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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080523

Dossier : IMM-5107-07

Référence : 2008 CF 648

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

ANALLEELY CORTEZ MUÑOZ

DANIEL CORTEZ MUÑOZ

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que les demandeurs, Mme Analleely Cortez Muñoz et son fils, Daniel Cortez Muñoz, n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[1]        La présente demande soulève la question suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’accorder l’ajournement réclamé par la demanderesse pour pouvoir présenter des éléments de preuve documentaire supplémentaires?

 

[2]        La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[3]        Âgée de 22 ans, la demanderesse principale (la demanderesse) est une ressortissante du Mexique. Elle est arrivée au Canada le 11 février 2006 en compagnie de son fils, et elle a demandé l’asile au motif qu’elle craignait le père de son enfant, de même que la famille de cet homme qui, selon ce qu’elle affirme, l’a menacée, en lui mettant un couteau sur la gorge, de lui enlever son fils par la force si cela s’avérait nécessaire À l’audience, la demanderesse a expliqué que les faits en question s’étaient produits à Mexico environ trois mois après la naissance de son fils.

 

[4]        La demanderesse allègue que, depuis son arrivée au Canada, ses parents et son frère sont retournés au Mexique. Son frère est décédé après avoir été happé par une voiture. La demanderesse croit qu’il a été assassiné par des personnes qui tentaient d’extorquer de l’argent à ses parents. Elle pense qu’on lui réserverait le même sort si elle retournait au Mexique.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[5]        La Commission a estimé que certains aspects de la demande d’asile initiale de la demanderesse n’étaient pas crédibles. 

a)      La Commission a signalé que, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse n’avait fait aucune mention de la menace au couteau dont elle avait fait l’objet ni de ses tentatives d’obtenir l’aide des autorités de Mexico. La demanderesse a expliqué que l’incident au couteau figurait dans la version espagnole de son exposé circonstancié, mais cette version n’a jamais été communiquée à la Commission. La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas indiqué dans son FRP qu’elle avait signalé l’incident à la police parce que la police avait refusé d’enregistrer sa plainte. La Commission n’a pas accepté ses explications.

b)      La Commission a également relevé que l’incident au couteau était mentionné dans le signalement que la demanderesse avait fait au service de police municipal de Tlaxco, dans l’État du Tlaxcala, ce qui contredit son témoignage, où elle affirmait que l’incident était survenu à Mexico. La Commission a par ailleurs fait observer que la demanderesse avait déclaré, lors de son entrevue avec un agent d’immigration, que ses problèmes avaient débuté alors que son enfant était âgé de quatre mois. Or, elle habitait à l’époque chez ses parents et ne vivait plus à Mexico.

 

[6]        La Commission s’est dite convaincue, pour les raisons susmentionnées, qu’aucun incident au cours duquel le père de l’enfant de la demanderesse l’aurait menacée avec un couteau ne s’était produit. Le motif déterminant sur lequel la Commission s’est fondée pour rejeter la demande d’asile portait toutefois sur la possibilité de se réclamer de la protection de l’État. La Commission a invoqué les raisons suivantes pour justifier sa conclusion :

a)      La Commission a examiné le cadre législatif qui assure une protection aux femmes craignant d’être victimes de violence du fait de leur sexe et s’est dite convaincue que, du moins dans le district fédéral de la ville de Mexico, ce cadre législatif permettait à ces femmes d’obtenir réparation en vertu du principe de la primauté du droit.

b)      La Commission a également constaté qu’il existait de grandes différences entre les États dans la manière dont les initiatives fédérales sont mises en œuvre. Elle a toutefois conclu que ces initiatives avaient été mises en œuvre dans le district fédéral et elle a par conséquent limité son analyse à cette seule région. La Commission a examiné plusieurs documents contenant des éléments de preuve en ce sens. 

c)      La Commission a expliqué qu’il était difficile, en raison du manque de données fiables, d’évaluer l’efficacité de certaines des mesures récentes visant à assurer une protection aux femmes craignant d’être victimes de violence du fait de leur sexe. Après avoir examiné les renseignements qui existaient à ce sujet, la Commission a conclu que la protection offerte dans le district fédéral était adéquate, mais pas nécessairement parfaite.

d)      La Commission a examiné la crainte de la demanderesse fondée sur le fait qu’elle appartenait à une famille ayant été victime d’extorsion et qu’un meurtre de l’un de ses membres aurait été commis à des fins d’extorsion. Elle a conclu qu’aucune des tentatives d’extorsion ne touchait la demanderesse directement et que, même après que les membres de sa famille avaient fui au Canada, elle avait pu vivre sans problème à Mexico

e)      La Commission a examiné la preuve documentaire et a conclu que la demanderesse pourrait compter sur la protection de l’État, du moins dans le district fédéral, si elle décidait de s’en prévaloir, pour ce qui est de sa présumée crainte d’extorsion.

 

[7]        La Commission a relevé que l’avocat s’était opposé à ce que l’audience se poursuive sans qu’on ait permis à la demanderesse de présenter des éléments de preuve au sujet des problèmes auxquels les membres de sa famille avaient fait face. La Commission a toutefois expliqué que, comme elle rejetait la demande au motif que la demanderesse pouvait compter sur la protection de l’État et pas seulement en raison de son manque de crédibilité, les éléments de preuve supplémentaires n’auraient pas permis à eux seuls d’établir le bien‑fondé de la demande. La Commission a rejeté la demande d’ajournement que l’avocat avait formulée verbalement.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[8]        Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.

48. (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

 

[…]

 

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

 

b) le moment auquel la demande a été faite;

 

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

 

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

 

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

 

f) si la partie est représentée;

 

 

g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil;

 

h) tout report antérieur et sa justification;

 

i) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

 

j) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;

 

k) la nature et la complexité de l’affaire.

48. (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

 

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

 

(b) when the party made the application;

 

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

 

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

 

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

 

(f) whether the party has counsel;

 

(g) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

 

(h) any previous delays and the reasons for them;

 

(i) whether the date and time fixed were peremptory;

 

 

(j) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings or likely cause an injustice; and

 

 

(k) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[9]        Il est de jurisprudence constante qu’un manquement aux règles d’équité procédurale ne donne lieu à aucune retenue judiciaire et qu’il est assujetti à la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[10]      Bien que la demanderesse ne prétende pas directement que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion sur la protection de l’État, j’ai quand même l’intention d’aborder brièvement la question. J’estime que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique lorsqu’il s’agit de vérifier si la protection de l’État est suffisante (Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 534, au paragraphe 5, [2008] A.C.F. no 679; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, aux paragraphes 57, 62 et 64).

[11]      Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’accorder l’ajournement réclamé par la demanderesse pour pouvoir présenter des éléments de preuve documentaire supplémentaires?

 

[12]      La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en refusant d’accorder l’ajournement réclamé par la demanderesse pour présenter des éléments de preuve documentaire supplémentaires pour corroborer sa version des faits au sujet du décès de son frère. La demanderesse affirme que la Commission n’a pas tenu compte de son argument qu’elle devrait vivre avec sa famille, et non à Mexico, si elle retournait au Mexique. 

 

[13]      La demanderesse soutient en outre que la Commission doit tenir compte des facteurs énumérés au paragraphe 48(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés lorsqu’elle décide de l’opportunité d’accorder ou non un ajournement.

[14]      Le défendeur répond que la demanderesse n’a pas abordé la raison pour laquelle la Commission a refusé d’accorder l’ajournement demandé; il ajoute que tout élément de preuve supplémentaire que la demanderesse pourrait fournir n’aurait aucune incidence sur l’issue de sa demande, étant donné que la raison déterminante pour laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile tenait au fait que la demanderesse pouvait compter sur une protection de l’État suffisante.[15]   Je suis d’avis qu’il était loisible à la Commission de refuser d’accorder l’ajournement demandé au motif que tout autre renseignement que la demanderesse pourrait fournir n’aurait aucune incidence sur l’issue de la demande. La conclusion de la Commission quant à la possibilité pour la demanderesse de se prévaloir de la protection de l’État vaut toujours, et ce, même si la Commission a admis que le frère de la demanderesse a fait l’objet d’extorsion et a été assassiné. 

 

[16]      Il vaut la peine de signaler que l’alinéa 48(4)e) des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit que, pour décider s’il y a lieu d’accorder un ajournement, la Commission peut, dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, tenir compte de la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice. Dans le cas qui nous occupe, le fait que la demande serait finalement jugée sur d’autres moyens, indépendamment de la possibilité d’obtenir ou non les renseignements complémentaires en question, est précisément le genre de scénario envisagé par cette disposition.

 

[17]      Bien que la demanderesse ne conteste pas directement la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l’État, il est évident, à la lecture même de ses motifs, que la Commission a procédé à une analyse approfondie des éléments de preuve documentaire pertinents, y compris ceux portant sur l’efficacité des mesures de protection et des initiatives mises en œuvre au Mexique. J’estime donc que la conclusion de la Commission est raisonnable. 

 

[18]      Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur ou manqué aux règles d’équité procédurale en refusant d’accorder un ajournement. Parce que la conclusion tirée au sujet de la protection de l’État est déterminante, je refuse également de statuer sur les questions soulevées par la demanderesse au sujet des erreurs qu’aurait commises la Commission dans son appréciation de la crédibilité de la demande d’asile.

 

[19]      Aucune question à certifier n’a été soumise et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL. L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-5107-07

 

INTITULÉ :                                                   ANALLEELY CORTEZ MUÑOZ et

                                                                        DANIEL CORTEZ MUÑOZ

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thore Ralf Lederer, ESQ.                                           POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen H. Gold                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thore Ralf Lederer, ESQ.                                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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