Date : 20080624
Dossier : IMM-5236-07
Référence : 2008 CF 798
Ottawa (Ontario), le 24 juin 2008
En présence de monsieur le juge Beaudry
ENTRE :
LIMIN WANG
HE HUANG
YUANXIN HUANG
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision par laquelle l’agente d’immigration J. Carlile (l’agente) a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, au motif que la demanderesse n’avait pas obtenu le nombre minimum de points établis par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).
QUESTIONS EN LITIGE
[2] La présente demande soulève deux questions en litige :
a. L’agente a-t-elle violé un principe de justice naturelle en se fondant sur des preuves extrinsèques, sans donner au demandeur l’occasion d’y répondre?
b. La décision de l’agente était-elle déraisonnable?
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
FAITS
[4] Le 10 décembre 2003, les demandeurs ont déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés auprès de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Beijing, en Chine. Les demandeurs sont citoyens de la Chine et la demanderesse principale, Mme Limin Wang, est née le 24 novembre 1966. La demande incluait son époux, He Huang (le demandeur), et son fils, Yuanxin Wang, comme personnes à charge.
[5] La demanderesse principale avait indiqué qu’elle occupait un poste de directrice des télécommunications. Il lui fallait 67 points pour immigrer au Canada. Le 17 octobre 2006, l’agente a soumis la demande à un examen initial et a attribué 68 points à la demanderesse, y compris cinq points pour la capacité d’adaptation, car le demandeur avait un frère, Huang Hai, qui habitait au Canada. L’agente a demandé des documents supplémentaires, y compris une preuve récente que le frère résidait au Canada. Les documents ont été reçus le 17 janvier 2007.
[6] Le traitement du dossier a été retardé en raison d’une réserve quant à la véritable nature de la profession exercée par la demanderesse principale. La réserve a été dissipée et, le 26 juin 2007, l’agente a demandé pour la seconde fois des renseignements à jour concernant la résidence du frère du demandeur au Canada. Le 26 juillet 2007, les demandeurs ont produit les documents suivants:
a. Une copie de la carte de résidence permanente du frère;
b. Une copie de la carte de résidence permanente ainsi que du passeport de l’épouse du frère;
c. Une copie de l’avis de cotisation du frère pour l’année 2007;
d. Une copie de l’avis de cotisation de l’épouse du frère pour l’année 2007;
e. Une copie du certificat de mariage du frère;
f. Une copie de l’enregistrement de cession immobilière (à l’intention de l’épouse du frère).
DÉCISION CONTRÔLÉE
[7] Dans sa décision, l’agente a attribué 63 points à la demanderesse. La demanderesse s’est vue attribuer 10 points pour l’âge, 20 points pour les études, 8 points pour la compétence dans les langues officielles, 21 points pour l’expérience professionnelle, aucun point pour un emploi réservé et 4 points pour la capacité d’adaptation.
[8] L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas suffisamment de points pour pouvoir immigrer au Canada. Elle a souligné qu’aucun point n’avait été attribué pour la résidence du frère du demandeur, Huang Hai, au Canada. L’agente a jugé que les éléments de preuve produits par les demandeurs à l’appui de cette prétention ne suffisaient pas pour démontrer que le frère résidait au Canada au moment où elle a pris sa décision, puisque la majorité des documents produits concernaient l’épouse du frère et non le frère. L’avis de cotisation de Huang Hai pour l’année 2007 était le seul document qui se rapportait à lui en particulier. Selon le document, il a gagné 2 000 $ en 2006.
[9] L’agente a fait remarquer que ses documents indiquaient que Huang Hai avait été absent du Canada pendant de longues périodes dans le passé. L’avis de cotisation était donc insuffisant pour convaincre l’agente que le frère résidait au Canada au moment où elle a pris sa décision.
ANALYSE
La norme de contrôle
[10] La jurisprudence de la Cour a établi que la décision prise par un agent d’immigration dans l’examen d’une demande de résidence permanente dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire et commande donc une grande retenue. Selon la juge Mactavish dans Choksi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 555, au paragraphe 14, [2007] A.C.F. no 770, « [d]ans la mesure où un tel examen est effectué de bonne foi, dans le respect des règles de justice naturelle, sans que l'on se fonde sur des considérations inappropriées ou étrangères, la décision est révisable selon la norme de la décision manifestement déraisonnable ». (Voir aussi Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 58, [2008] A.C.F. no 65).
[11] Par suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la décision d’un agent d’immigration quant à une demande de résidence permanente commande toujours la retenue de la Cour lors du contrôle et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64).
[12] La décision raisonnable est justifiée et suppose la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[13] Il est de jurisprudence constante qu’un manquement à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
L’agente a-t-elle violé un principe de justice naturelle en se fondant sur des preuves extrinsèques, sans donner au demandeur l’occasion d’y répondre?
[14] Les demandeurs soutiennent que l’agente s’est appuyée sur des preuves extrinsèques et a violé un principe de justice naturelle lors de l’examen de leur demande.
[15] Selon le défendeur, la question primordiale en ce qui concerne la communication est celle de savoir si les demandeurs avaient connaissance du document en cause. L’obligation d’agir équitablement exige la communication de documents si cette communication est nécessaire pour que la personne intéressée ait une occasion valable de présenter son cas. Le défendeur cite le paragraphe 47 de la décision Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, [2008] A.C.F. no 601 :
[47] Je crois qu’il est bien établi en droit que l’obligation d’équité requiert la communication de documents si cette communication est nécessaire pour que l’intéressé ait véritablement la possibilité de présenter pleinement ses arguments au décideur. La question primordiale en ce qui concerne la communication est celle de savoir si le document est un document dont l’intéressé a connaissance ou aurait dû avoir connaissance. Voir par exemple la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 193 (1re inst.), et la décision Asmelash c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 2145 (QL).
[16] Les demandeurs ne devraient pas être surpris que l’agente ait eu des doutes quant à savoir si le frère du demandeur résidait au Canada. L’agente a demandé la preuve de ce fait à deux reprises (le 17 janvier 2007 et le 26 juin 2007); cela suffit en soi pour aviser les demandeurs que la question n’était pas réglée. En outre, l’agente s’est appuyée principalement sur un document déposé par la demanderesse (l’avis de cotisation pour l’année 2006) pour refuser la demande. Même si l’agente déclare dans sa décision que [traduction] « […] étant donné que toute la documentation, à l’exception d’un document, se rapporte à l’épouse de votre frère, et non à Huang Hai […] », les notes consignées au dossier indiquent que l’agente a tenu compte des autres documents déposés par les demandeurs.
[17] Pour les motifs qui précèdent, je juge qu’il n’y a eu aucun manquement aux principes de justice naturelle.
La décision de l’agente était-elle déraisonnable parce que l’agente n’a pas examiné si le frère était au Canada durant la période considérée?
[18] Les demandeurs font valoir que l’agente était tenue de tirer une conclusion concrète que le frère du demandeur ne résidait pas au Canada au moment où elle a pris sa décision. Les demandeurs citent la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 812, [2007] A.C.F. no 1068, à l’appui de leur position.
[19] À mon avis, la demanderesse n’a pas démontré que la décision de l’agente est déraisonnable. L’agente a fondé sa décision sur l’insuffisance des éléments de preuve établissant la résidence du frère au Canada. Le fardeau de présentation des éléments de preuve à l’appui de la demande incombe à la demanderesse.
[20] En l’espèce, l’agente a conclu que la majorité des éléments de preuve déposés se rapportaient à l’épouse du frère, et non à la présence du frère au Canada. Il était loisible à l’agente d’apprécier les éléments de preuve comme elle l’a fait et de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de prouver la présence du frère au Canada. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier les éléments de preuve à nouveau et la Cour ne le fera pas.
[21] La décision de l’agente est intelligible, justifiée et transparente et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[22] Les parties n’ont pas proposé de questions pour certification et il n’y en a aucune en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Michel Beaudry »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5236-07
INTITULÉ : LIMIN WANG, HE HUANG et
YUANXIN HUANG c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 juin 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET DU JUGEMENT : Le juge Beaudry
DATE DES MOTIFS : Le 24 juin 2008
COMPARUTIONS :
Matthew Jeffery POUR LES DEMANDEURS
Negar Hashemi POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Matthew Jeffery POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)