucoup plus tard.
[259] En d'autres mots, du moins chez Squibb, il y avait, après le congrès de Troy, la reconnaissance d'un problème précis à résoudre, à savoir mettre au point un meilleur inhibiteur de l'ECA que celui réalisé par Merck. Ce témoignage étaye l'existence d'une motivation générale au sein de l'industrie pour se fonder sur les travaux de Merck plutôt que de les contourner, et indique qu'une inventivité a été utilisée en l'espèce.
f) Le temps et les efforts
[260] Examinons le facteur suivant établi dans l'arrêt Janssen‑Ortho (C.A.F.). Il n'est pas contesté que quatre différents groupes de chimistes, soit ADIR, Hoechst, Warner‑Lambert et Schering, ont mis au point des composés incorporant des modifications bicycliques après la divulgation de Merck au congrès de Troy. Apotex prétend que le fait que de si nombreux concurrents dans le même domaine en sont arrivés à la même structure à peu près au même moment appuie une conclusion d'évidence. Le premier problème que pose cette prétention est que le dossier n'indique pas clairement qu'un autre chimiste a découvert le perindopril, avec son bicycle 6,5 et un groupe linéaire alkyle. Mais, de manière plus importante, on ne m'a présenté aucun élément de preuve indiquant que les autres composés aient été mis au point par des personnes ordinaires versées dans l'art. Nous ne pouvons pas assimiler les travaux de Mme Smith et de M. Vincent, dont l'inventivité et l'ingéniosité sont incontestées, à ceux d'une personne d'une compétence normale dans l'art. Par conséquent, cet argument d'Apotex n'offre aucun soutien à son argument concernant l'évidence.
g) Le succès commercial
[261] En ce qui a trait au succès commercial, il est incontesté que le perindopril représente 80 % des ventes de Servier Canada et une partie importante des ventes d'inhibiteurs de l'ECA au Canada. Ce facteur secondaire, bien que d'une importance limitée, est favorable à une conclusion de non‑évidence.
h) Les prix et autres récompenses
[262] Finalement, comme aucun élément de preuve n'a été présenté sur la question de savoir si le perindopril avait reçu des prix ou des récompenses, je conclus que ce facteur est neutre.
[263] Après avoir examiné tous les facteurs établis dans l'arrêt Janssen‑Ortho (C.A.F.), je ne suis pas convaincue que l'ajout du groupe perhydroindole bicyclique 6,5 était évident. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument d'Apotex concernant la chaîne latérale alkyle linéaire. Je fais néanmoins les observations supplémentaires suivantes.
(2) Évidence de la chaîne latérale alkyle linéaire
[264] Premièrement, tout comme son argument concernant le groupe perhydroindole bicyclique 6,5, l'argument d'Apotex voulant qu'il n'y ait pas de termes dans la description du brevet 196 qui limitent l'invention à une chaîne latérale alkyle linéaire n'est pas pertinent. Encore une fois, l'invention en litige dans la présente instance n'est pas la formule générale I, mais le composé, tel que revendiqué, ayant un bicycle 6,5 en position C‑terminale et un groupe alkyle linéaire de 1 à 6 atomes de carbone à l'extrémité N‑terminale.
[265] Deuxièmement, bien que je reconnaisse que tant l'article paru dans Nature que la demande 401 incluent des substituants ayant des chaînes latérales alkyles linéaires, cela ne veut pas dire qu'on pourrait s'attendre à ce qu'une personne ordinaire versée dans l'art sache comment sélectionner, sans difficulté, cette classe de substituants parmi les nombreuses autres énumérées (Janssen‑Ortho (C.A.F.), précité, au paragraphe 25).
E. Conclusion
[266] En conclusion, Apotex ne s'est pas acquittée de son fardeau d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196 étaient évidentes le 1er octobre 1981.
IX. L'utilité
A. Aperçu
[267] La Loi sur les brevets définit une invention comme une chose qui présente « le caractère de la nouveauté et de l'utilité » (article 2 de la Loi sur les brevets). De ceci découle la notion d'« utilité ».
[268] La jurisprudence a dégagé plusieurs principes associés au droit de l'utilité. En premier lieu, un principe général est qu'à la date pertinente, il doit y avoir une démonstration de l'utilité de l'invention ou, en l'absence d'une telle démonstration, une prédiction valable d'utilité de l'invention fondée sur l'information et les connaissances alors disponibles (voir, à titre d'exemples, Merck & Co. c. Apotex Inc., 2005 CF 755, 41 C.P.R. (4th) 35, au paragraphe 121 (C.F.), et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, aux paragraphes 36 à 40, conf. par 2007 CAF 195, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32169, 1er novembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 371). La question de la prédiction valable est examinée dans la section suivante des présents motifs.
[269] Comme dans le cas des autres questions portant sur la validité, la charge de la preuve repose sur Apotex. Pour prouver l'absence d'utilité, Apotex doit montrer « que l'invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu'elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu'elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu'elle fera » (Consolboard, précité, à la page 525).
[270] Au-delà de cet énoncé général du droit, il existe plusieurs autres lignes directrices :
· Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d'utilité n'est exigé; la [TRADUCTION] « moindre parcelle » d'utilité suffit (Fox, précité, à la page 153). Toutefois, comme le dit l'arrêt Consolboard, précité, lorsque le mémoire descriptif énonce une « prédiction » particulière, l'utilité doit être évaluée en fonction de cette prédiction.
· L'utilité ne dépend pas des possibilités de commercialisation (Consolboard, précité, à la page 525, Aventis Pharma, précité, aux paragraphes 271 et 272). En d'autres mots, lors de l'évaluation de l'utilité d'une invention, la question n'est pas de savoir si l'invention est suffisamment utile pour être en mesure de soutenir la commercialisation, à moins que l'utilité commerciale ne soit expressément promise.
· Il a été établi que la date pertinente est la date de dépôt de la demande de brevet canadien (Aventis Pharma, précité, aux paragraphes 88 à 96).
· Lorsqu'une classe de composés est revendiquée, l'absence d'utilité d'un composé ou de plusieurs composés invalidera tous les composés de cette revendication particulière (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 64, au paragraphe 26, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 31414, 3 août 2006, [2006] C.S.C.R. no 136).
[271] La question est tout simplement de savoir si l'invention fait ce que le brevet promet qu'elle fera.
[272] Apotex prétend que des composés visés par les revendications nos 1, 2 et 3 du brevet 196 manquent d'utilité. Les deux éléments de preuve clés qui, de l'avis d'Apotex, mènent à cette conclusion sont les suivants : a) un article de M. Vincent et al., intitulé « Synthesis and ACE Inhibitory Activity of the Stereoisomers of Perindopril (S 9490) and Perindoprilate (S 9780) », (1992) 9 Drug Design and Discovery 11 (l'article de M. Vincent paru en 1992); b) les tests réalisés par le Dr Gavras. La question de l'utilité de la revendication no 5 n'est pas en cause. La preuve indique clairement que les inventeurs ont fabriqué et testé le composé de la revendication no 5 (telle qu'elle a été corrigée à deux reprises) avant le dépôt de la demande 093.
B. Promesse du brevet
[273] La promesse du brevet est au coeur de la question de l'utilité (et de la prédiction valable, qui est analysée dans la section suivante). Comme je l'ai indiqué, l'utilité est évaluée par rapport à ce que le breveté promet que son invention fera. Les points de vue d'Apotex et de Servier sur cette importante notion sont diamétralement opposés.
(1) Position d'Apotex
[274] Dit simplement, Apotex soutient que le brevet 196 promet que tous les composés revendiqués auront un effet d'inhibition de l'ECA et une utilisation thérapeutique à titre d'antihypertenseurs. Pour tirer cette conclusion, Apotex s'appuie sur le témoignage d'expert du Dr Gavras, ainsi que sur le témoignage de MM. Marshall, Thorsett, McLelland et Brunner.
[275] Dans son rapport d'expert, le Dr Gavras est d'avis que :
[TRADUCTION]
Le brevet 196 promet que les composés de l'invention inhiberont la conversion de l'angiotensine I en angiotensine II pour obtenir une réduction de l'activité hypertensive de l'angiotensine II d'environ :
1) 50 % à 100 %, 30 à 90 minutes après l'administration;
2) 40 à 80 %, plus de six heures après l'administration.
Certains composés (non identifiés dans le brevet 196) demeurent actifs 24 heures après leur administration. Ainsi, selon les enseignements du brevet 196, les composés de l'invention seront utiles pour réduire ou supprimer l'activité des enzymes responsables de l'hypertension, de l'insuffisance cardiaque, ou des deux.
[276] M. Marshall a également examiné l'utilité des revendications en fonction de la prémisse de base selon laquelle toutes les revendications du brevet 196 promettaient l'utilité dans le traitement de l'hypertension, de l'insuffisance cardiaque, ou des deux. Dans le même ordre d'idées, M. Thorsett s'attend à ce que tous les composés soient en mesure d'inhiber [TRADUCTION] « la conversion de l'angiotensine I en angiotensine II et ainsi fournir une action antihypertensive et un traitement pour l'insuffisance cardiaque, qui est l'utilité attribuée aux composés décrits dans la demande 093 ». M. McLelland a aussi commencé son examen de la question de l'utilité par son opinion selon laquelle l'utilité ou la prédiction valable pouvait uniquement être montrée si [TRADUCTION] « tous les composés formant l'objet des revendications nos 1, 2 et 3 du brevet 196 avaient une utilité pharmaceutique et thérapeutique en tant qu'inhibiteurs de l'ECA et qu'ils étaient ainsi utiles au traitement de l'hypertension, de l'insuffisance cardiaque, ou des deux ». M. Brunner a exprimé une opinion semblable.
[277] Apotex renvoie également à l'abrégé du brevet 196, qui contient une déclaration explicite selon laquelle « Ces composés sont utiles comme médicaments. »
(2) Position de Servier
[278] Les experts présentés par Servier ont adopté une vue plus étroite de la promesse du brevet 196. On a demandé à M. Bartlett d'examiner l'utilité promise à l'égard des composés divulgués dans le brevet. Voici les principaux éléments de son opinion :
· Le brevet 196 expose d'abord et avant tout que les composés divulgués ont une utilité en tant qu'inhibiteurs de certaines enzymes, l'ECA parmi celles-ci.
· Le brevet ne promet pas expressément que les composés ont un effet antihypertenseur, bien qu'une personne versée dans l'art comprendrait que l'utilité d'un inhibiteur de l'ECA est celle d'un agent antihypertenseur possible.
· Le brevet 196 ne fait aucune promesse quantitative à l'égard de tous les composés, comme l'a déclaré le Dr Gavras. De plus, une personne versée dans l'art n'interpréterait pas le brevet 196 comme signifiant que chaque composé a été testé.
[279] Dans son rapport d'expert, M. Cimarusti a conclu que le brevet 196 expose que les composés revendiqués ont tous une activité d'inhibition de l'ECA. Il a exprimé l'avis qu'une personne versée dans l'art s'attendrait à ce que certains composés de l'invention aient l'activité nécessaire pour traiter l'hypertension ou l'insuffisance cardiaque. Il a de plus déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Aucune personne versée dans l'art ne s'attendrait à ce que chaque composé revendiqué dans le brevet 196 ait l'activité pharmacologique nécessaire pour traiter l'hypertension et l'insuffisance cardiaque chez les humains. »
[280] De même, M. Karmazyn a résumé comme suit la promesse du brevet 196 :
[TRADUCTION]
En résumé, une personne versée dans l'art comprendrait l'utilité du brevet comme étant l'inhibition d'enzymes, plus particulièrement l'inhibition de carboxypolypeptidases, d'enkephalinases ou de l'ECA. Il n'y a pas de description concernant un seuil particulier d'inhibition ni de promesse d'utilité clinique ou commerciale.
(3) Analyse
[281] Pour trancher cette question de la promesse du brevet, je dois me rappeler ce qui suit : « [...] quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l'inventeur l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet [...] » (Consolboard, précité, à la page 521).
[282] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve de tous les experts ainsi que le mémoire descriptif du brevet 196, je conclus que les opinions de MM. Bartlett, Cimarusti et Karmazyn doivent être préférées à celles du Dr Gavras, ainsi que de MM. Marshall, Thorsett, McLelland et Brunner.
[283] Certains témoins d'Apotex interprétaient le brevet comme exigeant une utilité commerciale. Je me reporte plus particulièrement au témoignage de M. Brunner. L'avocat d'Apotex lui avait dit que l'utilité commerciale ne devait pas être confondue avec l'utilité relative à la brevetabilité de l'invention. Malgré cela, lors de son contre‑interrogatoire, M. Brunner a convenu que sa notion d'utilité concernant le présent brevet était qu'un médecin serait en mesure de prescrire le composé pour le traitement de l'hypertension ou de l'insuffisance cardiaque. Cette interprétation du brevet constituait également le fondement du témoignage du Dr Gavras. En exigeant que chaque composé connaisse du succès au point d'être un médicament qu'un médecin pourrait prescrire, les experts ajoutent à leur interprétation du brevet la nécessité d'un produit commercialisé.
[284] La première mention de l'utilité du brevet 196, et la mention la plus importante, apparaît dans trois paragraphes de la page 3 du mémoire descriptif :
Les composés selon l'invention ainsi que leurs sels possèdent des propriétés pharmacologiques intéressantes. Ils exercent notamment une activité inhibitrice sur certaines enzymes, comme les carboxypolypeptidases, les enkephalinases ou la kininase II. Ils inhibent notamment la transformation du décapeptide angiotensine I en l'octapeptide angiotensine II, responsable dans certains cas de l'hypertension artérielle, en agissant sur l'enzyme de conversion.
L'emploi en thérapeutique de ces composés permet donc de réduire ou même supprimer l'activité de ces enzymes responsables de la maladie hypertensive ou de l'insuffisance cardiaque. L'action sur la kininase II a pour résultat l'augmentation de la bradykinine circulante et également la baisse de la tension artérielle par cette voie.
L'invention s'étend aussi aux compositions pharmaceutiques renfermant comme principe actif au moins un composé de formule générale I ou un de ses sels d'addition, avec une base ou un acide minéral ou organique, en association avec un excipient inerte, non toxique, pharmaceutiquement acceptable.
[285] J'estime qu'il ne fait aucun doute que la promesse de l'inhibition de l'ECA est faite, de manière non ambiguë et sans réserve, dans le premier paragraphe cité ci‑dessus. Comme traduit, ce passage indique clairement que les composés inhibent la transformation du décapeptide angiotensine I en l'octapeptide angiotensine II.
[286] Le deuxième paragraphe mentionne l'utilisation thérapeutique, mais il est ambigu dans une certaine mesure. Est-ce que les mots « permet donc de réduire ou même supprimer l'activité de ces enzymes [...] » signifient que tous les composés auront une utilité à titre de médicaments antihypertenseurs chez les humains? Ou bien le mémoire descriptif du brevet dit-il que l'emploi thérapeutique des composés peut avoir une valeur thérapeutique? Cette ambiguïté apparaît dans les opinions divergentes des experts. S'il y avait une signification commune, je me serais attendue à ce que tous les experts arrivent à la même opinion. Ce n'est pas ce qui s'est produit.
[287] À mon avis, les passages cités ne décrivent pas que chacun des composés possède la même utilisation thérapeutique chez les humains ou une utilisation thérapeutique quelconque. L'opinion la meilleure et la plus raisonnable du deuxième paragraphe, lu dans son entier avec le reste du brevet 196, est qu'il contient une explication de la manière dont un composé particulier pourrait être employé de manière thérapeutique. En d'autres mots, le brevet enseigne que l'inhibition de l'ECA démontrée par tous les composés rend possible leur utilisation pour traiter l'hypertension et l'insuffisance cardiaque. Selon ma lecture, ces mots ne constituent pas une garantie, comme cela a été le cas dans la lecture du Dr Gavras, de même que de MM. Marshall, Thorsett, McLelland et Brunner.
[288] Finalement, je me reporte à la phrase de l'abrégé ou du précis qui se lit comme suit : « Ces composés sont utiles comme médicaments. » Apotex soutient qu'il s'agit d'une autre présentation de la promesse du brevet. Je ne suis pas d'accord. La demande 093 contenait également ces mêmes mots. Le paragraphe 175(1) des Règles sur les brevets répond à l'argument d'Apotex. Cette disposition est rédigée comme suit :
La demande contient un abrégé qui présente de l'information technique et qui ne peut être pris en considération dans l'évaluation de l'étendue de la protection demandée ou obtenue.
|
An application shall contain an abstract that provides technical information and that cannot be taken into account for the purpose of interpreting the scope of protection sought or obtained. |
[289] L'objet de cette disposition est clair. L'abrégé ne peut pas être pris en considération dans l'évaluation de l'étendue de la protection demandée ou obtenue. Quel que soit l'objet de l'abrégé, il ne peut être utilisé, avant ou après la délivrance du brevet, pour interpréter le brevet ou sa promesse.
[290] Mon évaluation de la promesse du brevet 196 n'est pas incompatible avec la décision de la juge Heneghan dans Pfizer, précité. Dans cette affaire, la juge Heneghan devait examiner l'utilité des revendications du brevet canadien numéro 1 341 330 (le brevet 330), lequel vise le quinapril. Pfizer soutenait qu'une interprétation téléologique des revendications pertinentes, y compris le renvoi au mémoire descriptif, révèle que l'invention du brevet 330 se rapportait à l'inhibition de l'ECA. D'autre part, Apotex prétendait que toutes les revendications du brevet 330 promettent des composés utiles à la réduction ou à la suppression de l'hypertension, ce qui est distinct de l'inhibition de l'ECA. Elle a soutenu que les inhibiteurs de l'ECA n'ont pas tous une activité inhibitrice suffisante pour être en mesure d'agir comme antihypertenseurs utiles au traitement de l'hypertension. En ce qui a trait au mémoire descriptif du brevet 330, la juge Heneghan a conclu que les revendications du brevet 330 renverraient dans l'esprit d'une personne versée dans l'art à des composés utiles pour le soulagement de l'hypertension (Pfizer, précité, au paragraphe 64). Il semble cependant clair qu'elle a tiré cette conclusion en s'appuyant sur les mots précis du brevet 330. Le résumé du brevet indiquait ce qui suit : [TRADUCTION] « Les composés de l'invention, leurs sels et les compositions pharmaceutiques les renfermant sont utiles comme agents antihypertenseurs » [Non souligné dans l'original.]. Un autre exemple de cette promesse directe pouvait être lu dans la phrase suivante du mémoire descriptif :
Ainsi, en administrant une composition qui contient un ou une combinaison des composés de la formule I ou de leurs sels pharmaceutiquement acceptables, l'hypertension chez les mammifères qui en souffrent est atténuée (Pfizer, précité, au paragraphe 65).
[291] Même si la décision a été infirmée par la Cour d'appel fédérale, celle-ci a conclu que la qualification de la promesse par la juge Heneghan « est raisonnable compte tenu du passage cité ci‑dessus et de la teneur générale de la divulgation » (Pfizer (C.A.F.), précité, au paragraphe 121).
[292] Il y a des distinctions importantes à faire entre « la teneur générale de la divulgation » dans le mémoire descriptif du brevet 330 et celle du brevet 196. Plus particulièrement, le brevet 196 ne contient aucune déclaration, comme dans le brevet 330, selon laquelle les composés de l'invention, leurs sels et les compositions pharmaceutiques les renfermant sont utiles comme agents antihypertenseurs.
[293] En résumé, je conclus que la promesse du brevet 196 est que tous les composés revendiqués auront un certain niveau d'inhibition de l'ECA lorsqu'évalués in vitro et que certains composés posséderont une activité suffisante pour traiter l'hypertension et l'insuffisance cardiaque.
[294] Gardant cette promesse à l'esprit, j'examine les deux arguments présentés par Apotex.
C. L'article de M. Vincent paru en 1992
[295] Le premier argument d'Apotex a trait à l'article de M. Vincent paru en 1992. L'article, bien que publié en 1992, était le résultat de travaux réalisés par plusieurs employés du Groupe Servier depuis 1985. Deux des auteurs, M. Vincent et Mme Jaguelin, ont témoigné au procès et leur témoignage a porté sur l'article de M. Vincent paru en 1992. M. Laubie n'a pas comparu comme témoin au procès. Il a toutefois témoigné à l'interrogatoire préalable pour le compte de Servier et a été interrogé, entre autres, au sujet de l'article de M. Vincent paru en 1992.
(1) Le contexte de l'article de M. Vincent paru en 1992
[296] J'estime qu'il est utile de situer l'article de M. Vincent paru en 1992. Qu'est-ce qui y était divulgué? Quelle était la conclusion des auteurs?
[297] Il est clair que les auteurs ont assumé la tâche énorme de produire et d'évaluer les 32 stéréoisomères du perindopril (appelés 1 (S SS SS) dans l'article, soit la référence pour la chiralité des 5 stéréocentres du perindopril). Mais pourquoi ont‑ils procédé de la sorte? Je commence en lisant le texte de l'article de M. Vincent paru en 1992. Le résumé de l'article n'est que peu utile à cet égard :
[TRADUCTION]
Le perindopril, un puissant inhibiteur de l'ECA, contient 5 carbones chiraux, d'où la possibilité de 25 = 32 stéréoisomères pour la structure générale. Ces 32 stéréoisomères ont été synthétisés par couplage croisé des 8 stéréoisomères de l'ester benzylique de l'acide perhydroindole‑2‑carboxylique avec les 4 stéréoisomères de l'acide 2‑(1‑carbéthoxybutylamino) propionique‑4, puis par hydrogénation des esters benzyliques résultants. Chaque stéréoisomère du perindopril a fourni par saponification le stéréoisomère diacide correspondant du perindoprilate, qui est la forme active du perindopril. Pour chacun des 32 stéréoisomères, la puissance d'inhibition de l'ECA in vitro (CI50) a été établie. Quatre d'entre eux, dont le perindoprilate, avaient une activité à l'échelle nanomolaire, et quatre autres étaient environ 10 x moins actifs. Les quatre esters acides correspondant respectivement aux quatre diacides les plus actifs in vitro ont été étudiés (1 mg/kg par voie orale) pour déterminer leur activité in vivo chez les chiens. On pouvait conclure que l'absorption orale des esters acides actifs et leur activation en diacide actif dépendaient uniquement des chiralités des deux carbones de jonction du cycle du perhydroindole.
[298] Dans le texte lui‑même de l'article, un bref historique de la mise au point du perindopril est présenté à la page 12, les auteurs déclarant que :
[TRADUCTION]
Bien des difficultés ont dû être surmontées durant la synthèse du 1 (S SS SS), principalement parce qu'il contient cinq atomes de carbone asymétriques. Il est donc possible d'avoir 25 = 32 stéréoisomères pour la structure générale 1.
Ces problèmes ont été résolus et maintenant, de grandes quantités de 1 (S SS SS) sont produites de façon industrielle. Néanmoins, un ou plusieurs stéréoisomères de 1 ou de 2 pourraient être présents sous forme d'impuretés dans certains lots. De plus, ces « impuretés » pourraient être ultimement actives comme inhibiteurs de l'ECA. Pour ces raisons, nous avons décidé d'effectuer la synthèse des 32 stéréoisomères de 1 et des trente‑deux stéréoisomères de 2 [perindoprilate].
Nous décrivons ici la synthèse de ces 64 composés et rendons également compte des valeurs obtenues en mesurant in vitro l'activité inhibitrice (CI50) des stéréoisomères de 2 à l'égard de l'ECA. La connaissance de la CI50 pour tous les stéréoisomères de 2 permet d'établir des relations chiralité‑activité très intéressantes.
[299] Après avoir passé beaucoup de temps à décrire la méthode de synthèse, les auteurs ont fait état, à partir de la page 18, de l'évaluation in vitro des 32 isomères du diacide 2. À la lumière des résultats des tests, les composés ont été divisés en trois groupes. Le premier groupe de quatre composés, ayant les configurations (S SR SS), (S RS SS), (S SS SS) et (S RR SS), présentait la plus grande activité. Le deuxième groupe de quatre composés, (S SS SR), (S SR SR), (S RR SR) et (S RS SR), [TRADUCTION] « conservait 1/10 de l'activité des dérivés du premier groupe ». Les auteurs ont indiqué ce qui suit au sujet des 24 composés restants :
[TRADUCTION]
Un troisième groupe contenait tous les autres composés, qui avaient une activité faible à nulle. Leurs C2 ou C9 étant de configuration (R), aucune conclusion logique ne peut être tirée de leurs relations structure‑activité. Ces composés semblaient ne pas pouvoir se lier au site actif de l'ECA. [Non souligné dans l'original.]
[300] Les auteurs ont ensuite évalué in vivo les composés du groupe 1.
(2) Le tableau I dans l'article de M. Vincent paru en 1992
[301] Un des arguments mis de l'avant par Apotex concernant l'utilité du brevet 196 est qu'un certain nombre des 32 composés revendiqués par la revendication no 3 du brevet 196 ne sont pas actifs comme inhibiteurs de l'ECA. Autrement dit, même si l'on interprète de façon plus étroite la promesse contenue dans le brevet 196, bon nombre des stéréoisomères du perindopril n'inhibent pas l'ECA. Apotex signale l'énoncé dans l'article de M. Vincent paru en 1992 (cité ci‑dessus) qui affirme que 24 des stéréoisomères visés par la revendication no 3 du brevet 196 [TRADUCTION] « avaient une activité faible à nulle » et semblaient incapables de [TRADUCTION] « se lier au site actif de l'ECA ».
[302] Les deux parties et un certain nombre de témoins experts ont fait abondamment référence au tableau I, à la page 19 de l'article. J'ai reproduit comme suit l'information contenue au tableau I :
TABLEAU I
Configuration de 2 |
|||||
2 |
3a |
7a |
9 |
11 |
CI50 (nM) |
S |
S |
R |
S |
S |
1,1 |
S |
R |
S |
S |
S |
1,2 |
S |
S |
S |
S |
S |
1,5 |
S |
R |
R |
S |
S |
3,3 |
S |
S |
S |
S |
R |
12,2 |
S |
S |
R |
S |
R |
29,4 |
S |
R |
R |
S |
R |
39,8 |
S |
R |
S |
S |
R |
54,0 |
R |
R |
S |
S |
S |
108,0 |
S |
S |
S |
R |
S |
1,1 x 103 |
R |
S |
S |
S |
S |
1,9 x 103 |
S |
S |
R |
R |
R |
2,6 x 103 |
R |
R |
S |
S |
R |
5,5 x 103 |
S |
S |
R |
R |
S |
7,1 x 103 |
R |
R |
S |
R |
S |
7,8 x 103 |
R |
S |
R |
R |
R |
23 x 103 |
S |
R |
R |
R |
R |
33 x 103 |
R |
S |
S |
S |
R |
36 x 103 |
R |
S |
R |
S |
R |
47 x 103 |
R |
S |
R |
S |
S |
60 x 103 |
R |
R |
R |
R |
R |
~ 105 |
S |
R |
R |
R |
S |
~ 105 |
R |
R |
R |
S |
S |
~ 105 |
S |
R |
S |
R |
R |
~ 105 |
R |
R |
R |
R |
S |
~ 105 |
R |
R |
S |
R |
R |
~ 105 |
S |
S |
S |
R |
R |
105 |
R |
S |
S |
R |
S |
105 |
R |
R |
R |
S |
R |
105 |
R |
S |
S |
R |
R |
105 |
R |
S |
R |
R |
S |
105 |
S |
R |
S |
R |
S |
105 |
[303] La mesure de l'activité était la CI50. M. Horovitz, dans son rapport d'expert, a décrit la mesure de la CI50 de la façon suivante :
[TRADUCTION]
La CI50 renvoie à la concentration du médicament qui inhibe cinquante pour cent (50 %) de l'activité de l'enzyme in vitro. Plus la CI50 est faible, moins la quantité du composé nécessaire pour inhiber la réaction est élevée. En d'autres termes, plus le chiffre pour la CI50 est faible, plus le composé est puissant. La CI50 est habituellement exprimée en moles par litre (M). On calcule la CI50 en évaluant l'activité d'un composé à différentes concentrations. La CI50 est la mesure type de l'activité d'un composé à différentes concentrations. La CI50 est la mesure type de l'activité d'un composé in vitro, tant en 1981 qu'aujourd'hui.
(3) L'aveu de M. Laubie
[304] Un important aspect de la preuve qui, de l'avis d'Apotex, appuie sa position vient d'un « aveu » de M. Laubie. Ce dernier est l'un des inventeurs nommés du brevet 196 et un coauteur avec M. Vincent et d'autres de l'article de M. Vincent paru en 1992. M. Laubie a été interrogé lors de l'interrogatoire préalable. Les parties ont convenu que son témoignage à l'interrogatoire préalable serait admis comme lu et que M. Laubie ne serait pas appelé comme témoin au procès.
[305] Apotex soutient que M. Laubie a accepté la conclusion tirée à la page 20 de l'article de M. Vincent paru en 1992 selon laquelle plusieurs composés énumérés dans le tableau I avaient une [TRADUCTION] « activité faible à nulle » in vitro. En réponse, Servier fait valoir que pendant l'interrogatoire préalable, M. Laubie parlait d'une activité in vivo et non d'une activité in vitro. La différence est importante, car un composé peut être actif in vitro et inactif in vivo. Si M. Laubie parlait de composés in vivo et non de composés in vitro, cet aspect de l'argument d'Apotex est substantiellement affaibli.
[306] Je commence par reproduire le passage entier de l'interrogatoire préalable de M. Laubie par l'avocat d'Apotex :
[TRADUCTION]
Me RADOMSKI :
Q. D'accord, pouvons-nous examiner à la page 20 le paragraphe qui précède celui portant sur les études in vivo. Je me demande si ce qui est exprimé dans ce paragraphe était votre opinion lorsque cet article a été écrit à propos du troisième groupe de composés dont il est question dans ce paragraphe.
Me RADOMSKI : Je serais heureux que vous traduisiez le paragraphe pour monsieur (s'adressant à l'interprète).
Le témoin : Tous les produits que vous voyez ici et les résultats, ce sont tous des produits inactifs, 10 moins 3, ils sont tous inactifs.
Me RADOMSKI :
Q. Il indique le tableau à la page 19, c'est cela?
R. Oui.
Q. Et vous dites que tous ces produits nommés dans le tableau 1 sont inactifs?
R. Pas tous.
Q. Lesquels?
R. Je dirais, si vous regardez cette série, qu'il y a tout au plus trois ou quatre produits actifs in vivo.
Q. Il s'agit des trois ou quatre premiers?
R. Oui.
Q. Et les autres, à votre avis, sont inactifs?
R. C'est exact.
Q. Revenons au paragraphe à la page 20, avant l'intitulé « Études in vivo », j'imagine que vous êtes d'accord avec la conclusion dans ce paragraphe?
R. Oui.
[307] La question est de savoir si, à partir de cette transcription, je peux conclure que M. Laubie a admis que le troisième groupe de composés avait [TRADUCTION] « une activité faible à nulle » in vitro. Ce passage présente plusieurs difficultés. Premièrement, alors que les mots in vivo apparaissent à deux reprises dans l'extrait, l'expression « in vitro » n'apparaît pas expressément. Même s'il était clair pour Me Radomski, dans son esprit, qu'il posait des questions concernant l'activité in vitro, il n'a pas dit ces mots au témoin. Par contraste, lorsque M. Laubie a déclaré [TRADUCTION] « Je dirais, si vous regardez cette série, qu'il y a tout au plus trois ou quatre produits actifs in vivo », il est clair que le témoin mettait l'accent sur l'activité in vivo, au moins à ce moment‑là. C'est à tout le moins ambigu.
[308] Je tiens aussi compte du fait qu'un interprète participait à l'interrogatoire. Dans cette situation, il est toujours possible que soit le témoin, soit l'avocat aient mal compris les questions ou les réponses.
[309] Compte tenu de la mention explicite « in vivo » par M. Laubie et des difficultés inhérentes à l'interprétation, je conclus que, selon toute vraisemblance, M. Laubie parlait d'activité in vivo.
[310] Toutefois, même si les mots de M. Laubie peuvent être interprétés comme un aveu, un tel aveu doit être soupesé avec les autres éléments de preuve concernant la signification de l'article de M. Vincent paru en 1992.
(4) L'objet de l'article de M. Vincent paru en 1992
[311] Il est nécessaire d'examiner l'objet pour lequel l'article a été écrit.
[312] Comme il est rédigé, l'article me semble avoir pour premier objet de signaler le succès de la synthèse de chacun des 32 stéréoisomères du perindopril et du perindoprilate. En second lieu, l'article était censé insister sur l'importance de la chiralité pour les relations structure‑activité. Ce deuxième objectif a été atteint en comparant les activités relatives des différents composés, l'accent étant mis sur ceux dont les activités étaient les plus élevées (groupe 1). Selon une formulation négative, je n'interprète pas l'article de M. Vincent paru en 1992 comme une description de l'activité absolue de l'ensemble des 32 stéréoisomères du perindopril.
[313] Comme l'a déclaré M. Bartlett, l'objet de l'article de M. Vincent paru en 1992 était de [TRADUCTION] « comparer les niveaux d'activité inhibitrice de l'ECA des différents stéréoisomères, non d'établir la présence ou l'absence d'activité pour un stéréoisomère particulier ». Selon l'opinion de M. Bartlett, l'article [TRADUCTION] « établit uniquement que les valeurs CI50 de certains composés n'excèdent pas 10-4 nM, non qu'ils ne présentent pas l'utilité promise par le brevet 196 ». Je suis d'accord avec cette appréciation de M. Bartlett.
(5) Données sous-jacentes
[314] Heureusement, nous disposons des résultats des tests pharmacologiques internes pour tous les résultats figurant au tableau I dans l'article de M. Vincent paru en 1992. Chacun des composés présentait une certaine activité. Les relevés des tests pharmacologiques en font foi; il semble qu'une valeur limite de 10-5 nM ait été utilisée pour les rapports. Toutefois, les données pharmacologiques montrent qu'à mesure que les concentrations augmentaient, les composés présentaient une bonne activité inhibitrice. Par exemple, M. Horovitz a parlé du stéréoisomère de configuration exclusivement (R) du perindopril qui, à la concentration la plus forte testée, avait un taux d'inhibition de l'ECA de 46 %. Son témoignage non contesté et non contredit est le suivant : si une concentration plus élevée avait été testée, une inhibition supérieure à 50 % aurait été observée et une CI50 précise aurait pu être établie.
[315] Les experts d'Apotex ont jeté peu d'éclairage et fourni guère d'opinions quant aux données des tests pharmacologiques internes. D'après M. Marshall, toute activité observée dans le cas des stéréoisomères (R) était due à une contamination par les stéréoisomères (S). M. Marshall a admis non seulement que c'était pure hypothèse, mais aussi que les stéréoisomères (R) avaient eux‑mêmes une certaine activité CI50, qui n'était pas due à une contamination.
[316] Pourquoi les auteurs ne font‑ils pas référence aux résultats des tests pour les composés les moins actifs et donnent‑ils seulement des valeurs approximatives? La réponse tient à l'objet de l'article. Les auteurs examinaient l'activité relative et non l'activité absolue. Dans ce contexte, ils signalaient uniquement l'absence relative d'activité et manifestaient leur propre manque d'intérêt pour les composés qui ne pourraient être commercialisés. Il reste cependant que les données des tests pharmacologiques internes montrent que tous les composés exerçaient une activité inhibitrice à l'égard de l'ECA. À mon avis, cela satisfait à l'exigence de démontrer la « moindre parcelle » d'utilité.
(6) Le témoignage de M. Vincent
[317] Finalement, j'examine le témoignage de M. Vincent, un des auteurs. Lorsqu'il a été interrogé à propos des termes [TRADUCTION] « faible à nulle » dans l'article et dans le tableau I, M. Vincent a déclaré ce qui suit :
Là, j'ai exagéré. Ce ne sont pas des composés qui n'ont pas d'activité. S'ils avaient une activité zéro, dans la colonne de droite on aurait mis zéro, on n'aurait pas mis des chiffres.
Ces chiffres sont élevés, mais il y a une très petite activité. Cette très petite activité veut dire que ces produits ne seraient pas, de toute façon, commercialisables.
Ça veut dire que ces produits sont d'une activité faible, non nulle, mais qui ne sont pas commercialisables. Je crois qu'il faut insister là‑dessus.
Le zéro est de trop. Si c'était zéro, j'aurais mis zéro. Il n'y a pas de zéro. [Non souligné dans l'original.]
[318] Lorsqu'il a été contre-interrogé à propos de l'affirmation dans l'article voulant que [TRADUCTION] « Ces composés semblaient ne pas pouvoir se lier au site actif de l'ECA », M. Vincent a répondu comme suit :
S'ils avaient été totalement incapables de se lier, je n'aurais pas écrit : « Ces composés ne semblent pas être capables. » J'aurais écrit : « Ces composés ne se lient pas. » Et ça aurait été en relation avec ce zéro qui, lui, est une erreur.
(7) Conclusion à l'égard de l'article de M. Vincent paru en 1992
[319] Après avoir apprécié l'ensemble de la preuve dont j'ai été saisie concernant la signification de l'article de M. Vincent paru en 1992, je conclus que cet article ne montre pas, selon la prépondérance des probabilités, soit expressément, soit par inférence, que les composés de la revendication no 3 du brevet 196 n'ont pas d'utilité. Je tire cette conclusion, malgré la mention d'une [TRADUCTION] « activité faible à nulle » dans l'article, en m'appuyant sur les éléments de preuve suivants :
· Le témoignage de M. Laubie sur ce point est, au mieux, ambigu.
· L'objet de l'article n'était pas de décrire l'activité ou l'inactivité absolue.
· Le tableau I n'indique pas que les composés les moins actifs, ceux du troisième groupe, avaient une activité [TRADUCTION] « nulle ».
· Ainsi que le démontrent les données sous-jacentes des tests pharmacologiques, on a pu calculer une valeur CI50 pour chacun des composés.
· M. Vincent, un des auteurs, a clairement expliqué l'activité [TRADUCTION] « faible à nulle ».
D. Le rapport des tests du Dr Gavras
[320] Le deuxième argument d'Apotex concernant l'utilité vise les analyses réalisées par le Dr Gavras. De l'avis d'Apotex, les résultats des analyses démontrent qu'au moins un des composés de la revendication no 3 du brevet 196 n'a pas d'utilité.
(1) Description des tests
[321] À la demande de l'avocat d'Apotex, le Dr Gavras a effectué des analyses supervisées in vivo et in vitro de trois composés afin d'évaluer leur capacité d'inhibition de l'ECA et leur activité antihypertensive comparativement au perindopril. Les résultats du Dr Gavras et sa méthode d'analyse sont décrits dans son rapport (le rapport du Dr Gavras).
[322] Les trois composés testés qui ont été comparés au perindopril étaient un stéréoisomère (R RR RR) du perindopril et deux analogues. À ce titre, ils auraient été tous inclus dans la revendication no 3 du brevet 196. Comme le décrit le Dr Gavras dans son rapport, les composés étaient les suivants :
A – un analogue de l'ester méthylique du (R,R,R,R,R)‑perindopril
B – un analogue butylique du (R,R,R,R,R)‑perindopril
C – le (R,R,R,R,R)‑perindopril
[323] Le composé D était le perindopril décrit dans la revendication no 5 (corrigée deux fois) du brevet 196.
[324] Le Dr Gavras a décrit sa tâche de la façon suivante :
[TRADUCTION]
On devait tester in vitro la capacité des composés d'inhiber l'effet d'hydrolisation par l'ECA pure des substrats peptidiques en enlevant deux acides aminés de l'extrémité C‑terminale d'un polypeptide [...] et évaluer in vivo leur capacité d'inhiber la conversion de l'angiotensine I (Ang I) en angiotensine II (Ang II) chez des rats à tension normale ainsi que leur capacité d'abaisser la pression artérielle dans le cas d'hypertension rénine‑dépendante chez des rats atteints d'hypertension rénovasculaire durant la phase initiale, qui est purement angiotensine‑dépendante.
[325] Le Dr Gavras a souligné que les quatre composés ont été fournis et utilisés sous forme estérifiée pour les tests in vitro. Il a reconnu, dans son rapport, que les quatre composés auraient dû être complètement désestérifiés avant les tests vu que [TRADUCTION] « les composés actifs in vivo sont les diacides ». Il a néanmoins indiqué que le composé D, même sous forme estérifiée, exerçait une inhibition presque complète de l'ECA.
[326] Le Dr Gavras a indiqué dans son rapport que, comparativement au composé D (le perindopril), le composé A avait une capacité inhibitrice de 50 % in vitro, et que les effets in vitro des composés B et C ne comportaient « aucune activité d'inhibition de l'ECA ».
[327] Les études in vivo sur des rats à tension normale ont montré qu'aucun des trois composés (A, B ou C) ne pouvait inhiber la conversion de l'Ang I administrée par injection exogène en Ang II, et elles ont mis en évidence une inhibition complète par le composé D.
[328] Les tests in vivo chez les rats atteints d'hypertension rénovasculaire du type deux reins, un clip n'ont révélé aucune baisse de la pression artérielle dans le cas des composés A, B ou C, mais ont mis en évidence une baisse de 47 mmHg de la pression artérielle moyenne qui a duré plusieurs heures dans le cas du composé D.
(2) Argument d'Apotex
[329] Telle qu'elle est énoncée dans sa plaidoirie finale écrite, la position d'Apotex à l'égard de cette question est la suivante :
[TRADUCTION]
Lorsqu'il est question de savoir si tous les composés revendiqués par les revendications nos 1, 2 et 3 du brevet 196 sont capables de produire un effet antihypertenseur thérapeutique, Apotex soutient respectueusement que les tests in vivo réalisés par le Dr Gavras montrent clairement que certains composés ne produisent pas un tel effet.
(3) Hypothèse sous‑jacente d'Apotex
[330] Le premier point à souligner est que l'argument d'Apotex présume que la promesse des revendications nos 1, 2 et 3 est que les composés de ces revendications ont un [TRADUCTION] « effet antihypertenseur thérapeutique ». Tel qu'il a été exposé précédemment, je n'accepte pas cette interprétation large de la promesse du brevet 196. En conséquence, les conclusions des analyses du Dr Gavras, telles que les invoque Apotex, ne sont pas pertinentes.
(4) Problèmes liés à la méthode d'analyse
[331] Toutefois, même si je devais poursuivre pour évaluer les résultats obtenus par le Dr Gavras, j'en arriverais à la conclusion qu'il faut accorder peu ou pas de poids aux résultats.
[332] MM. Horovitz, Cimarusti et Karmazyn, en particulier, ont vivement critiqué la méthode d'analyse du Dr Gavras, jusqu'au point où ils ont conclu que la conception expérimentale empêchait de déterminer si les composés A, B ou C avaient une activité d'inhibition de l'ECA.
[333] Dans son affidavit en réponse et dans son témoignage, M. Brunner a répondu aux différentes critiques de la méthode d'analyse du Dr Gavras. Au cours de son témoignage, M. Brunner a ainsi décrit ce que j'estime être sa démarche à l'égard de toutes les critiques :
[TRADUCTION]
Je dirais — le point que je veux faire valoir — comme je l'ai dit auparavant, il ne s'agit pas d'une étude soumise à une revue scientifique pour décrire les trois composés avec le contrôle positif du quatrième, du perindopril.
Il s'agit simplement d'une évaluation de ces trois composés pour vérifier s'ils remplissent la promesse du brevet ou non, qui est l'utilité thérapeutique.
[334] À mon avis, le problème que suscite ce raisonnement est le suivant : alors que l'étude n'a pas été réalisée en vue d'être présentée à une revue scientifique, elle a été réalisée pour invalider un brevet. Il s'agit d'une conséquence très grave. Bien que je n'exige pas une conformité complète avec les normes requises pour les publications évaluées par les pairs, je m'attendrais à un niveau adéquat de rigueur scientifique.
[335] J'examine les critiques précises.
[336] Absence d'analyse statistique. Aucune analyse statistique n'a été réalisée à l'égard des résultats des analyses. Apotex et M. Brunner (outre son rejet général de toutes les critiques) écartent cette critique au motif qu'une analyse statistique n'est pas nécessaire en l'absence d'activité. S'il s'agissait de ma seule préoccupation concernant les tests, je serais vraisemblablement d'accord avec M. Brunner.
[337] État des composés testés. Même le Dr Gavras a reconnu que les quatre composés auraient dû être complètement désestérifiés avant les tests vu que [TRADUCTION] « les composés actifs in vivo sont les diacides ». En théorie, aucun composé n'aurait dû afficher de résultat in vitro. Néanmoins, le Dr Gavras a conclu que le composé A avait une activité inhibitrice de l'ECA de 50 % comparativement au perindopril. Pour expliquer cette anomalie apparente, le Dr Gavras a été forcé de présumer que certains composés avaient été partiellement désestérifiés. Toutefois, en raison de l'absence de tests analytiques, le Dr Gavras ne pouvait aucunement savoir si d'autres composés avaient été désestérifiés, ni la mesure dans laquelle ils l'avaient été. L'état des composés demeure donc un mystère et l'effet d'une désestérification partielle sur les tests est inconnu. Voilà une lacune importante des tests.
[338] Test d'une seule concentration ou dose. Contrairement au protocole qu'il avait mis au point, le Dr Gavras n'a pas analysé in vitro des concentrations ou des doses multiples des composés. Selon la raison invoquée, pour établir l'efficacité relative, une seule dose est nécessaire. En conséquence, la seule conclusion qui peut être tirée du rapport du Dr Gavras est l'effet qu'a eu une concentration ou dose sur l'inhibition de l'ECA. Il n'existe aucune preuve, quelle qu'elle soit, qu'une concentration ou dose plus élevée n'aurait pas donné une activité accrue d'inhibition de l'ECA. Je suis d'accord avec cette critique.
[339] Période d'attente pour l'évaluation de l'activité in vivo. Selon le protocole du Dr Gavras, le niveau d'activité de chaque composé devait être testé pendant plusieurs heures après l'administration in vivo. Le Dr Gavras a cependant admis qu'il n'a attendu plus de 20 minutes que dans le cas d'un seul animal (Q1). Selon l'opinion de MM. Karmazyn et Horowitz, ne pas attendre pendant la période minimale de 30 minutes ou d'une heure a pour conséquence qu'on ne peut pas savoir avec certitude si le composé s'est transformé en la forme diacide active. À mon avis, il s'agit d'une autre lacune importante.
[340] Absence de contrôle et absence de hasardisation. Le Dr Gavras n'a pas utilisé de contrôle fictif et n'a pas testé ses animaux au hasard durant les tests in vivo. MM. Horowitz et Karmazyn étaient d'avis que les deux contrôles étaient importants pour vérifier qu'un effet ou une absence d'effet n'était pas attribuable au protocole de conception. Je suis d'accord avec les critiques, plus particulièrement sur la question de la hasardisation.
[341] Après avoir examiné la preuve et les témoignages concernant les tests réalisés par le Dr Gavras, je conclus que les résultats sont sérieusement compromis par les problèmes exposés ci‑dessus. L'effet cumulatif des problèmes soulignés par les experts ne peut être négligé. En conséquence, je n'accorderais aucun poids au rapport du Dr Gavras concernant les analyses des composés.
(5) Conclusion concernant le rapport du Dr Gavras
[342] En résumé, quant au rapport du Dr Gavras et à sa relation avec l'utilité, je conclus que les arguments d'Apotex n'établissent pas une absence d'utilité pour les composés de la revendication no 3. Les motifs, tels qu'ils ont été détaillés ci-dessus, sont les suivants :
a) Apotex s'appuie sur le rapport du Dr Gavras pour démontrer que certains composés de la revendication no 3 n'ont pas un [TRADUCTION] « effet antihypertenseur thérapeutique ». Puisqu'il ne s'agit pas là de la promesse du brevet, les résultats des tests ne sont pas pertinents.
b) Quoi qu'il en soit, la méthode d'analyse du Dr Gavras comporte des lacunes si importantes que peu de poids peut être accordé à ses résultats.
E. Conclusion concernant l'utilité
[343] Compte tenu de l'analyse qui précède, je conclus qu'Apotex ne s'est pas acquittée de son fardeau de démontrer que les composés des revendications nos 1, 2 et 3 du brevet 196 n'avaient pas d'utilité.
X. La prédiction valable
A. Aperçu
[344] Puisqu'Apotex n'a pas été en mesure de me convaincre de l'absence d'utilité des composés de la revendication no 3 en s'appuyant sur le rapport du Dr Gavras ou sur l'article de M. Vincent paru en 1992, j'examine la notion de la prédiction valable. Comme je l'ai souligné dans la section qui précède, la loi exige qu'à la date pertinente, il y ait eu démonstration de l'utilité de l'invention, ou en l'absence de celle-ci, une prédiction valable de l'utilité de l'invention fondée sur l'information et l'expertise alors disponibles.
[345] Comme je l'ai signalé, les revendications nos 1, 2 et 3 sont des revendications à l'égard d'une classe de composés. Les éléments de preuve dont je suis saisie m'indiquent que certains composés, mais pas tous, ont été testés par les inventeurs avant la demande de brevet. Il n'est toutefois pas essentiel que des analyses complètes aient été réalisées. Un inventeur peut s'appuyer sur la règle de la prédiction valable pour justifier des revendications dans un brevet dont l'utilité n'a pas été véritablement démontrée, mais qui peuvent faire l'objet d'une prédiction valable fondée sur l'information et l'expertise disponibles (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153 (Wellcome (C.S.C.))). En raison du fait que tous les composés inclus dans les revendications nos 1, 2 et 3 n'ont pas été testés, la question est de savoir si, compte tenu de l'information et de l'expertise alors disponibles, les inventeurs pouvaient faire une prédiction d'utilité à l'égard de tous les composés revendiqués.
[346] La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait.
[347] Dans l'arrêt Wellcome (C.S.C.), précité, la Cour suprême du Canada a formulé, au paragraphe 70, un critère en trois éléments auquel il faut satisfaire pour établir qu'une prédiction valable a été faite par l'inventeur supposé. Les trois éléments du critère sont les suivants :
1. la prédiction doit avoir un fondement factuel;
2. l'inventeur doit avoir un raisonnement clair qui permette d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité;
3. il doit y avoir divulgation suffisante, bien qu'il ne soit pas nécessaire que l'inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l'invention fonctionne.
[348] Pour être valable, il n'est pas nécessaire qu'une prédiction soit une certitude, puisqu'elle n'exclut pas le risque que certains composés du domaine revendiqué puissent se révéler inutiles. Selon le critère, c'est la date du dépôt au Canada qu'il faut retenir pour évaluer la validité de la prédiction.
[349] Ainsi, la question est de savoir si, à la date du dépôt au Canada, ADIR et ses scientifiques avaient un fondement factuel pour leur prédiction et un raisonnement clair qui permettait d'inférer du fondement factuel le résultat souhaité.
[350] Sous la rubrique de la prédiction valable, Apotex présente deux prétentions distinctes :
1. les inventeurs n'auraient pas pu prédire que les composés ayant une configuration (R,R,R) sur le squelette auraient quelque capacité de remplir la promesse du brevet;
2. le brevet 196 ne divulgue aucune méthode permettant de faire les molécules de perhydroindole trans revendiquées par les revendications nos 1, 2 et 3.
[351] J'examinerai tour à tour les deux prétentions.
B. Prédiction de l'utilité des composés (R,R,R)
[352] En commençant mon analyse, je constate que M. Brunner n'a pas traité de la validité du squelette de configuration exclusivement (R). Son témoignage ne présente donc pas d'intérêt concernant cette question. De plus, un examen du témoignage du Dr Gavras révèle qu'il s'est trompé en abordant la question de la prévision valable, car il a étudié la documentation produite après coup, notamment l'article de M. Vincent paru en 1992 de même que sa propre évaluation du brevet 196. En conséquence, je n'accorde pas non plus d'importance à son opinion en la matière.
[353] Apotex a souligné à juste titre que le brevet 196 revendique, dans les revendications nos 1, 2 et 3, un certain nombre de composés ayant un ou plusieurs stéréocentres de configuration (R). Le 1er octobre 1981, les inventeurs n'avaient pas encore testé de composé dont la molécule revendiquée avait un squelette de configuration (R,R,R). Selon Apotex, les inventeurs nommés du brevet 196 n'ont pas prédit, ni ne pouvaient prédire, que les composés de configuration (R,R,R) sur le squelette de la molécule auraient l'utilité promise dans le brevet 196. En effet, Apotex a affirmé que, compte tenu de l'état de la technique à la date du dépôt du brevet 196, la prédiction indiscutable serait que de tels composés ne seraient pas utiles comme agents antihypertenseurs ou même comme inhibiteurs de l'ECA.
[354] À l'appui de son allégation, Apotex cite un certain nombre d'articles scientifiques portant sur le captopril qui, selon elle, démontrent qu'on savait, le 1er octobre 1981, que les composés de configuration (S) aux deux stéréocentres du captopril et de ses analogues présentaient une activité nettement supérieure à celle des composés de configuration (R). Ces articles comprennent les suivants :
· l'article paru dans Experientia;
· l'article paru dans Science;
· l'article paru dans Biochemistry;
· l'article paru dans Progress in Cardiovascular Diseases;
· l'article paru dans Biological Chemistry.
[355] Apotex soutient que les enseignements qu'on peut tirer des articles sur le captopril ont été renforcés par les divulgations faites par Merck au congrès de Troy en juin 1980, ainsi que par la demande 401 et par l'article paru dans Nature, qui indiquaient tous que les composés de configuration (S) étaient beaucoup plus actifs que les composés de configuration (R) et que la configuration (S) devait être retenue.
[356] Servier, pour sa part, s'appuie sur les mêmes réalisations antérieures citées ci‑dessus par Apotex, mais donne une interprétation différente de la façon dont la technique serait comprise par la personne versée dans l'art. En bref, Servier avance qu'une lecture convenable des documents antérieurs indique que les composés de configuration (R,R,R) seraient moins utiles, mais conserveraient une certaine activité.
[357] Je suis d'accord avec Apotex que, le 1er octobre 1981, les réalisations antérieures avaient révélé que la configuration (S,S,S) aux trois stéréocentres du squelette était préférable à la configuration (R,R,R). Je reconnais également que les réalisations antérieures avaient montré que les composés de configuration exclusivement (S) présentaient une activité beaucoup plus grande que les composés de configuration (R). Cependant, après examen des réalisations antérieures, je ne suis pas encore convaincue que Servier ne disposait pas d'une base solide pour prédire que les composés de configuration exclusivement (R) auraient une activité d'inhibition de l'ECA. J'en viens à cette conclusion après avoir pris en compte la promesse offerte dans le brevet en litige.
[358] Comme je l'ai déjà établi, la promesse contenue dans le brevet 196 était que tous les composés revendiqués exerceraient un certain degré d'inhibition de l'ECA dans les tests in vitro et que certains des composés seraient suffisamment actifs pour traiter l'hypertension et l'insuffisance cardiaque. Le brevet ne contenait aucune prédiction ni promesse que tous les composés des revendications nos 1, 2 et 3 pourraient être utilisés pour traiter l'hypertension ou l'insuffisance cardiaque. Il s'ensuit qu'il n'y avait aucune prédiction selon laquelle un des composés de configuration exclusivement (R) sur le squelette pourrait nécessairement être utilisé pour traiter l'hypertension ou l'insuffisance cardiaque.
[359] Même s'il est vrai que les réalisations antérieures citées par Apotex indiquent que les composés de configuration (R) avaient une faible activité comparativement à ceux de configuration (S), je conclus qu'elles indiquent qu'on pourrait s'attendre à ce que les composés ayant la configuration (R) à divers endroits du squelette exercent un certain degré d'inhibition de l'ECA. Cette conclusion n'a pas été contestée par les experts d'Apotex, MM. Marshall, McClelland et Thorsett, qui ont reconnu qu'une certaine activité avait été notée dans les réalisations antérieures lorsque des stéréoisomères de configuration (R) avaient été utilisés. Par exemple, dans son affidavit, M. Thorsett écrit :
[TRADUCTION]
À la date de dépôt du brevet 093 [...] c'était un fait connu des personnes versées dans l'art que certaines configurations stéréochimiques aux centres 1‑3 [...] notamment une ou plusieurs de configuration « (R) », étaient associées à une activité d'inhibition de l'ECA in vitro extrêmement faible et non utile. [Non souligné dans l'original.]
[360] De même, M. McClelland affirme ce qui suit dans son affidavit :
[TRADUCTION]
Si l'on tient compte de la liaison multiple, la personne versée dans l'art comprendrait que des changements multiples de (S) à (R) donneraient des composés qui seraient de très faibles inhibiteurs de l'ECA, si tant est qu'ils aient un effet inhibiteur quelconque, et que ces composés ne seraient pas utiles pour le traitement de l'hypertension ou de l'insuffisance cardiaque. [Non souligné dans l'original.]
[361] Le contre‑interrogatoire de M. Marshall a donné lieu à l'échange qui suit au sujet de l'article paru dans Biochemistry :
[TRADUCTION]
Q. Mais la question n'est pas de savoir s'il y a une activité importante. La question est de savoir si une activité a été notée.
R. Une activité a été notée. Et je crois que c'est à cause du problème de contamination. Je ne peux en être sûr, parce qu'aucun effort n'a été déployé à l'époque et qu'on ne disposait pas non plus de méthodes pour mesurer le degré de contamination. [Non souligné dans l'original.]
[362] M. Marshall a laissé entendre que l'activité notée était causée par une contamination possible, mais il est clair qu'il se livrait à de pures hypothèses et ne niait pas qu'une activité avait de fait été notée dans les réalisations antérieures lorsque la configuration (R) était utilisée.
[363] À mon avis, même un faible degré d'inhibition de l'ECA vient étayer la prédiction d'un degré quelconque d'inhibition de l'ECA.
[364] Outre les réalisations antérieures, j'estime que la validité de la prédiction de Servier était renforcée par la fabrication et l'évaluation par Servier du perindopril, qui tombe sous le coup de la revendication no 3 du brevet 196. S'il est vrai que Servier n'avait évalué aucun composé de configuration (R,R,R) sur le squelette de la molécule revendiquée à la date de dépôt du brevet, l'état des connaissances à l'époque donnait à penser que les composés ayant le même squelette, mais la configuration (R), exerceraient un certain degré d'inhibition de l'ECA.
[365] La cause en l'espèce peut être comparée avec Aventis Pharma, précité, où la juge Mactavish a conclu que la revendication no 12 du brevet 206 n'avait pas fait l'objet d'une prédiction valable. La revendication no 12 du brevet 206 avait décrit un groupe de huit stéréoisomères ayant une structure bicyclique 5,5 au lieu du cycle proline dans la classe des composés divulgués et revendiqués par Merck dans le brevet relatif à l'énalapril. La prédiction en litige a été décrite par la juge Mactavish au paragraphe 110 de sa décision :
Quelle était précisément la prédiction de Schering? Schering déclare qu'elle avait prévu qu'en plaçant les bicycles sur l'extrémité proline d'une molécule d'énalapril, on obtiendrait des composés qui seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA et comme antihypertenseurs. [Non souligné dans l'original.]
[366] Cette prédiction est complètement différente de celle faite par Servier en l'espèce, à savoir que tous les composés énumérés dans la revendication no 3 exerceraient un certain degré d'inhibition de l'ECA et que certains auraient une activité suffisante pour être utilisés dans le traitement de l'hypertension et de l'insuffisance cardiaque. Une autre distinction peut être faite entre Aventis Pharma et la cause en l'espèce : dans le premier cas, le recours a été intenté sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement sur les AC), et avant la date de dépôt, la chiralité du seul composé créé par les inventeurs n'était pas connue (Aventis Pharma, précité, au paragraphe 130).
[367] En résumé, les enseignements combinés des réalisations antérieures, notamment l'article paru dans Nature et la demande 401 (qui utilisaient le même squelette de Merck que le perindopril), m'ont convaincue qu'il était plus probable qu'improbable que les inventeurs avaient eu une base factuelle et un raisonnement valable à partir desquels ils pouvaient prédire que les composés de la revendication no 3 exerceraient un certain degré d'inhibition de l'ECA.
[368] Sur ce point, Apotex n'a pas prétendu que le brevet 196 ne répondait pas à l'élément de la divulgation du critère en trois éléments applicable à la prédiction valable. Quoi qu'il en soit, même si elle l'avait fait, je suis convaincue que le mémoire descriptif fournit une description complète, claire et exacte de la nature de l'invention et de la manière de la mettre en pratique (Wellcome (C.S.C.), précité, au paragraphe 70).
C. Les composés « trans »
[369] Chacun des composés revendiqués dans les revendications no 1, 2 et 3 contient un bicycle 6,5 fusionné. Il y a deux carbones asymétriques à la jonction du cycle ou en tête de pont. Autrement dit, quatre configurations sont possibles aux sites de ces deux carbones. Si les deux atomes d'hydrogène sont situés du même côté, la configuration est appelée « cis »; lorsqu'ils sont sur des côtés opposés, la configuration est appelée « trans ». Par exemple, la moitié des 32 composés revendiqués par la revendication no 3 sont de configuration trans.
[370] Apotex soutient que ni la demande 093 ni le brevet 196 ne divulguent un procédé de fabrication de la configuration trans et qu'une personne versée dans l'art ne saurait pas, à la date en question, comment synthétiser de tels produits. Selon elle, les inventeurs n'auraient donc aucune base pour prédire que les configurations trans seraient utiles comme inhibiteurs de l'ECA. Apotex ne prétend pas que l'utilité des composés trans n'aurait pu être prédite; elle fait plutôt valoir que les inventeurs ne savaient pas comment fabriquer les composés trans. À l'appui de sa prétention, Apotex cite : (a) Wellcome (C.S.C.), précité, aux paragraphes 69, 70 et 84; (b) Aventis Pharma, précité, au paragraphe 86.
[371] De fait, Apotex soutient que le critère régissant la prédiction valable ne peut être respecté que si les inventeurs peuvent satisfaire à deux exigences : (a) les composés trans devraient avoir une utilité pour répondre à la promesse contenue dans le brevet, et (b) les inventeurs devraient formuler une prédiction valable du mode de fabrication des composés trans et la divulguer dans le brevet.
[372] En ce qui a trait à l'arrêt Wellcome (C.S.C.), Apotex mentionne les observations du juge Binnie à l'égard d'un brevet hypothétique pour l'avion des frères Wright et soutient que ces observations font autorité à l'égard de sa position. Plus précisément, le juge Binnie a déclaré ce qui suit au paragraphe 82 :
Le brevet hypothétique des frères Wright a trait à un produit nouveau et utile, plutôt qu'à une nouvelle utilisation d'un produit déjà connu (comme c'est le cas en l'espèce), mais il illustre quand même, selon moi, la faille que comporte l'argument de Glaxo/Wellcome. La seule idée d'une « machine volante plus lourde que l'air » n'est pas plus brevetable que ne le serait « n'importe quel moyen » « de faire repousser les cheveux d'un homme atteint de calvitie » (en italique dans l'original) : Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, 2000 CSC 66, par. 32. Le brevet (même dans ce cas improbable) devrait préciser comment on a réussi à faire voler la machine. L'alinéa 34(1)b) de la Loi sur les brevets oblige le demandeur à exposer, dans le mémoire descriptif, « le mode de construction, de confection [...] ou d'utilisation d'une machine [...] dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art [...] de confectionner, construire [...] ou utiliser l'objet de l'invention ». Cela signifie que le brevet hypothétique des frères Wright devrait décrire, notamment, comment concevoir un plan de sustentation qui crée une « portance » en réduisant la pression de l'air sur la surface supérieure de l'aile au moment où l'air frappe l'aile, ainsi qu'un mode adéquat de locomotion aérienne. Si les éléments essentiels de la machine volante plus lourde que l'air étaient exposés avec assez de précision pour que le lecteur puisse fabriquer une machine capable de voler, il serait difficile de retenir l'« hypothèse » selon laquelle, une fois que la machine aurait volé, les experts continueraient de prétendre que la prédiction n'était pas valable. [Non souligné dans l'original.]
[373] À mon avis, Apotex a cité le paragraphe de l'arrêt Wellcome (C.S.C.) hors contexte.
[374] Dans cette affaire, le brevet en cause visait une nouvelle utilisation d'un composé connu, soit l'utilisation du médicament AZT pour le traitement du VIH/sida. La question de la prédiction valable ou de l'utilité était d'une grande importance. Voici ce qu'a déclaré le juge Binnie, au paragraphe 55 :
[...] si l'utilité de l'AZT pour le traitement du VIH/sida avait été imprévisible au moment de la demande de brevet, les inventeurs n'auraient alors rien inventé ni rien eu à offrir à la population, si ce n'est des voeux pieux, en échange d'un monopole de 17 ans.
[375] Le juge Binnie a exposé comme suit l'objectif global de la règle de la prédiction valable, au paragraphe 66 :
La règle de la « prédiction valable » établit un équilibre entre l'intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu'on en ait vérifié l'utilité par des tests (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l'intérêt public qu'il y a à éviter d'encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation.
[376] Le juge Binnie ne mentionne nulle part dans l'analyse menant à cette déclaration générale la nécessité de connaître la manière de prédire la fabrication d'un composé comme composante de l'utilité. En fait, à mon avis, il peut exister des cas, particulièrement dans le contexte des brevets de classes pharmaceutiques, où l'utilité d'une classe particulière de composés peut être établie par renvoi à l'architecture de la classe particulière. Cela ne signifie pas que les inventeurs peuvent éviter de dire au monde comment mettre le brevet en pratique; c'est précisément la raison pour laquelle le mémoire descriptif d'un brevet doit être suffisant.
[377] Je constate ensuite que la citation du paragraphe 82 de l'arrêt Wellcome (C.S.C.) apparaît dans une section des motifs intitulée « La théorie de la validation après coup soumise par Glaxo/Wellcome ». Dans cette section des motifs, le juge Binnie examinait la prétention de Glaxo/Wellcome selon laquelle, parce que l'AZT s'est révélé avoir à la fois des propriétés de traitement et des propriétés prophylactiques (limitées), sa prédiction devait nécessairement être valable et le brevet maintenu sur ce fondement. En rejetant cet argument, le juge Binnie répondait à l'exemple sur lequel Glaxo/Wellcome s'était appuyée devant la Cour suprême. Je ne suis pas convaincue qu'en faisant ces observations au sujet d'un brevet hypothétique pour un avion, le juge Binnie voulait réviser le critère applicable à la prédiction valable, comme le prétend Apotex.
[378] Si nous examinons le paragraphe 83 de l'arrêt, nous voyons la déclaration suivante :
Par ailleurs, si le brevet ne divulguait pas les éléments essentiels d'une machine volante plus lourde que l'air, de sorte que personne ne serait en mesure de « prédire valablement » que cet objet mal défini pourra ou ne pourra pas quitter le sol, le brevet serait alors invalidé à juste titre, même si, entre‑temps, les inventeurs avaient réussi à faire voler une machine quelconque. [...]
[379] En résumé, ce qu'il faut faire pour répondre au critère, c'est divulguer les « éléments essentiels ». En l'espèce, il s'agit de savoir si une personne (notre personne versée dans l'art) pouvait valablement prédire si les composés trans auraient une utilité à titre d'inhibiteurs de l'ECA et non de savoir s'ils pouvaient être fabriqués ou non.
D. Conclusion
[380] En ce qui a trait à la question de la prédiction valable, je suis convaincue, selon la prépondérance de la preuve, qu'à la date du dépôt au Canada, la prédiction des inventeurs selon laquelle tous les composés inclus dans la revendication no 3 du brevet 196 auraient une activité à titre d'inhibiteurs de l'ECA était valable. De plus, je ne suis pas convaincue qu'Apotex s'est acquittée de son fardeau de démontrer qu'une personne versée dans l'art, à la date du dépôt de la demande 093, ne pouvait pas valablement prédire que les composés trans des revendications nos 1, 2 et 3 auraient une utilité.
XI. La paternité de l'invention
A. Aperçu
[381] Apotex fait valoir que les inventeurs nommés du brevet 206, à savoir Elizabeth M. Smith, Bernard R. Neustadt et Elijah H. Gold (collectivement appelés les inventeurs de Schering), sont les premiers inventeurs de l'« invention » du brevet 196. Il s'ensuit que l'invention revendiquée au brevet 196 était « connue ou utilisée par une autre personne » (selon l'alinéa 27(1)a) de la Loi) avant d'être inventée par les scientifiques d'ADIR. En conséquence, selon ce que soutient Apotex, les inventeurs d'ADIR n'avaient pas droit à la délivrance du brevet 196.
[382] Servier soutient tout d'abord que le paragraphe 61(1) de la Loi interdit à Apotex de contester la paternité de l'invention du brevet 196. De plus, selon Servier, Apotex a omis d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que les inventeurs de Schering connaissaient ou utilisaient l'objet des revendications nos 1, 2, 3 ou 5 du brevet 196.
[383] Apotex fait valoir en outre que, même selon l'interprétation du paragraphe 61(1) que propose Servier, certaines revendications de tiers qui auraient dû mener à des procédures en cas de conflit n'ont pas eu de suite. En conséquence, Apotex soutient qu'il y a eu des conflits qui n'ont pas donné lieu à une procédure et qui sont visés par l'exception à l'alinéa 61(1)b). Servier n'est pas d'accord.
[384] Les sous‑questions soulevées à l'égard de la paternité de l'invention sont les suivantes :
1. Le paragraphe 61(1) de la Loi interdit-il à Apotex de contester la validité du brevet 196 pour cause de paternité de l'invention, ou bien Apotex peut-elle contester la validité du brevet pour cause de paternité de l'invention parce que l'alinéa 61(1)b) de la Loi s'applique? Il s'agit d'une question d'interprétation du passage suivant de la loi : « qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ».
2. L'omission du commissaire de placer certaines revendications en conflit avec celles d'ADIR a‑t‑elle donné lieu à une omission de tenir des procédures en cas de conflit, de telle sorte que l'interdiction visée au paragraphe 61(1) ne s'applique pas? La réponse à cette question exige que j'examine la question de savoir si les procédures en cas de conflit relèvent uniquement du commissaire ou si la Cour peut ordonner la tenue de ces procédures.
3. Apotex s'est-elle acquittée de son fardeau de démontrer que Mme Smith ou Schering était la première à connaître ou à utiliser l'« invention » du brevet 196? Il s'agit, dans l'ensemble, d'une question de fait.
B. Cadre légal pertinent en vertu de la Loi sur les brevets
[385] Je commence par examiner les dispositions légales pertinentes de la Loi sur les brevets, en rappelant au lecteur que les dispositions applicables sont celles contenues dans la Loi telle qu'elle existait en 1981.
[386] Le régime général de la Loi est fondé sur le principe du « premier inventeur », un élément essentiel dans l'analyse des questions dont je suis saisie. Le régime de l'actuelle Loi sur les brevets, au contraire, peut être présenté comme un régime fondé sur le principe du « premier déposant ». Le principe du « premier inventeur » est formulé au paragraphe 27(1) de la Loi :
Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas :
a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;
b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;
c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada. |
Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was
(a) not known or used by any other person before he invented it,
(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and
(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,
may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention. |
[387] Reconnaissant que plus d'une personne pourrait réclamer la paternité d'inventions semblables ou qui se chevauchent, le législateur a édicté des mesures pour cerner et régler les conflits découlant d'une telle situation. En premier lieu, le paragraphe 43(1) de la Loi circonscrit les cas de conflit :
Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes dans les cas suivants :
a) chacune d'elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention;
b) une ou plusieurs revendications d'une même demande décrivent l'invention divulguée dans l'autre ou les autres demandes |
Conflict between two or more pending applications exists
(a) when each of them contains one or more claims defining substantially the same invention; or
(b) when one or more claims of one application describe the invention disclosed in one of the other applications. |
[388] Les autres dispositions de l'article 43 décrivent la procédure à suivre pour déclarer et régler les conflits. Deux dispositions sont particulièrement pertinentes à la présente affaire. D'abord, le paragraphe 43(7) prévoit que le commissaire tranche le conflit en décidant « lequel des demandeurs est le premier inventeur à qui il attribuera les revendications concurrentes ». Deuxièmement, le paragraphe 43(8) permet à une partie au conflit d'engager une procédure à la Cour fédérale « en vue de déterminer leurs droits respectifs ».
[389] Dans les faits, la procédure prévue au paragraphe 43(8) est introduite par une action qui comporte un examen préalable complet ainsi que les autres formalités permises par les Règles des Cours fédérales. Lorsqu'une action est engagée en vertu du paragraphe 43(8), le commissaire suspend toute action ultérieure, et aucun brevet ne peut être délivré jusqu'à ce que la Cour prenne l'une des décisions suivantes :
a) de fait, il n'existe aucun conflit entre les revendications en question;
b) aucun des demandeurs n'a droit à la délivrance d'un brevet contenant les revendications concurrentes, selon la demande qu'il en a faite;
c) il peut être délivré, à l'un ou à plusieurs des demandeurs, un ou des brevets contenant des revendications substituées, approuvées par le tribunal;
d) l'un des demandeurs a droit à l'encontre des autres, à la délivrance d'un brevet comprenant les revendications concurrentes, selon la demande qu'il en a faite.
|
(a) there is in fact no conflict between the claims in question;
(b) none of the applicants is entitled to the issue of a patent containing the claims in conflict as applied for by him;
(c) a patent or patents, including substitute claims approved by the Court, may issue to one or more of the applicants; or
(d) one of the applicants is entitled as against the others to the issue of a patent including the claims in conflict as applied for by him |
[390] Bien que le paragraphe 27(1) reconnaisse au premier inventeur le droit au brevet, la Loi prévoit la possibilité de poursuites judiciaires portant sur la validité des brevets (voir les articles 53 et suivants de la Loi). Plus particulièrement, l'article 59 de la Loi permet à un défendeur (comme Apotex) dans une action en contrefaçon de brevet d'invoquer « tout fait ou manquement qui, d'après la présente loi ou en droit, entraîne la nullité du brevet ». En vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être « déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale [...] à la diligence d'un intéressé ».
[391] Néanmoins, lorsque la validité d'un brevet est contestée sur le fondement de la paternité de l'invention, le paragraphe 61(1) limite ou nuance le droit de contestation :
Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l'invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d'être faite par l'inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu'il ne soit établi que, selon le cas :
a) cette autre personne avait, avant la date de la demande du brevet, divulgué ou exploité l'invention de telle manière qu'elle était devenue accessible au public;
b) cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit;
c) cette autre personne avait à quelque époque fait au Canada une demande ayant, en vertu de l'article 28, la même force et le même effet que si elle avait été enregistrée au Canada avant la délivrance du brevet et pour laquelle des procédures en cas de conflit auraient dû être régulièrement prises si elle avait été ainsi enregistrée. |
No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that
(a) that other person had, before the date of the application for the patent, disclosed or used the invention in such manner that it had become available to the public;
(b) that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed; or
(c) that other person had at any time made an application in Canada which, by virtue of section 28, had the same force and effect as if it had been filed in Canada before the issue of the patent and on which conflict proceedings should properly have been directed had it been so filed. |
[392] Aucun argument n'a été soulevé quant aux alinéas 61(1)a) et 61(1)c) de la Loi, aussi limiterai‑je mon analyse à l'alinéa 61(1)b).
C. L'interprétation de l'alinéa 61(1)b)
(1) Observations de nature générale et position des parties
[393] Comme il a été mentionné, la délivrance des brevets, sous le régime de la Loi, est axée sur la paternité de l'invention : le premier inventeur a droit au brevet. L'interprétation conjointe des paragraphes 61(1) et 27(1) indique comment un brevet peut être jugé invalide en raison de la paternité antérieure de l'invention. Comme l'énonce l'alinéa 61(1)b), aucun brevet ne peut être déclaré invalide pour la raison que l'invention était déjà connue ou exploitée par une autre personne, à moins que la personne qui conteste le brevet n'établisse que cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit. En d'autres mots, une partie peut uniquement invoquer avec succès la paternité d'une invention comme question en litige si : a) l'invention du brevet ou la revendication était déjà « connue ou exploitée par une autre personne »; b) l'autre personne avait fait au Canada une demande de brevet pour cette invention antérieure; c) des procédures en cas de conflit auraient dû être prises.
[394] En l'espèce, il ne fait aucun doute que plusieurs personnes avaient présenté au Canada des demandes de brevets portant sur les inhibiteurs de l'ECA et que le commissaire a placé en conflit plusieurs revendications exposées dans les diverses demandes. Apotex et Servier ne s'entendent pas sur la question de savoir si une de ces demandes divulguait une invention qui était connue ou exploitée avant la demande de brevet d'ADIR et s'il existait des conflits qui n'avaient pas été déclarés. Si Servier interprète correctement l'alinéa 61(1)b), Apotex ne sera pas en mesure de contester la paternité de l'invention en invoquant les revendications de tiers qui ont été mises en conflit. Toutefois, même si Servier a raison sur la manière d'interpréter l'alinéa 61(1)b), Apotex pourrait quand même être en mesure de soulever la question de la paternité de l'invention au motif qu'il n'y a pas eu de procédures en cas de conflit qui auraient dû avoir lieu. Ces deux sous‑questions sont examinées plus loin dans les présents motifs.
[395] À l'égard de cette sous-question, Apotex et Servier ne s'entendent pas sur l'interprétation à donner au membre de phrase « qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Servier affirme que l'alinéa 61(1)b) s'applique en l'espèce parce que non seulement la demande de brevet aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit, mais elle a bel et bien donné lieu à une procédure de cette nature. Elle soutient donc, en réalité, qu'en application de l'alinéa 61(1)b), il n'est pas permis de soulever la question de la paternité de l'invention lorsque, comme en l'espèce, l'invention d'une autre personne était connue et a donné lieu à une procédure en cas de conflit. Autrement dit, l'alinéa 61(1)b) s'applique uniquement dans le cas de conflits qui n'ont pas donné lieu à une procédure. Il semble que ce soit là l'interprétation littérale de cette disposition.
[396] Apotex soutient que l'interprétation de Servier ajoute au libellé de l'alinéa 61(1)b) de façon à restreindre dans les faits l'application de cette disposition. À son avis, cette démarche contrevient à un principe fondamental d'interprétation des lois (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto, Butterworths, 2002, à la page 131). En effet, affirme‑t‑elle, cette disposition signifie simplement que les circonstances qui auraient dû donner lieu à des procédures en cas de conflit au titre du paragraphe 43(1) de la Loi doivent avoir existé (en termes simples, il doit y avoir eu des revendications semblables ou des revendications qui se chevauchent). À son avis, il importe peu que des procédures en cas de conflit aient eu lieu ou non. Suivant cette interprétation d'Apotex, n'importe quel brevet découlant des demandes 093, 336, 787 et 453 pourrait satisfaire au critère de l'alinéa 61(1)b), pour autant que la partie qui conteste puisse établir que l'invention avait déjà été divulguée au public.
[397] Étant donné que la jurisprudence pertinente ne tranche pas directement la question de l'interprétation de l'alinéa 61(1)b) (voir Les Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2007 CAF 350, 61 C.P.R. (4th) 408 (C.A.F.), au paragraphe 46), je procéderai à un nouvel examen du sens de cet alinéa.
[398] C'est un principe bien établi en matière d'interprétation des lois que les termes d'une loi doivent être lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur (Elmer Driedger, Driedger on the Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, cité dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 (Rizzo Shoes)). Gardant ce principe à l'esprit, il convient de commencer avec l'examen du contexte de la procédure en cas de conflit dont traite la Loi.
(2) Le contexte des procédures en cas de conflit
[399] Selon le régime de la Loi, les procédures en cas de conflit constituaient une caractéristique déterminante de la façon de trancher la question du premier inventeur dans des demandes simultanément en instance et, par conséquent, le droit à un brevet. Les conflits survenaient lorsqu'une demande divulguait une ou plusieurs revendications a) qui définissaient « substantiellement la même invention » (alinéa 43(1)a)), ou b) qui décrivaient « l'invention divulguée dans l'autre ou les autres demandes » (alinéa 43(1)b)). En vertu du paragraphe 43(3) de la Loi, le commissaire était tenu de notifier les demandeurs visés si ces revendications étaient « tellement identiques que, de l'avis du commissaire, des brevets distincts ne peuvent être accordés à des brevetés différents ». Après que les demandeurs eurent présenté des observations et déposé des affidavits (voir les paragraphes 43(4) et 43(5)), le commissaire décidait « lequel des demandeurs est le premier inventeur à qui il attribuera les revendications concurrentes » (paragraphe 44(7)). Il est intéressant de souligner qu'aucune procédure orale n'avait lieu et que, en fait, les demandeurs ne recevaient même pas une copie des affidavits des autres demandeurs avant que le commissaire ait rendu sa décision. Si un des demandeurs n'était pas d'accord avec les décisions du commissaire, il avait le droit d'engager des « procédures à la Cour fédérale en vue de déterminer leurs droits respectifs » (paragraphe 44(8)). Dans une telle situation, le commissaire ne pouvait délivrer de brevets jusqu'à ce que la procédure devant la Cour fédérale donne lieu à l'une des décisions définitives possibles. Ces issues possibles sont énoncées aux alinéas 44(8)a) à d) de la disposition (voir ci‑dessus). Une des issues possibles (et celle qui est survenue dans l'affaire dont je suis saisie) est celle énoncée à l'alinéa 44(8)c), en vertu de laquelle la Cour approuve des revendications substituées qui peuvent être délivrées à l'un ou à plusieurs des demandeurs. En bref, les procédures en cas de conflit énoncées dans la Loi prévoient un processus très détaillé pour trancher la question du premier inventeur.
[400] La Loi ne prévoit pas l'intervention de tiers. Cela signifie que la Loi n'accorde pas à un non‑demandeur la capacité de contester les décisions du commissaire. Cela signifie-t-il qu'une fois un brevet délivré, les procédures en cas de conflit empêchent à tout jamais un tiers de contester le brevet? Il est évident que la réponse est non.
[401] Un certain nombre de décisions traitent du rôle de la procédure en cas de conflit. Dans Texaco Development Corp. c. Schlumberger Ltd., [1967] 1 R.C.É. 459, à la page 465, 49 C.P.R. 225, à la page 233, la Cour de l'Échiquier a conclu que l'article 45 d'une version antérieure de la Loi sur les brevets (l'article 43 de la Loi) permettait l'interruption du traitement d'une demande de brevet [TRADUCTION] « dans l'unique but de décider lequel de deux demandeurs est l'inventeur ». Le juge Jackett a toutefois pris soin de préciser que toute autre opposition à l'octroi d'un brevet [TRADUCTION] « devrait être examinée dans le cours normal de la procédure ». Autrement dit, le juge a reconnu que, vu l'application de la Loi, la paternité de l'invention commande un traitement spécial.
[402] La décision Nekoosa Packaging Corp. c. Amca International Ltd., no T‑1848‑82, 30 octobre 1989, 27 C.P.R. (3d) 153 (C.F. 1re inst.), aux pages 157 et 158, conf. par no A‑540‑89, 7 juillet 1994, 56 C.P.R. (3d) 470 (C.A.F.) (Nekoosa Packaging Corp.), est aussi pertinente et se révèle utile sur ce point, puisque le juge Cullen a consacré beaucoup de temps à résumer l'état du droit en la matière à l'époque. Il s'agissait d'une action en contrefaçon de brevet qui avait été précédée d'une procédure en cas de conflit. L'instance sur le conflit avait été tranchée en dernier ressort par la Cour d'appel fédérale. Dans l'action subséquente en contrefaçon de brevet, la Cour a déclaré qu'une décision judiciaire rendue lors d'une procédure en cas de conflit ne permet pas de plaider la préclusion dans les poursuites subséquentes concernant la validité d'un brevet. La Cour a expliqué que la procédure en cas de conflit porte sur la question de la priorité et ne décide pas de la validité des revendications concurrentes, si ce n'est dans la mesure où la décision oblige le commissaire à délivrer un brevet qui contient les revendications en cause. Bref, les demandeurs pouvaient contester la validité du brevet pour cause d'évidence. Je ferai remarquer que, dans l'affaire devant le juge Cullen, l'antériorité de l'invention n'était pas invoquée comme motif d'invalidité. Cette affaire s'inscrit donc dans un courant jurisprudentiel constant selon lequel il est possible de soulever d'autres motifs d'invalidité après la conclusion d'une procédure en cas de conflit. Le raisonnement est clair. La procédure en cas de conflit porte seulement sur la paternité de l'invention; donc, aucun autre motif d'invalidité ne peut avoir été examiné lors d'une telle procédure.
[403] La jurisprudence relative à l'interprétation du paragraphe 61(1) de la Loi semble à première vue en contradiction avec celle qui traite de la portée de la procédure en cas de conflit. D'une part, les tribunaux concluent généralement que la procédure en cas de conflit ne décide pas de la validité du brevet. D'autre part, les prétentions relatives à la validité du brevet qui touchent la paternité de l'invention ne peuvent être soulevées suivant le paragraphe 61(1) s'il n'y a pas eu de conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure. Si l'on accepte les deux courants de jurisprudence, il s'ensuit que les décisions sur les conflits de priorité rendues par le commissaire aux brevets ou, s'il y a lieu, par la Cour fédérale, sans être nécessairement décisives sur la paternité de l'invention (comme il a été décidé dans Nekoosa Packaging Corp.), sont néanmoins inattaquables sur ce point. À mon avis, cette interprétation du paragraphe 61(1) est logique et devrait être retenue.
(3) L'intention du législateur
[404] L'arrêt Rizzo Shoes nous enseigne que l'intention du législateur devrait être prise en compte pour interpréter les dispositions d'une loi. En l'espèce, la disposition qui a précédé le paragraphe 61(1) a tout d'abord été adoptée par le législateur en 1932, la Loi modifiant la Loi des brevets, L.C. 1932, ch. 21, art. 4. Il est difficile de dégager l'intention du législateur quelque 76 ans après l'inclusion d'une disposition dans une loi. Nous savons cependant, en raison du moment où la disposition a été adoptée, qu'au moins une partie de la volonté concernant l'inclusion de la disposition provenait de la décision du Comité judiciaire du Conseil privé dans l'arrêt Rice c. Christiani, [1931] 4 D.L.R. 273 (C.P.) (Christiani (C.P.)), une décision rendue en appel de la Cour suprême du Canada (Christiani c. Rice, [1930] R.C.S. 443 (C.S.C.) (Christiani (C.S.C.))). La question dont les Cours étaient saisies peut être exposée comme suit : une société danoise (Christiani), dont le procédé de fabrication d'un matériau de construction en béton cellulaire appelé ciment poreux avait tout d'abord été inventé et breveté au Danemark, pouvait-elle contester la validité du brevet canadien de M. Rice pour le procédé identique?
[405] Bien que la Cour de l'Échiquier ait maintenu la validité du brevet canadien de M. Rice, la Cour suprême du Canada a infirmé cette décision en appel. À son tour, le Conseil privé a confirmé l'arrêt de la Cour suprême du Canada.
[406] Lorsqu'il a interprété les dispositions de la Loi sur les brevets en vigueur à cette époque, le Conseil privé a tiré la conclusion suivante :
[TRADUCTION]
Les connaissances et l'usage de Bayer [l'inventeur qui a par la suite cédé ses droits de brevet à Christiani] et de ses associés, avant le 21 décembre 1922, bien qu'au Danemark et bien que secrets et confidentiels et non accessibles au public, étaient, selon la véritable interprétation de l'article 7 de la loi de 1923, suffisants pour invalider le brevet de l'appelant [M. Rice]. (Christiani (C.P.), précité, à la page 283) [Non souligné dans l'original.]
[407] En se prononçant ainsi, les lords juges infirmaient expressément deux décisions de la Cour de l'Échiquier, R. c. La Force, 4 R.C.É. 14, et Gerrard Wire Tying Machines Co., Ltd. c. Cary Manufacturing Co., [1926] R.C.É. 170, [1926] 3 D.L.R. 374, dans lesquelles des conclusions contraires avaient été tirées.
[408] Comme le décrivait l'avocat d'Apotex dans son argumentation finale, l'arrêt Christiani (C.P.) autorisait [TRADUCTION] « la personne inconnue cachée dans la forêt » à contester la validité d'un brevet. Selon Apotex, lorsqu'il a modifié la Loi sur les brevets en 1932, le législateur avait seulement l'intention d'éliminer ce résultat étonnant, pour empêcher les personnes inconnues détenant des brevets ailleurs de revendiquer après le fait la qualité de premier inventeur en rétablissant le droit antérieur à l'arrêt Christiani (C.P.). De l'avis d'Apotex, le législateur n'a jamais voulu faire plus que cela; le législateur n'avait pas l'intention d'empêcher un tiers, comme Apotex, de contester ultérieurement la validité d'un brevet pour cause de paternité de l'invention. Cette version de l'intention du législateur que propose Apotex présente plusieurs problèmes.
[409] Le premier problème est qu'Apotex n'a présenté aucun élément de preuve, tel que le Hansard ou la transcription des débats parlementaires ou en comité qui ont eu lieu à cette époque. Son point de vue est au mieux une hypothèse selon laquelle la seule intention du législateur était d'empêcher [TRADUCTION] « la personne inconnue cachée dans la forêt » de contester la paternité d'une invention.
[410] Le problème suivant est que si le législateur avait eu l'intention d'agir uniquement de la manière restreinte proposée par Apotex, il aurait pu le faire au moyen d'un libellé beaucoup plus clair. Le législateur aurait pu rétablir le droit antérieur à l'arrêt Christiani (C.P.) simplement en exigeant que la contestation de la paternité d'une invention ne soit pas maintenue, à moins que la personne qui conteste n'ait présenté une demande de brevet qui était en instance. Ce n'est pas ce que prévoit le paragraphe 61(1). Il est possible d'inférer que le législateur a choisi de ne pas empêcher uniquement des demandeurs concurrents de contester la paternité d'une invention, mais qu'il a adopté une disposition d'application générale à toutes les personnes qui contesteraient la validité d'un brevet pour cause de paternité de l'invention.
(4) L'objet de la Loi sur les brevets
[411] Le dernier problème soulevé par l'interprétation du paragraphe 61(1) proposée par Apotex est qu'elle ne tient pas compte du régime de la Loi en ce qui a trait à la notion essentielle du « premier inventeur ». Apotex semble soutenir que le législateur n'aurait jamais eu l'intention de retirer le droit d'un tiers de soulever la question de la paternité de l'invention. Je reconnais que, selon l'interprétation de Servier (et la mienne), il est interdit aux tiers de participer aux procédures en cas de conflit. En réponse, je constate premièrement qu'il n'est pas interdit à un tiers de soulever l'existence d'une réalisation antérieure. Il s'agit d'une question d'antériorité qui est souvent invoquée dans des instances en contrefaçon. En conséquence, le problème possible ne se pose que dans les situations où il y a des demandes concurrentes et qu'on déclare qu'il y a un conflit.
[412] Je constate ensuite que le processus détaillé exposé dans la Loi comporte l'examen minutieux du commissaire et la participation ultérieure de la Cour fédérale. Il me semble que l'objectif d'assurer la sécurité du brevet pour la personne ultimement désignée par ce processus est compatible avec la notion de premier inventeur.
[413] Dans toute interprétation légale en matière de brevets et, partant, dans toute interprétation du régime d'octroi des brevets, il est utile de se rappeler les remarques formulées par le juge Binnie dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust), aux paragraphes 41 et 43 :
L'étendue de la protection découlant du brevet doit être non seulement équitable, mais aussi raisonnablement prévisible. [...] Le breveté, les concurrents, les contrefacteurs éventuels et le public en général ont donc droit à des règles claires et précises définissant l'étendue du monopole accordé.
[414] Ce principe est d'autant plus vrai sous le régime de la Loi sur les brevets, qui est fondée sur la notion de la paternité de l'invention. L'objet du régime légal est de fournir un moyen d'identifier les véritables premiers inventeurs et de résoudre les conflits susceptibles de survenir avant la délivrance du brevet. Le législateur a prévu qu'un brevet délivré au terme de ce processus est à l'abri de toute attaque ultérieure quant à la paternité de l'invention, sauf dans les circonstances exposées dans la Loi sur les brevets, plus particulièrement à l'alinéa 61(1)b).
[415] Je remarque en outre qu'aucune des décisions jurisprudentielles traitant d'allégations d'invalidité portées à la suite de procédures en cas de conflit n'examine les circonstances particulières entourant la paternité de l'invention. Par conséquent, ces décisions n'entrent d'aucune façon en conflit direct avec l'interprétation de l'alinéa 61(1)b) que propose Servier.
[416] Je tiens aussi à souligner une difficulté dans l'interprétation que fait Apotex de cette disposition. Le problème que pose son interprétation des mots « aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit » est qu'elle enlève pratiquement toute raison d'être à l'alinéa 61(1)b). Selon l'interprétation proposée par Apotex, l'existence de conflits n'importe pas. Il existe un principe d'interprétation des lois selon lequel le législateur a voulu que les mots employés dans une loi aient un sens. Suivant l'interprétation d'Apotex, ce membre de phrase engloberait non seulement les conflits qui n'ont pas donné lieu à une procédure, mais également toute demande qui a donné lieu à une procédure en cas de conflit. Un conflit signalé, peu importe la manière dont il a été résolu, serait dépourvu de pertinence, ce qui priverait les brevets délivrés sous le régime de la Loi de toute espèce de certitude. En réalité, Apotex ajoute aussi à la disposition; selon son point de vue, le libellé de l'alinéa 61(1)b) devrait être : « une demande [...] qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit, que ces procédures aient eu lieu ou non ». Selon une autre hypothèse, elle interprète cette disposition comme signifiant : « une demande [...] qui aurait pu donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Dans l'un et l'autre cas, Apotex avance une interprétation qui, à mon avis, ne peut s'intégrer harmonieusement dans le régime de la Loi.
(5) Jurisprudence pertinente
[417] Tel que je l'ai indiqué ci-dessus, aucune jurisprudence ne porte sur cette question précise. Toutefois, cette disposition a été mentionnée au moins à trois reprises. À mon avis, les trois causes donnent à cette disposition une interprétation qui concorde avec celle proposée par Servier.
[418] La décision AT&T Technologies, Inc. c. Mitel Corp., no T‑2517‑85, 7 juillet 1989, 26 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.) (AT&T), qui traite de la validité d'un brevet, offre un exemple d'application de l'alinéa 61(1)b) de la Loi. La défenderesse soutenait que le brevet d'AT&T était invalide parce que les inventeurs désignés « n'étaient pas les premiers inventeurs et qu'il y avait déjà au Bureau des brevets, au moment où le brevet AT&T a été déposé, une demande de brevet avec laquelle il aurait dû être mis en conflit » (AT&T, précité, à la page 265). Comme l'a souligné la juge Reed dans cette affaire, le paragraphe 27(1) de la Loi reconnaît au premier inventeur le droit d'obtenir un brevet.
[419] Néanmoins, la juge Reed a aussi tenu compte des précisions énoncées à l'alinéa 61(1)b) relativement au premier auteur de l'invention. Après avoir soigneusement examiné la preuve dont elle était saisie, qui comprenait deux demandes de brevet, la juge Reed a conclu, à la page 272 :
Il n'y a pas de doute que les deux demandes de brevet auraient dû donner lieu à des procédures en cas de conflit.
[...]
Il suffit de prouver qu'il y avait invention antérieure du procédé et du dispositif, avant la date de l'invention de la demanderesse, et qu'il existait des demandes de brevet qui auraient dû donner lieu à des procédures de conflit. C'est ce qui a été prouvé. Le brevet de la demanderesse est par conséquent manifestement invalide.
[420] D'après ce que je comprends de cette conclusion, le brevet a été déclaré invalide pour deux motifs : 1) l'existence d'une invention antérieure; 2) l'existence de demandes de brevet qui auraient dû donner lieu à des procédures en cas de conflit. Chacune des deux conditions devait être remplie. Si la défenderesse n'avait pas réussi à convaincre la Cour de l'existence de demandes de brevet qui auraient dû donner lieu à des procédures de conflit, elle n'aurait pas été en mesure de satisfaire au critère énoncé à l'alinéa 61(1)b), et le brevet n'aurait pas été déclaré invalide en raison d'une invention antérieure. En somme, la juge Reed a donné de l'alinéa 61(1)b) une interprétation compatible avec celle exposée par Servier dans la présente requête.
[421] La juge Mactavish a fait sienne cette interprétation de l'alinéa 61(1)b) dans Aventis Pharma, précité, aux paragraphes 341 à 344, une affaire dans laquelle elle devait statuer sur une allégation d'invalidité de brevet formulée par la défenderesse au titre de l'alinéa 61(1)b) de la Loi. Selon la juge Mactavish, la défenderesse, pour avoir gain de cause, devait établir « à la fois une connaissance ou un usage antérieur de la part de Hoechst et l'existence d'un conflit qui ne s'est pas matérialisé par l'introduction d'une procédure » (souligné dans l'original). Il convient de signaler, cependant, qu'ayant conclu que la défenderesse n'avait pas démontré une connaissance ou un usage antérieur de la part de Hoechst, la juge Mactavish n'avait pas besoin de se prononcer sur l'existence d'un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure (Aventis Pharma, précité, au paragraphe 349). Néanmoins, cette interprétation judiciaire de l'alinéa 61(1)b) concorde elle aussi avec celle proposée par les demanderesses.
[422] Le cas suivant concernant l'alinéa 61(1)b) est l'arrêt Pfizer (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel devait examiner si le juge de première instance avait commis une erreur en appliquant un critère erroné quant à l'antériorité. Pour répondre à cette question, le juge Nadon, qui s'exprimait au nom de la Cour d'appel, a souscrit aux observations écrites de Pfizer, intimée en appel, au paragraphe 138 du jugement :
Il ressort des paragraphes 85 et 86 des motifs de la juge Heneghan qu'elle a appliqué le critère de l'antériorité fondée sur une publication antérieure. À cet égard, le paragraphe 27 du mémoire des faits et du droit déposé en réponse par Pfizer, est à mon avis assez convaincant :
[TRADUCTION]
Apotex fait valoir que la juge Heneghan a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'alinéa 27(1)a) de la Loi sur les brevets, qui exige qu'un brevet soit « connu ou utilisé » par une autre personne avant que l'inventeur n'ait fait l'invention. Il ne s'agissait pas d'une erreur. Le paragraphe 61(1) empêche d'invalider un brevet au motif que celui-ci était « connu ou exploité », à moins qu'il soit « divulgué ou exploité [...] de telle manière qu'elle était devenue accessible au public » ou avait fait l'objet d'une demande pour obtenir un brevet au Canada qui « aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Aucune de ces conditions n'a été remplie en l'espèce. Il n'existe pas de preuve démontrant que la demande de brevet Hoechst était connue du public. En outre, il ne s'agit pas d'une affaire qui « aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Au contraire, des procédures ont été intentées, ont eu lieu, et le brevet a finalement été délivré à Warner Lambert. [Souligné dans l'original.]
[423] Le juge Nadon a poursuivi son analyse en faisant remarquer qu'Apotex avait omis de déposer en preuve une copie du brevet de Hoechst, de sorte qu'il était impossible de connaître la date de la demande ou celle de la délivrance de ce brevet. Par conséquent, le juge Nadon n'a pas eu à vérifier directement si la procédure en cas de conflit, qui a ensuite été réglée à l'amiable, respectait la condition formulée à l'alinéa 61(1)b). Néanmoins, étant donné qu'il a souscrit globalement à l'argument de Pfizer, je déduis qu'il n'était pas en désaccord avec cette thèse.
[424] L'arrêt Pfizer (C.A.F.) est particulièrement instructif en ce qu'il a trait à une situation très semblable à celle dont je suis saisie en l'espèce. Dans cette affaire, les demanderesses invoquaient deux brevets. Un de ces brevets (le brevet 330) a été confronté à un brevet appartenant à une société allemande. Le commissaire aux brevets a décidé que la société allemande était le premier inventeur et a accordé le brevet à cette dernière. Par suite d'un jugement sur consentement prononcé en 1999, le brevet 330 a été délivré aux seules demanderesses.
[425] Bref, l'examen de la jurisprudence étaye l'interprétation que je donnerais à la disposition.
(6) Conclusion concernant cette question
[426] L'interprétation de l'alinéa 61(1)b) présentée ci‑dessus est compatible avec les principes établis dans Free World Trust, compatible à la fois avec l'alinéa 61(1)b) et les courants jurisprudentiels en matière de procédures en cas de conflit, et aide le régime des brevets établi dans la Loi plutôt que l'entraver. En ce qui a trait à cette interprétation téléologique des dispositions légales de la Loi sur les brevets, il est tout à fait logique de séparer la notion de la paternité d'une invention pour lui accorder un « traitement spécial ». En empêchant une conclusion d'invalidité lorsque des procédures en cas de conflit ont eu lieu, la notion fondamentale de « premier inventeur » est protégée. D'autre part, la Loi sur les brevets ne contient aucune disposition spéciale qui protégerait un breveté contre d'autres motifs de contestation pour invalidité. En conséquence, ces autres motifs peuvent être soulevés de la manière habituelle. À mon avis, voilà le résultat que le législateur souhaitait.
[427] De plus, il faut encore une fois insister sur le fait qu'une telle interprétation se limiterait à empêcher les parties d'invoquer une allégation de paternité antérieure d'une invention en l'absence de conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure. Les autres motifs de mise en question de la validité d'un brevet ne sont pas touchés.
D. Y avait‑il un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure en cas de conflit?
[428] Apotex soutient que, même si l'alinéa 61(1)b) exige qu'une partie prouve qu'un conflit n'a pas donné lieu à une procédure avant de soulever une allégation de paternité antérieure d'une invention, il y avait, dans les faits, un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure en l'espèce. La section IIIA(5) des présents motifs contient une description des procédures en cas de conflit.
[429] De l'avis d'Apotex, le conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure se rapporte à un prétendu [TRADUCTION] « chevauchement presque complet de l'objet » entre la revendication C39, qui a été attribuée à Schering, et la revendication C26, qui a été attribuée à ADIR. Le commissaire n'a pas inclus Schering comme partie à la procédure en cas de conflit portant sur la revendication C26. Apotex soutient que l'omission de mettre la revendication C39 en conflit avec la revendication C26 constitue un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure au sens de l'alinéa 61(1)b).
[430] Les deux revendications sont les suivantes :
C26 Composés de formule générale H |
C 39 Composé de formule générale Q |
où : - Raa est un groupe C1-4 alkyle pouvant compter un groupement amine; - Rbb est soit : - un hydrogène; - un C1-4 alkyle; - Rdd est soit : - un C1-4 alkyle; - un C3-7 cycloalkyle; - un phényle; et leurs sels pharmaceutiquement acceptables. |
où : - n est égal à 0 ou 1; - R5 est : - un groupe C1-4 alkyle pouvant être remplacé par un acide aminé; - R6 est soit : - un hydrogène; - un C1-4 alkyle; - R11 est soit : - un C1-9 alkyle; - un C1‑3 phényl-alkyle; - un (CH2)1-2-Y-C1-4 alkyle où : - Y est soit : - S; - NH; et ses sels pharmaceutiquement acceptables. |
[431] Pour me convaincre de l'existence d'un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure à l'égard de la revendication C39 de Schering, Apotex doit établir les deux choses suivantes :
a) les revendications C39 et C26 auraient dû faire l'objet d'une procédure en cas de conflit parce qu'elles étaient « tellement identiques que, de l'avis du commissaire, des brevets distincts ne peuvent être accordés à des brevetés différents » (paragraphe 43(3));
b) l'ordonnance du juge Joyal, prononcée ultérieurement et datée du 27 mai 1997, réunissant plusieurs dossiers du tribunal, n'a pas eu pour effet de placer en conflit toutes les revendications mentionnées dans les dossiers pertinents du tribunal, notamment les revendications C39 et C26.
[432] Si nous supposons, sans trancher la question, qu'il existe un [TRADUCTION] « chevauchement presque complet » de la revendication C39 et de la revendication C26 d'ADIR, y aurait-il eu un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure? Si les parties avaient accepté la décision du commissaire et si les brevets avaient été délivrés, je crois que la réponse serait affirmative. L'ordonnance du juge Joyal ne peut cependant pas être négligée.
[433] Tel que je l'ai indiqué ci-dessus, ni Hoechst, ni ADIR ni Schering n'étaient satisfaites des décisions du commissaire. Comme elles étaient autorisées à le faire en vertu du régime de la Loi, toutes les trois ont présenté une demande à la Cour fédérale. Six instances distinctes ont été intentées. L'ordonnance du juge Joyal, prononcée sur consentement, a réuni tous les dossiers et a poursuivi l'instance dans le dossier du tribunal no T‑228‑97. La deuxième clause de l'ordonnance est particulièrement pertinente et est rédigée comme suit :
[TRADUCTION]
Dans l'action T‑228‑97 (l'action), toutes les parties ont le droit de contester tout aspect de toute décision du commissaire aux brevets conformément au paragraphe 43(8) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, concernant l'attribution d'une revendication quelconque que le commissaire a déclarée être en conflit entre toute partie à la présente instance, notamment les revendications concurrentes C17 à C40 inclusivement (les revendications concurrentes). Elles ont également le droit de demander toute réparation prévue au paragraphe 43(8) de la Loi sur les brevets à l'égard d'une revendication concurrente, qu'une revendication soit distincte ou non au plan de la brevetabilité, peu importe si cette partie participait directement ou non aux procédures en cas de conflit au Bureau des brevets à l'égard de cette revendication concurrente particulière, et toutes les parties sont autorisées à soulever des questions concernant le degré de soutien à l'égard d'une telle revendication concurrente dans la divulgation de toute demande de brevet mentionnée dans les procédures en cas de conflit entre les parties.
[434] L'effet de cette disposition de l'ordonnance ne peut pas être plus clair. L'ensemble des revendications C17 à C40 ont été mises en conflit pour les besoins de l'instance devant la Cour fédérale. Chaque partie s'est vu accorder le droit de revendiquer n'importe quelle des revendications concurrentes C17 à C40, qui incluent les revendications C26 et C39, que cette partie [TRADUCTION] « participait directement » ou non aux conclusions du commissaire sur les procédures en cas de conflit et que le commissaire ait signalé un conflit ou non. Ainsi, même si le commissaire n'avait pas invité Schering à soutenir qu'elle était l'inventeur de l'objet de sa revendication C39 et avait la priorité sur la revendication C26 d'ADIR, elle avait maintenant le droit de le faire.
[435] Apotex soutient que seul un conflit signalé par le commissaire peut répondre aux exigences de l'alinéa 61(1)b); la Cour ne peut faire un tel signalement. À l'appui de sa position, Apotex mentionne l'arrêt Radio Corp. of America c. Hazeltine Corp., no A‑78‑75, 29 mars 1977, 33 C.P.R. (2d) 211 (C.A.F.) (Radio Corp.), dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué que le commissaire avait le droit de mettre en conflit des revendications supplémentaires après une déclaration initiale visant des revendications mises en conflit quelque trois ans auparavant.
[436] À mon avis, le libellé de l'alinéa 61(1)b) ne limite pas le conflit à celui signalé par le commissaire. Selon le libellé de la disposition, l'alinéa 61(1)b) s'applique dans les cas où il y a eu une demande « qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Il n'existe pas de restriction quant à qui peut signaler le conflit, pas plus que le mot « conflit » n'est défini dans la Loi. La procédure précisée à l'article 43 prévoit assurément que le processus de signalement des conflits doit être amorcé et exécuté par le commissaire, mais cela n'empêche toutefois pas la Cour, en exerçant son pouvoir, de déclarer que d'autres revendications sont en conflit en vue des procédures judiciaires ultérieures.
[437] L'arrêt Radio Corp. fait évidemment autorité à l'appui de la conclusion selon laquelle le commissaire peut ajouter des revendications à un conflit même dans le cas de l'existence d'un conflit déjà signalé. Il ne permet pas d'affirmer que seul le commissaire puisse le faire. Il n'aborde pas non plus la question de l'application ou de l'interprétation de l'alinéa 61(1)b).
[438] En outre, Apotex soutient que les revendications particulières nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196 n'ont jamais expressément fait partie de la demande 093 d'ADIR. En conséquence, prétend Apotex, un conflit aurait dû être signalé pour les revendications nos 1, 2, 3 et 5 et ne l'a pas été. Puisqu'aucun conflit n'a été signalé, les revendications sont des revendications qui auraient « dû donner lieu à des procédures en cas de conflit », au sens de l'alinéa 61(1)b). Il y avait un conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure et Apotex devrait avoir le droit de mettre en question la paternité de l'invention. Encore une fois, je ne suis pas d'accord.
[439] En vertu du libellé de l'alinéa 43(8)c), la Cour peut, dans des procédures en cas de conflit, ordonner la délivrance de « revendications substituées ». C'est exactement ce qui s'est produit ici. Que le libellé précis des revendications d'ADIR ou celui des revendications délivrées à Schering et Hoechst ait été inclus ou non dans les demandes de brevet, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les revendications précises relèvent de l'objet des demandes de brevet à l'égard desquelles un conflit avait été signalé. En conséquence, je conclus que les revendications précises d'ADIR faisaient régulièrement partie du conflit. Les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196 sont visées par l'alinéa 61(1)b). Il n'y avait pas de conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure.
E. Qui était le premier inventeur du brevet 196?
[440] Les motifs qui précèdent sont suffisants pour rejeter l'allégation soulevée par Apotex au sujet de la paternité de l'invention. Toutefois, au cas où je commettrais une erreur concernant l'interprétation de l'alinéa 61(1)b) et la question de savoir si, malgré cette interprétation, il y avait des conflits qui n'ont pas donné lieu à une procédure, j'examine la dernière question, à savoir si Mme Smith était la première à inventer l'invention du brevet 196, comme l'a soutenu Apotex. Pour avoir gain de cause à l'égard de cette question, Apotex doit s'acquitter de la « lourde charge » de prouver que Mme Smith connaissait ou utilisait l'objet de ces revendications parce qu'elle l'avait inventé avant ADIR (Diversified Products Corp c. Tye‑Sil Corp., no A‑801‑87, 7 février 1991, 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la page 363).
[441] L'alinéa 27(1)a) de la Loi limite la délivrance d'un brevet à l'auteur d'une invention qui n'était pas connue ni utilisée par une autre personne avant qu'il l'ait inventée. En conséquence, lorsqu'une invention a tout d'abord été connue ou utilisée par une autre personne, un inventeur ne peut pas recevoir un brevet pour cette invention (voir, par exemple, AT&T, précité, à la page 265).
[442] La Cour a entendu le témoignage de Mme Smith, à Newark (New Jersey), en vertu d'une citation à comparaître et par voie de commission rogatoire (conformément à l'article 272 des Règles des Cour fédérales). Mme Smith, employée de Schering depuis longtemps, est une scientifique réputée. Elle est l'un des inventeurs nommés du brevet 206, l'un des autres brevets délivrés à la suite de l'entente de règlement et de l'ordonnance du juge Nadon. Lors des procédures en cas de conflit dans le dossier du tribunal no T‑228‑97, Mme Smith a présenté un affidavit qui faisait partie du domaine public. Cet affidavit est devenu une pièce dans la présente instance et Mme Smith a témoigné à son sujet.
[443] Le congrès de Troy, qui a eu lieu en juin 1980, et le rôle important qu'il a joué dans la mise au point des composés revendiqués par ADIR, Schering et Hoechst sont analysés plus haut dans les présents motifs. Selon le témoignage de Mme Smith, avant le congrès de Troy, Schering avait déjà fait des efforts pour mettre au point un inhibiteur de l'ECA, recourant à des modifications au captopril. Mme Smith a participé au congrès de Troy en juin 1980 à l'occasion duquel la structure de composés, notamment l'énalapril, l'énalaprilat et le lisinopril, a été divulguée.
[444] À son retour de Troy, Mme Smith savait immédiatement que la combinaison des bicycles sur lesquels travaillait Schering avec le spirocycle, le groupe perhydroindole et le nouveau squelette de Merck donnerait des résultats aussi bons que ce qui avait été divulgué à Troy, voire meilleurs. Le 20 juin 1980 (deux jours après le congrès de Troy), Mme Smith a consigné dans un cahier, qu'elle appelait le « registre de divulgation de l'invention », ses dessins de composés comprenant une substitution bicyclique pour le groupe proline du squelette de Merck, les substituants utilisés étant les suivants :
|
|
[445] Cette divulgation concernait un certain nombre de substitutions pour R, R1 et R2, notamment la substitution de R2 par un groupe alkyle inférieur, et incluait tous les stéréoisomères possibles. La divulgation englobait un certain nombre de bicycles et fournissait une méthode de synthèse pour substituer la proline par un spirocycle et substituer la proline par le perhydroindole, les deux étant attachés au squelette de Merck.
[446] Un des composés fabriqués par Mme Smith après le congrès de Troy et la rédaction de la divulgation décrite ci‑dessus était le SCH 31335. Le SCH 31335 combine un perhydroindole avec le squelette de Merck et a été décrit par Mme Smith comme ayant la structure suivante :
[447] Le SCH 31335 a été fabriqué le 7 août 1980 et a été envoyé pour subir des tests analytiques le 13 août 1980. Il a été testé in vitro le 15 août 1980 et in vivo au plus tard le 21 août 1980, date à laquelle les résultats ont été communiqués à Mme Smith. Cette dernière a témoigné que les résultats des tests indiquaient que le SCH 31335 était actif in vitro et in vivo comme inhibiteur de l'ECA.
[448] Ainsi, les inventeurs de Schering avaient synthétisé et testé le 21 août 1980 un composé actif inhibant l'ECA qui comprenait une substitution du groupe proline par un bicycle ainsi que le squelette de Merck.
[449] Apotex met en parallèle ces découvertes et divulgations avec celles des scientifiques d'ADIR et soutient que ces derniers n'avaient pas synthétisé ni testé avant le 26 août 1980 un composé comprenant une substitution du groupe proline par un bicycle ainsi que le squelette de Merck.
[450] Comme l'a déclaré M. Vincent dans son témoignage et comme il est décrit dans les cahiers de la « série S », les scientifiques d'ADIR ont synthétisé deux composés comportant une substitution de la proline par un bicycle ajoutée au squelette de Merck : le S‑9178‑1 et le S‑9179‑1. Ces deux composés possèdent la structure suivante :
S-9178-1 |
S-9179-1 |
[451] Les deux composés ont été synthétisés le 26 août 1980 et envoyés pour des tests pharmacologiques le même jour. Le S‑9178‑1 a été testé in vivo à partir du 28 août 1980, et les résultats des tests in vivo ont été communiqués le 11 septembre 1980. Le S‑9179‑1 a été testé in vivo à partir du 29 août, et les résultats des tests in vivo ont été communiqués le 29 août et en septembre 1980.
[452] Dans ce contexte, Apotex signale que M. Vincent a synthétisé et que M. Laubie a testé deux composés qui comprenaient une substitution du groupe proline par un bicycle ainsi que le squelette de Merck après les travaux et les tests effectués par Mme Smith. Selon Apotex, cela suffit pour montrer que Mme Smith et ses coïnventeurs chez Schering ont été les premiers à découvrir la [TRADUCTION] « prétendue invention » du brevet 196.
[453] Que veut désigner Apotex par l'expression [TRADUCTION] « prétendue invention »? La réponse à cette question est la clé de la présente analyse. Apotex soutient que l'invention est une [TRADUCTION] « classe de composés ». Au cours de son argumentation finale, l'avocat d'Apotex a résumé l'argument comme suit :
[TRADUCTION]
L'invention était une classe. Afin de décider qui a inventé la classe, nous savons que ni Schering ni ADIR ne pouvaient possiblement fabriquer un nombre aussi grand de composés que celui de la classe. Aucune des deux ne l'a fait. Ainsi, nous savons qu'elles, ainsi que tous les autres qui ont prétendu avoir inventé des classes, l'ont fait en fonction d'une prédiction valable à l'égard de la classe. Cela nous mène donc à poser la question : qui a été la première personne à être en mesure de faire cette prédiction valable? Je pourrais soutenir, mais je n'ai pas besoin de le faire, que, lorsque Mme Smith a consigné par écrit ce qu'elle a consigné par écrit, elle avait déjà inventé.
Et je ferai valoir, Madame le juge, que, même sans la fabrication d'un composé, en consignant par écrit la structure avec tous les substituants et la synthèse et en indiquant tous les isomères stéréochimiques en raison de ses travaux avec le captopril et les bicycliques, elle avait, selon les termes de la Cour suprême du Canada, un fondement solide pour prédire que tous ces composés agiraient à titre d'inhibiteurs de l'ECA et d'antihypertenseurs, mais elle a fait plus.
Avant que les inventeurs ou les scientifiques d'ADIR aient fabriqué un seul composé qui appartenait à la classe de composés qu'ils disent avoir inventée, Mme Smith a dans les faits fabriqué un des composés et, ainsi, si nécessaire, elle a matérialisé son idée en fabriquant un composé qui agissait au sein de la classe et elle avait un fondement valable pour prédire qu'elle avait inventé une classe.
[454] Ainsi que l'a confirmé l'avocat d'Apotex dans sa plaidoirie, la classe de composés que mentionne Apotex est la classe énoncée dans la formule générale I dans le mémoire descriptif du brevet 196. Les trois composés décrits par Apotex (le SCH 31335 de Schering et le S-9178-1 et le S‑9179‑1 d'ADIR) sont visés par les composés qui seraient inclus dans la formule générale I énoncée dans le mémoire descriptif du brevet 196. En conséquence, il ne fait aucun doute que les scientifiques de Schering ont mis au point au moins un composé possédant une activité d'inhibition de l'ECA visé par la formule générale I avant que les scientifiques d'ADIR aient mis au point et testé leurs deux composés. Pour sa part, Apotex ne présente aucun élément de preuve pour montrer que les deux composés de Schering (ou un autre composé mis au point plus tôt) sont visés par les revendications nos 1, 2, 3 ou 5 du brevet 196. Il s'ensuit donc que l'argument d'Apotex ne peut être accepté que si « l'invention » du brevet 196 inclut tous les composés de la formule générale I.
[455] Le problème que pose la prétention d'Apotex concernant la paternité de l'invention est que l'invention du brevet 196 n'est pas la formule générale I. J'ai déjà analysé et déterminé la portée de l'invention dans la section des présents motifs portant sur l'interprétation du brevet 196. Ainsi que je l'affirme au paragraphe 133, l'invention revendiquée par le brevet, selon une interprétation téléologique des revendications en litige, est celle divulguée par les revendications nos 1, 2, 3 et 5, et rien de plus.
F. Résumé de la question concernant la paternité de l'invention
[456] La demande reconventionnelle présentée par Apotex au motif que les scientifiques d'ADIR n'étaient pas les premiers inventeurs des composés brevetés en vertu du brevet 196 doit être rejetée pour les motifs suivants :
· Selon une interprétation appropriée, le paragraphe 61(1) de la Loi empêche Apotex de contester la validité du brevet 196 pour cause de paternité de l'invention. Il en est ainsi parce que les revendications en cause dans les procédures en cas de conflit étaient des revendications qui auraient « dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ».
· Il n'y avait pas de conflit qui n'a pas donné lieu à une procédure. La revendication C39 de Schering et les revendications particulières nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196 étaient incorporées dans les procédures en cas de conflit.
· Quoi qu'il en soit, Apotex a omis de s'acquitter de son fardeau de prouver que Mme Smith était la première à connaître et à utiliser l'invention du brevet 196.
XII. La demande en vertu de la Loi sur la concurrence
A. Aperçu
[457] Tel qu'il a été précédemment exposé dans les présents motifs, les revendications concurrentes dont était saisi le commissaire ont été finalement résolues au moyen d'un règlement conclu par ADIR, Schering et Hoechst. Le règlement était contenu dans le procès-verbal du règlement (également appelé entente de règlement) qui était joint à l'ordonnance du juge Nadon.
[458] Dans sa demande reconventionnelle, Apotex sollicite des dommages-intérêts en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence. En bref, les allégations qu'Apotex fait dans les actes de procédure relativement à la réparation demandée sont les suivantes :
· Les actes d'ADIR et des autres parties à l'entente de règlement [TRADUCTION] « ont fait en sorte que les parties à l'entente [de règlement] obtiendraient le contrôle réel de la fabrication et de l'approvisionnement de plusieurs inhibiteurs de l'ECA, notamment ceux visés par les revendications du brevet 196, et ainsi empêcheraient, limiteraient ou réduiraient indûment la concurrence sur le marché des inhibiteurs de l'ECA ».
· Les parties ont conclu l'entente de règlement [TRADUCTION] « sciemment, pour empêcher, limiter ou réduire indûment la concurrence sur le marché des inhibiteurs de l'ECA ».
· Les parties à l'entente de règlement [TRADUCTION] « ont comploté [...] pour empêcher, limiter ou réduire indûment [...] la concurrence [...], en contravention de l'article 45 de la Loi sur la concurrence ».
[459] La détermination de cet aspect de la demande reconventionnelle d'Apotex a soulevé plusieurs sous-questions :
1. L'existence d'un brevet valide empêche-t-elle Apotex de présenter une demande en vertu de la Loi sur la concurrence liée à la manière dont le brevet a été délivré?
2. La demande d'Apotex en vertu de la Loi sur la concurrence est‑elle prescrite en raison de l'alinéa 36(4)a)?
3. Apotex s'est-elle acquittée du fardeau de démontrer que les demanderesses ont commis les éléments de l'infraction prévue à l'article 45?
4. Même si la demande d'Apotex est prescrite en raison de l'application du paragraphe 36(4), les actes anticoncurrentiels d'ADIR ont-ils pour effet de la priver de son droit à la réparation sollicitée dans sa demande?
B. Dispositions légales pertinentes
[460] Les articles 36 et 45 de la Loi sur la concurrence créent ensemble une cause d'action civile lorsqu'une partie a subi une perte ou des dommages par suite d'une entente qui réduit ou empêche indûment la concurrence. Le fondement de l'infraction reprochée est énoncé au paragraphe 45(1), de la partie VI, de la Loi sur la concurrence :
45.(1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de cinq ans et une amende maximale de dix millions de dollars, ou l'une de ces peines, quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou arrangement avec une autre personne :
a) soit pour limiter, indûment, les facilités de transport, de production, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de négoce d'un produit quelconque;
b) soit pour empêcher, limiter ou réduire, indûment, la fabrication ou production d'un produit ou pour en élever déraisonnablement le prix;
c) soit pour empêcher ou réduire, indûment, la concurrence dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente, l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un produit, ou dans le prix d'assurances sur les personnes ou les biens;
d) soit, de toute autre façon, pour restreindre, indûment, la concurrence ou lui causer un préjudice indu. |
45.(1) Every one who conspires, combines, agrees or arranges with another person
(a) to limit unduly the facilities for transporting, producing, manufacturing, supplying, storing or dealing in any product,
(b) to prevent, limit or lessen, unduly, the manufacture or production of a product or to enhance unreasonably the price thereof,
(c) to prevent or lessen, unduly, competition in the production, manufacture, purchase, barter, sale, storage, rental, transportation or supply of a product, or in the price of insurance on persons or property, or
(d) to otherwise restrain or injure competition unduly,
is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years or to a fine not exceeding ten million dollars or to both |
[461] Le droit d'intenter une action civile en dommages-intérêts est énoncé à l'alinéa 36(1)a) :
36.(1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :
a) soit d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la partie VI;
[...]
peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n'a pas obtempéré à l'ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu'elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n'excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l'affaire et des procédures engagées en vertu du présent article. |
36.(1) Any person who has suffered loss or damage as a result of
(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or
...
may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section. |
[462] En ce qui a trait à la présente instance, les demandes en vertu de la partie VI de la Loi sur la concurrence doivent être intentées à l'intérieur du délai de prescription énoncé à l'alinéa 36(4)a) :
(4) Les actions visées au paragraphe (1) se prescrivent :
a) dans le cas de celles qui sont fondées sur un comportement qui va à l'encontre d'une disposition de la partie VI, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes :
(i) soit la date du comportement en question,
(ii) soit la date où il est statué de façon définitive sur la poursuite;
|
(4) No action may be brought under subsection (1),
(a) in the case of an action based on conduct that is contrary to any provision of Part VI, after two years from
(i) a day on which the conduct was engaged in, or
(ii) the day on which any criminal proceedings relating thereto were finally disposed of,
whichever is the later ... |
C. L'existence du brevet comme obstacle
[463] Comme je l'ai décidé, le brevet 196 est valide. De plus, en l'absence de toute décision judiciaire contraire, les autres brevets qui ont découlé de l'entente de règlement sont également valides. La Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve montrant que les parties auxquelles les brevets valides ont été délivrés ont agi de manière contraire aux dispositions de la Loi sur les brevets afin d'obtenir ces brevets. ADIR, Schering et Hoechst ont toutes agi comme le leur permettait la Loi sur les brevets. La question est néanmoins de savoir si la manière dont elles ont agi peut constituer une infraction visée par l'article 45 de la Loi sur la concurrence.
[464] En vertu d'un brevet, seul le breveté (et ses cessionnaires ou titulaires de licence), à l'exclusion de toute autre personne, peut fabriquer, construire, exploiter et vendre à d'autres l'invention du brevet (Loi sur les brevets, article 44). En l'espèce, tant que le brevet 196 est en vigueur, aucune autre partie ne peut vendre de perindopril. En conséquence, l'existence même d'un brevet réduit la concurrence. À première vue, cela est en conflit direct avec les dispositions de la Loi sur la concurrence, dont l'objet est énoncé comme suit :
1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.
|
1.1 The purpose of this Act is to maintain and encourage competition in Canada in order to promote the efficiency and adaptability of the Canadian economy, in order to expand opportunities for Canadian participation in world markets while at the same time recognizing the role of foreign competition in Canada, in order to ensure that small and medium-sized enterprises have an equitable opportunity to participate in the Canadian economy and in order to provide consumers with competitive prices and product choices. |
[465] Malgré cette apparence de conflit, il est de jurisprudence constante que l'existence d'un brevet ne constitue pas une infraction à la Loi sur la concurrence (voir Molnlycke A.B. c. Kimberley‑Clark of Canada Ltd., no A‑365‑90, 14 juin 1991, 36 C.P.R. (3d) 493 (C.A.F.), à la page 499 (Molnlycke), Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., [2006] 2 R.C.F. 478, 44 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.), au paragraphe 30 (Eli Lilly (C.A.F. no 2)), et Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2004 CAF 232, 32 C.P.R. (4th) 195, aux paragraphes 14 à 16 (Eli Lilly (C.A.F. no 1))). Tel qu'il est indiqué dans Molnlycke, à la page 498 :
Il va sans dire que l'existence d'un brevet est susceptible de limiter ou de réduire la concurrence, ou de lui causer un préjudice — c'est ce que font les monopoles — mais la délivrance de ce brevet et l'amoindrissement inhérent de la concurrence ont été expressément prévus par une loi du Parlement, qui prescrit la délivrance obligatoire d'une licence dans les circonstances où il est considéré que l'incidence ordinaire du monopole conféré par la loi est contraire à l'intérêt public. C'est l'existence du brevet qui amoindrit la concurrence, et non la manière dont sa délivrance a été obtenue ou la façon et par qui il est convenu d'exécuter et de défendre son monopole. [Non souligné dans l'original.]
[466] Je crois qu'Apotex reconnaît que le brevet lui-même ne peut constituer une infraction à la Loi sur la concurrence. À son avis, ce n'est pas le brevet qui constitue l'infraction, mais les actes commis par ADIR, Hoechst et Schering pour obtenir le brevet. Ainsi que l'expose une réponse à un engagement fourni pendant l'interrogatoire préalable de M. Peter Gingras, directeur mondial des programmes d'Apotex Inc., l'entente de règlement limitait ou réduisait la concurrence sur le marché des inhibiteurs de l'ECA :
[TRADUCTION]
En permettant aux participants de décider du début et de la durée des périodes de monopole des substances médicinales sur le marché en question et de régir, et par conséquent limiter, l'introduction de substances concurrentes sur le même marché.
[467] Ce n'est pas la première fois que des arguments semblables ont été présentés aux tribunaux.
[468] Un bon exemple de cela est illustré dans l'arrêt Molnlycke, précité, de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire, Molnlycke A.B. et Kimberley‑Clark of Canada Ltd. (K‑C Canada) avaient intenté une action contre Proctor and Gamble Inc. (P&G) pour cause de contrefaçon du brevet canadien intitulé « Couches jetables à languettes d'attache refermables ». Un brevet d'invention portant le no 1 213 702 avait initialement été délivré à Molnlycke le 12 novembre 1986. K‑C U.S. était titulaire d'une licence à l'égard de ce brevet et K‑C Canada était titulaire d'une sous‑licence. Ce brevet a fait l'objet d'un abandon et a été délivré de nouveau le 2 août 1988, portant le no 1 239 752. Par cession enregistrée au Bureau des brevets le 14 octobre 1988, Molnlycke A.B. a cédé le brevet redélivré à K‑C Canada et a intenté l'action le 21 octobre 1989 contre P&G. Dans sa défense et demande reconventionnelle, P&G alléguait, entre autres, une entente conclue par Molnlycke A.B., K‑C Canada et K‑C U.S. qui contrevenait au paragraphe 45(1) de la Loi sur la concurrence.
[469] En accueillant l'appel et en rejetant la demande reconventionnelle, la Cour d'appel a fait des observations sur l'interaction entre la Loi sur la concurrence et la Loi sur les brevets, à la page 499 :
Dans la Loi sur les brevets, le législateur a défini ce qu'est un amoindrissement « raisonnable » de la concurrence. Selon moi, et il s'agit d'une question de droit, on ne peut faire valoir que l'amoindrissement de la concurrence qui est inhérent à l'exercice de droits expressément prévus par cette loi, soit l'obtention d'un brevet ou sa redélivrance, sa cession et les actions prises par le cessionnaire pour faire respecter son monopole, peut être indu. On ne peut donc déduire de la preuve de l'exercice de ces droits seulement qu'il y a eu amoindrissement indu de la concurrence
[470] La Cour d'appel a réexaminé l'arrêt Molnlycke, précité, dans les arrêts connexes Eli Lilly (C.A.F. no 1) et Eli Lilly (C.A.F. no 2), précités. Dans ces affaires, Eli Lilly and Company et Eli Lilly Canada Inc. (Lilly) avaient intenté une action contre Apotex pour cause de contrefaçon de huit brevets relatifs à l'antibiotique céfaclor. Quatre des huit brevets avaient été cédés, après leur délivrance à Shionogi & Co. Ltd. (Shionogi), par Shionogi à Lilly. Dans sa demande reconventionnelle, Apotex réclamait des dommages-intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence. Apotex soutenait que la cession de quatre brevets existants par Shionogi à Lilly, qui détenait déjà plusieurs brevets, faisait en sorte qu'une société, Lilly, acquérait des droits de brevets qui lui permettaient de maîtriser tous les procédés commerciaux viables pour la fabrication du céfaclor, alors qu'avant l'entente, ces procédés étaient maîtrisés par deux sociétés, Shionogi et Lilly. Apotex faisait valoir que l'effet limitait la concurrence. Lilly a fait valoir que, puisque les brevets étaient cessibles en vertu de l'article 50 de la Loi sur les brevets et en raison de l'arrêt Molnlycke, précité, Apotex était précluse de présenter sa demande reconventionnelle. La Cour d'appel était d'accord avec Apotex que la demande reconventionnelle n'était pas précluse.
[471] Tant dans l'arrêt Eli Lilly (C.A.F. no 1) que dans l'arrêt Eli Lilly (C.A.F. no 2), la Cour d'appel n'écarte pas la possibilité que des accords relatifs à des brevets puissent, dans certaines circonstances, faire l'objet d'une demande en vertu des articles 36 et 45 de la Loi sur la concurrence. Dans l'arrêt Eli Lilly (C.A.F. no 2), précité, au paragraphe 21, le juge Evans a conclu que l'article 50 de la Loi sur les brevets (le droit de céder un brevet) « n'immunise pas les accords de cession de brevet contre l'application de l'article 45 de la Loi sur la concurrence, lorsque la cession confère au cessionnaire un pouvoir de marché plus grand que le seul pouvoir inhérent au brevet cédé ». [Non souligné dans l'original.] Dans sa conclusion, au paragraphe 36, il a déclaré ce qui suit :
Pour conclure, je pense que le juge a commis une erreur de droit en affirmant que les cessions de brevet ne sont pas assujetties à l'article 45 lorsque, compte tenu des droits que possède déjà le cessionnaire sur d'autres brevets, cette cession lui confère un plus grand pouvoir commercial que le seul pouvoir inhérent au brevet cédé. Le juge a également commis une erreur en concluant qu'aux termes de Molnlycke, toute diminution de la concurrence, dans les circonstances, ne peut être considérée comme indue pour l'application de l'article 45. [Non souligné dans l'original.]
[472] Selon mon interprétation, dans les deux arrêts Eli Lilly (C.A.F. no 1) et Eli Lilly (C.A.F. no 2), la Cour d'appel a caractérisé ou étendu la portée de l'arrêt Molnlycke, précité. Les deux avocats m'ont fait remarquer que la jurisprudence permet d'affirmer qu'il doit y avoir « quelque chose de plus » au-delà de la simple revendication de droits de brevets. Compte tenu de ces deux arrêts, je suis d'accord. La question devient : qu'est-ce que ce « quelque chose de plus »?
[473] Dans les arrêts Eli Lilly (C.A.F. no 1) et Eli Lilly (C.A.F. no 2), Lilly a ajouté à ses brevets existants par voie de cessions et avait éliminé du marché tout autre concurrent potentiel. Cela était, de l'avis du juge Evans, « quelque chose de plus ». Dans l'arrêt Molnlycke, précité, ce « quelque chose de plus » n'existait pas, puisque la cession avait pour seul effet de permettre à une autre société de poursuivre la défenderesse pour contrefaçon.
[474] L'importante différence entre, d'une part, les arrêts Eli Lilly (C.A.F. no 1) et Eli Lilly (C.A.F. no 2) et, d'autre part, l'affaire dont je suis saisie concerne le fait qu'ADIR ne détenait pas déjà des droits de brevets qui donneraient lieu à une puissance commerciale plus grande que celle qui est inhérente à l'obtention de brevets. L'accord de cession conclu par Shionogi et Lilly a été conclu après la délivrance des huit brevets. En d'autres mots, ces parties détenaient déjà un certain degré de puissance commerciale qui leur avait été accordée par l'intermédiaire des brevets. L'action de combiner ces deux ensembles de brevets au moyen d'une cession, après la délivrance des brevets, a donné lieu à une mainmise intégrale du marché du céfaclor. Dans les arrêts Lilly (C.A.F. no 1) et Eli Lilly (C.A.F. no 2), la Cour d'appel a conclu que cela était « quelque chose de plus » que l'exercice de droits de brevet.
[475] Par contraste, dans la situation dont je suis saisie, une entente de règlement a été conclue avant la délivrance des brevets à ADIR, à Schering et à Hoechst. Jusqu'à la délivrance des brevets, ADIR ne pouvait détenir aucune puissance commerciale et il ne pouvait y avoir amoindrissement de la concurrence. Même s'il est vrai qu'ADIR avait demandé des procédures en cas de conflit et en attendait la résolution définitive, la Loi sur les brevets prévoyait des appels des décisions du commissaire concernant les conflits à la Cour fédérale. De plus, les règles et pratiques de la Cour fédérale autorisent le règlement des actions. Chaque étape du processus, depuis la demande de chaque partie jusqu'au processus de règlement, à l'ordonnance du juge Nadon et ultimement à la délivrance du brevet 196, était conforme aux droits d'ADIR en vertu de la Loi sur les brevets et aux Règles des Cours fédérales. L'entente de règlement était simplement une étape de l'exercice des droits de brevets d'ADIR.
[476] Si ADIR avait déjà détenu des brevets visant le perindopril ou même d'autres inhibiteurs de l'ECA, on pourrait soutenir qu'il y aurait eu « quelque chose de plus », car elle aurait obtenu une puissance commerciale plus grande que celle inhérente à la délivrance du brevet 196.
[477] En l'espèce, toutefois, peu importe la question de savoir si le perindopril fait partie du même marché que les autres inhibiteurs de l'ECA, ADIR ne pouvait obtenir que la puissance commerciale inhérente au brevet 196. Puisqu'il n'existe aucune preuve selon laquelle elle a obtenu cette puissance par d'autres moyens que ceux autorisés par la Loi sur les brevets, il n'y a rien de plus et l'arrêt Molnlycke s'applique.
[478] En résumé, parce qu'ADIR exerçait simplement ses droits en vertu de la Loi sur les brevets pour obtenir des brevets et rien de plus, je suis convaincue que la demande de dommages-intérêts d'Apotex en vertu de la Loi sur la concurrence doit être rejetée.
D. Délai de prescription
[479] Dans le cas où j'aurais commis une erreur en concluant qu'ADIR exerçait ses droits en application de la Loi sur les brevets d'une manière qui interdit à Apotex de réclamer des dommages‑intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence, j'examinerai la prochaine question : l'application du délai de prescription prévu au paragraphe 36(4) de la Loi sur la concurrence. Tel qu'il est indiqué ci-dessus, l'alinéa 36(4)a) prévoit que les actions en vertu de l'article 36 se prescrivent « dans le cas de celles qui sont fondées sur un comportement qui va à l'encontre d'une disposition de la partie VI, dans les deux ans qui suivent la dernière des dates suivantes : (i) soit la date du comportement en question [...] ».
[480] Servier fait valoir que la demande reconventionnelle d'Apotex au titre de la Loi sur la concurrence est prescrite en application du paragraphe 36(4) de cette loi pour deux raisons : a) le « comportement », soit la conclusion de l'entente de règlement, a eu lieu quelque six ans avant l'introduction de la demande reconventionnelle; b) Apotex est au courant de l'entente de règlement depuis avril 2003. Pour sa part, Apotex soutient que le comportement d'ADIR a eu lieu non seulement à la date à laquelle ADIR a conclu l'entente de règlement, mais a eu lieu tous les jours par la suite tant et aussi longtemps que les brevets délivrés en vertu de l'entente de règlement sont en vigueur. Elle fait valoir de plus qu'une interprétation du paragraphe 36(4) comme celle qu'a proposée Servier interdirait à tout jamais à Apotex d'intenter une action en vertu de la Loi sur la concurrence. Il en est ainsi parce qu'Apotex pourrait uniquement intenter une action en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence dans le cas où elle « a subi une perte ou des dommages ». Sa perte ou ses dommages ont lieu uniquement si la prétention de Servier concernant la contrefaçon du brevet 196 par Apotex est acceptée.
[481] Malgré les habiles arguments de l'avocat d'Apotex sur ce point, je suis d'avis que le comportement en l'espèce est très vraisemblablement la conclusion de l'entente de règlement. Au plus tard, le comportement est la délivrance du brevet 196 (et des brevets à Schering et à Hoechst qui ont également découlé de l'ordonnance du juge Nadon). La réduction indue de la concurrence, si elle existe, est l'effet du complot reproché et non du « comportement ».
[482] Ce point de vue est étayé par le libellé de l'infraction prévue par la Loi. Plus précisément, l'article 45 prévoit ce qui suit : « Commet un acte criminel [...] quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou arrangement avec une autre personne [...] [pour réduire, indûment, la concurrence] [...] ». L'infraction est le complot ou l'accord. L'effet du complot ou de l'accord est la réduction indue de la concurrence. Bien que la réduction indue de la concurrence puisse se poursuivre, l'acte du complot se produira, dans la plupart des cas, à un moment qu'il est possible de déterminer. En conséquence, lorsque nous examinons le délai de prescription établi au paragraphe 36(4), la disposition renvoie à la date à laquelle l'accord a été conclu ou le complot ourdi. Pour les besoins de la présente instance, le comportement a eu lieu à la date de l'entente de règlement conclue par ADIR, Schering et Aventis, vers décembre 2000. Ainsi, le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 36(4) a été dépassé.
[483] Ma conclusion aurait pu être différente si j'avais été saisie d'une preuve indiquant une collusion ou un accord continu entre les parties à l'entente de règlement. Je ne l'ai pas été. En effet, la preuve indique que les parties à l'entente se font activement concurrence (à titre d'exemple, comme l'a expliqué M. Sumpter, au moyen de documents comparant l'utilité des divers composés « pril » utilisés par l'équipe des ventes de Servier). La situation dans 351694 Ontario Ltd. c. Paccar du Canada ltée, 2004 CF 1565 (Paccar), une décision sur laquelle s'appuie Apotex, était très différente.
[484] Dans l'affaire Paccar, les demanderesses vendaient des pièces de camions à des prix fortement réduits. En réaction, les défenderesses ont établi une règle (appelée la règle Palings) en vertu de laquelle les pièces étaient fournies à des concessionnaires. L'application de la règle Palings « avait pour effet de réduire le bénéfice du concessionnaire et de réduire aussi probablement ses ventes. Il est possible de déduire que, dans ces circonstances, cela constituait une mesure discriminatoire à l'égard de la fourniture de ces produits [ce qui contrevient à l'alinéa 61(1)b) de la Loi sur la concurrence] ». (Paccar, précité, au paragraphe 26.) Le juge von Finckenstein a tiré la conclusion suivante au paragraphe 27 :
La règle Palings était une règle permanente qui est demeurée en vigueur à l'égard des deux concessionnaires jusqu'à la date de la résiliation du contrat; c'est-à-dire, à l'intérieur du délai de prescription.
[485] Le savant juge a déclaré ce qui suit au paragraphe 30 :
Compte tenu de ma conclusion au sujet des violations possibles de l'alinéa 61(1)b) en raison de la règle Palings, et compte tenu du fait que cette règle a été appliquée aux deux concessionnaires, les allégations concernant les pièces fondées sur la violation établie de l'alinéa 61(1)b) ne peuvent être déclarées irrecevables en raison du sous‑alinéa 36(4)a)(i).
[486] Les faits de la décision Paccar se distinguent de la présente espèce. Dans Paccar, il y avait une collaboration continue entre les demanderesses, vraisemblablement en vertu d'un accord permanent. Les demanderesses ont continué à appliquer la règle Palings. En fait, l'accord n'a pas pris fin. L'acte de complot a eu lieu chaque fois qu'une transaction était conclue en vertu de la règle Palings. En l'espèce, il n'y a aucun élément de preuve de la sorte. À compter de l'ordonnance du juge Nadon ou, au plus tard, à compter de la délivrance des brevets, l'entente de règlement n'avait pas d'effet permanent; elle était entièrement exécutée. Voilà une distinction importante.
[487] Je conclus que le délai de prescription court à compter de la date de l'entente de règlement ou, au plus tard, à compter de la date de la délivrance du brevet 196.
[488] Le principe de la possibilité de découverte peut, dans certaines circonstances, s'appliquer de façon à proroger le délai de prescription. Ce principe s'applique lorsqu'une partie ne pouvait pas raisonnablement connaître l'existence d'un événement. En l'espèce, Servier soutient que, puisque le délai de prescription prévu au paragraphe 36(4) court expressément d'une date précise indépendante de la connaissance, le principe de la possibilité de découverte ne peut pas s'appliquer. J'estime qu'il s'agit vraisemblablement d'une interprétation correcte du droit (voir Fehr c. Jacob, [1993] 5 W.W.R. 1, 85 Man. R. (2d) 63 (C.A. Man.)).
[489] Toutefois, le principe de la possibilité de découverte, s'il s'applique, n'est pas utile à Apotex. Il est possible de prétendre qu'Apotex a réellement eu connaissance de l'entente de règlement : a) soit dès qu'elle a été versée au dossier public du dossier du tribunal no T‑228‑97 à titre d'annexe de l'ordonnance du juge Nadon; b) soit lorsque le brevet 196 a été délivré en 2001. À l'un ou l'autre de ces deux moments, on pourrait présumer qu'Apotex a eu connaissance de la délivrance du brevet pour le perindopril et que le brevet 196 avait été délivré en vertu d'une entente conclue par trois sociétés. Même si je ne peux pas conclure avec certitude qu'Apotex était au courant du complot reproché en 2001, la preuve dont je suis saisie indique sans équivoque qu'Apotex était au courant de l'entente de règlement au plus tard en avril 2003. M. Peter Gingras, directeur mondial des programmes d'Apotex Inc., en réponse à des engagements donnés lors de son interrogatoire préalable, a dit qu'Apotex a eu connaissance de l'entente de règlement et en a reçu copie en avril 2003. En conséquence, même si le principe de la possibilité de découverte s'applique, la date la plus tardive à compter de laquelle le délai de prescription de deux ans court serait avril 2003. Apotex a donc bien dépassé le délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 36(4).
[490] Pour ces motifs, je conclus qu'une action intentée par Apotex en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence est prescrite au motif qu'Apotex intente cette action plus de deux ans après que s'est produit le comportement reproché.
E. Conclusion
[491] La demande reconventionnelle d'Apotex en vertu de la Loi sur la concurrence est rejetée aux motifs que : a) ADIR exerçait ses droits au titre de la Loi sur les brevets; b) quoi qu'il en soit, Apotex a intenté la présente action au-delà du délai de prescription de deux ans établi dans la Loi sur la concurrence. En conséquence, je n'ai pas besoin d'examiner le fond des arguments et la preuve d'expert contradictoire produite au sujet de la demande reconventionnelle d'Apotex.
[492] Même si la demande est irrecevable, Apotex demande également que j'examine la question de savoir si les actes d'ADIR qui restreignent la concurrence ont pour effet de priver Servier de la réparation qu'elle sollicite. En bref, Apotex prétend qu'un comportement qui restreint la concurrence peut priver une partie de son droit à une réparation en equity.
[493] En réponse à cet argument, je me reporte à ma première conclusion dans la présente section. En concluant l'entente de règlement, Servier (ou ADIR) exerçait ses droits en vertu de la Loi sur les brevets. Apotex n'a pas démontré qu'ADIR a fait plus que ce qui est expressément envisagé par les dispositions de la Loi sur les brevets et des Règles des Cours fédérales. Compte tenu de ces faits, Apotex a omis de démontrer qu'il y avait un comportement qui priverait Servier du droit à toute réparation en equity qu'elle pourrait solliciter.
[494] La demande reconventionnelle d'Apotex pour des dommages-intérêts en vertu de l'article 36 de la Loi sur la concurrence sera rejetée.
XIII. Les réparations
A. Aperçu
[495] Servier Canada et ADIR ont eu gain de cause dans la présente action, sauf à l'égard de l'allégation d'incitation. Le brevet 196, de même que les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196, sont jugés valides et contrefaits par Apotex, sous réserve de certaines exemptions prévues par le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets. Servier sollicite les réparations suivantes :
· un jugement déclaratoire selon lequel le brevet 196 est valide et en vigueur;
· un jugement déclaratoire selon lequel Apotex Inc. et Pharmachem ont contrefait les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet 196;
· une injonction permanente contenant diverses modalités;
· des dommages-intérêts ou, si elle le choisit, la restitution des bénéfices;
· des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires;
· des intérêts avant jugement et après jugement et toutes les taxes applicables;
· les dépens de l'instance sur la base procureur‑client ou selon un barème supérieur;
· tous les honoraires d'experts.
[496] En règle générale, le pouvoir de la Cour d'accorder la réparation demandée découle de dispositions précises de la Loi sur les brevets ou des Règles des Cours fédérales. L'article 55 de la Loi sur les brevets prévoit que le breveté et toute personne se réclamant du breveté (en l'espèce, Servier Canada et ADIR) ont droit à des dommages‑intérêts. L'article 57 de la Loi sur les brevets autorise la Cour à accorder une injonction et la restitution des bénéfices dans les cas appropriés. Normalement, une ordonnance de remise des produits contrefaits suit l'injonction. La Cour détient le pouvoir d'accorder les intérêts avant jugement; les articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales prescrivent à la Cour de prendre en compte sur ce point les lois de la province visée. La Cour est dotée des pouvoirs inhérents d'accorder des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs dans les cas appropriés et d'adjuger les dépens.
B. Ordonnance de disjonction
[497] Dans une ordonnance datée du 14 mars 2007, la protonotaire Aronovitch a prévu la disjonction de l'instruction de la présente action, afin de reporter le calcul des dommages ou des bénéfices. En termes précis, l'ordonnance prévoyait ce qui suit :
[TRADUCTION]
2. Conformément au paragraphe 107(1) des Règles, la présente affaire peut être instruite sans que les parties ne soient tenues de présenter des éléments de preuve au procès ou de tenir des interrogatoires préalables ou produire des documents à l'égard de toute question de fait lorsque cet élément de preuve se rapporte uniquement à ce qui suit :
a. le calcul des dommages subis par les demanderesses par suite de la contrefaçon du brevet canadien no 1 341 196 (ci-après appelé le « brevet 196 ») par les défenderesses;
b. le calcul des bénéfices réalisés par les défenderesses par suite de leur contrefaçon du brevet 196;
c. le calcul des dommages‑intérêts des défenderesses par suite d'une violation de l'article 45 de la Loi sur la concurrence par les demanderesses.
3. Une audience en vertu des articles 107 ou 153 des Règles des Cours fédérales aura lieu à la suite de la décision définitive de toutes les autres questions en litige dans la présente instance, s'il apparaît alors que ces questions doivent être tranchées, y compris la communication préalable et les interrogatoires préalables nécessaires.
C. Injonction permanente
[498] Servier fait valoir qu'une injonction permanente à l'encontre d'Apotex, entrant immédiatement en vigueur dès le prononcé du jugement, est une réparation appropriée en l'espèce pour empêcher Apotex de continuer à contrefaire le brevet 196 jusqu'à l'expiration du brevet (Merck (C.A.F.), précité, au paragraphe 69).
[499] Bien que ne s'opposant pas en principe à l'imposition d'une injonction permanente, Apotex demande qu'une période de « grâce » de 30 jours soit accordée avant la prise d'effet de l'injonction. Cela s'est récemment produit dans Janssen‑Ortho, précité.
[500] La délivrance d'une injonction permanente est une réparation discrétionnaire (Janssen‑Ortho, précité, au paragraphe 133). Je reconnais, comme l'a souligné Servier, que les demanderesses dans la présente instance ont agi rapidement pour intenter la présente action. Toutefois, la vente des comprimés de perindopril de 8 mg au Canada par Apotex a été réalisée conformément au Règlement sur les AC. L'omission de Servier de solliciter la protection du Règlement sur les AC pour son comprimé de 8 mg a permis à Apotex d'obtenir l'avis de conformité nécessaire pour cette dose. Cette situation dans laquelle Apotex pouvait légalement vendre les comprimés de 8 mg au Canada (évidemment sous réserve de toute revendication de contrefaçon) est, à mon avis, semblable aux faits dans Janssen‑Ortho, précité.
[501] Ainsi, comme cela a été fait dans Janssen‑Ortho, précité, je suis disposée à accorder une période de 30 jours après mon jugement avant l'entrée en vigueur de l'injonction à l'égard de la vente de perindopril. Pendant cette période, Apotex peut continuer à vendre les produits de perindopril déjà en sa possession, sous sa garde ou son contrôle ou en disposer autrement, mais uniquement dans le cours normal de ses activités et à la condition que toutes les sommes d'argent reçues à cet égard soient comptabilisées et détenues dans un fonds en fiducie distinct pour être versées à Servier, ou selon ce que cette dernière ordonne, au plus tard le 31 octobre 2008. Ces sommes d'argent doivent être prises en compte, par compensation ou autre moyen, lors du calcul final des dommages‑intérêts.
D. Dommages-intérêts ou bénéfices
[502] Les deux parties reconnaissent qu'une fois qu'un breveté a démontré la contrefaçon avec succès, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d'accorder au breveté la réparation de son choix, soit des dommages-intérêts (comme le prévoit l'article 55 de la Loi sur les brevets), soit la restitution des bénéfices (en vertu de l'article 57). Servier désire être en mesure de choisir la restitution des bénéfices et demande à la Cour de l'ordonner. Apotex prétend que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire en l'espèce.
[503] Les dommages‑intérêts et la restitution des bénéfices sont tous deux destinés à indemniser un demandeur lésé, mais les principes fondamentaux sur lesquels reposent les deux réparations et leurs considérations pratiques sont très différents.
[504] Les dommages-intérêts ont pour objet de compenser toute perte subie par le demandeur par suite de la contrefaçon du brevet par le défendeur. Le montant dépend des pertes subies par le demandeur; les gains réalisés par le défendeur en raison de sa faute ne sont pas pertinents. Par ailleurs, la restitution des bénéfices repose sur la prémisse selon laquelle le défendeur, en raison de son comportement fautif, a reçu de manière irrégulière des bénéfices qui appartiennent au demandeur. L'octroi de cette réparation vise à restituer les bénéfices réalisés à leur propriétaire légitime, soit le demandeur, de façon à éliminer tout enrichissement injuste du défendeur. Le calcul est fonction des bénéfices injustement obtenus par le défendeur; toutes les autres pertes subies par le demandeur ne sont pas pertinentes.
[505] La restitution des bénéfices n'est pas un calcul facile. Comme l'a déclaré le juge Rouleau de la Cour, aujourd'hui décédé, lorsqu'il parlait d'une telle restitution dans Beloit Canada ltée c. Valmet Oy, no T‑1003‑76, 12 mai 1994, [1994] A.C.F. no 682 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 3, inf. en partie par no A‑246‑94, 12 mai 1995, [1995] A.C.F. no 733 (QL) (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 24887, 8 février 1996, [1995] C.S.C.R. no 388 :
Il s'agissait sans aucun doute d'un renvoi fort coûteux, long et difficile et d'un renvoi qui montre clairement les pièges que comporte l'octroi de la mesure de réparation relative à la restitution des bénéfices autrement que dans des circonstances exceptionnelles et appropriées et après mûre réflexion de la part de la Cour.
[506] Malgré les difficultés d'ordre pratique, dans l'arrêt Beloit Canada ltée c. Valmet Oy, no A‑66‑89, 10 septembre 1992, 45 C.P.R. (3d) 116 (C.A.F.), à la page 119, la Cour d'appel a dit :
[...] Nous ne voyons, en principe, aucune raison pour laquelle un breveté, dont la propriété a abusivement été appropriée par voie de contrefaçon, ne devrait pas recouvrer tous les profits, directs ou indirects, que l'auteur de la contrefaçon a tirés de sa contrefaçon illégale. [...]
[507] Il incombe cependant à la partie qui sollicite une réparation en equity, comme la restitution des bénéfices, de justifier l'exercice du pouvoir en equity de la Cour (Janssen‑Ortho, précité, au paragraphe 132).
[508] À mon avis, il existe en l'espèce plusieurs faits qui montrent un fondement solide pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire :
· Les demanderesses n'ont eu aucune conduite inéquitable qui les priverait du droit à une telle réparation.
· Contrairement à la situation dont la Cour était saisie dans Merck (C.F.), précité, dans laquelle l'affaire a été portée devant la justice avec retard, Servier a intenté la présente action et a collaboré pour que l'affaire soit entendue à l'intérieur d'une période relativement courte.
· La contrefaçon d'Apotex ne remontant qu'à 2006, le calcul des bénéfices ne devrait pas être indûment complexe.
· Servier Canada a continué à promouvoir sans réserve ses produits de perindopril au Canada et a pris des mesures pour maintenir sa compétitivité. Encore une fois, la présente situation est différente de celle dont était saisi le juge Hughes dans Merck (C.F.), précité, dans laquelle les demanderesses ont « abandonné la partie ».
[509] Par contraste, le comportement d'Apotex doit également être pris en compte. Apotex, parfaitement au courant du brevet 196, a choisi de construire, au Canada, son usine de fabrication des produits de perindopril. Apotex aurait pu éviter entièrement la contrefaçon par fabrication en fabriquant les produits contenant du perindopril à l'extérieur du Canada. Il ne s'agit pas d'une simple hypothèse. Comme l'ont reconnu plusieurs témoins d'Apotex, cette dernière possède également des installations de fabrication en Inde et est en voie d'obtenir une autorisation pour fabriquer du perindopril à cette usine. En fait, comme l'a déclaré M. Sherman, pendant son témoignage, Apotex avait [TRADUCTION] « décidé qu'il serait logique de faire approuver des installations à l'extérieur du Canada au cas où nous perdrions le procès ». J'accepte sans difficulté qu'Apotex et d'autres sociétés apparentées organisent leurs activités commerciales de la manière qu'elles jugent à propos. Elles doivent toutefois subir les conséquences de leurs choix lorsqu'elles sont tout à fait au courant qu'un brevet sera contrefait. En l'espèce, Apotex a choisi de fabriquer du perindopril au Canada en sachant pleinement que la fabrication du perindopril constituerait une contrefaçon et qu'elle pourrait être tenue de restituer ses bénéfices.
[510] Apotex indique qu'elle a été en mesure d'obtenir un avis de conformité pour les comprimés de 8 mg en raison d'un oubli de la part de Servier et demande que j'en tienne compte pour décider si Servier pouvait se prévaloir de la restitution des bénéfices. À mon avis, compte tenu des faits de l'espèce, l'omission de Servier de protéger la dose de 8 mg n'est pas importante. Apotex a commencé à vendre les comprimés de 8 mg après l'introduction de la présente poursuite, lorsqu'elle était tout à fait au courant que Servier faisait valoir ses droits de brevets de manière énergique. Encore une fois, j'estime qu'Apotex ne devrait pas être maintenant autorisée à se mettre à l'abri d'un choix concernant les bénéfices en raison de ses décisions commerciales et des bizarreries du Règlement sur les AC du Canada.
[511] Après avoir pris en considération les faits de l'espèce, je suis convaincue que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et autoriser Servier à choisir la restitution des bénéfices.
E. Intérêts
[512] Servier sollicite l'octroi d'intérêts avant jugement à compter de la date de la première expédition ou vente de produits de perindopril contrefaits par Apotex en 2006 au taux préférentiel commercial moyen des banques majoré d'un et demi pour cent (1,5 %), ou dans tous les cas à un taux non inférieur à cinq pour cent (5 %), composés semestriellement. Servier sollicite le même taux composé pour les intérêts après jugement. Les parties reconnaissent que, si Servier choisit la restitution des bénéfices, le calcul des intérêts devrait faire partie du renvoi ou de l'instruction avant jugement qui se prononcera sur les bénéfices.
[513] Dans le cas où Servier choisit des dommages-intérêts, je ne vois aucune raison de m'écarter des conclusions de mon collègue le juge Hughes dans Janssen-Ortho, précité, aux paragraphes 135 et 136 (voir aussi Merck (C.F.), précité, au paragraphe 241) :
La Cour accorde les intérêts avant jugement sur tout montant alloué à titre de dommages-intérêts. Les intérêts ne doivent pas être des intérêts composés. Le taux de ces intérêts doit être calculé séparément pour chaque année depuis le début de la contrefaçon au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme le taux minimal auquel la Banque du Canada consent des avances à court terme aux banques énumérées à l'annexe I de la Loi sur les banques, S.R.C. 1985, ch. B‑1.
Des intérêts après jugement, non composés, suivront la détermination du montant des dommages-intérêts, au taux de cinq pour cent (5 %) établi dans la Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1985, ch. I‑15, art. 4.
F. Dommages-intérêts punitifs ou exemplaires
[514] Servier sollicite également des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires. Les parties sont d'accord qu'il serait prématuré pour moi de me prononcer sur cette question avant le renvoi sur la question des dommages-intérêts. Voici ce qu'a déclaré la juge Sharlow, s'exprimant pour la Cour d'appel dans Apotex Inc. c. Merck & Co., 2003 CAF 291, au paragraphe 34 :
Le but des dommages-intérêts punitifs est de punir, de dissuader le fautif et autrui et de dénoncer une conduite fautive. Les dommages punitifs sont accordés seulement lorsque les dommages-intérêts compensatoires et d'autres recours civils ne permettent pas de réaliser ces objectifs, et leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser cet objectif : Whiten, précité; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130. Il est évident que jusqu'à ce que tous les recours civils ordinaires soient établis définitivement (ce qui, en l'espèce, inclurait une décision sur la question de savoir si le recours consiste en l'attribution de dommages-intérêts ou en une restitution des bénéfices, et le quantum), il est impossible de décider quels dommages-intérêts punitifs sont nécessaires pour réaliser les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation.
[515] En conséquence, l'examen de la question des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs sera reporté jusqu'à après l'octroi des dommages-intérêts ou des bénéfices.
G. Conclusion
[516] En résumé, Servier Canada et ADIR auront droit à ce qui suit, tel qu'il est plus précisément exposé dans ce qui précède et dans le jugement :
· un jugement déclaratoire portant que le brevet 196 est valide;
· une injonction permanente, sous réserve du droit d'Apotex de vendre ses produits de perindopril pour une période supplémentaire de 30 jours à compter de la date du présent jugement;
· des dommages‑intérêts dont le calcul aura lieu après le présent jugement;
· des intérêts avant et après jugement.
[517] Je ne prends aucune décision et n'exprime aucune opinion, dans le présent jugement, sur la question des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.
XIV. Conclusion d'ensemble
[518] Pour ces motifs, la demande de Servier sera accueillie dans la mesure où elle se rapporte à Servier Canada et à ADIR; les demandes de toutes les autres demanderesses seront radiées. La demande reconventionnelle d'Apotex est rejetée.
[519] Je prends en délibéré ma décision quant aux dépens et demande aux parties de fournir, dans un délai de 30 jours à compter du prononcé des présents motifs, leurs observations écrites sur les dépens. Ces observations devront traiter des questions énoncées au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, notamment les experts, le nombre d'avocats, les débours, toute offre de règlement et toute autre question intéressant l'adjudication de dépens. Les observations ne doivent pas dépasser 10 pages.
JUGEMENT
Pour les motifs exposés ci-dessus, à la suite de l'instruction de la présente action, la Cour adjuge et déclare :
1. Les Laboratoires Servier, Oril Industries, Servier Laboratories (Australia) Pty Ltd et Servier Laboratories Limited sont par les présentes radiées de l'intitulé de la présente action et n'ont aucun droit en tant que demanderesses à l'égard de la présente action.
2. Les revendications nos 1, 2, 3 et 5 du brevet canadien no 1 341 196 sont valides et ont été contrefaites par les défenderesses, Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc., ou l'une d'elles, par la fabrication, la vente et l'offre de vente et par le commerce au Canada de produits contenant du perindopril.
3. La Cour accorde une injonction qui prendra effet à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter du prononcé des présents motifs, laquelle injonction interdit aux défenderesses et à toute personne sur qui elles peuvent exercer un contrôle de fabriquer, de vendre, d'offrir en vente ou de faire autrement le commerce au Canada de produits contenant du perindopril, étant entendu cependant que, entre la date des présents motifs et l'expiration du délai de 30 jours susmentionné, les défenderesses peuvent continuer à vendre les produits en cause qui sont déjà en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle à la date du présent jugement, ou à en disposer, dans le cours normal de leurs activités, à la condition que toutes les sommes d'argent reçues à cet égard soient comptabilisées et détenues dans un fond en fiducie distinct pour être versées aux demanderesses, ou selon ce que celles‑ci ordonnent, au plus tard le 31 octobre 2008.
4. Les défenderesses peuvent opter pour l'une ou l'autre des mesures énoncées ci-dessous au regard des produits contenant du perindopril qui sont en leur possession, sous leur garde ou sous leur contrôle à la date du prononcé du présent jugement :
a) vendre ces produits dans le cours normal de leurs activités conformément au paragraphe 3 ci-dessus, pourvu qu'elles disposent de tous les produits non vendus à l'expiration de la période de 30 jours de la façon prévue à l'alinéa b) ou à l'alinéa c) ci‑dessous;
b) détruire ces produits et fournir un affidavit d'un employé compétent des défenderesses attestant cette destruction;
c) remettre ces produits aux demanderesses au lieu et de la manière précisés par les demanderesses, étant entendu que, si cette remise doit être faite à l'extérieur de la région du grand Toronto, les demanderesses devront en assumer les coûts.
5. Les demanderesses ont le droit de choisir soit la restitution des bénéfices des défenderesses, soit tous les dommages subis en raison des activités des défenderesses qui constituent une contrefaçon des revendications nos 1, 2, 3 ou 5 du brevet 196. La Cour tiendra une instruction séparée, précédée d'une communication préalable si les parties en font la demande, pour déterminer soit le montant des bénéfices que les défenderesses doivent restituer, soit le montant des dommages-intérêts. Tout montant versé conformément au paragraphe 3 ci-dessus devra être pris en compte, par compensation ou autre moyen, dans le calcul définitif du montant des dommages‑intérêts ou des bénéfices.
6. Les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement sur les dommages‑intérêts (s'ils sont choisis), intérêts non composés et calculés séparément pour chaque année depuis le début de la contrefaçon au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme le taux minimal auquel la Banque du Canada consent des avances à court terme aux banques énumérées à l'annexe I de la Loi sur les banques, L.R.C. 1985, ch. B‑1. Dans le cas où les demanderesses choisissent la restitution des bénéfices, les intérêts seront fixés lors de l'instruction séparée mentionnée au paragraphe 5.
7. Les demanderesses ont droit aux intérêts après jugement, non composés, au taux de cinq pour cent (5 %) par année. Ces intérêts sont comptabilisés à compter de la détermination définitive du montant des dommages-intérêts ou des bénéfices.
8. La question des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs est reportée jusqu'à la décision concernant les dommages-intérêts ou les bénéfices.
9. Les parties présenteront des observations sur les dépens dans un délai de 30 jours à compter de la date du présent jugement selon la manière prescrite dans les motifs.
10. La demande reconventionnelle des défenderesses est par les présentes rejetée.
Traduction certifiée conforme
ce 28e jour de janvier 2009.
Yves Bellefeuille, réviseur
Cour fédérale
Avocats inscrits au dossier
Dossier : T-1548-06
Intitulé : Les Laboratoires Servier, Adir, Oril Industries, Servier Canada Inc., Servier Laboratories (Australia) Pty Ltd. et Servier Laboratories Limited c. Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc.
Lieux de l'audience : Montréal (Québec) et Toronto (Ontario),
Newark (New Jersey), États‑Unis
DATES de l'audience : Montréal : Les 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 17 et 18 mars 2008
Newark : Le 19 mars 2008 (commission rogatoire)
Toronto : Les 26, 27, 28 et 31 mars, les 1er, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18, 23 et 24 avril, et les 5, 6, 7 et 8 mai 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE des motifs
ET DU JUGEMENT : le 2 juillet 2008
Comparutions :
Judith Robinson Haria Bundaru Joanne Chriqui Daniel A. Artola Rebecca Crane David Badurina Julie Dallaire Richard Wagner G. Ian Clarke Kavita Ramamoorthy
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Pour les demanderesses (défenderesses reconventionnelles) |
H.B. Radomski Nando De Luca Ben Hackett Ivor Hughes |
Pour les défenderesses (demanderesses reconventionnelles) |
Avocats inscrits au dossier :
Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L., s.r.l. Montréal (Québec)
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Pour les demanderesses (défenderesses reconventionnelles)
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Goodmans LLP Toronto (Ontario) |
Pour les défenderesses (demanderesses reconventionnelles) |