Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080526

Dossier : IMM-4609-07

Référence : 2008 CF 668

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

ONUR MAHMUTYAZICIOGLU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire fait suite à la décision par laquelle le commissaire Gordon McKenzie, de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a estimé que M. Mahmutyazicioglu (le demandeur) n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger parce qu’il n’avait aucune raison, subjectivement ou objectivement, de craindre d’être persécuté ou d’être exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture du fait de ses origines ethniques, de sa religion ou de ses opinions politiques s’il devait retourner en Turquie.

 

I. La demande d’asile

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Turquie, d’origine ethnique kurde et de religion alévie. Il a demandé l’asile au Canada en mars 2005, en déclarant dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’il craignait de subir des violences et de mauvais traitements de la part de la police s’il devait retourner en Turquie. Il fonde cette crainte sur sa religion, son origine ethnique et ses opinions politiques.

 

[3]               Il ressort du FRP du demandeur et de la preuve documentaire que les Kurdes font toujours l’objet d’un traitement discriminatoire dans les écoles et dans d’autres institutions. Ainsi, pendant toutes ses études, le demandeur a été forcé de suivre des cours de religion sunnite et de réciter des chants et des slogans qui dénigrent les Kurdes. Le demandeur a déclaré dans son FRP qu’à l’université qu’il fréquentait à Ankara, il arrivait fréquemment que des étudiants kurdes et alévis soient arrêtés et interrogés par la police.

 

[4]               Le demandeur a expliqué que, le 6 novembre 2001, alors qu’il était à l’université, il a participé avec d’autres étudiants faisant partie de minorités à une manifestation contre les politiques d’éducation du Conseil de l'enseignement supérieur. La police a arrêté certains des manifestants après que des partisans du gouvernement eurent attaqué les manifestants. Le demandeur a raconté qu’il avait été arrêté, qu’il avait été détenu pour la nuit et qu’il avait été interrogé et battu avant d’être relâché le lendemain.

 

[5]               En mars 2002, le demandeur a participé à la fête annuelle kurde que, selon ses explications, les forces de sécurité turques considèrent souvent comme une manifestation politique. Le demandeur a raconté qu’il avait été arrêté au hasard alors que les policiers cherchaient à disperser la foule. Après avoir vérifié son identité au poste de police, les policiers se sont aperçus qu’il avait déjà été détenu. Il affirme qu’on l’a interrogé au sujet de ses fréquentations, qu’on l’a battu et qu’on l’a relâché le lendemain.

 

[6]               Après avoir terminé sa deuxième année d'études à l'université, le demandeur a décidé d’interrompre ses études et de quitter le pays pendant quelque temps. Il a obtenu un visa d’étudiant en décembre 2002 et a quitté la Turquie pour le Canada pour étudier l’anglais langue seconde (ALS). Il ne prévoyait rester au Canada que temporairement. En juillet 2003, vraisemblablement à l’instigation de ses parents, il est retourné en Turquie pour voir son père, qui venait de subir une intervention chirurgicale.

 

[7]               Le demandeur a raconté qu’à son retour en Turquie, ses bagages ont été fouillés et qu’il a été interrogé pendant trois heures à l’aéroport. Pour cette raison, il n'est resté en Turquie qu'un mois, au cours duquel il craignait d’avoir à sortir de chez lui. Il est revenu au Canada en août 2003 et il a demandé l’asile en mars 2005. Sa demande d’asile est fondée sur sa religion, son origine ethnique et ses opinions politiques.

 

[8]               À l’audience de la SPR, le demandeur a ajouté à sa demande d’asile l’allégation explicite qu’il était un objecteur de conscience. Il a expliqué qu’il refusait de servir dans l’armée turque, mais qu’il serait contraint de le faire s’il retournait en Turquie, où le service militaire est obligatoire pour tous les citoyens turcs. Il est toutefois possible d’obtenir une dispense, notamment pour pouvoir suivre des études. Le demandeur a effectivement obtenu cette dispense pour la durée de ses études. Il a toutefois affirmé, lors de l’audience de la SPR, qu’un mandat d’arrestation avait depuis été lancé contre lui parce qu’il ne s’est pas présenté pour son service militaire. Le demandeur n’a pas fourni d’autres éléments de preuve à l’appui de cet argument.

 

II. La décision à l’examen

 

[9]               Dans sa décision de vingt-cinq pages, le commissaire a estimé que le demandeur n’était ni crédible ni digne de foi et il en a conclu qu’il n’avait pas de crainte subjective de persécution. Il a accepté que le demandeur d’asile ait pu être détenu, mais il n’a pas cru qu’il avait fait l’objet de violences. Le commissaire n’a pas accepté non plus que les forces policières turques soient à la recherche du demandeur, car ce dernier avait réussi à obtenir un passeport et à quitter la Turquie à deux reprises sans incident. Le commissaire a signalé que le demandeur avait tardé avant d’affirmer qu’il était un objecteur de conscience et a estimé que cette allégation n’était pas fondée. Le commissaire a par conséquent rejeté l’aspect de la demande d’asile fondée sur le statut d’objecteur de conscience. Le commissaire a par ailleurs estimé que les détentions qu’avait subies le demandeur d’asile, si c’était vraiment le cas, s’inscrivaient dans le cadre d’interventions policières destinées à maintenir l’ordre public et à protéger la population en général et qu’elles ne visaient pas précisément le demandeur d’asile du fait de sa religion, de son origine ethnique kurde ou de ses opinions politiques.

III. Questions en litige

 

[10]           Le demandeur reproche au commissaire d’avoir commis les erreurs suivantes dans sa décision. J’ai modifié légèrement la formulation de ces questions :

a.       La SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible et en concluant, en conséquence, que :

i)                    Le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution;

ii)                   La détention du demandeur n’était pas motivée par un des motifs prévus par la Convention;

  1. La SPR a commis une erreur en n’évaluant pas les risques futurs auxquels le demandeur pourrait être exposé s’il retournait en Turquie et y participait à des activités qui font la promotion de la culture, de la religion ou de la politique kurdes;
  2. La SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience;
  3. La SPR n’a pas procédé à une analyse distincte des risques prévus à l’article 97.

 

IV. Norme de contrôle

 

[11]           La plupart des questions précitées se rapportent à la conclusion que le commissaire a tirée au sujet de la crédibilité. La norme de contrôle applicable à ces questions est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Khokhar c. Canada (MCI), 2008 CF 449, [2008] A.C.F. no 571, aux paragraphes 17 à 23 (QL)). En ce qui concerne l’obligation de procéder à une analyse distincte en ce qui concerne l’article 97 et de tenir compte des risques à venir, il s’agit de questions de pur droit qui commandent moins de retenue de la part de la Cour. C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à ces questions (Choudhary c. Canada (MCI), 2008 CF 412, [2008] A.C.F. no 583, au paragraphe 13 (QL)).

 

V. Analyse

 

  1. Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas une crainte subjective de persécution?

[12]           Le commissaire a examiné les prétentions du demandeur mais a estimé que, contrairement à ce qu’il prétendait, les autorités turques ne cherchaient pas à le persécuter. Au paragraphe 33 de ses motifs, le commissaire écrit :

En résumé, compte tenu de l’ensemble des conclusions défavorables concernant les éléments centraux de la demande d’asile du demandeur et de l’analyse des preuves documentaires présentées au sujet du traitement des citoyens kurdes et alévis en Turquie, je ne crois pas que le demandeur d’asile ait été victime d’un harcèlement systématique pour des motifs ethniques, religieux ou politiques de la part des fondamentalistes sunnites ou des nationalistes turcs ni qu’il ait fait l’objet de brutalités policières en novembre 2001 et en mars 2002 du fait de son origine ethnique kurde, de sa croyance alévie ainsi que de ses activités et de ses opinions politiques prokurdes ou gauchistes en Turquie, comme cela est allégué.

 

[13]           Le commissaire a fondé cette conclusion sur le fait que le demandeur avait réussi à obtenir un passeport et qu’on l’avait laissé sortir du pays à deux reprises, sur les contradictions relevées dans les éléments de preuve du demandeur et sur le temps considérable que le demandeur avait laissé s’écouler avant de demander l’asile et de se réclamer à nouveau de la protection de la Turquie. 

 

[14]           Le demandeur affirme que le commissaire a commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité sur sa conclusion que les autorités turques ne lui auraient pas délivré de passeport et ne l’auraient pas laissé sortir du pays s’il était recherché par la police. Le demandeur soutient qu’il s’agit là d’une erreur parce que rien ne permet de penser que ceux qui sont arrêtés mais qui ne sont pas accusés d’implication dans des activités kurdes se voient refuser un passeport. Le demandeur fait valoir que [traduction] « si la personne ne fait pas l’objet d’une enquête, le passeport lui sera délivré ».

 

[15]           Pour ce qui est de la crainte subjective, le demandeur affirme que, dans sa décision, le commissaire de la SPR n’explique pas comment il en arrive à conclure qu’il n’existait pas de crainte subjective alors qu’il avait déjà jugé plausible que le demandeur avait été détenu. Le demandeur ajoute que le commissaire a eu tort de se demander si le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de l’État en 2003, alors que le demandeur avait expliqué qu’il n’avait commencé que plus tard à avoir une crainte subjective.

 

[16]           Le demandeur allègue que le commissaire a commis une erreur en concluant que la police l’avait arrêté pour protéger l’ordre public. Le demandeur fait valoir que sa détention visait plutôt à réprimer la promotion de la culture kurde et des opinions politiques de gauche.

 

[17]           Le défendeur soutient que la délivrance du passeport n’est pas la seule raison pour laquelle le commissaire n’a pas ajouté foi aux allégations du demandeur, qui affirmait qu’il avait été battu et torturé. Le défendeur affirme que le commissaire a également tenu compte d’autres omissions, incohérences et invraisemblances : en effet, le temps que le demandeur avait laisser s’écouler avant de quitter la Turquie, de se réclamer à nouveau de la protection de l’État et, enfin, de demander l’asile au Canada, étaient tous des facteurs qui avaient contribué à la conclusion défavorable tirée par le commissaire au sujet de la crédibilité. Le défendeur affirme que le commissaire n’a pas commis d’erreur en se fondant sur le fait que les incidents de harcèlement n’étaient pas mentionnés dans les notes prises au point d’entrée et sur le refus du demandeur de faire son service militaire pour conclure qu’il manquait de crédibilité.

 

[18]           Le défendeur signale que le demandeur ne conteste pas la conclusion suivant laquelle le délai écoulé entre 2003 et 2005 est important. Le défendeur affirme aussi que le temps écoulé depuis 2002 est important.

 

[19]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le commissaire ne s’est pas fondé uniquement sur le fait qu’un passeport avait été délivré au demandeur pour conclure que ce dernier n’était pas crédible. Bien qu’il soit quelque peu alambiqué, je suis également convaincu que l’aspect de la décision relatif au passeport est raisonnable.

 

[20]           Au sujet du passeport, le commissaire a essentiellement décidé que, si le demandeur était surveillé de près par les autorités, il n’aurait pas pu obtenir un passeport et quitter le pays à deux reprises. Le commissaire a expliqué que, comme le demandeur avait été en mesure d’obtenir un passeport et de quitter le pays, il était peu plausible que la police soit encore à sa recherche et qu’elle le persécute s’il devait revenir en Turquie. Comme le demandeur l’a lui-même souligné, s’il avait fait l’objet d’une enquête, on ne l’aurait jamais laissé sortir, d’où la conclusion que le demandeur ne présente aucun intérêt sérieux pour la police. Cette conclusion n’était pas déraisonnable.

 

[21]           En ce qui concerne la détention, il ressort de la preuve documentaire que la liberté de réunion n’est pas un droit qui est bien protégé en Turquie. On constate, à la lecture du Country of Origin Report de 2005 (plusieurs années après la détention présumée du demandeur) que les manifestations publiques sont moins restreintes qu’auparavant, mais que la question préoccupe toujours. En 2005, lors d’une marche organisée à l’occasion de la Journée de la femme, on a dispersé les manifestants en recourant à des gaz lacrymogènes et à une intervention musclée; pour ce qui est des autres rassemblements publics, la police « a recouru systématiquement à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques », [traduction] « […] la police a tué des manifestants au cours de l’année […], la police a battu, violenté, détenu et harcelé certains manifestants », [traduction] « des policiers armés de matraques ont repoussé des centaines de manifestants kurdes ».

 

[22]           Le commissaire aurait pu expliquer plus clairement son raisonnement sur cet aspect mais j’estime néanmoins que sa décision était raisonnable, compte tenu du dossier. Le commissaire a accepté que le demandeur avait pu être détenu. Il a toutefois clairement conclu que le demandeur avait été détenu les deux fois pour des raisons ayant trait au maintien de l’ordre public et non pour un des motifs de persécution prévus par la Convention. J’estime que cette conclusion était raisonnable. Bien qu’il soit probable que la police ait pu imputer des opinions politiques particulières au demandeur du fait de sa présence à un rassemblement pour l’éducation et à une fête kurde, on ne sait pas avec certitude si la détention du demandeur se voulait une réaction aux opinions politiques qu’on lui imputait ou à ses origines ethniques. Les autorités turques ne semblent pas traiter les manifestants kurdes différemment des autres manifestants. De fait, le dossier permet de penser qu’en Turquie, tout rassemblement, même pacifique, est susceptible de se solder par du harcèlement ou par une détention. Le demandeur n’a en conséquence pas démontré que c’était sur le fondement d’un des motifs énumérés dans la Convention qu’il avait été détenu et, vu la preuve documentaire, on ne peut inférer que c’est la raison pour laquelle il a été détenu. Je ne puis modifier la conclusion du commissaire suivant laquelle la détention ne pouvait être rattachée à l’un des motifs énumérés dans la Convention.

 

[23]           Le fait que le commissaire ait relevé d’autres contradictions renforce sa conclusion que le demandeur n’était pas crédible. Les notes prises au point d’entrée ne font aucune mention des années de discrimination et de harcèlement que le demandeur aurait vécues en Turquie. Le commissaire a demandé qu’on lui explique cette omission, a entendu l’explication qui a été fournie, pour ensuite déclarer qu’il n’acceptait pas cette explication. C’est précisément la façon de procéder que notre Cour a jugé qu’il faut suivre avant d’invoquer une omission pour tirer une conclusion au sujet de la crédibilité. Cet aspect de la décision n’est entaché d’aucune erreur.

 

[24]           De même, le demandeur n’a mentionné son refus de faire son service militaire que dans le dernier paragraphe de son FRP et a offert peu d’éléments de preuve pour appuyer son refus. Il était raisonnable de la part du commissaire de conclure que le demandeur avait tout simplement ajouté ce fait pour renforcer sa demande d’asile. Si le demandeur avait voulu en faire un aspect central de sa demande, il aurait dû l’inclure dans les notes prises au point d’entrée et fournir des éléments de preuve plus substantiels pour documenter ses objections et la persécution à laquelle il serait exposé.

 

[25]           Le commissaire avait le droit de considérer que le temps écoulé avant de se réclamer à nouveau de la protection de l’État indiquait potentiellement une absence de crainte subjective (Nimour c. Canada (MCI) (1999), 93 A.C.W.S. (3d) 732 (C.F. 1re inst.), A.C.F. no 1356 (QL), et Heer c. Canada (MEI), [1988] A.C.F. no 330 (C.A.) (QL)). Les observations des parties ne permettent pas de savoir avec certitude à quel moment précis le demandeur affirme avoir commencé à craindre d’être persécuté, mais dans le cas qui nous occupe, il n’est pas nécessaire de déterminer le moment exact. Même si le commissaire avait commis une erreur en remontant à 2003 pour examiner le temps écoulé, sa conclusion serait quand même raisonnable en raison du temps que le demandeur a laissé s’écouler avant de présenter sa demande d’asile au Canada. La raison invoquée par le demandeur pour expliquer pourquoi il a attendu plus de deux ans – en l’occurrence, qu’il ne savait pas comment formuler sa demande – n’est pas particulièrement convaincante.

 

[26]           Les contradictions du demandeur au sujet du moment où ses craintes ont commencé minent encore plus sa demande. Il a expliqué qu’il ne craignait pas la persécution en 2002, et il en déduit, dans son mémoire, que le temps écoulé avant 2003 et les démarches faites en vue de se réclamer à nouveau de la protection de l’État ne devraient pas entrer en ligne de compte. À mon avis, cet argument permet de douter du bien-fondé de toute sa demande d’asile, qui repose principalement sur des faits survenus en 2001 et 2002. À défaut d’un facteur extérieur important, le demandeur ne peut logiquement soutenir qu’il n’a développé une crainte subjective que des années après les faits à l’origine de cette crainte. Je constate que notre Cour a reconnu qu’il est possible qu’une crainte naisse à la suite d’une série de faits individuels, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit créée à un moment précis. Mais même en tenant compte de cette nuance, rien ne permet de conclure en l’espèce à l’existence d’une crainte subjective fondée sur un des motifs prévus par la Convention.

 

[27]           Ainsi que le juge Robert Barnes l’a fait remarquer dans le jugement Sundararajah c. Canada (MCI), 2007 CF 1148, 161 A.C.W.S. (3d) 966, au paragraphe 17, il est rare que la crédibilité d’une personne dépende d’un seul élément de preuve : la plupart du temps, l’évaluation de la crédibilité repose sur une appréciation cumulative de la preuve. En l’espèce, le commissaire a tenu compte d’un certain nombre de facteurs qu’il a appliqués en stricte conformité avec la jurisprudence. Sa conclusion quant au manque de crédibilité du demandeur était raisonnable et elle est donc à l’abri de toute intervention de la Cour. 

 

[28]           La conclusion tirée par le commissaire au sujet de la crédibilité s’étend, comme il a déjà été précisé, à la conclusion relative à l’absence de crainte subjective, à l’absence de motif prévu par la Convention et à la conclusion que le demandeur n’a pas été maltraité par la police alors qu’il était en détention.

 

[29]           Je tiens à ce moment-ci à signaler que le demandeur a soulevé la question de savoir si, objectivement parlant, il est acceptable que la police maltraite des détenus. Cette question fait suite à la documentation selon laquelle il n’est pas rare que les policiers infligent de mauvais traitements aux détenus. Toutefois, comme le commissaire a conclu que le demandeur n’était pas crédible au sujet des mauvais traitements qu’il prétendait avoir subis de la part de la police, et comme j’estime que cette conclusion est raisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question.

 

b. La SPR a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution, de mauvais traitements ou de torture (au sens des articles 96 et 97) s’il persévère dans des activités qui font la promotion de la culture, de la religion ou de la politique kurde?

[30]           Les tribunaux canadiens, y compris la Cour suprême, ont maintes fois fait observer que les questions hypothétiques ne répondent pas au critère du « litige actuel » et qu’elles sont donc théoriques (voir, par exemple, l’arrêt Borowski c. Canada (P.G.), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231, au paragraphe 16. À mon avis cet argument ne peut prospérer en raison de son caractère théorique.

[31]           Le commissaire a estimé que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution ou de préjudice sérieux s’il était renvoyé en Turquie, suivant les éléments de preuve passés et présents portant sur la situation au pays et sur les activités du demandeur. Dès lors qu’il estimait que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il retournait en Turquie, le commissaire n’était pas tenu de se demander si un nouveau risque pouvait surgir à la suite de la survenance de faits futurs hypothétiques. Le commissaire a eu raison de ne pas aborder cette question.

 

c. La SPR a-t-elle commis une erreur en ce qui concerne le moyen tiré du refus du demandeur de faire son service militaire?

[32]           Le demandeur a mentionné dans son témoignage, sans toutefois étayer ses dires, qu’il avait obtenu des documents donnant à penser qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre lui par suite de son refus de se soumettre au service militaire. Malheureusement, le demandeur n’a soumis aucun des documents en question; il n’a fourni au tribunal ni son appel de mobilisation, ni aucun document ou affidavit concernant le mandat d’arrestation lancé contre lui.

 

[33]           Le défendeur affirme que, bien que dans sa décision, le commissaire ait omis de mentionner plusieurs détails, son défaut de mentionner chaque élément de preuve n’est pas fatal. Le défendeur rappelle par ailleurs que le commissaire a estimé que le demandeur n’était pas crédible.

 

[34]           Le commissaire a signalé dans sa décision que le demandeur avait réussi à reporter son service militaire parce qu’il fréquentait l’université mais que, à son retour en Turquie, il serait obligé de faire son service militaire.

 

[35]           À l’audience, le demandeur a été interrogé au sujet de l’armée. Il a reconnu qu’il était possible d’échapper au service militaire en payant le gouvernement, mais il a expliqué que tout était une question de chance. Il a mentionné qu’il ne voulait pas utiliser d’armes contre son propre peuple, mais sa crainte principale semblait se rattacher plutôt à ses propres antécédents et à la possibilité qu’il soit ciblé et assassiné en raison de ses origines ethniques pendant qu’il était dans l’armée.

 

[36]           Le témoignage limité que le demandeur a donné et le peu d’éléments de preuve qu’il a présentés n’étaient pas suffisants pour démontrer qu’il pouvait répondre à la difficile définition d’« objecteur de conscience ». Un objecteur de conscience peut obtenir le droit d’asile lorsqu’on peut dire que la persécution à laquelle il serait probablement exposé est grave au point d’équivaloir à de la persécution. On ne trouve cependant aucun élément de preuve au dossier qui explique l’ampleur des objections du demandeur ou qui permette de savoir quel traitement on réserve aux objecteurs de conscience en Turquie. Le demandeur n’a pas mentionné si son refus de faire son service militaire était total ou partiel, c’est-à-dire s’il serait prêt à servir à condition que lui confie un poste de non-combattant ou encore à condition de combattre des ennemis autres que des Kurdes. Souvent, on permet aux objecteurs de conscience d’occuper des postes de non-combattants, mais la politique turque sur ce point n’est pas mentionnée dans le dossier. Les éléments de preuve soumis au commissaire ne permettaient pas de savoir avec certitude quelle sanction entraîne un refus de servir. Sans ces détails, il n’était pas possible de déterminer si un objecteur de conscience pourrait ou non être persécuté.

 

[37]           En résumé, hormis son propre témoignage sur la question, le demandeur n’a soumis aucun élément de preuve. Pourtant, cette situation n’a rien d’inusité, et il est étonnant que le demandeur n’ait pas soumis au moins les documents que, selon ce qu’il affirme, se trouvaient en la possession de sa famille. Le commissaire a conclu que le demandeur avait tout simplement ajouté cette allégation pour renforcer sa demande d’asile et que le demandeur n’avait pas démontré qu’il répondait à la définition d’objecteur de conscience. Le commissaire n’a pas agi de façon déraisonnable en tirant cette conclusion, vu le dossier dont il disposait.

 

d. La SPR a-t-elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte des risques visés à l’article 97?

[38]           Le demandeur affirme que l’analyse de l’article 97 ne comporte aucun aspect se rapportant à la crainte subjective, de sorte que le commissaire aurait dû procéder à une analyse complète des risques visés à l’article 97. Le demandeur cite à ce propos les jugements Ozdemir c. Canada (MCI), 2004 CF 1008, 256 F.T.R. 154, et Kilic c. Canada (MCI), 2004 CF 84, 245 F.T.R 52.

 

[39]           Le défendeur affirme que, ayant conclu qu’il n’existait pas de crainte subjective, le commissaire n’était pas tenu de poursuivre en procédant à une analyse complètement séparée de l’article 97. Le défendeur cite également le jugement Kulendrarajah c. Canada (MCI), 2004 CF 79, 245 F.T.R. 145, à l’appui de sa proposition que lorsque aucun motif autre qu'un motif prévu par la Convention n'est invoqué et lorsque les motifs prévus par la Convention qui ont été invoqués ne peuvent pas être retenus à cause du manque de crédibilité, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse distincte.

 

[40]           Je constate que le commissaire a expressément conclu que la crainte de persécution du demandeur d’asile n’était ni subjectivement ni objectivement fondée. Le commissaire a également tenu compte des éléments de preuve portant sur les demandeurs d’asile déboutés qui retournent en Turquie et il a conclu qu’ils sont traités de la même manière que les autres citoyens turcs. Le demandeur n’a avancé aucun autre motif que ceux qu’il avait invoqués au soutien de sa demande d’asile pour justifier sa prétention qu’il avait la qualité de personne à protéger. Comme ces motifs n’ont pas été considérés comme véridiques, il n’existait aucun fondement qui aurait permis à une prétention fondée sur l’article 97 de prospérer. Je souscris donc aux propos de la juge Judith Snider, qui fait remarquer, dans le jugement Nascimento c. Canada (MCI), 2005 CF 1078, 141 A.C.W.S. (3d) 1024 :

[17] […] Par conséquent, la Commission n'avait devant elle aucun élément qui aurait pu la conduire à une conclusion différente ou qui l'aurait obligée à faire une analyse distincte aux fins de l'article 97. Même si la Commission a commis une erreur en n'effectuant pas une analyse portant expressément sur l'article 97, il n'y aurait aucun intérêt pratique à renvoyer cette affaire à la Commission pour nouvelle décision.

 

Conclusion

[41]           Pour les motifs que j’ai exposés, je conclus que le commissaire n’a commis aucune erreur justifiant notre intervention en rendant sa décision. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4609-07

 

INTITULÉ :                                                   Onur Mahmutyazicioglu

            c.

            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Rhonda Marquis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

166, rue Pearl, bureau 100

Toronto (Ontario)  M5H 1L3

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.