ENTRE :
HARRY DANIELS, GABRIEL DANIELS,
LEAH GARDNER, TERRY JOUDREY et
LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES
et
SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par
LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET
DU NORD CANADIEN
et le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
(prononcés à l’audience à Toronto (Ontario),
le 25 juin 2008)
LE JUGE HUGESSEN
[1] La Cour est saisie d’une requête en radiation de la déclaration ou en rejet de l’action présentée par la Couronne défenderesse. Elle est très semblable à une requête présentée par la Couronne il y a un certain nombre d’années ayant été plaidée devant le protonotaire Hargrave et rejetée par lui. La Couronne n’a pas interjeté appel de cette décision en temps opportun (Daniels v. Canada (Minister of Indian Affairs and Northern Development), [2002] 4 F.C. 550).
[2] Plus précisément, la Couronne allègue aujourd’hui, comme elle l’a fait dans la requête antérieure, que l’affaire soulève une pure question de droit et est semblable à un renvoi d’initiative privée.
[3] L’affaire bien connue du Renvoi sur les Esquimaux de la Cour suprême du Canada est citée à titre d’exemple (Reference re: British North America Act, 1867 (U.K.), s. 91, [1939] S.C.R. 104).
[4]
Je me contenterai, à l’égard de cet aspect de la
requête, d’adopter les motifs du protonotaire Hargrave qui comme beaucoup de
décisions rendues par ce monsieur (nous sommes tous grandement touchés par sa
perte) sont exhaustifs, rigoureux et, selon moi, tout à fait corrects.
[5] À une exception près, à laquelle je reviendrai dans un instant, les points soulevés aujourd’hui par la Couronne ont été traités et rejetés précédemment par le protonotaire Hargrave. J’ajouterais toutefois ceci. L’analogie avec le Renvoi sur les Esquimaux sur laquelle la Couronne insiste ne constitue tout simplement pas un argument en faveur du rejet de l’affaire.
[6] Le fait que le gouvernement ait le pouvoir de soulever les mêmes questions que celles qui sont traitées dans cette affaire et de le faire par renvoi ne signifie pas que ces questions ne peuvent pas être soumises à la Cour par un autre moyen. Selon moi, la présente action constitue précisément un tel autre moyen et est légitime.
[7] Les trois conditions classiques à remplir pour obtenir un jugement déclaratoire de la Cour, et à mon avis de tout autre tribunal, sont les suivantes :
1. Le demandeur possède un intérêt.
2. Il existe un adversaire valable pour s’opposer à
la demande.
3. La question soulevée, et à l’égard de laquelle la déclaration est réclamée, est réelle et grave et pas simplement hypothétique ou théorique. (Montana Band of Indians v. Canada, [1991] 2 F.C. 30 (C.A.), autorisation d’appel devant la CSC refusée (1991), 136 N.R. 421).
[8] Je suis d’avis qu’il n’est certes pas indiscutable que ces conditions n’ont pas été remplies dans la présente affaire. En fait, je crois qu’elles ont toutes été remplies et satisfaites.
[9] L’exception que j’ai mentionnée il y a une minute, et qui n’a peut-être pas été plaidée de manière approfondie devant le protonotaire Hargrave, est l’argument relatif à la compétence de la Cour. Ce point n’a pas été directement soulevé devant le protonotaire Hargrave, même s’il aurait pu et, selon moi, dû l’être.
[10] L’argument avancé est que cette affaire ne satisfait pas les trois critères établis dans ITO et précisés dans Roberts (ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752; Roberts c. Canada [1989] 1 R.C.S. 322). À mon avis, cet argument n’est pas fondé.
[11] L’article 17 et, j’ajouterais, l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, donnent de toute évidence compétence de la Cour.
[12] Les demandeurs réclament des droits à titre d’« Indiens », en tant que peuples autochtones et à titre de bénéficiaires des obligations fiduciaires assumées par la Couronne.
[13] La Couronne prétend qu’il s’agit d’une « simple » question constitutionnelle et que la seule disposition nécessaire pour y répondre est le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1876 qui n’est pas une « loi canadienne » au sens de la jurisprudence applicable à laquelle je viens de faire référence. À mon humble avis, la Couronne a tort.
[14] Bien entendu, l’article 91, et plus particulièrement le paragraphe 24, de la Loi constitutionnelle de 1876 s’applique. Cela ne fait aucun doute. Mais la Cour ne saurait s’en contenter pour trancher la question dont elle est saisie.
[15] Le droit reconnaît maintenant que les droits autochtones, l’étendue de l’obligation de fiduciaire assumée par la Couronne vis-à-vis de ses peuples autochtones et le statut de non-« Indiens » (c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas visées par la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c. I-5) sont des questions qui relèvent du droit fédéral et il s’agit d’un domaine du droit qui évolue rapidement (et, si je peux me permettre, à vitesse presque vertigineuse).
[16] Ses sources remontent aux premiers contacts, mais elles sont encore les mêmes et se développent de manière quotidienne par le biais des jugements de la Cour suprême et des jugements de nos tribunaux inférieurs.
[17] Il est donc loin d’être absolument évident que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur ce litige. Je suis plutôt d’avis contraire.
[18] Par conséquent, la requête est rejetée avec dépens.
[19] L’affaire est très avancée. Des milliers de documents ont été déposés. Plusieurs affidavits de documents additionnels ont été déposés. Des demandes de renseignements ont été faites et il y a été répondu. Des interrogatoires préalables ont eu lieu et, même s’il y a eu des refus et qu’il n’a pas été donné suite à certains engagements, ils ont en grande partie été traités.
[20] Les demandeurs ont déposé leur mémoire préparatoire, mais pas la Couronne.
[21] Je suis d’avis qu’il s’agit d’une requête qui n’aurait pas dû être présentée.
[22] La Couronne devra verser aux demandeurs des dépens qui sont par les présentes fixés au montant global de 20 000 $ payables sans délai, quelle que soit l’issue de la cause.
[23] Une ordonnance sera donc rendue en ce sens.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2172-99
INTITULÉ : HARRY DANIELS et al. c. SA MAJESTÉ LA REINE et al.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 JUIN 2008
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE HUGESSEN
COMPARUTIONS :
Andrew K. Lokan Joseph Magnet
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D. Kim McCarthy Cynthia J. Dickins
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP Toronto (Ontario)
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John H. Simms, c.r. Sous-procureur général du Canada Edmonton (Alberta)
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