Ottawa (Ontario), le 23 juin 2008
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Le refus de délivrer un permis de séjour temporaire (le PST) dans le cadre de circonstances de façon générale peu favorables doit être annulé en raison d’une erreur dans la décision. Le demandeur a un casier judiciaire chargé, il a un comportement conjugal douteux, et presque rien d’autre ne permet de penser que les droits en equity penchent en sa faveur. Cependant, il a un enfant mineur au Canada dont l’existence et l’intérêt n’ont pas été pris en compte par l’agent d’immigration.
II. CONTEXTE
[2] M. Ali est un citoyen guyanien qui habite au Canada depuis 20 ans. Il a passé les dix dernières années à tenter de [traduction] « régulariser » son statut de citoyen. Mme Ali, l’épouse du demandeur, est maintenant une citoyenne canadienne en raison d’un bref mariage à un Canadien durant l’intervalle entre son premier mariage et la reprise subséquente de sa relation avec M. Ali. Le couple a trois enfants, dont un enfant qui était mineur au moment de la décision.
[3] M. Ali a un casier judiciaire chargé – certaines des infractions y figurant sont des infractions de conduite avec facultés affaiblies, alors que les autres sont des infractions de fraude de plus de 1 000 $, de conduite avec un permis suspendu, et d’entrave au travail d’un policier. M. Ali a indiqué que l’alcoolisme était la raison de ces infractions.
[4] M. Ali est arrivé au Canada en 1997. Sa demande d’asile a été abandonnée et sa demande d’ERAR a été rejetée. Sa demande de résidence permanente parrainée par Mme Ali a été rejetée en raison de son casier judiciaire.
[5] Un certain nombre de demandes présentées en vue de faire reporter le renvoi du demandeur ont été rejetées. Le demandeur a présenté sans succès plusieurs demandes de PST; le dernier rejet remonte au 29 juin 2007 et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
[6] Le 24 avril 2007, une agente subalterne a rédigé un rapport détaillé dans lequel elle a recommandé qu’un PST soit délivré au demandeur. Le rapport faisait état, entre autres facteurs, des liens familiaux et de la dépendance de l’enfant mineur envers son père. L’agente subalterne n’a pas appuyé sans réserve le demandeur, mais elle était prête à lui donner le bénéfice du doute. Elle croyait qu’il était un ancien alcoolique. Compte tenu du casier judiciaire du demandeur, l’agente subalterne aurait en principe rejeté sa demande de PST. Cependant, d’autres facteurs favorables ont appuyé sa recommandation pour la délivrance d’un PST.
[7] La recommandation a été examinée par un agent principal (l’agent d’immigration), qui a conclu, après avoir tenu compte de la situation personnelle du demandeur, y compris de ses liens familiaux, que la présence de M. Ali au Canada exposerait les Canadiens à un risque non négligeable et que la nécessité de sa présence au Canada ne pouvait l’emporter sur ce risque.
[8] Dans sa décision rejetant la demande de PST, l’agent d’immigration a décrit brièvement les liens familiaux de M. Ali et il a souligné que ses enfants étaient mariés et qu’ils n’habitaient plus chez lui. Il n’a pas été fait mention de l’enfant mineur ou de ses intérêts.
III. ANALYSE
[9] Les parties ont traité de la norme de contrôle applicable, y compris du thème qui revient souvent dans les arguments du ministère de la Justice, selon lequel l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, inclut la norme de la décision manifestement déraisonnable sous la rubrique de la « raisonnabilité ». Je n’ai pas à me pencher sur cette question en l’espèce, mais je conviens que la nature hautement discrétionnaire d’un PST et sa délivrance exceptionnelle signifient que la Cour devrait faire preuve d’une grande retenue, dans l’échelle de la « raisonnabilité », à l’égard du jugement rendu par l’agent. La nature discrétionnaire d’un PST est évidente à la lumière de l’article 24 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui prévoit :
[10] Cependant, en l’espèce, l’agent d’immigration a soit simplement mal compris les faits pertinents ou il a omis de tenir compte d’éléments de preuve substantiels. Le Guide des politiques de CIC indique aux agents qu’ils doivent tenir compte des liens familiaux dans l’examen de la situation personnelle du demandeur.
[11] L’agent d’immigration, même s’il n’est pas légalement tenu de suivre le Guide, a analysé la situation personnelle du demandeur, mais il n’a jamais traité de l’existence de l’enfant mineur.
[12] L’article 24 exige de l’agent qu’il décide si « les circonstances » justifient la délivrance d’un PST. Cette expression doit vouloir dire les circonstances pertinentes. Compte tenu du Guide des politiques de CIC et de la propre analyse de l’agent d’immigration (ainsi que des observations faites par le demandeur), les liens familiaux, l’existence d’enfants et l’intérêt de ceux-ci étaient des circonstances pertinentes. La preuve relative à l’intérêt de l’enfant mineur était pertinente quant au dossier.
[13] Par conséquent, l’agent d’immigration a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l’enfant mineur, puisqu’il a omis de prendre en compte les « circonstances » particulières au demandeur.
[14] Pour ce motif, et ce motif uniquement, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
[15] Le demandeur allègue que l’agent d’immigration n’a pas adéquatement tenu compte des efforts qu’il avait déployés en vue de se réadapter, et de son succès à cet égard. Je ne vois pas où il y a eu une erreur sur ce point, encore moins une erreur justifiant que la Cour intervienne. Le dossier de réadaptation est mince et les réserves de l’agent d’immigration quant au risque auquel seraient exposés les Canadiens sont raisonnables.
[16] Le demandeur soutient qu’il aurait dû se voir accorder une entrevue, puisqu’il existait des questions de crédibilité concernant sa réadaptation. Les réserves qu’avait l’agent d’immigration portaient plus directement sur le caractère suffisant de la preuve de la réadaptation que sur la crédibilité de l’argument du demandeur.
[17] Le PST est délivré exceptionnellement et rien en soi dans le processus ne fait de la question du droit à une entrevue une question d’équité procédurale. Rien dans la présente affaire ne tend à indiquer que l’absence d’une entrevue a créé une injustice. En fait, le demandeur n’a même pas demandé d’entrevue; il a simplement indiqué qu’il était libre pour une entrevue si le ministère voulait lui poser des questions.
[18] Toute erreur dans la création du dossier certifié n’a eu aucune incidence sur le présent contrôle judiciaire. La plainte du demandeur à cet égard n’est pas fondée.
IV. CONCLUSION
[19] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2859-07
INTITULÉ : NEZAMOODEEN ALI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 JUIN 2008
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 23 JUIN 2008
COMPARUTIONS :
Mario Bellissimo
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Catherine Vasilaros
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ormston, Bellissimo, Rotenberg Avocats Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |