Date : 20080616
Ottawa (Ontario), le 16 juin 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
et
DU CHEF DU CANADA,
représentée par le ministre des
Affaires indiennes et du Nord canadien
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
Bref survol
[1] La tribu d’Ermineskin (Ermineskin) est une nation autochtone qui réside dans le centre de l’Alberta et qui a adhéré au Traité no 6.
[2] En avril 2007, Ermineskin a signé une entente globale de financement (EGF) avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). L’EGF devait couvrir la période du 1er avril 2007 au 31 mars 2008. Aux termes de l’EGF, Ermineskin s’engageait à fournir certains programmes et services, y compris un Programme d’aide au revenu, conformément aux modalités de l’EGF et de l’« Alberta Region Social Development Income Support Policy Guide » (le Guide) du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC). Le MAINC s’engageait pour sa part à verser à Ermineskin la somme de 544 578 $ pour l’exécution et l’administration du Programme d’aide au revenu. De plus, le MAINC s’engageait de payer à Ermineskin les dépenses vérifiées effectivement engagées par Ermineskin pour verser des prestations d’aide au revenu aux personnes admissibles résidant dans la réserve d’Ermineskin.
[3] Pendant de nombreuses années avant cet arrangement, Ermineskin et le MAINC concluaient des accords de financement pluriannuel aux termes desquels Ermineskin recevait un financement en bloc pour la fourniture d’aide au revenu. Ermineskin avait toute la latitude nécessaire pour décider de la façon de débourser les fonds qui lui étaient fournis pour exécuter le Programme d’aide au revenu. En revanche, aux termes de l’EGF, Ermineskin doit rendre compte au MAINC des sommes d’argent qu’elle dépense au titre du Programme d’aide au revenu, et le MAINC rembourse ensuite à Ermineskin les prestations d’aide au revenu qu’elle a effectivement déboursées.
[4] À l’été 2007, le MAINC a fait part à Ermineskin d’un certain nombre de préoccupations au sujet de la reddition de comptes et de problèmes d’ordre général concernant le programme. Le MAINC a refusé certaines des dépenses dont Ermineskin réclamait le remboursement. Au cours de l’été et de l’automne 2007, les parties ont échangé de la correspondance, des rencontres ont eu lieu et un examen sur place des dossiers a été entrepris.
[5] Le 22 novembre 2007, le MAINC a avisé le conseil d’Ermineskin (le Conseil) que le Programme d’aide au revenu n’était pas exécuté conformément aux modalités de l’EGF. Ermineskin était sommée de trouver un consultant chargé de travailler avec son personnel et de former celui-ci et de surveiller et de développer l’exécution du Programme d’aide au revenu. Ermineskin a par ailleurs été informée qu’une fois que le financement nécessaire pour répondre aux besoins essentiels pour le mois de décembre 2007 aurait été fourni, le financement serait suspendu tant que la saine gestion du programme n’aurait pas été rétablie.
[6] Le 23 novembre 2007, Ermineskin a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du 22 novembre 2007 du MAINC. Ainsi que l’avocat d’Ermineskin l’a confirmé au cours de l’instruction de la présente demande, les réparations sollicitées sont les suivantes :
· une ordonnance déclarant que le MAINC a enfreint le traité no 6, a agi de façon discriminatoire en violation du paragraphe 15(1) de la Charte et n’a pas respecté les modalités de l’EGF et du Guide;
· un bref de mandamus enjoignant au MAINC de se conformer aux modalités de l’EGF et du Guide (interprétés en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte et avec le Traité no 6) et de vérifier les dépenses effectivement consacrées à l’aide au revenu;
· les dépens.
[7] L’avocat d’Ermineskin a confirmé à l’audience qu’Ermineskin ne réclame plus de jugement déclaratoire au sujet du montant d’argent qui lui serait dû.
[8] L’avocat d’Ermineskin a également formulé des observations au sujet de l’insuffisance des prestations d’aide au revenu versées en vertu de l’EGF. Il est toutefois important de bien comprendre que cette question n’a pas été soumise à la Cour.
[9] Dans les présents motifs, j’aborderai à tour de rôle les questions suivantes :
1. Le Traité no 6 (paragraphe 10)
2. L’EGF et le Guide (paragraphe 14)
3. Les faits (paragraphe 20)
4. La norme de contrôle applicable à la décision du 22 novembre 2007 (paragraphe 38)
5. Le MAINC a-t-il procédé à l’examen des dossiers conformément aux modalités de l’EGF et du Guide? (paragraphe 44)
6. La décision du 22 novembre 2007 était-elle raisonnable? (paragraphe 59)
7. Autres questions (paragraphe 78)
a) Traité no 6 (paragraphe 78)
b) Intitulé de la cause (paragraphe 83)
c) Allocation de subsistance (paragraphe 85)
d) Paragraphe 15(1) de la Charte (paragraphe 91)
8. Conclusion et dépens (paragraphe 97)
1. Le Traité no 6
[10] Une copie du Traité no 6 a été versée au dossier de la demanderesse. On trouve également dans ce dossier un extrait d’un ouvrage intitulé Disease, Medicine and Canadian Plains Native People, 1880-1940, (Lux, Maureen K., Toronto, University of Toronto Press, 2001), ainsi que les motifs du jugement de mon collègue le juge Teitelbaum dans l’affaire Ermineskin c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, [2005] A.C.F. no 1992 (QL). Hormis ces documents, Ermineskin n’a déposé aucun autre élément de preuve au sujet du Traité no 6.
[11] Ermineskin invoque les stipulations suivantes du Traité no 6 :
Que dans le cas où par la suite les Indiens compris dans ce traité seraient visités par la peste ou par une disette générale, la Reine, lorsqu'elle aura reçu un certificat en bonne et due forme de Son agent ou de Ses agents pour les Affaires indiennes accordera tous et tels secours que Son surintendant en chef des Affaires indiennes croira nécessaires et suffisants pour les soulager du fléau qui aura fondu sur eux;
[…]
Qu'il sera tenu un buffet à médicaments au domicile de tout agent des Indiens pour l'usage et l'avantage des Indiens, à la discrétion de tel agent;
[12] L’EGF renvoie au Traité no 6 à l’alinéa k) de son préambule, ainsi qu’à ses alinéas 1.1a) et 1.1b). En voici le texte :
K. ATTENDU QUE la présente entente n'a pas pour effet de mettre fin ou de déroger à l'un quelconque des droits existants, ancestraux ou issus de traités, reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, notamment au
Traité no 6.
[…]
1.1 La présente entente n'a pas pour effet de :
a) déroger ou porter atteinte à un traité ou à un droit ancestral de la tribu d’Ermineskin;
b) modifier le Traité no 6 ou de créer un nouveau traité au sens de la Loi constitutionnelle de 1982;
[13] L’article 1.1.1 du Guide précise par ailleurs ce qui suit :
[traduction]
L’article 88 de la Loi sur les Indiens prévoit que toutes les lois d’application générale sont applicables aux Indiens qui vivent dans une réserve, sauf dans la mesure où ces lois sont incompatibles avec la Loi sur les Indiens ou avec d’autres lois fédérales et sous réserve des dispositions de tout traité. En conséquence, aux termes de l’article 88, les membres des Premières Nations qui vivent dans une réserve tombent sous le coup des dispositions législatives relatives à l’aide au revenu de la province ou du territoire en cause, car il s’agit de lois d’application générale. C’est par conséquent pour des raisons de principes plutôt qu’en raison d’obligations qui lui seraient imposées par la loi ou par un traité que le gouvernement du Canada fournit certain services sociaux aux Indiens inscrits. [Souligné dans l’original.]
2. L’EGF et le Guide
[14] Les parties s’entendent pour dire que les droits qui leur sont conférés et les obligations qui leur sont imposées aux termes de l’EGF sont de nature contractuelle et que l’EGF incorpore en fait par renvoi les dispositions du Guide.
[15] L’article 1.1.1 du Guide explique dans les termes suivants les autorisations de financement du gouvernement fédéral :
[traduction]
Les autorisations de dépenser du gouvernement fédéral sont précisées dans les Modalités d’application du Conseil du Trésor du Gouvernement fédéral. Les modalités de l’autorisation actuelle de dépenser du Conseil du Trésor en matière d’aide au revenu prévoient notamment ce qui suit :
« Objectifs : fournir une aide financière aux personnes démunies qui habitent dans les réserves indiennes afin de :
· satisfaire à leurs besoins quotidiens de base;
et
· fournir des programmes de soutien sociaux aux personnes atteintes d’incapacités, de maladies chroniques ainsi qu’aux personnes handicapées qui satisfont à leurs besoins à un degré raisonnablement comparable à celui en vigueur dans la province ou le territoire où elles habitent. »
et
« Pour être admissibles au financement aux termes de cette autorisation de subvention, les bénéficiaires doivent, pour obtenir l’aide au revenu :
· Être dans le besoin de soutien social de base (tel que défini dans les critères relatifs au montant des prestations et aux critères d’admissibilité de la province ou du territoire de résidence et confirmé par une évaluation portant sur l’employabilité, la composition et l’âge de la famille ainsi que les ressources financières dont le ménage dispose);
· résider ordinairement dans la réserve, sauf dans le cas des territoires de la réserve désignés en vue de la location commerciale;
et
avoir un besoin démontré d’aide au revenu et confirmer n’avoir aucune autre source de financement pour subvenir à ces besoins. »
Bien que l’obligation administrative de fournir l’aide au revenu puisse être assignée à une Première nation, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) demeure tenu envers le gouvernement du Canada et les peuples autochtones de s’assurer que la politique du MAINC sur l’aide au revenu est respectée et que les prestations et les taux autorisés sont conformes à ceux qui sont prévus par la politique applicable.
[16] La partie E de l’EGF précise, à son article 5.1.2, les exigences en matière de prestation de services et de présentation de rapports du Programme d’aide au revenu. En voici le texte :
Exigences de prestation :
Le Conseil s'engage à :
a) administrer les fonds d'aide au revenu de façon à remplir les besoins essentiels et spéciaux conformément aux normes régissant le programme, qui sont énoncées dans la version courante du Manuel de politiques et de procédures régionales du MAINC en matière d’aide au revenu;
b) participer au programme conformément à la politique du MAINC.
Exigences des rapports :
Le Conseil doit présenter des rapports mensuels sur les programmes d'aide au revenu en utilisant les formulaires, le format et les définitions indiqués dans la version courante du Manuel de politiques et de procédures régionales du MAINC en matière d’aide au revenu; (Voir dans le GPRB - Rapport(s) mensuel(s) sur l'aide au revenu - ICD 479818, 479782, 479814)
[17] L’article 10.2.3 du Guide fixe les délais dans lesquels les formules et les rapports doivent être soumis au MAINC. La Première nation assujettie à une EGF est tenue de soumettre des formulaires de décisions budgétaires, des feuilles d’affichage de la bande et un bilan comptable sommaire de la bande dans les 15 jours ouvrables suivant la fin de chaque mois. Tout document que le MAINC renvoie à une Première nation doit être corrigé par celle-ci et être retourné au MAINC dans un délai de 30 jours.
[18] L’article 10.2.3 du Guide oblige le MAINC à retourner à la Première nation les pièces à l’appui, dossiers d’affichage et feuilles de résumés dans les 30 jours de la fin du processus d’examen et d’approbation. Bien que le Guide ne précise pas le délai dans lequel le MAINC doit compléter son examen, le MAINC explique qu’il s’efforce de respecter un délai normal de 30 jours pour examiner les factures et autres pièces à l’appui soumises par une Première nation. Suivant le témoignage des représentants du MAINC, cette norme n’est pas toujours respectée en raison de divers facteurs, dont la disponibilité du personnel du MAINC et la qualité des pièces soumises à son examen. Le MAINC doit, dans un délai de 30 jours, retourner à une Première nation tout document qui lui a été soumis à nouveau.
[19] La partie B de l’EGF renferme des modalités générales, y compris des dispositions en cas de défaut. Les articles 4.1, 4.2 et 4.3 disposent :
4.1 Le Conseil sera en défaut de la présente entente dans les cas suivants :
a) le Conseil ne respecte pas les conditions de la présente entente et de toute autre entente entre le Conseil et le Ministre;
b) le vérificateur choisi par le Conseil donne une opinion défavorable ou se récuse à donner une opinion au sujet des états financiers du Conseil, dans le cadre de la vérification entreprise en vertu des paragraphes 2.4.3 ou 2.4.4 de la Partie B de la présente entente ou d'une entente précédente;
c) les états financiers consolidés vérifiés du Conseil, préparés conformément à la présente entente ou à l'entente précédente, indiquent que le Conseil a accumulé un déficit opérationnel équivalent à huit pour cent (8 %) ou plus du
total de ses revenus annuels totaux provenant des activités de fonctionnement; ou
d) la santé, la sécurité ou le bien-être des membres de la Première nation sont mis en péril.
4.2 En cas de manquement du Conseil, les parties communiqueront ou se réuniront afin d'examiner la situation.
4.3 Nonobstant l’article 4.2, en cas de manquement du Conseil aux termes de la présente entente, le Ministre peut adopter une ou plusieurs des mesures de redressement suivantes qu'il estimera raisonnablement nécessaires, compte tenu de la nature et de l'importance du manquement :
a) exiger du Conseil l'élaboration et la mise en œuvre d'un plan de redressement dans les soixante (60) jours civils, ou dans un autre délai convenu par les parties et précisé par écrit;
b) exiger du Conseil la conclusion d'une entente de cogestion avec un co‑gestionnaire;
c) nommer, sur présentation d'un avis au Conseil, un séquestre-administrateur;
d) retenir les fonds qui seraient autrement payés en application de la présente entente;
e) obliger le Conseil à prendre toute autre mesure raisonnable jugée nécessaire pour corriger le manquement;
f) prendre toute autre mesure raisonnable que le Ministre juge nécessaire; ou
g) résilier la présente entente.
[Non souligné dans l’original.]
3. Les faits
[20] Pour examiner comme il se doit les arguments opposés des parties, il est nécessaire de les situer dans le contexte des faits à l’origine de la décision contestée.
[21] Ermineskin a effectivement soumis au MAINC des rapports mensuels des dépenses qu’elle avait effectuées dans le cadre du Programme d’aide au revenu. Suivant le MAINC, ces rapports auraient été soumis aux dates suivantes :
Mois |
Date |
avril |
31 mai 2007 |
mai |
25 juillet 2007 |
juin |
10 août 2007 |
juillet |
20 août 2007 |
août |
17 septembre 2007 |
septembre |
16 octobre 2007 |
[22] Les éléments de preuve soumis par Ermineskin vont dans l’ensemble dans le même sens (voir le paragraphe 9 de l’affidavit de M. Craig Makinaw). On peut comprendre qu’Ermineskin ait été confrontée à des retards et à certaines difficultés alors qu’elle passait à un régime d’aide au revenu qui était administré différemment.
[23] Le 27 juillet 2007, le MAINC a fait part à Ermineskin d’un certain nombre de préoccupations au sujet de la reddition de comptes et de problèmes d’ordre général concernant le programme. Le MAINC a rappelé à Ermineskin qu’elle devait produire certains documents au plus tard le quinzième jour du mois suivant. Les rapports des mois d’avril et de mai avaient été produits en retard et celui du mois de juin n’avait pas encore été soumis. Le MAINC a pris acte du fait que les dépenses déclarées par Ermineskin pour le mois d’avril s’élevaient à 381 705 $. Elle a toutefois informé Ermineskin que 98 816 $ avaient déjà été déduits en raison [traduction] « d’erreurs dans l’application des politiques et d’erreurs administratives » et que la somme déduite pouvait être encore plus élevée lorsque le MAINC aurait terminé son examen. La [traduction] « principale erreur » signalée par le MAINC était l’absence de signature des agents chargés du traitement de cas et des clients. Le MAINC a rappelé que toutes les formules devaient être signées par les deux parties avant que des prestations puissent être versées en vertu du Programme d’aide au revenu. Le MAINC a laissé entendre qu’une formation complémentaire pouvait s’avérer nécessaire en ce qui concerne la présentation des factures.
[24] Le MAINC a également signalé qu’il avait entrepris un examen préliminaire du rapport du mois de mai. Là encore, le MAINC a relevé plusieurs erreurs et omissions de la part d’Ermineskin. Le MAINC a conclu que les factures du mois de mai étaient inacceptables et il les a retournées à Ermineskin pour qu’elle les corrige et les lui soumette à nouveau.
[25] Le 8 août 2007, le MAINC a transmis à Ermineskin son rapport officiel d’examen du programme d’aide au revenu pour le mois d’avril. Le MAINC a accepté la facture soumise par Ermineskin, mais a réduit de 134 884,16 $ le remboursement réclamé en raison des erreurs commises par Ermineskin dans la comptabilisation des montants et dans l’application des politiques. Une feuille de commentaires a été soumise à Ermineskin avec [traduction] « des renseignements complémentaires au sujet des déductions et des changements apportés à votre dossier financier ».
[26] Le 28 septembre 2007, Ermineskin a soumis au MAINC une version corrigée de son rapport du mois d’avril.
[27] Le 3 octobre 2007, le MAINC a confirmé par lettre ses rencontres du 28 septembre et du 2 octobre 2007 avec Ermineskin. Le MAINC a également confirmé que ses représentants organiseraient chez Ermineskin, le jeudi 4 octobre 2007, une séance de formation avec les responsables de l’aide au revenu au sujet du rapport de mai.
[28] Le 4 octobre 2007, le MAINC a écrit de nouveau à Ermineskin au sujet de sa rencontre du 28 septembre 2007. Le MAINC a rappelé son engagement à rencontrer Ermineskin sur place pour travailler en collaboration avec la Première nation et pour lui offrir de la formation. Cette mesure comprendrait l’élaboration d’un « plan d’action » pour les questions qui posaient problème, dont celles relatives aux formules non signées. Une lettre distincte devait être envoyée au sujet de l’examen des factures d’avril.
[29] La lettre en question a été envoyée le 5 octobre 2007. Le MAINC a signalé que l’examen complémentaire des pièces recorrigées d’avril révélait que certains points n’étaient toujours pas réglés, comme les taux incorrects, l’absence de signature des clients ou des autorités compétentes sur les factures, et l’absence de dates sur les formulaires de décisions budgétaires. Le MAINC a également signalé que son personnel avait pris des dispositions pour se rendre sur place le 2 octobre 2007 pour offrir une formation et pour obtenir des éclaircissements. Toutefois, lorsque les membres du personnel du MAINC sont arrivés sur place, on leur a dit de mettre leur demande par écrit. Une fois mise par écrit, leur demande a été refusée parce que les membres du personnel Ermineskin étaient censés être en vacances le 4 octobre 2007. Dans sa lettre, le MAINC a fait observer que [traduction] « en pareil cas, la pratique suivie au niveau régional consiste à retourner toutes les factures inacceptables à la Première nation pour les faire corriger par son personnel. Cette façon de procéder ne serait cependant pas conforme à notre engagement de travailler en collaboration avec la tribu d’Ermineskin pour conclure le processus de révision. J’ai en conséquence donné pour directives au personnel régional de faire le nécessaire pour travailler en collaboration avec le personnel de la tribu d’Ermineskin chargé de l’aide au revenu en vue d’entreprendre un examen sur place des dossiers au cours de la semaine du 15 au 19 octobre 2007 pour s’assurer que les données soient suffisamment fiables pour qu’on puisse mener à terme le processus d’examen ».
[30] Le 19 octobre 2007, le MAINC a informé Ermineskin qu’il avait révisé les corrections soumises par Ermineskin le 28 septembre 2007 relativement au mois d’avril. Le MAINC a toutefois signalé [traduction] « les mêmes erreurs que celles relevées dans votre premier document ». Le MAINC a informé Ermineskin qu’après avoir révisé à peu près la moitié des chiffres qu’elle avait soumis, seulement 3 403,07 $ de la somme de 131 912,16 $ dont elle demandait le remboursement [traduction] « était réalisée ». Le MAINC réclamait également des renseignements au sujet de l’allocation mensuelle de subsistance versée aux membres d’Ermineskin. Le MAINC a recommandé que les autres formules soient « examinées conjointement sur place » avec le personnel d’Ermineskin. Après avoir signalé que le financement relatif à la prestation des services prévus à l’EGF permettait à Ermineskin de recruter du personnel qualifié pour administrer le Programme d’aide au revenu, le MAINC a expliqué qu’il s’attendait à ce que le personnel d’Ermineskin [traduction] « participe aux séances de formation offertes dans le cadre du Programme d’aide au revenus en vue d’améliorer les compétences du personnel en matière d’administration et de prestation de services ».
[31] Le 23 octobre 2007, une rencontre a eu lieu entre le MAINC et Ermineskin. À l’époque, il a été convenu que des membres du personnel du MAINC seraient présents et participeraient à un examen « sur place » des documents soumis par Ermineskin à MAINC pour le mois d’avril. Une fois achevés cet examen et la rencontre de suivi, toute somme impayée serait versée ou réclamée à Ermineskin.
[32] Entre le 30 octobre et le 8 novembre 2007, le personnel du MAINC a procédé à un examen sur place à la réserve d’Ermineskin. Cet examen a nécessité plus de cinq jours ouvrables. Le personnel d’Ermineskin a été invité à participer à l’examen et des membres du personnel d’Ermineskin ont effectivement pris part à l’examen pendant environ cinq des 41 heures ouvrables.
[33] Le 22 novembre 2007, le MAINC a informé Ermineskin de l’issue de l’examen des dossiers. Le MAINC a expliqué que :
- Il avait de [traduction] « sérieuses réserves » au sujet de la façon dont le Programme d’aide au revenu était exécuté;
- Il était convaincu que [traduction] « très peu de dossiers » étaient acceptables et donnaient droit à un remboursement;
- l’administration du Programme d’aide au revenu comportait [traduction] « de graves lacunes ».
[34] Le MAINC a joint deux annexes dans lesquelles il a exposé ses réserves. Ces réserves découlaient des documents soumis par Ermineskin pour les mois d’avril et de septembre. Le MAINC a plus précisément signalé que, sur les plus de neuf cents demandes qu’il avait examinées, seulement neuf avaient été remplies correctement. Le MAINC a expliqué que la formule de demande [traduction] « est le document sur lequel nous nous appuyons pour déterminer l’admissibilité et le droit à des prestations » et que [traduction] « une demande correctement remplie et signée est une des conditions préalables à remplir pour pouvoir recevoir des prestations ».
[35] Le MAINC a également informé Ermineskin que le Programme d’aide au revenu n’était pas exécuté conformément à l’EGF et qu’Ermineskin était en défaut de respecter celle-ci. Le MAINC a sommé Ermineskin de trouver et d’engager sans délai un consultant pour former son personnel et pour surveiller l’exécution du programme. Le MAINC a demandé qu’Ermineskin l’informe au plus tard le 6 décembre 2007 de l’identité de cette personne, dont il approuverait le choix.
[36] Le MAINC a également informé Ermineskin qu’il suspendait tout financement prévu par le Programme d’aide au revenu [traduction] « tant que nous n’aurons pas reçu des rapports convenables qui assureront une saine gestion du programme ».
[37] Le 23 novembre 2007, Ermineskin a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du MAINC de suspendre le financement prévu par le Programme d’aide au revenu.
4. Norme de contrôle applicable à la décision du 22 novembre 2007
[38] Ermineskin a fait valoir lors des débats que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Citant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, [2008] A.C.S. no 9 (QL), Ermineskin explique que l’interprétation du droit est toujours contextuelle et que les tribunaux doivent, dans le cas d’une question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre, continuer de substituer à la décision rendue celle qu’ils estiment constituer la bonne (Dunsmuir, aux paragraphes 74 et 60). Suivant Ermineskin, la question soumise à la Cour est strictement « constitutionnelle et contractuelle » étant donné qu’elle porte sur l’interprétation du Traité no 6 et sur l’EGF. La décision du délégué du ministre devrait par conséquent être assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte.
[39] Suivant Ermineskin, la présente affaire est analogue à celle qu’analysait la juge Deschamps au paragraphe 168 de l’arrêt Dunsmuir. Plus précisément, le délégué du ministre n’aurait aucune expertise en matière d’interprétation des traités ou des contrats et la question en litige serait exclusivement une question de droit. La Cour n’aurait donc pas à faire preuve de retenue en l’espèce.
[40] Le ministre soutient que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle de la décision.
[41] Pour les motifs qui suivent, je conclus que c’est effectivement la norme de la décision raisonnable qui s’applique au contrôle de la décision.
[42] Premièrement, l’arrêt Dunsmuir nous enseigne qu’il faut vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier (Dunsmuir, aux paragraphes 57 et 62). Dans le jugement Première Nation Pikangikum c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2002] A.C.F. no 1701 (QL), au paragraphe 85, la Cour a examiné la question de la norme de contrôle applicable à la décision du ministre de désigner un cogestionnaire pour l’exécution d’une EGF. Après avoir examiné les facteurs pertinents, la Cour a conclu que la décision du ministre ne devait être modifiée que si elle était manifestement déraisonnable. À mon avis, c’est à bon droit que la Cour a estimé qu’il convenait de faire preuve de retenue à l’égard de telles décisions.
[43] En second lieu, j’ai tenu compte des facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada aux paragraphes 55 et 64 de l’arrêt Dunsmuir. Je constate notamment que, dans le cas qui nous occupe, la décision n’est pas protégée par une clause privative, que la question porte sur le pouvoir discrétionnaire du ministre de permettre à une Première nation d’administrer un programme financé par l’État, que le ministre a acquis une expertise en travaillant en collaboration avec les Premières Nations et en administrant des programmes d’aide, et que la question de l’existence de tout manquement à l’EGF est une question mixte de fait et de droit qui est très fortement influencée par les faits. Considérés globalement, ces facteurs donnent à penser que la norme applicable est celle de la décision raisonnable.
5. Le MAINC a-t-il procédé à l’examen des dossiers conformément aux modalités de l’EGF et du Guide?
[44] Une grande partie de la thèse d’Ermineskin repose sur son argument que le MAINC a convenu, lors de la rencontre du 23 octobre 2007, de procéder à une « révision générale » de toutes les sommes réclamées par Ermineskin au titre de l’aide au revenu à la fin de septembre 2007, et que l’examen sur place qui s’en est suivi était en fait une révision de programme. Ermineskin en déduit que le MAINC n’a pas suivi la procédure prescrite à l’article 10.3 du Guide et à l’annexe C du « Programme d’aide au revenu – Manuel national » (le Manuel national). Ermineskin soutient plus particulièrement que, contrairement à la procédure prévue, le MAINC ne lui a pas communiqué les résultats préliminaires de l’examen, non plus qu’un rapport final de l’examen ou un plan de mesures correctives. Ermineskin n’a donc pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées au sujet de la révision du programme.
[45] Le ministre répond qu’aucune « révision de programme » n’a eu lieu. Le MAINC explique plutôt que l’on a procédé à un « examen sur place des dossiers » et que la procédure prévue par le Guide et par le Manuel national ne s’appliquait pas. Le ministre rétorque également que la question ne se pose pas parce que le présent contrôle judiciaire ne vise que la décision du 22 novembre 2007 et non le bien-fondé d’une quelconque présumée révision de programme. Le ministre répond enfin à titre subsidiaire que les exigences du Guide et du Manuel national ont été respectées.
[46] Compte tenu de l’importance qu’Ermineskin accorde à cette question, et de sa pertinence en ce qui concerne l’argument d’Ermineskin qu’on ne lui a pas accordé la possibilité de répondre aux préoccupations du MAINC, j’estime que cette question doit être jugée sur le fond.
[47] Ermineskin signale les éléments de preuve suivants qui appuient son argument qu’une révision de programme en bonne et due forme a eu lieu :
· Le contre-interrogatoire de K. Chipeniuk, coordonnateur du développement des compétences au MAINC. M. Chipeniuk est d’accord avec l’avocat d’Ermineskin pour dire qu’une révision de programme a été effectuée dans le cas qui nous occupe.
· Les annexes 5, 6, 7, 8 et 9 du contre-interrogatoire de Y. Attobrah (datées respectivement du 13 septembre 2007, 10 septembre 2007, 25 septembre 2007, 27 septembre 2007 et 1er octobre 2007). Ces documents consistent en courriels internes du MAINC et en une note rédigée par Mme Attobrah. Dans ces documents, Mme Attobrah explique qu’elle souhaite qu’il y ait une révision de programme, et propose des solutions à envisager, dont une révision de programme sur place. Dans ces documents, M. Chipeniuk parle aussi du consensus général au sujet de la nécessité d’une nouvelle vérification, Mme Attobrah rappelle la nécessité d’une révision de programme et Mme Attobrah rappelle que, lors de la rencontre du 28 septembre 2007 avec Ermineskin, on s’est engagé à [traduction] « procéder à une révision de programme et à offrir une formation complémentaire au personnel ».
[48] J’ai attentivement examiné ces éléments de preuve.
[49] L’accord apparent de M. Chipeniuk avec la suggestion de procéder à une révision de programme en bonne et due forme doit être examiné en tenant compte de :
· son témoignage qu’il n’était pas chef d’équipe lors de l’examen effectué à la fin d’octobre et au début de novembre 2007;
· son témoignage qu’il n’avait été directement chargé de conseiller et d’encadrer les membres du personnel du MAINC qui travaillaient avec Ermineskin que pour la période de la mi-mai à la mi-août 2007;
· son courriel du 25 septembre 2007 (annexe 7 de l’interrogatoire de Mme Attobrah), confirmant qu’à cette date, il ne jouait aucun rôle en ce qui concerne l’exécution du programme.
[50] Les extraits du contre-interrogatoire de Mme Attobrah et des annexes qui y sont jointes qu’Ermineskin invoque doivent être situés dans leur contexte; ils portent en effet tous sur la période antérieure à la rencontre du 23 octobre 2007 au cours de laquelle une entente a été conclue au sujet de l’examen sur place (paragraphe 31).
[51] L’annexe 9, en l’occurrence le courriel du 1er octobre 2007 de Mme Attobrah à son superviseur, confirme effectivement que, lors de la rencontre du 28 septembre 2007, on s’est engagé envers Ermineskin à procéder à une révision de programme. Fait intéressant, ni la lettre du 3 octobre 2007 ni celle du 4 octobre 2007 adressée par le MAINC à Ermineskin à la suite de cette rencontre ne renferment d’allusion à une quelconque révision de programme.
[52] La lettre du 3 octobre 2007 était ainsi libellée :
[traduction]
Pour donner suite à l’engagement pris lors de la rencontre du 28 septembre 2007, des agents de programmes sociaux du MAINC offriront le 4 octobre 2007 une séance de formation avec les responsables de l’aide au revenu au sujet du rapport de mai. Nous espérons que, grâce à cette formation complémentaire, les factures que vous soumettrez pour septembre et pour les mois suivants respecteront les règles de présentation exigées. Nous espérons aussi réduire sensiblement les déductions effectuées en raison d’erreurs administratives ou d’erreurs dans l’application des politiques. De plus, l’agente de programmes sociaux Yaa Attobrah rencontrera le directeur de l’aide au revenu ainsi que le coordonnateur de l’aide à la vie au sujet du programme d’aide à la vie autonome. [Non souligné dans l’original.]
[53] La lettre du 4 octobre 2007 était ainsi libellée :
[traduction]
En ce qui concerne les programmes sociaux, vous recevrez une lettre distincte. Voici toutefois quelques-uns des principaux points qui ont été discutés :
• les factures d’avril et de mai 2007 seront examinées et Ermineskin sera informé du résultat de cet examen d’ici le 5 octobre 2007.
• Les factures des mois subséquents seront examinées en temps opportun avec celles du mois de mai et Ermineskin sera de nouveau contactée au sujet des résultats de cet examen.
• Le MAINC s’est engagé à rencontrer Ermineskin sur place pour travailler en collaboration avec la Première nation et pour lui offrir de la formation. Cette mesure comprendrait l’élaboration d’un « plan d’action » pour les questions qui posent problème.
• Parmi les problèmes suscités par les factures déjà examinées, mentionnons l’absence de signature sur les formulaires de décisions budgétaires et les éclaircissements à donner au sujet des allocations par tête. [Non souligné dans l’original.]
[54] Ce qui est certain, c’est que l’examen qui avait été prévu pour le 4 octobre 2007 lors de la rencontre du 28 septembre 2007 n’a jamais eu lieu. Le MAINC explique ce qui s’est passé dans sa lettre du 5 octobre 2007 :
[traduction]
Yaa Attobrah et Pauline White, agentes de développement social, ont téléphoné et parlé à Mme Yvonne Babich, directrice intérimaire du Programme d’aide au revenu le jeudi 2 octobre 2007 en après-midi. Mme Attobrah a expliqué qu’elle et Mme White souhaitaient se rendre sur place au cours de l’après-midi pour donner une formation et obtenir des éclaircissements au sujet des factures en raison des difficultés que nous avions en ce qui concerne l’examen des factures d’avril. Elle a accédé à notre requête.
Toutefois, lorsque Mmes Attobrah et White sont arrivées au bureau des services d’aide au revenu de la tribu d’Ermineskin, Mme Babich leur a fait savoir que le conseiller Craig Mackinaw et Mme May Ermineskin voulaient les rencontrer avant d’aller plus loin. Mmes Attobrah et White sont allées au bureau de Mme Ermineskin et lui ont fait part de certains problèmes concernant les formulaires de décisions budgétaires et le besoin d’obtenir des éclaircissements et de donner de la formation au personnel. Mme May Ermineskin leur a demandé de mettre cette demande par écrit parce qu’elle devait en faire part au Conseil, étant donné que cet engagement ne faisait pas partie de ceux qui avaient été pris lors de la rencontre du 28 septembre 2007.
Notre demande a été communiquée dans une lettre datée du 3 octobre 2007. Le même jour, nous avons reçu par télécopieur une réponse du conseiller Craig Mackinaw nous informant que leur personnel ne serait pas disponible pour une formation le 4 octobre 2007 en raison des vacances, ce qui n’était pas prévu parce que la rencontre du 4 octobre avec la directrice par intérim de l’aide au revenu et avec le coordonnateur de l’aide à la vie autonome avait été planifiée le 28 septembre 2007 avec Mme White. Au cours de nos discussions, le 28 septembre 2007, l’idée d’offrir de l’aide et de la formation sur place ne semblait pas poser problème.
[55] Le 19 octobre 2007, le MAINC a écrit de nouveau à Ermineskin. Le MAINC a recommandé que l’on procède [traduction] « à un examen conjoint sur place avec des fonctionnaires du MAINC et du personnel de l’aide au revenu des 50 pour 100 restants de formulaires de décisions budgétaires ».
[56] Cette lettre a été suivie par la rencontre du 23 octobre 2007 entre les fonctionnaires du MAINC et Ermineskin. Mme Attobrah était présente lors de cette rencontre. Elle a expliqué qu’à la demande d’Ermineskin, il avait été convenu qu’on procéderait à un « examen conjoint sur place ». Mme Attobrah a aussi expliqué que l’examen en question n’équivalait pas à une « révision de programme » parce que ces examens [traduction] « ne sont pas conjoints » et que [traduction] « la procédure est différente ». Suivant Mme Attobrah, l’examen en question faisait suite à la rencontre du 23 octobre 2007 et ressemblait à d’autres examens qui avaient été entrepris avec d’autres Premières Nations. Ces examens étaient censés être fondés « de façon informelle » sur les rapports généraux existants entre le MAINC et les Premières Nations chargées d’administrer le programme.
[57] Le témoignage de Mme Attobrah sur ce point n’a pas été attaqué en contre-interrogatoire. Son témoignage est également compatible avec :
· La lettre du 2 novembre 2007 par laquelle le MAINC confirmait plusieurs des points convenus lors de la rencontre du 23 octobre 2007 avec Ermineskin. Les extraits suivants sont pertinents :
• Le personnel du MAINC effectuera un examen sur place des dossiers avec le personnel de l’aide au revenu de la tribu d’Ermineskin.
• Une rencontre sera fixée une fois l’examen terminé pour justifier et finaliser les mouvements de trésorerie annuels requis.
• Une fois achevés cet examen et la rencontre de suivi, toute somme impayée serait versée ou réclamée à Ermineskin.
· La lettre du 9 novembre 2007 adressée au MAINC dans laquelle Ermineskin rappelait que [traduction] « l’entente conclue avec MAINC prévoyait qu’on enverrait des fonctionnaires sur place pour examiner les dossiers et pour aider Ermineskin en examinant toutes les sommes réclamées pour les mois d’avril, mai, juin, juillet, août et septembre 2007 dans les 30 jours »;
· La version provisoire d’un document intitulé [traduction] « Instructions concernant le Programme d’aide au revenu de la tribu d’Ermineskin » qui a été rédigé le 16 novembre 2007;
· La lettre du 22 novembre 2007 dans laquelle le MAINC fait allusion au fait qu’il avait été convenu lors de la rencontre du 23 octobre 2007 que [traduction] « l’examen sur place doit être effectué conjointement avec le personnel de l’aide au revenu de la tribu d’Ermineskin ».
[58] Suivant le témoignage donné par Mme Attobrah lors de son contre-interrogatoire et confirmé par les quatre documents susmentionnés (dont celui envoyé par Ermineskin), je conclus que le MAINC ne s’est pas engagé le 23 octobre 2007 à effectuer une révision de programme en bonne et due forme et qu’il n’était donc pas tenu de se conformer à l’article 10.3 du Guide et à l’annexe C du Manuel national. Le MAINC a plutôt effectué un examen informel des dossiers d’Ermineskin conformément à ce que les parties avaient convenu, examen qui était censé être effectué de façon conjointe.
6. La décision du 22 novembre 2007 était-elle raisonnable?
[59] Il y a deux aspects de cette décision à examiner. Il convient en premier lieu de se demander si le ministre a agi de façon raisonnable en concluant que [traduction] « le programme n’est pas exécuté en conformité avec les modalités d’exécution prévues à l’article 5.1.2 de l’EGF et, en conséquence, aux termes de l’alinéa 4.1a), Ermineskin est en défaut de respecter l’EGF 2007-2008 ». En second lieu, si Ermineskin est en défaut, le choix de réparation du ministre était-il raisonnable?
[60] Par souci de commodité, les dispositions de l’article 5.1.2 de la partie E de l’EGF, de l’alinéa 4.1a) et de l’article 4.3 de la partie B de l’EGF sont reproduites de nouveau :
5.1.2
Exigences de prestation :
Le Conseil s'engage à :
a) administrer les fonds d'aide au revenu de façon à remplir les besoins essentiels et spéciaux conformément aux normes régissant le programme, qui sont énoncées dans la version courante du Manuel de politiques et de procédures régionales du MAINC en matière d’aide au revenu; et
b) participer au programme conformément à la politique du MAINC.
Exigences des rapports :
Le Conseil doit présenter des rapports mensuels sur les programmes d'aide au revenu en utilisant les formulaires, le format et les définitions indiqués dans la version courante du Manuel de politiques et de procédures régionales du MAINC en matière d’aide au revenu; (Voir dans le GPRB - Rapport(s) mensuel(s) sur l'aide au revenu - ICD 479818, 479782, 479814)
4.1 Le Conseil sera en défaut de la présente entente dans les cas suivants:
a) le Conseil ne respecte pas les conditions de la présente entente et de toute autre entente entre le Conseil et le Ministre;
[…]
4.3 Nonobstant la l’article 4.2, en cas de manquement du Conseil aux termes de la présente entente, le Ministre peut adopter une ou plusieurs des mesures de redressement suivantes qu'il estimera raisonnablement nécessaires, compte tenu de la nature et de l'importance du manquement :
a) exiger du Conseil l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan de redressement dans les soixante (60) jours civils, ou dans un autre délai convenu par les parties et précisé par écrit;
b) exiger du Conseil la conclusion d'une entente de cogestion avec un co‑gestionnaire;
c) nommer, sur présentation d'un avis au Conseil, un séquestre-administrateur;
d) retenir les fonds qui seraient autrement payés en application de la présente entente;
e) obliger le Conseil à prendre toute autre mesure raisonnable jugée nécessaire pour corriger le manquement;
f) prendre toute autre mesure raisonnable que le Ministre juge nécessaire; ou
g) résilier la présente entente.
[Non souligné dans l’original.]
[61] Ermineskin est réputée « en défaut » notamment lorsqu’elle ne respecte pas les « conditions de la présente entente », c’est-à-dire de l’EGF. Les « articles d’entente » emploient le terme « entente » pour désigner l’EGF dans son ensemble et l’article 1.1 précise que l'entente se compose des parties A à I. Aux termes de l’alinéa 1.1b) de la partie B, Ermineskin est tenue de se conformer aux exigences en matière de prestation de programmes ou de services et de présentation de rapports qui sont énoncées à la partie E, dans laquelle se trouve l’article 5.1.2 précité.
[62] À mon avis, la conclusion du ministre suivant laquelle le Programme d’aide au revenu n’était pas exécuté conformément à l’article 5.1.2 de la partie E de l’EGF était raisonnable.
[63] Avant d’exposer les éléments de preuve qui m’amènent à cette conclusion, je tiens à signaler que c’est à juste titre qu’Ermineskin relève que la lettre du 22 novembre 2007 est inexacte lorsqu’elle indique que l’article 5.1.2 se trouve dans les Conditions générales (partie B) de l’EGF. Il se trouve plutôt dans la partie E. J’estime toutefois que cette erreur ne tire pas à conséquence. Le seul article de l’EGF qui porte le numéro 5.1.2 se trouve à la partie E. La lettre du 22 novembre 2007 parlait de défaut dans l’exécution du programme. La partie E de l’EGF porte sur les exigences en matière de prestation de programmes ou de services et de présentation de rapports. À mon avis, l’argument qu’Ermineskin n’était pas en mesure de répondre aux allégations de défaut est mal fondé. Lorsqu’on lit la lettre du 22 novembre 2007 comme un tout et que l’on tient compte de ses annexes, on constate que les préoccupations du MAINC sont suffisamment claires.
[64] Pour ce qui est des éléments de preuve se rapportant à la question de savoir si la conclusion tirée au sujet de l’existence d’un défaut était raisonnable, je relève ce qui suit :
· La production des rapports mensuels d’Ermineskin accusait d’importants retards pour les mois d’avril, mai et juin. Les rapports mensuels de juillet, août et septembre accusaient aussi un retard, mais moins important.
· Dans son rapport d’avril, Ermineskin réclamait le remboursement d’un montant de 381 705 $. À la suite de l’examen initial des chiffres soumis par Ermineskin au MAINC, un montant de 98 816 $ a été déduit pour cause d’erreurs administratives et d’erreurs dans l’application des politiques. Parmi les erreurs relevées, mentionnons l’omission de faire signer les formulaires de décisions budgétaires par les clients et par les agents chargés du traitement de cas, l’absence d’avis d’évaluation dans le cas des étudiants adultes et l’insuffisance des pièces justificatives dans le cas des jeunes étudiants. La réduction du montant réclamé a par la suite été portée à 134 884,16 $.
· Le rapport soumis par Ermineskin pour le mois de mai n’était pas acceptable et lui a été retourné le 27 juillet 2008 pour qu’elle le corrige et le soumette de nouveau. Parmi les lacunes relevées, mentionnons l’absence de résumés comptables de la bande, une autre formule manquante, des formulaires de décisions budgétaires non signées, l’inclusion de factures concernant l’apprentissage assisté (elles étaient censées faire l’objet d’un rapport distinct); des prestations de remplacement du revenu qui n’étaient pas inscrites sous la bonne rubrique; aucun avis d’évaluation n’était prévu dans le cas des étudiants adultes et des éclaircissements étaient nécessaires au sujet des formules permanentes de décisions budgétaires.
· L’examen préliminaire du rapport de juillet effectué le 27 septembre 2007 indiquait qu’il restait encore des formulaires de décisions budgétaires non signées et que les données inscrites sur ces formules au sujet des adultes visés par le programme d’aide à la vie autonome étaient inexactes.
· Ermineskin a soumis de nouveau son rapport d’avril le 28 septembre 2007. Le même genre d’erreurs que celles constatées dans le rapport initial y ont été relevées.
· Comme il a déjà été mentionné, l’examen et la séance de formation sur place du 4 octobre 2007 qui avaient été fixés lors de la rencontre du 28 septembre 2007 ont été annulés par Ermineskin.
· Le 19 octobre 2007, le MAINC a communiqué ses conclusions détaillées à la suite de son examen des rapports d’avril soumis de nouveau le 28 septembre 2007. Les erreurs relevées dans le rapport initial étaient toujours présentes. Après avoir examiné la moitié du nouveau rapport, seulement 3 403,07 $ sur un montant potentiel de 131 912,16 $ ont été remboursés. Le personnel du MAINC avait consacré 37,5 heures à examiner la moitié de ce nouveau rapport et avait rédigé une vingtaine de pages de corrections.
· Lors de l’examen sur place, des lacunes ont été relevées au sujet du rapport d’avril. Elles sont résumées à l’annexe B de la lettre du 22 novembre 2007. Parmi les lacunes signalées, mentionnons le fait que 341 formulaires de décisions budgétaires ne portaient ni date ni signature, que les formulaires de décisions budgétaires étaient incomplets, ce qui laissaient non résolues des questions relatives aux revenus et aux actifs, que des paiements pour des services publics étaient inclus dans les services réclamés par les clients alors que ces services n’avaient pas été fournis aux clients en question, que les frais relatifs aux services fournis aux adultes avaient été incorrectement inscrits dans les factures relatives à l’aide au revenu, que des clients qui étaient censés travailler et qui travaillaient à temps plein ou à temps partiel n’avaient (sauf deux des vingt-six personnes en cause) déclaré aucune ressource et que certains clients n’avaient pas subi d’évaluation de l’aptitude au travail (une étape nécessaire à franchir avant de pouvoir prendre une décision au sujet de l’admissibilité et du versement de prestations).
· Lors de l’examen sur place, après que l’examen des dossiers d’avril eut été terminé, on a décidé d’examiner les documents de septembre parce que le personnel d’Ermineskin avait fait savoir que des modifications avaient été apportées au système, de sorte que l’on s’attendait à ce que les pièces soumises pour le mois en cours soient d’une meilleure qualité. Un résumé des conclusions de l’examen sur place des rapports de septembre se trouve à l’annexe A de la lettre du 22 novembre 2007. Parmi les lacunes relevées, mentionnons le fait que les renseignements consignés au sujet des revenus et des actifs étaient incomplets, que les renseignements communiqués au sujet des emplois antérieurs et actuels, des coûts de logement, et du nombre de personnes par maison et que les renseignements contenus dans les formulaires de décisions budgétaires n’étaient pas compatibles avec ceux inscrits dans les formules de demande d’aide.
· Lors de l’examen sur place, les formules de demande ont été examinées pour la première fois. Sur les 910 formules de demande des clients qui, en tout et partout, ont été examinées, seulement neuf portaient la signature du client et de l’agent chargé du traitement de cas. Dans le cas des autres formules, la demande n’était signée que par le client ou ne comportait aucune signature, et/ou les renseignements inscrits sur la formule étaient inexacts. L’article 2.3.2 du Guide traite de la procédure à suivre pour déterminer l’admissibilité. Il prévoit ce qui suit :
[traduction]
La formule de demande est un document légal dont le requérant et l’autorité compétente se servent pour conclure un accord contractuel aux termes duquel chacune des parties a des droits et des obligations.
Une personne ne peut recevoir de l’aide qu’après avoir dûment rempli et signé en présence de témoins une formule de demande d’aide au revenu.
Le requérant doit répondre à chacune des questions de la formule de demande d’aide au revenu et indiquer « NÉANT » lorsque la question ne le concerne pas.
· À la suite de l’examen des documents soumis pour le mois d’avril qui a été effectué sur place, le financement mensuel n’a été justifié qu’à hauteur de 63 066 $ pour une période de 12 mois, pour un total de 756 792 $, alors qu’un budget de 1 911 661 $ avait été prévu pour Ermineskin.
[65] Ermineskin ne s’en prend pas à la substance de ces éléments de preuve, sauf sous un rapport. Elle affirme en effet que le Programme d’aide au revenu n’exige pas que les formules de demande soient signées par agents chargés du traitement de cas. Ermineskin affirme que la constatation de défaut du ministre est sans fondement. Le ministre rétorque que ces formules sont « essentielles » pour se prononcer sur l’admissibilité de l’intéressé à des prestations et qu’elles doivent être correctement (et complètement) remplies.
[66] À mon avis, l’argument du ministre suivant lequel les formules de demande doivent être signées par l’agent chargé du traitement de cas trouve appuie dans le Guide :
- L’article 2.3.2 du Guide précise bien que la formule de demande est « un document légal » qui donne naissance à un accord contractuel entre le requérant et Ermineskin. Le requérant ne peut recevoir des prestations [traduction] « qu’après avoir dûment rempli et signé [la formule de demande d’aide au revenu] en présence de témoins ».
- L’article 10.1.1 du Guide exige que chaque dossier renferme une formule de demande [traduction] « dûment remplie et signée par le requérant, son associé le cas échéant et par l’autorité compétente ». Pour l’application de l’EGF, Ermineskin est l’autorité compétente.
[67] Le Guide exige donc que les formules de demande soient dûment « remplies », ce qui implique une signature d’un représentant d’Ermineskin. Outre les raisons juridiques évidentes qui expliquent que l’on insiste pour que les formules de demande soient signées par les agents chargés du traitement de cas, ces signatures visent un autre objectif important, celui de l’imputabilité. Or, Ermineskin s’est expressément engagée à rendre des comptes à l’alinéa 1.1c) de la partie B et de la partie C de l’EGF.
[68] Il ressort d’un bref examen des formules de demande en question que les lacunes signalées ne se limitent pas à de simples signatures omises. On constate qu’on a également omis de divulguer les actifs, d’inscrire le numéro d’Indien inscrit, d’indiquer les adresses précédentes, le nom des programmes de formation ou des employeurs et d’obtenir la signature de témoins.
[69] Ce que je retiens des éléments de preuve précités, c’est le fait que les documents soumis par Ermineskin pour le mois d’avril renfermaient plusieurs erreurs graves. Ces erreurs se sont poursuivies lorsque les rapports d’avril ont été soumis de nouveau. Les rapports du mois de mai ont été retournés à Ermineskin pour qu’elle les corrige en raison des erreurs semblables relevées dans les rapports d’avril. Un examen préliminaire des rapports de juillet révélait que bon nombre des mêmes erreurs s’y retrouvaient. Au moment de l’examen sur place effectué à la fin d’octobre, les problèmes soulevés au sujet des documents d’avril n’avaient pas encore été réglés. Bien qu’Ermineskin ait expliqué que des mesures avaient été prises pour améliorer la qualité de ses documents, des lacunes ont été constatées lors de l’examen préliminaire des documents relatifs au mois de septembre.
[70] Avant la constatation de défaut, le MAINC avait entrepris des démarches pour aider Ermineskin à corriger les erreurs que le MAINC avait relevées au sujet de l’exécution du Programme d’aide au revenu. Le MAINC a offert une première séance de formation et répondu de façon détaillée aux rapports qu’Ermineskin lui avait soumis. Des représentants du MAINC ont assisté à plusieurs rencontres avec Ermineskin au sujet de l’administration du programme. Le personnel du MAINC a tenté de donner un coup de main au personnel d’Ermineskin en participant à un examen conjoint sur place des dossiers. Aux termes de l’EGF, Ermineskin a par ailleurs reçu 544 578 $ expressément pour la prestation de services.
[71] Ermineskin avait toutefois annulé la formation et l’examen sur place prévus pour le 4 octobre 2007. Malgré le fait que l’examen sur place des dossiers effectué à la fin d’octobre 2007 était censé être un examen conjoint, le personnel d’Ermineskin n’a participé à l’examen que pour un total de 5 heures 40 minutes. Le personnel du MAINC a, en revanche, consacré 41 heures à l’examen sur place.
[72] J’estime que la conclusion suivant laquelle Ermineskin était en défaut de respecter les obligations que l’EGF lui imposait était justifiable et intelligible vu l’ensemble de la preuve dont le ministre disposait. Compte tenu des faits portés à la connaissance du ministre et des modalités de l’EGF, cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et elle est donc raisonnable.
[73] Ermineskin relève un élément qui rend selon elle la décision déraisonnable. Elle affirme en effet que la décision est déraisonnable parce que le MAINC n’a pas examiné ses réclamations pour les mois de mai à octobre 2007. Ermineskin soutient qu’elle ne peut être déclarée en défaut sur le fondement de l’examen du rapport d’un seul mois.
[74] À mon avis, cet argument n’est pas appuyé par la preuve. Ainsi qu’il a déjà été expliqué, après avoir examiné le rapport de mai, le MAINC l’a retourné à Ermineskin pour qu’elle le corrige et le lui soumette à nouveau. Le rapport d’avril comportait toujours des lacunes même après avoir été corrigé et soumis de nouveau le 28 septembre 2007. D’autres lacunes ont été constatées lors de l’examen préliminaire du rapport de juillet ainsi que lors de l’examen sur place des documents relatifs au mois de septembre. L’examen sur place a également permis de constater des lacunes dans les formules de demande, qui servaient à déterminer l’admissibilité à l’aide au revenu.
[75] L’examen que le MAINC a effectué des rapports établis par Ermineskin dans le cadre du programme débordait largement le cadre de l’examen du seul rapport d’avril. On ne peut en toute justice conclure que le MAINC n’a examiné que le rapport d’avril pour ensuite appliquer ses conclusions à tous les mois subséquents sans tenir compte du contenu des rapports des mois en question.
[76] Pour ce qui est de la question de savoir si le choix de réparation du ministre était raisonnable, l’article 4.3 de l’EGF lui offrait plusieurs options, y compris celle de résilier l’EGF. Or, la réparation choisie par le ministre a eu pour effet :
· d’obliger Ermineskin à engager un consultant pour former son personnel et pour surveiller l’exécution du programme et à informer le MAINC « au plus tard le 6 décembre 2007 » de l’identité de cette personne, dont le MAINC approuverait le choix;
· d’autoriser un financement de l’ordre de 391 352 $ pour le mois de décembre;
· de suspendre tout financement [traduction] « tant que nous n’aurons pas reçu des rapports convenables qui assureront la reprise d’une saine gestion du programme »;
· de créer un engagement de régler les niveaux de financement pour les mois en question une fois que des [traduction] « renseignements détaillés » auraient été reçus de la part du consultant au sujet de l’admissibilité des bénéficiaires.
[77] Compte tenu de la nature et de l’ampleur du défaut et de l’apparente lenteur à corriger les problèmes soulevés, j’estime que le choix de réparation appartenait aux issues possibles acceptables et qu’il était par conséquent raisonnable.
7. Autres questions
a) Le Traité no 6
[78] Au cours des débats, l’avocat d’Ermineskin a expliqué qu’aucune des stipulations de l’EGF n’avait été jugée contraire aux dispositions du Traité no 6. On a toutefois fait valoir que l’EGF devait être interprété d’une manière compatible avec le Traité no 6, qui obligerait le gouvernement fédéral à verser des prestations d’aide au revenu, tout comme l’EGF. Le fait de s’en tenir à l’examen du rapport d’avril avant de déclarer Ermineskin en défaut irait à l’encontre de l’EGF et, partant, du Traité no 6. Selon Ermineskin, le ministre avait l’obligation d’examiner les documents soumis pour chaque mois.
[79] J’ai déjà traité de l’argument d’Ermineskin suivant lequel le ministre n’avait pas le droit de la déclarer en défaut en se fondant uniquement sur l’examen du rapport d’avril effectué par le MAINC. Cet argument a été rejeté parce qu’il va à l’encontre de l’essentiel de la preuve soumise à la Cour.
[80] Sauf erreur, dans le cadre de la présente instance, Ermineskin ne fonde pas sa demande de prestations d’aide au revenu sur une autre source que l’EGF (et, en droit, elle ne pourrait pas non plus le faire dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise en vertu de l’EGF). Il n’y a donc pas de question distincte à trancher en ce qui concerne les dispositions du Traité no 6.
[81] J’ai par ailleurs examiné attentivement les extraits du jugement du juge Teitelbaum sur lesquels Ermineskin se fonde pour établir le fondement factuel de la prétention qu’elle fait reposer sur le Traité no 6 (en l’occurrence, les paragraphes 105 à 153, 170, 203 et 204 de ce jugement). Pour l’essentiel, ces passages tiennent davantage en une narration des éléments de preuve reçus qu’en des conclusions de fait. Ainsi, au paragraphe 112, le juge Teitelbaum écrit :
Selon Jackes, le troisième jour des pourparlers prit fin après que Mista-wa-sis eut déclaré que les Indiens ne voulaient pas être nourris tous les jours, mais seulement lorsqu’ils commenceraient à pratiquer la culture, et dans les cas de famine ou de calamité. Ah-tuk-a-kup réitéra cette demande, puis demanda un ajournement (S-4, page 213). Morris a inséré dans son rapport une version semblable, encore que tronquée, faisant observer :
[traduction]
Toute la journée a été consacrée à cette discussion de la question alimentaire, et ce fut le moment décisif en ce qui concerne le traité.
Les Indiens étaient remplis d’inquiétude, comme ils l’avaient été depuis quelque temps déjà.
Ils voyaient leur unique moyen de survie, le bison, disparaître. Ils étaient impatients d’apprendre à subvenir à leurs besoins grâce à l’agriculture, mais se sentaient trop ignorants pour y parvenir, et ils redoutaient, durant la période de transition, d’être décimés par la maladie ou la famine – ils avaient déjà souffert terriblement des ravages causés par la rougeole, la scarlatine et la variole.
Il était impossible de les entendre sans intérêt, ils n’étaient pas exigeants, mais ils étaient très inquiets quant à leur avenir, et reconnaissants de voir que, selon les mots de l’un d’eux, « une nouvelle vie s’offrait à eux ».
[82] Parmi les autres éléments de preuve cités par le juge Teitelbaum, mentionnons ceux relatifs au rejet, par le commissaire, de « la demande des Cris concernant les vivres à distribuer aux pauvres, aux aveugles et aux infirmes » (paragraphe 117). À mon humble avis, il faudrait présenter des éléments de preuve supplémentaires pour pouvoir prétendre à l’existence de droits distincts portant sur l’assistance sociale ou l’aide au revenu, droits qui seraient conférés par le Traité no 6.
b) Intitulé de la cause
[83] À l’ouverture de l’audience, j’ai examiné l’argument du ministre suivant lequel la partie défenderesse légitime dans le cas de la présente demande était le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et que ni Sa Majesté la Reine ni tout autre ministère ne pouvaient régulièrement être constitués défendeurs. Les parties ont accepté que la Cour constitue le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien comme défendeur et une ordonnance en ce sens sera rendue.
[84] Le ministre affirme par ailleurs que la défenderesse légitime dans le cas de toute demande fondée sur le Traité no 6 est Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Après avoir examiné les observations des avocats, j’estime que la réponse à la question de savoir si Sa Majesté la Reine du chef du Canada devrait être constituée partie dépend de la réponse que je donne à la question de savoir si le Traité no 6 confère en l’espèce des droits substantiels. Comme je réponds par la négative à cette question, Sa Majesté la Reine du chef du Canada ne sera pas constituée partie à la présente instance.
c) Allocation de subsistance
[85] Il y a un différend au sujet de la question de savoir si l’allocation de subsistance qui a été versée par Ermineskin à ses membres devrait être déduite du calcul des prestations d’aide au revenu. Il y a aussi une question connexe, celle de savoir si les allocations de subsistance qu’Ermineskin a versées directement à la Niwihcihaw Acceptance Corporation au titre de prêts consentis par ses membres devraient aussi être déduites du calcul des prestations d’aide au revenu.
[86] À mon avis, ces questions n’ont pas été régulièrement soumises à la Cour dans le cadre de la présente instance. Ermineskin ne cherche pas à obtenir le contrôle judiciaire de la lettre du 14 juin 2007 dans laquelle le MAINC explique sa position au sujet des allocations par tête (allocations de subsistance) d’Ermineskin et des sommes qu’elle a payées au titre des prêts à rembourser à la Niwihcihaw Acceptance Corporation.
[87] La présente demande de contrôle judiciaire concerne uniquement la légalité de la conclusion du ministre suivant laquelle Ermineskin était en défaut au sens de l’EGF, ainsi que la légalité de sa décision de suspendre le financement prévu par le Programme d’aide au revenu. Le ministre n’a pas fondé sa décision sur l’omission d’Ermineskin d’inclure les allocations par tête ou les allocations de subsistance dans son calcul du revenu des prestataires dans le cadre du Programme d’aide au revenu. La seule allusion à ces questions dans la décision est la demande d’éclaircissements du MAINC au sujet des [traduction] « allocations de subsistance et des allocations par têtes ». Il semble que les éléments de preuve réclamés par le MAINC n’aient été communiqués pour la première fois par Ermineskin que dans le cadre du contrôle judiciaire. À mon avis, les questions entourant les allocations par tête et les allocations de subsistance ne sont pas pertinentes pour trancher la demande dont la Cour est saisie. Il convient par ailleurs de se rappeler qu’Ermineskin ne réclame plus, à juste titre à mon avis, de jugement déclaratoire au sujet de la somme que lui doit MAINC dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ce qui illustre encore plus le fait qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question du traitement de l’allocation de subsistance dans le cadre de la présente demande.
[88] De plus, le ministre s’est dit préoccupé par le fait que les renseignements sur lesquels Ermineskin se fonde à l’appui de ses arguments sur ces questions sont annexés à un affidavit souscrit par un assistant juridique travaillant pour l’avocat d’Ermineskin. Ils n’ont pas été communiqués par un représentant d’Ermineskin qui serait au courant des faits pertinents. Les conséquences de cette manière de procéder ressortent à l’évidence de la transcription du contre‑interrogatoire de l’auteur de l’affidavit :
[traduction]
Q : Encore une fois, pour être bien clair sur ce point, vous ne jouez absolument aucun rôle au sein de la bande en ce qui concerne le programme d’aide au revenu ou le programme d’aide à la vie autonome?
A : C’est exact.
[…]
Q : Savez-vous quelque chose au sujet du contenu des documents, comment –
A : Non.
Q : – les chiffres que l’on trouve dans les documents ont été calculés?
A : Non, je l’ignore.
[89] L’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), prévoit que les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Or, le déclarant n’a pas une connaissance personnelle des faits.
[90] Compte tenu du fait que ces questions ne se rapportent pas aux points litigieux soulevés dans la demande de contrôle judiciaire principale et vu la fragilité de la preuve, je ne tranche pas ces points litigieux contestés.
d) Paragraphe 15(1) de la Charte
[91] Voici ce qu’on lit au sous-alinéa 3.1.2(B)(1)(iii) du Guide :
[traduction]
À compter du 26 juillet 2005, les dons en espèces et les allocations par tête sont exonérés si les conditions suivantes sont réunies :
a. Le montant total combiné de dons en espèces et d’allocations par tête n’excède pas 900 au cours de toute année civile (janvier à décembre) pour chaque membre du ménage (voir exemple 1 et exemple 3 ci-après);
b. le don ou l’allocation par tête est de nature ponctuelle (n’est pas donné ou reçu chaque mois) (voir exemple 2 ci-après);
c. les allocations par tête ne visent pas des revendications particulières (renonciation).
NOTA
Les exonérations d’aide au revenu se rapportant aux allocations par tête portant sur des revendications spécifiques sont en règle générale négociées au cours du processus de règlement des revendications, à moins qu’une demande d’exonération ne soit présentée par écrit par la Première nation au ministre provincial des Ressources humaines et de l’Emploi. Les exonérations sont examinées en vue du règlement des revendications territoriales lorsqu’un règlement est proposé pour réparer un tort causé par le gouvernement.
[92] Ermineskin affirme que cette disposition viole le paragraphe 15(1) de la Charte.
[93] Pour les motifs qui ont été exposés au sujet de la pertinence du différend portant sur l’allocation de subsistance dans le cadre de la présente instance, j’estime que cette question n’a pas été régulièrement soumise à la Cour en l’espèce. En termes simples, la décision en cause ne porte pas sur l’interprétation qu’il convient de donner au sous-alinéa 3.1.2(B)(1)(iii) du Guide.
[94] De plus, les questions relatives à la Charte ne doivent pas être tranchées de manière abstraite (MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 8 et 9).
[95] J’estime que Ermineskin n’a renvoyé la Cour à aucun élément du dossier qui permettrait à celle-ci d’appliquer régulièrement les facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Pour expliquer la présumée atteinte à la Charte, Ermineskin se contente d’affirmer qu’il y a violation. Pour illustrer ce manque de rigueur de la part d’Ermineskin, il suffit de mentionner que ce n’est qu’au cours des débats, en réponse aux questions de la Cour qu’Ermineskin a identifié le groupe de comparaison (les autres Indiens qui reçoivent des allocations par têtes et qui sont payés différemment, de sorte qu’ils sont exonérés aux termes du Guide).
[96] Une question aussi importante ne devrait pas être tranchée sur le fondement du présent dossier.
8. Conclusion et dépens
[97] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[98] Les avocats ont convenu que les dépens devaient suivre l’issue de la cause, et que les faits de l’espèce n’ont pas pour effet de soustraire la présente affaire du champ d’application de l’article 407 des Règles. En conséquence, Ermineskin est condamnée à payer à la défenderesse les dépens du ministre conformément aux modalités ci-après précisées.
JUGEMENT
LA COUR :
1. CONSTITUE le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien défendeur à la présente instance;
2. REJETTE la demande de contrôle judiciaire;
3. CONDAMNE Ermineskin à payer les dépens du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. En cas de désaccord, les dépens seront taxés au maximum de la colonne III du tableau du tarif B des Règles.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2056-07
INTITULÉ : TRIBU D’ERMINESKIN c.
LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Les 28 et 29 mai 2008
DATE DES MOTIFS : Le 16 juin 2008
COMPARUTIONS :
Priscilla Kennedy
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POUR LA DEMANDERESSE |
Michael Roberts |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Davis srl Edmonton (Alberta)
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M. John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LA DÉFENDERESSE |