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Date : 20080526

Dossier : IMM-4188-07

Référence : 2008 CF 657

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2008

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

ELSA TERESA GARAY MOSCOL

ELSA TERESA MOSCOL RAMOS

ADRIANO CRUZ GARAY

JOAQUIN CRUZ GARAY

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR), rendue le 10 septembre 2007, concluant qu’ils n'ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention », ni celle de « personnes à protéger », en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Elsa Teresa Garay Moscol (la demanderesse) et les membres de sa famille (sa mère, Elsa Teresa Moscol Ramos, et ses deux enfants, Adriano Cruz Garay et Joaquin Cruz Garay) sont les demandeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire. Ils sont tous citoyens du Pérou.

 

[3]               La demanderesse fonde sa revendication sur son appartenance à un groupe particulier, celui des femmes victimes de violence, et les autres demandeurs basent leurs demandes d’asile sur la sienne. La demanderesse allègue que son conjoint, Julio Cesar Cruz, un militaire à la retraite et le père de ses deux enfants, l’aurait agressé physiquement et psychologiquement en plus de la menacer de mort. Ce dernier aurait aussi été violent envers le demandeur Joaquin ainsi qu’envers la mère de la demanderesse.

 

[4]               La demanderesse a quitté le Pérou le 5 juillet 2005 en compagnie de sa mère et de ses deux enfants. Les demandeurs se sont rendus aux États-Unis le jour suivant et arrivèrent au Canada le 7 juillet 2005.

 

[5]               La SPR a conclu qu’elle « ne peut faire droit à la demande d’asile de la [demanderesse] principale, car elle n’est pas une personne crédible, son histoire a tout simplement été inventée pour servir les fins de sa demande. » Après avoir considéré et commenté les principaux éléments de l’ensemble de preuve testimoniale et documentaire, et avoir mis en relief les contradictions entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse, son témoignage devant l'agent d'immigration au point d’entrée et son témoignage à l'audience, la SPR a rejeté la demande d'asile des demandeurs. Au passage, la SPR mentionne avoir « pris en considération les différents rapports médicaux et psychologiques en rendant sa décision ».

 

[6]               Les demandeurs reprochent principalement à la SPR de ne pas avoir commenté dans sa décision le rapport psychologique rédigé par Marta Valenzuela Ph.D en date du 6 février 2006 dans la mesure où les contradictions relevées dans la décision s’expliquent aisément lorsqu’on considère l’état dépressif et l’anxiété de la demanderesse principale. La SPR a « complètement ignoré un document pertinent, directement relié à la demanderesse, expliquant les difficultés de celle-ci à répondre aux questions relatives à son vécu avec son mari au Pérou ». Ils soumettent que la SPR ne pouvait écarter ce document et ne lui donner aucune valeur probante en l’absence d’une justification de ce rejet. De plus, la SPR n’a pas tenu compte du fait que lorsqu’elle a fait les déclarations contradictoires qu’on lui impute lorsqu’elle est arrivée au Canada, elle était dans un état de stress et de fatigue extrême.

 

[7]               La récente décision de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL) (Dunsmuir), a pour effet d'assujettir dorénavant le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs à seulement deux normes de contrôle : celle de la « décision correcte » et celle de la « décision raisonnable ». Je suis d’avis que la norme de la « décision raisonnable » s'applique au présent cas : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 408, [2008] A.C.F. no 547 (QL). Il faut donc toujours se demander si la décision contestée est raisonnable, en s’attardant principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para. 47).

 

[8]               Compte tenu de cette norme de contrôle, la Cour peut-elle conclure que la SPR a erré en considérant que les demandeurs n'ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention », ni celle de « personnes à protéger », en vertu des articles 96 et 97 de la Loi? Je ne le crois pas.

 

[9]               Premièrement, je note que la SPR a « pris en considération les différents rapports médicaux et psychologiques en rendant sa décision » sans toutefois préciser dans sa décision pourquoi elle accorde, semble-t-il, peu de poids au rapport du Dr Valenzuela.

 

[10]           La jurisprudence souligne que la SPR doit tenir compte du fait que la condition psychologique dans laquelle se trouve un demandeur d’asile peut quelquefois expliquer les omissions dans son récit au point d’entrée ou le manque de détails ou la confusion quant aux dates pouvant apparaître lors de son témoignage, d’où la responsabilité d’examiner la portée générale d’un rapport psychologique avant de conclure trop hâtivement qu’un demandeur d’asile n’est pas crédible (voir, par exemple, Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1710, [2005] A.C.F. no 2112 (QL), para. 24; Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) para. 27-28; Atay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 201, [2008] A.C.F. no 251, para. 32; Fidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1190,  [2003] A.C.F. no 1606, para. 11-12; Rudaragi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 911, [2006] A.C.F. no 1157, para. 6). Mais encore faut-il qu’il soit démontré à la satisfaction de la Cour qu’il existe un certain lieu de connexité entre les « erreurs cognitives auxquelles le rapport psychologique fait référence » (Rudaragi, para.6) et les contradictions ou les omissions relevées par la SPR dans la décision attaquée. Considérant l’ensemble du dossier, incluant le contenu du rapport psychologique en question, je ne crois pas que le simple défaut de la SPR de commenter dans sa décision l’état psychologique de la demanderesse constitue en l’espèce une erreur de droit qui justifie ici l’annulation de la décision rendue et le renvoi de l’affaire à la SPR pour une nouvelle évaluation de la preuve.

 

[11]           Ainsi, le rapport psychologique du Dr Valenzuela reste assez flou : si la demanderesse peut à l’occasion, sous le stress, éprouver de la difficulté à narrer son récit, son état psychologique ne l’empêche pas de se souvenir des principaux événements.

 

[12]           Dr Valenzuela indique ce qui suit :

Mrs. Elsa Garay was referred by her lawyer, Me. Odette Desjardins; for an evaluation of her current state of mind in view of her upcoming hearing. Me. Desjardins also expressed an interest in evaluating whether Mrs. Garay’s present state of mind may have an impact on her ability to testify. […]

 

The clinical interviews and testing procedures were conducted in Spanish, Ms. Mendoza [sic] native language. […]

 

Her narrative was not fluid. It took several probes to obtain a coherent narrative of the events that prompted her to leave Peru since she experienced difficulties in limiting her answers to what it [sic] being asked. She had a marked tendency to go off on tangential issues adding excessive detail which interfered with the coherency of her narrative. In spite of negative emotionality, however, throughout the interviews Mrs. Garay correctly remembered main events and dates. In a few occasions, however, she appeared forgetful and complained that she has some difficulty remembering dates. […]

 

Regarding the question whether Mrs. Garay’s symptoms may interfere with her ability to testify, this may be significantly affected. […] The anxiety experienced when she feels under pressure may result in a breakdown of her psychological defenses to contain a sudden flood of unwanted thoughts and negative affect [sic] that may create some confusion in providing exact dates or a coherent sequence of events. […]

[Emphasis added]

 

[13]           En l’espèce, une simple lecture de la preuve au dossier révèle que l'histoire de la demanderesse est truffée d'invraisemblances majeures et de contradictions sur des allégations centrales de son récit. Il ne s’agit pas simplement d’une difficulté à se rappeler les dates pertinentes ou encore d’un problème de cohérence générale de son récit.

 

[14]           À titre d’exemple, selon les Notes d’entrevue de demande de statut de réfugié au Canada, la demanderesse a décrit la nature de la violence comme suit : « La violence n’est pas physique, mais plutôt de la torture psychologique. » [Mes soulignées]. À cet égard, l’agent d’immigration a demandé à deux reprises à la demanderesse si elle ou ses enfants subissaient de la violence physique :

Vous a-t-il déjà frappé vous ou les enfants?

 

Je suis allée chercher ma mère. Ma mère a voulu me défendre. Il l’a poussée et elle est tombée. On a dû l’emmener d’urgence à l’hôpital ou [sic] elle a subi une intervention chirurgicale au fémur.

 

Vous a-t-il déjà frappé vous ou les enfants (encore)?

 

Un jour, il a pris un VHS et il a voulu me le lancer. Mon beau-père est intervenu.

                                                                        [Mes soulignées]

 

[15]           Le rapport du Dr Valenzuela confirme ce que la demanderesse a dit lors de son entrevue au point d’entrée soit qu’elle n’avait subi que de la violence psychologique: « She lived in her country of origin until July, 2005 when distressful events related to prolonged emotional abuse and threats of physical harm from her husband, and the fear she experienced associated with death threats he formulated against her, forced her to leave her country to claim refugee status in Canada […] ».

 

[16]           Néanmoins, selon le procès-verbal de l’audience, la SPR a demandé à la demanderesse si son conjoint avait été violent physiquement avec elle, et elle a répondu « Oui. […] Plusieurs fois. » Lorsqu’elle a été confrontée avec cette contradiction apparente et importante, la demanderesse a expliqué :

Moi, je venais avec beaucoup de peur. Je venais en train de fuir la violence et les mauvais traitements. Mon bébé, il avait huit (8) mois, ma mère était incapacité, elle portait une canne et moi j’étais toute seule en dedans en train de déclarer […].

 

 

[17]           La SPR n’a pas considéré qu’il s’agissait d’une explication satisfaisante qui justifierait son omission d’avoir mentionné à l’agent d’immigration qu’elle subissait de la violence physique de la part de son conjoint. La SPR a conclu que cet élément minait la crédibilité de la demanderesse.

 

[18]           La SPR a noté d’autres contradictions qui affectent davantage la crédibilité de la demanderesse. Il n’est pas nécessaire aux fins de cette ordonnance de les passer tous en revue. Il suffit de noter un seul autre exemple. Lorsque la demanderesse rencontre l’agent d’immigration, elle déclare que son conjoint a pris un VHS en souhaitant le lui lancer, mais que son beau-père est intervenu. Son FRP indique plutôt que son mari « a saisi un appareil VHS avec lequel il [lui] a asséné des coups. […] Alors, il [lui] a lancé le VHS. » Les modifications au FRP décrivent cependant l’incident du VHS de la façon suivante : « il a saisi un appareil VHS qu’il a lancé dans ma direction. »

 

[19]           Confrontée par la SPR à cette contradiction importante, la demanderesse a répondu que, lors de son arrivée au Canada, elle sentait la présence de son mari et avait peur qu’il apparaisse, ce qui expliquerait ses difficultés à s’exprimer. 

 

[20]           La SRP est d’avis que cette réponse n’explique pas les différences entre ses déclarations au FRP, son témoignage devant l'agent d'immigration au point d’entrée, son témoignage à l'audience et la preuve documentaire. Ces diverses contradictions ont amené la SRP à conclure à une absence de crédibilité de la demanderesse en regard de la violence qu’elle a subie de la part de son conjoint.

 

[21]           La jurisprudence indique que des divergences entre la déclaration au point d'entrée et le témoignage d'un demandeur sont suffisantes pour justifier une conclusion de non-crédibilité lorsque ces contradictions portent sur des éléments centraux d'une demande : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 767, [2005] A.C.F. no 959 (QL) au para. 23 et Neame c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 378 (QL). De plus, la SRP est en droit d'évaluer la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur une seule contradiction, quand la preuve contestée est un aspect important de la demande : voir Nsombo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 505, [2004] A.C.F. no 648 (QL).

 

[22]           En l'espèce, la SPR a conclu qu'en présence d'autant de versions contradictoires, il lui était permis de douter sérieusement l'histoire de la demanderesse. Je ne crois pas que la SPR ait erré en concluant à l'absence de crédibilité de la demanderesse, et je considère qu’elle a évalué l’ensemble de la preuve produite devant elle. La SPR pouvait certainement rejeter les explications, très sommaires et peu convaincantes, fournies par la demanderesse au sujet de ces omissions, contradictions et invraisemblances. Je ne crois pas non plus que le tribunal ait fait une analyse microscopique du FRP pour prendre la demanderesse en défaut. Les contradictions relevées dans la décision sont majeures et portent sur un aspect important et essentiel de la demande d’asile. Elles peuvent donc justifier le rejet de leurs demandes d’asile. Bref, la conclusion d’absence de crédibilité de la demanderesse est basée sur les faits et n’est pas déraisonnable.

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée et ne se soulève en l'espèce.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER:                                         IMM-4188-07

 

INTITULÉ:                                        ELSA TERESA GARAY MOSCOL (et autres) c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE:                  MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE:                Le 22 mai 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                        Le juge Martineau        

 

DATE DES MOTIFS:                       Le 26 mai 2008           

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Odette Desjardins

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Patricia Nobl

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Odette Desjardins

Montréal (Québec) 

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

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