Ottawa (Ontario), le 8 mai 2008
En présence de madame la juge Dawson
Entre :
MARK BURLEY, OVILA COMEAU, EUGENE DAIGLE, RHEAL DOUCET,
IDOLA FONTAINE, RONALD KELLY, KENNETH KELLY, CECIL KELLY,
ESMOND VAUTOUR et NORMAN VAUTOUR
demandeurs
et
le procureur général du Canada
défendeur
motifs du jugement et jugement
[1] Le parc national Kouchibouguac (le parc) est situé sur la côte est du Nouveau-Brunswick et s’étend le long de la côte acadienne. Il s’enorgueillit de l’eau salée la plus chaude au nord de la Virginie et loge une grande variété d’espèces, notamment un oiseau de rivage menacé, le pluvier siffleur, neuf plantes rares et des myes.
[2] La création du parc en 1969 avait suscité la controverse. Il y avait eu des plaintes concernant un certain nombre de sujets, notamment que l’expropriation avait été faite d’une manière qui laissait beaucoup à désirer, qu’une indemnité insuffisante avait été versée pour les terres expropriées, qu’une indemnité inadéquate avait été versée pour la perte des activités de pêche commerciale et de pêche aux coques dans le par cet que par la suite, de toute manière, la pêche et la pêche aux coques avaient été autorisées dans le parc.
[3] En 1981, une enquête spéciale, présidée par Gérard V. La Forest, c.r., a donné lieu à un rapport qui examinait l’historique de la création du parc et proposait une série de recommandations destinées à résoudre les griefs en cours et à assurer l’exploitation et l’utilisation paisibles du parc (le rapport de la Commission La Forest). Une des recommandations déclarait ce qui suit : « Nous recommandons que la pêche aux coques avec outils manuels dans le Parc soit maintenue, même pour fins de vente à l'extérieur du Parc, garantissant ainsi ce droit aux anciens résidents, tout en reconnaissant à Parcs Canada la responsabilité de protéger cette ressource par des règlements appropriés. »
[4] La présente demande de contrôle judiciaire donne à penser que la controverse entourant la création du parc ne s’est pas complètement apaisée.
[5] Les demandeurs sont membres de la Kouchibouguac Commercial Clam Fishermen Association Inc. Le premier demandeur, M. Mark Burley, est le président de cette association. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent la décision rendue le 30 juillet 2007 par un directeur en application de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32 (la Loi), interdisant la capture de la mye dans le parc du 1er août 2007 au 31 mars 2008 (l’ordre de fermeture). Selon le directeur, le facteur déterminant de la décision de fermer la pêche de la mye était l’incapacité de l’Agence Parcs Canada d’assurer la présence de membres du personnel d’application de la loi qui feraient respecter le régime de protection mis en place pour la pêche aux coques.
[6] Les demandeurs affirment qu’ils possèdent un droit traditionnel de pêcher la mye dans le parc que le directeur ne peut pas abroger. De plus, en tant que personnes qui ont montré une utilisation commerciale historique de la pêche aux coques, les demandeurs se trouvent parmi 37 personnes qui sont admissibles à un permis de capture commerciale de la mye dans le parc, et en détiennent un.
Les questions en litige
[7] Les parties reconnaissent que la présente demande est théorique parce que la décision en cause a expiré le 31 mars 2008. Il s’ensuit qu’une décision de la Cour ne résoudra pas un litige actuel qui touche maintenant les droits des parties.
[8] En conséquence, les questions à trancher sont les suivantes :
1. La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande, nonobstant le fait que la décision du directeur a cessé d’avoir un effet concret sur les parties?
2. Si oui, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du directeur?
3. Le directeur a-t-il commis une erreur en décidant d’interdire aux demandeurs de capturer la mye dans le parc?
Résumé des conclusions
[9] Pour les motifs ci-après, j’ai décidé que :
1. La Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner le caractère approprié de l’ordre de fermeture.
2. La Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner l’existence d’un droit traditionnel que pourraient posséder les demandeurs pour la pêche de la mye dans le parc.
3. La norme de contrôle à appliquer à la décision du directeur est la norme de la décision raisonnable.
4. Le directeur n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en décidant de fermer la cueillette de myes pour le reste des saisons de 2007 et 2008.
Le caractère théorique
[10] Comme il est expliqué ci-dessus, les parties conviennent que la décision du directeur est maintenant théorique en droit. Toutefois, toute analyse juridique concernant le caractère théorique doit être réalisée selon un processus en deux temps. En premier lieu, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. Les trois facteurs pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont : l’existence d’un débat contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et la prise en considération par la Cour de sa fonction véritable dans l’élaboration du droit (voir l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).
[11] Je suis d’accord avec les parties que la question est maintenant théorique. Le paragraphe 9(1) et l’article 42.2 de l’annexe II du Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada, C.R.C., ch. 1120 (le Règlement), prévoient que la saison annuelle de la pêche de la mye dans les eaux du parc s’étend du 15 mai au 15 septembre de chaque année1. Le paragraphe 35(1) du Règlement autorise le directeur à interdire la pêche dans les eaux d’un parc pendant une saison de pêche. La période de fermeture en cause dans la présente demande est maintenant terminée et la saison de pêche devrait commencer à nouveau le 15 mai 2008, à moins d’un nouvel ordre de fermeture.
[12] En d’autres termes, toute décision que peut rendre la Cour à l’égard du caractère approprié de l’ordre de fermeture ne résoudra pas un litige actuel concernant la capacité actuelle des demandeurs de pêcher la mye.
[13] En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire de la Cour d’entendre une affaire qui est théorique, les parties conviennent que la Cour a le choix d’exercer son pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur le caractère approprié de l’ordre de fermeture, tout en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur l’existence de droits traditionnels que peuvent posséder les demandeurs pour la pêche de la mye. Ce choix est possible parce que le procureur général admet que les demandeurs ont la qualité pour présenter la présente demande en vertu de leur statut à titre de titulaires de permis qui leur permet de capturer la mye sur une échelle commerciale.
[14] En ce qui a trait à la question de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner le caractère approprié de l’ordre de fermeture, il est évident que le contexte contradictoire nécessaire demeure, malgré l’expiration de l’ordre de fermeture. Les avocats des deux parties ont comparu et débattu à fond le bien-fondé de la présente demande (voir Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, le paragraphe 44).
[15] En ce qui a trait au souci concernant la dépense des ressources judiciaires, ce souci est dissipé en partie si la décision de la Cour a en pratique un effet sur les droits des parties. Le souci est également dissipé, du moins partiellement, dans une affaire de nature récurrente, mais brève. Il en est ainsi parce que, pour éviter que des questions importantes soulevées dans un contexte unique échappent au contrôle, la doctrine du caractère théorique n’est pas appliquée avec sa rigidité habituelle.
[16] En appliquant ces principes en l’espèce, le facteur qui a mené à l’ordre de fermeture — l’absence de membres du personnel d’application de la loi — peut fort bien perdurer. La preuve n’est pas contestée que les difficultés relatives à l’application de la loi sont survenues après l’émission d’une directive par un agent d’appel le 9 mai 2007 en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Selon cette directive, les gardiens de parc devaient cesser toute activité d’application de la loi, à moins qu’une arme de poing ne leur soit fournie et qu’ils reçoivent la formation pertinente pour l’utiliser. En réponse à cette directive, Parcs Canada a retiré, dans tous les pays, les gardiens de parc de toutes les activités d’application de la loi.
[17] En l’espèce, pour tenter d’obtenir une autre solution pour l’application de la loi dans le parc, Parcs Canada s’est adressé à différents ministères fédéraux dotés de la capacité de faire respecter les lois, dont la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Parcs Canada a réussi à obtenir du personnel d’application de la loi auprès du détachement local de la GRC pour le mois de juin 2007. Parcs Canada n’a pas été en mesure de conclure d’autres ententes pour l’application de la loi pour la période postérieure à la fin de juin 2007.
[18] La question de la nécessité pour les gardiens de parc d’avoir une arme de poing suscite la controverse (voir Martin c. Canada (Procureur général), [2005] 4 R.C.F. 637 (C.A.)). Il se peut fort bien que cette controverse demeure non résolue au 15 mai 2008 et que les autres moyens d’application de la loi demeurent aussi rares qu’ils l’étaient en juillet 2007.
[19] Dans de telles circonstances, j’estime qu’une décision concernant la pertinence de la disponibilité de la présence de personnel d’application de la loi dans le parc aidera les parties.
[20] De même, il y aura vraisemblablement un délai relativement court entre la délivrance d’un autre ordre de fermeture et la fin de la saison. Ainsi, il est très difficile pour les parties de rédiger une demande de contrôle judiciaire, de la faire entendre et d’obtenir une décision à son sujet avant que tout ordre de fermeture ne devienne théorique. Les parties n’ont pas été en mesure de le faire en l’espèce.
[21] Compte tenu de l’effet pratique que la décision pourrait avoir, de la difficulté d’obtenir le contrôle judiciaire d’ordres de fermeture avant qu’ils ne deviennent théoriques et de la préférence de la Cour pour trancher des questions importantes en fonction d’un dossier détaillé, avec suffisamment de temps pour les arguments et l’examen, je conclus que les soucis légitimes concernant l’économie des ressources judiciaires seraient dissipés si la Cour tranchait la question du caractère approprié de l’ordre de fermeture.
[22] En ce qui concerne le dernier critère, je ne crois pas qu’une décision portant sur le caractère raisonnable de l’ordre de fermeture du directeur pourrait être perçue comme une intrusion dans les rôles des pouvoirs législatif ou exécutif du gouvernement.
[23] Après avoir examiné les trois critères en vertu de la deuxième étape de l’analyse du caractère théorique, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de trancher la question de savoir si l’ordre de fermeture est entaché d’une erreur susceptible de contrôle.
[24] Je tire la conclusion opposée à l’égard de la revendication des demandeurs selon laquelle ils ont un droit traditionnel de pêche commerciale de la mye. Cette conclusion repose largement sur la fragilité du dossier de la preuve sur ce point. À cet égard, bien que M. Burley ait souscrit un affidavit concernant sa relation avec le parc et sa compréhension selon laquelle les résidents ou les anciens résidents du parc ont un droit traditionnel de pêcher la mye, le fondement de cette compréhension n’est pas clairement énoncé dans son affidavit. De plus, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant les antécédents personnels et la situation des autres demandeurs.
[25] Lorsque j’examine l’ensemble du dossier dont je suis saisie, au moins trois questions importantes demeurent sans réponse.
[26] Premièrement, au moment où les terres qui constituent maintenant le parc ont été expropriées, le Règlement de pêche du Nouveau-Brunswick, C.P. 1954-1908, était en vigueur. L’article 5 de ce règlement interdisait de pêcher, de prendre, d’avoir en sa possession des myes d’une longueur moindre que celle prévue (sauf lorsqu’elles étaient prises d’une zone surpeuplée désignée comme telle par le ministre responsable), interdisait de pêcher, de prendre des myes de tout banc public autrement qu’avec des outils à main et interdisait l’exportation des myes du Nouveau-Brunswick, sauf écaillées ou en conserve. Outre ces restrictions, il ne semble pas qu’il était nécessaire de détenir un permis ou une licence pour pêcher la mye, soit à des fins récréatives ou commerciales. Cela semble indiquer qu’avant l’expropriation des terres pour le parc, le droit des demandeurs de capturer des coques était un droit partagé avec toute autre personne du Nouveau-Brunswick et, à l’instar de tous les pêcheurs, les demandeurs étaient assujettis à des restrictions sur leur capacité de capturer des coques. Il serait nécessaire de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour expliquer le fondement historique du droit que revendiquent les demandeurs dans ces circonstances.
[27] Deuxièmement, M. Burley accorde une grande importance aux recommandations du rapport de la Commission La Forest. Par exemple, M. Burley jure que [traduction] « mon moyen de subsistance et ma sécurité future, comme ceux des autres demandeurs, reposent sur l’adhésion continue de Parcs Canada aux recommandations du rapport de la Commission La Forest. » Cependant, comme l’indique le paragraphe 3, la recommandation du rapport de la Commission La Forest prévoyait que tout droit de capturer la mye devait être assujetti au droit de Parcs Canada de réglementer et de gérer la capture pour protéger la ressource. Ainsi, la portée de la recommandation pertinente était plus étroite que la portée du droit traditionnel que revendiquent maintenant les demandeurs. Ceci exige une explication.
[28] Enfin, le rapport de la Commission La Forest présentait des recommandations à l’égard d’autres pêches, plus particulièrement la pêche à l’anguille, à l’éperlan et au gaspareau. Au moment de la publication du rapport (en octobre 1981), les personnes qui détenaient des permis en 1967, 1968 ou 1969 et les titulaires de permis d’alors pouvaient continuer ce genre de pêches dans le parc. Le rapport de la Commission La Forest recommandait que le gouvernement fédéral déclare qu’il s’agissait là d’une politique établie, qui continuerait d’être en vigueur tant qu’elle serait nécessaire pour permettre à ceux qui avaient le droit de pêcher de le faire.
[29] Le paragraphe 2.1(1) du Règlement prévoit maintenant ce qui suit :
[30] Il n’existe pas de disposition semblable à l’égard de la pêche commerciale de la mye dans le parc. L’existence du paragraphe 2.1(1) du Règlement et l’absence d’une disposition équivalente à l’égard de la pêche à la mye ne sont pas compatibles avec les droits revendiqués par les demandeurs qui, selon eux, découlent en partie du rapport de la Commission La Forest.
[31] Une question aussi importante que l’existence du droit traditionnel allégué des demandeurs de faire de la pêche commerciale de la mye ne devrait pas être tranchée en fonction de la preuve limitée dont la Cour est actuellement saisie. En conséquence, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner cette question.
[32] Ayant décidé d’examiner le caractère approprié de l’ordre de fermeture, je me penche maintenant sur la norme de contrôle pertinente à appliquer à la décision du directeur.
La norme de contrôle
[33] Dans des observations supplémentaires, déposées à la suite de la publication de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, les parties ont toutes deux soutenues que la norme de contrôle applicable à la décision du directeur est la norme de la décision raisonnable. Pour les brefs motifs qui suivent, je suis d’accord.
[34] La décision du directeur a été prise en application du paragraphe 35(1) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :
35(1) Malgré les articles 3 et 10 et l’annexe II, un directeur peut, par avis écrit durant une saison de pêche, interdire ou limiter la pêche dans les eaux du parc lorsque la protection, la conservation ou la gestion des poissons dans ces eaux l’exigent. [Non souligné dans l’original.] |
35(1) Notwithstanding sections 3 and 10 and Schedule II, a superintendent may, by notice in writing, during an open season close any park waters to fishing or restrict the extent of fishing in such waters where it is necessary to do so for the protection, conservation and management of fish in those waters. [Underlining added.] |
[35] Le Règlement a été pris sous l’autorité de l’alinéa 16(1)d) de la Loi. Le paragraphe 4(1) de la Loi dédie les parcs nationaux du Canada au peuple canadien et exige que ces parcs soient « entretenus et utilisés conformément à la présente loi et aux règlements de façon à rester intacts pour les générations futures. »
[36] Aux termes de l’article 8 de la Loi, le ministre est responsable de la gestion et du contrôle des parcs nationaux du Canada. L’article stipule également que « la préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques » sont la première priorité du ministre (et de ses délégués) pour la gestion des parcs.
[37] La Loi et le Règlement ne contiennent aucune clause privative pertinente.
[38] Voilà le contexte législatif dans lequel la norme de contrôle doit être déterminée.
[39] Parmi les facteurs contextuels importants, mentionnons que la décision du directeur est discrétionnaire et comporte des questions de fait et de politique. De plus, le directeur possède une expérience et une expertise plus grandes que celles de la Cour lorsqu’il s’agit d’examiner ce qui est nécessaire pour protéger, pour préserver ou gérer le poisson. Ces facteurs appellent généralement la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53). Je suis convaincue que la norme de la décision raisonnable est appropriée en l’espèce.
[40] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision se demande si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).
L’application de la norme de contrôle à la décision du directeur
[41] Je commence l’examen du caractère raisonnable de la décision du directeur en abordant brièvement le cadre législatif.
[42] Comme il a déjà été mentionné, le Règlement est pris en vertu de l’alinéa 16(1)d) de la Loi, qui autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant la gestion et la réglementation de la pêche.
[43] Le Règlement vise à protéger la pêche à la mye comme suit :
- l’alinéa 3(1)d) interdit la pêche de la mye dans les eaux du parc, à moins que le pêcheur ne soit titulaire d’un permis de pêche de la mye;
- l’alinéa 15.1(c) exige l’obtention d’un permis, délivré en vertu du Règlement de 1998 sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux, DORS/98-455, pour prendre de la mye dans le parc à des fins commerciales;
- les saisons de pêche, de même que les limites de prise et de possession sont fixées à la fois pour la pêche de la mye récréative et commerciale dans le parc;
- les paragraphes 9(1) et 9(2) et l’article 42.2 de l’annexe II limitent la pêche de la mye du 15 mai au 15 septembre de chaque année;
- l’article 20.1 impose les limites supplémentaires suivantes à l’étendue de la pêche de la mye :
- l’article 10 et l’article 20 de l’annexe III prévoient les limites de prise pour la pêche récréative de la mye et interdisent la capture récréative ou commerciale de la mye à moins que sa longueur totale ne soit supérieure à 50 mm.
[44] De plus, tel qu’il a déjà été indiqué, le paragraphe 35(1) du Règlement permet au directeur d’interdire ou de limiter la pêche dans les eaux d’un parc, lorsque la protection, la conservation et la gestion des poissons l’exigent.
[45] En ce qui concerne la décision en cause, les éléments de preuve suivants ne sont pas contredits :
- la décision de fermer la pêche de la mye a été précipitée par la décision de Parcs Canada de retirer aux gardiens de parc les activités d’application de la loi;
- afin d’obtenir une présence de rechange pour appliquer la loi, Parcs Canada a convenu avec la GRC d’effectuer des patrouilles de protection de la mye, mais uniquement pour le mois de juin 2007;
- Parcs Canada a fait d’autres efforts, mais ni le ministère de l’Environnement, ni le ministère des Pêches et Océans n’ont été en mesure d’offrir de l’aide pour le reste de la saison.
[46] Le paragraphe 35(1) autorise le directeur à fermer la pêche de la mye en vue de la « protection » des poissons. Je conviens, avec le procureur général, que l’exigence de protéger les poissons se rapporte à la nécessité d’empêcher des actions qui porteraient préjudice ou menaceraient les poissons, ou du moins, que cette exigence inclut cette nécessité. La capacité de faire respecter la loi est, par conséquent, directement pertinente en ce qui concerne la nécessité de protéger les poissons. En l’absence de membres du personnel d’application de la loi, il n’existe aucun moyen de faire respecter les restrictions et les règlements en vigueur pour protéger les poissons.
[47] À mon avis, il s’ensuit qu’assurer l’existence de ressources adéquates pour l’application de la loi entre dans le cadre de la protection de la pêche.
[48] Les antécédents de la pêche de la mye dans le parc deviennent donc pertinents. En 2001, on a retiré aux gardiens du parc les activités d’application de la loi. Néanmoins, la pêche de la mye a été autorisée et s’est poursuivie au cours de cette année-là.
[49] Selon les demandeurs, la situation qui en a découlé en 2001 était semblable à la « loi de la jungle ». M. Burley jure que, pendant la saison de 2001, il a observé de la surpêche et la cueillette de myes dont la taille était inférieure à la taille réglementaire, entraînant un important déclin des stocks de myes dans le parc.
[50] Les parties conviennent que l’étendue du déclin était telle que la pêche de la mye est demeurée fermée jusqu’à la saison de 2007. Par la suite, Parcs Canada a informé les demandeurs, par lettre datée du 21 juin 2007, de la reprise de la pêche de la mye à un niveau qui pouvait supporter la capture, avec des mesures de conservation.
[51] Compte tenu du cadre législatif, des efforts de bonne foi de Parcs Canada pour tenter d’obtenir une présence pour l’application de la loi et de l’expérience antérieure, lorsqu’on a initialement retiré aux gardiens de parc les fonctions d’application de la loi, il existait un fondement justifiable, transparent et intelligible pour la décision du directeur selon laquelle, en l’absence de d’une présence pour l’application de la loi afin de protéger la pêche de la mye, il devait fermer la pêche en vue de la protéger. J’estime que cette décision ne se situe pas en dehors de la gamme des issues acceptables et défendables. La décision était donc raisonnable. Les facteurs clés du caractère raisonnable de la décision étaient l’effort véritable qu’a fait Parcs Canada en vue d’obtenir des ressources adéquates pour l’application de la loi et les antécédents antérieurs de la pêche de la mye.
[52] Les demandeurs contestent le caractère raisonnable de la décision en s’appuyant sur deux motifs principaux. Premièrement, ils disent que la fermeture n’était pas nécessaire pour la protection, la conservation ou la gestion de la pêche. Deuxièmement, les demandeurs soutiennent qu’il n’existe aucune preuve indiquant que la fermeture de la pêche a réalisé les objectifs de la Loi.
[53] En ce qui a trait à l’observation des demandeurs selon laquelle la fermeture de la pêche n’était pas nécessaire, les demandeurs prétendent que le déclin de la pêche en 2001 a été causé par l’omission de Parcs Canada d’imposer des restrictions à l’égard de ceux qui pouvaient pêcher la mye ou de la taille des prises.
[54] Toutefois, cette observation est contraire au règlement en vigueur au cours de l’été de 2001. La version du Règlement sur la pêche dans les parcs nationaux du Canada en vigueur au 30 avril 2001, interdisait la capture commerciale des myes dans le parc sans permis (l’alinéa 15.1c)), limitait la durée de la saison (le paragraphe 9(1) et l’article 42.2 de l’annexe II) et imposait des limites aux prises et à la possession quotidiennes ainsi qu’à la longueur totale (article 10 du Règlement et article 20 de l’annexe III).
[55] Compte tenu de l’existence de ce règlement, je conclus que la perturbation de la pêche de la mye en 2001 découlait de l’absence de membres du personnel d’application de la loi et non de l’absence de règlements en matière de conservation.
[56] En ce qui concerne la deuxième observation des demandeurs selon laquelle l’ordre de fermeture n’est pas conforme aux objectifs de la loi, cet ordre a été prononcé en application d’un règlement pris aux fins de gérer et de réglementer la pêche. Cette activité de gestion est compatible avec la première priorité du mandat du ministre : la préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques (voir le paragraphe 8(2) de la Loi).
[57] Les demandeurs s’appuient sur d’autres objectifs législatifs, notamment :
- l’exercice des activités traditionnelles en matière de capture de ressources renouvelables dans un parc national (article 17 de la Loi);
- la protection des exemples significatifs — du point de vue national — du patrimoine culturel du Canada dans les parcs nationaux en raison de l’importance du rôle qu’ils jouent dans la vie des Canadiens et dans la structure de la nation (préambule de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, (la Loi sur l’Agence));
- l’encouragement à la bonne intendance (préambule de la Loi sur l’Agence).
[58] Cependant, l’article 17 de la Loi ne s’applique aucunement en l’espèce, puisque qu’il n’y a aucune preuve d’un accord fédéral-provincial rendant l’alinéa 17(1)f) de la loi applicable, pas plus qu’il n’y a de preuve de revendications territoriales rendant le paragraphe 17(2) applicable.
[59] Bien que la Loi sur l’Agence prévoie, dans son préambule, la protection de l’héritage culturel et l’encouragement à la bonne intendance, ces objectifs, apparaissant dans des lois distinctes mais connexes, ne peuvent pas l’emporter sur le paragraphe 8(2) de la Loi qui fait de la préservation ou de la restauration de l’intégrité écologique la première priorité dans un parc national. Dans le paragraphe 2(1), la Loi précise que l’« intégrité écologique » comprend « la composition et l’abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques ainsi que le rythme des changements et le maintien des processus écologiques ».
Conclusion et dépens
[60] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[61] Chaque partie a réclamé les dépens si elle avait gain de cause. À mon avis, les dépens devraient suivre le sort du principal.
[62] Au cas où les parties ne parviendraient pas à s’entendre sur ce point, les demandeurs versent au défendeur des dépens taxés conformément au milieu de la fourchette de la colonne III du tableau du Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
1. Dans le Règlement, la définition du mot « poisson » comprend la mye. Par conséquent, le règlement (voir l’article 20.1) et les présents motifs parlent de la pêche de la mye.
JUGEMENT
La cour statue que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Au cas où les parties ne parviendraient pas à s’entendre sur ce point, les demandeurs versent au défendeur des dépens taxés conformément au milieu de la fourchette de la colonne III du tableau du Tarif B des Règles des Cours fédérales.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, juriste-traducteur
Cour fédérale
Avocats inscrits au dossier
Dossier : T-1594-07
Intitulé : MARK BURLEY ET AUTRES
c.
Le procureur général du Canada
Lieu de l’audience : FREDERICTON
(Nouveau-Brunswick)
DATE de l’audience : le 8 avril 2008
Motifs du jugement
Date des motifs
ET DU JUGEMENT : le 8 mai 2008
Comparutions :
LEE McKEIGAN-DEMPSEY pour les demandeurs
MELISSA CAMERON pour le défendeur
Avocats inscrits au dossier :
Ellsworth Johnson Philips pour les demandeurs
Moncton (Nouveau-Brunswick)
John H. Sims, c.r. pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada