Dossier : T-555-08
Référence : 2008 CF 850
Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2008
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
(Affaire intéressant une requête en prorogation de délai relative au dépôt d’affidavits
et une requête en obtention de directives concernant la confidentialité des pièces 6 à 9
de l’affidavit de M. Fjoser.)
[1] Il s’agit d’une requête présentée par le défendeur dans le contexte de la gestion d’instance d’un contrôle judiciaire dans lequel le demandeur conteste les actions du ministre (en particulier, des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC)), les demandes péremptoires de renseignements (les DPR) (leur objectif et leur cadre légal) de même que les actions de l’ARC.
[2] L’affidavit en cause, rédigé par un témoin principal du défendeur, renferme divers renseignements et fait l’objet d’une contestation relativement à la confidentialité de certaines pièces. En raison de cette contestation, le défendeur a demandé une prorogation de délai pour pouvoir déposer l’affidavit sept jours après le prononcé de ma décision sur la présente requête en obtention de confidentialité. Les demandeurs ont consenti à la prorogation de délai et la Cour l’a accueillie oralement.
[3] La preuve renfermée dans l’affidavit de M. Fjoser est constituée de deux types d’éléments distincts. Le premier type consiste en des séries de copies papiers de renseignements relatifs aux déclarations de revenus et en quelques regroupements de renseignements sur l’impôt sur le revenu (les renseignements sur le revenu). Le second type consiste en des renseignements d’une agence d’évaluation du crédit, des résultats de recherche dans le registre des biens personnels ou de titres fonciers et d’autres renseignements du même genre (les renseignements sur les biens).
[4] Ces documents seraient importants parce que le demandeur les utilise pour déterminer s’il envoie une DPR. À cet égard, ils constituent une partie du « dossier ».
[5] Le défendeur affirme que certains documents sont du domaine public bien qu’il admette que certains n’en font pas partie. Selon les demandeurs, même si certains documents sont du domaine public (par exemple, les renseignements sur les véhicules à moteur), on ne peut les obtenir qu’en utilisant des renseignements confidentiels, comme le numéro d’assurance sociale.
II. ANALYSE
[6] La question en litige fait intervenir l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) et l’article 151 des Règles des Cours fédérales.
[7] Le régime relatif à la confidentialité établi par la Loi prévoit une exception liée à l’application et à l’exécution de la Loi. En particulier, l’alinéa 241(3)b) se lit comme suit :
[8] La Cour suprême a examiné en détail la structure du paragraphe 241(3) de la Loi dans l’arrêt Slattery (Syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430. Un aspect crucial du régime de déclarations volontaires de revenus instauré par la Loi est la confidentialité des renseignements divulgués par les contribuables au fisc. La Cour suprême a noté que l’article 241 prévoyait une mise en balance d’intérêts opposés : l’intérêt relatif à la vie privée des contribuables et l’intérêt du ministre, à savoir que le ministre soit autorisé à divulguer des renseignements dans la mesure nécessaire à l’application et à l’exécution de la Loi.
[9] Il est incontestable que les renseignements en question constituent des renseignements que possède le ministre sur un contribuable et que de tels renseignements peuvent être divulgués dans le cadre de procédures judiciaires concernant l’application et l’exécution de la Loi. Par conséquent, le ministre pourra divulguer de tels renseignements (dans la mesure où ils sont pertinents) lors de l’audience relative à la présente affaire.
[10] La véritable question est de savoir quand une telle divulgation devrait être autorisée. Par conséquent, l’article 151 des Règles des Cours fédérales est pertinent.
[11] Dans le cadre d’un litige normal concernant une action, les documents en question seraient produits lors de l’enquête préliminaire, mais ils feraient habituellement l’objet d’un engagement exprès (ou implicite) de confidentialité. Ainsi, dans le cadre d’une instance, de tels renseignements ne seraient rendus publics qu’à l’instruction.
[12] La Cour fédérale a changé la procédure relative au jugement déclaratoire (lequel constitue la réparation la plus souvent demandée) qui peut désormais être obtenu au moyen de la procédure de contrôle judiciaire, et non plus de l’action. Par conséquent, la preuve par affidavit (habituellement le type de preuve présentée lors de l’instruction d’une action) est accessible dès qu’elle est déposée au greffe. Jusqu’à un certain point, le changement de type de procédure a fait en sorte que les protections d’avant instruction relatives à la divulgation ont été perdues.
[13] Quant à la question de savoir s’il s’agit en l’espèce d’une instance où la Cour doit ordonner la confidentialité, la Cour est guidée par l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41.
[14] Dans l’arrêt Sierra Club du Canada, la Cour suprême a fixé les conditions de délivrance d’une ordonnance en vertu de l’article 151; elle ne doit être rendue que si :
· elle est nécessaire pour écarter un risque auquel est exposé un intérêt important. Il s’agit de tenir compte des risques réels et importants, de déterminer si l’intérêt peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité ainsi que de l’obligation de restreindre la réparation autant qu’il est raisonnablement possible tout en préservant l’intérêt;
· les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité sont plus importants que ses effets préjudiciables.
[15] Le premier type de renseignements (les renseignements sur le revenu) consiste essentiellement en des renseignements fournis par les demandeurs dans ses déclarations de revenus. Selon la Loi, conserver la confidentialité des renseignements divulgués volontairement est d’intérêt public. Leur divulgation à la présente étape porterait atteinte à la vie privée et à l’intérêt public reconnu par la Loi.
[16] En outre, étant donné qu’une ordonnance de confidentialité serait en vigueur seulement jusqu’au début de l’instruction, toute atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires s’en trouverait grandement atténuée.
[17] La simple existence d’un litige, particulière à la présente étape, n’autorise pas le ministre à divulguer des renseignements à propos d’un contribuable (et le contribuable n’a pas à être traité comme s’il est dans un cocon). Par conséquent, la Cour conclut que les renseignements sur le revenu doivent demeurer confidentiels jusqu’à l’instruction de la présente affaire, où les parties pourront alors se pencher sur le besoin de continuer à les garder confidentiels.
[18] En ce qui concerne les « renseignements sur les biens », particulièrement les renseignements faisant partie du domaine public, les demandeurs affirment que c’est la méthode par laquelle on a pu obtenir ces renseignements qui les rend confidentiels. Ils se fondent sur la décision Scott Slipp Nissan Ltd. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1479. Dans cette affaire, la Cour avait établi que la divulgation des renseignements causait un préjudice et que cela ne devait pas continuer, et ce, même si le préjudice était minime. Cependant, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas déposé de preuve selon laquelle la divulgation de renseignements faisant partie du domaine public pourrait leur causer un préjudice.
[19] De plus, aucune preuve ne montre que pour être en mesure d’obtenir des renseignements – tels que ceux obtenus dans le cadre de recherches dans les registres des biens personnels ou de titres fonciers – une personne doive avoir accès à des renseignements confidentiels. Les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une utilisation dérivée de renseignements personnels.
[20] Enfin, rien ne donne à penser en l’espèce (au contraire de l’affaire Airth c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2007 CF 370) que le défendeur, dans sa preuve par affidavit, inclut des renseignements qui vont au‑delà de ce qui est pertinent et nécessaire.
[21] Les renseignements tels que ceux obtenus par des recherches dans les registres des biens personnels et les autres registres du même genre font clairement partie du domaine public accessible, car ils se trouvent dans les registres tenus par le gouvernement. La preuve recueillie auprès des agences d’évaluation du crédit n’a pas la caractéristique d’être accessible au public; cependant, il semble que ces renseignements soient la propriété des agences et non de la personne à propos de qui le dossier a été élaboré. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi que ces renseignements ne devraient être connus que d’eux, ou d’eux et du défendeur. Ces renseignements ne seront pas protégés par la présente ordonnance de confidentialité.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS EXPOSÉS, LA COUR ORDONNE :
1. Le délai accordé à Wayne Fjoser et Jacqueline Gomez pour déposer leurs affidavits en version originale est prorogé : ils devront les déposer au plus tard sept jours après le prononcé de la présente ordonnance.
2. L’affidavit initial no 2 en version originale de Wayne Fjoser, lequel referme les renseignements confidentiels, sera scellé au greffe et demeurera confidentiel sauf dans le cadre de la présente affaire, et ce, jusqu’à ce que la Cour en décide autrement.
3. Le défendeur a le même délai de sept jours pour signifier et déposer une version « expurgée » de l’affidavit de Wayne Fjoser, duquel auront été enlevés tous les renseignements déclarés confidentiels dans la présente ordonnance.
4. Les dépens suivront l'issue de l'affaire.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-555-08
INTITULÉ : JORGE BARREIRO ET AL.
c.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 JUIN 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 9 JUILLET 2008
COMPARUTIONS :
Martin Peters Garth Barriere
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POUR LES DEMANDEURS |
Robert Carvalho Ron Wilhem
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Martins Peters Avocat Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR |