Date : 20080508
Dossier : IMM‑1985‑07
Référence : 2008 CF 586
Ottawa (Ontario), le 8 mai 2008
En présence de monsieur le juge Blanchard
ENTRE :
Erika Angelina ZAMORA HUERTA
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse, Erika Angelina Zamora Huerta, est une citoyenne du Mexique qui a demandé l’asile. Elle a allégué craindre avec raison d’être persécutée par son ex‑conjoint de fait, Ernesto Ibanez Argumedo, un membre de l’Agence fédérale d’enquête (l’AFE) de la police mexicaine, par qui elle a été agressée sexuellement et battue. Dans sa décision rendue le 25 avril 2007, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile parce qu’elle n’a pas cru que la demanderesse était la personne qu’elle prétendait être et qu’elle a jugé que ses allégations de violence étaient non crédibles. La Commission a également conclu que la demanderesse pouvait se réclamer de la protection de l’État au Mexique et qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) dans ce pays.
[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.
I. Contexte
[3] Dans sa demande, la demanderesse fait état des trois incidents suivants de violence qu’elle aurait subis de la part de son ex‑conjoint de fait :
(a) Lorsqu’elle a emménagé avec lui pour la première fois, le 17 septembre 2001, son ex‑conjoint s’est mis très en colère contre elle et l’a frappée parce qu’elle ne voulait pas avoir de relations sexuelles avec lui.
(b) En avril 2003, son ex‑conjoint l’a battue violemment parce qu’elle ne l’avait pas servi correctement, et elle s’en est sortie avec un visage méconnaissable et un bras cassé. Son ex‑conjoint l’a amenée à la clinique médicale Balbuena et a expliqué au médecin qu’elle avait été battue par des criminels. De retour à la maison, elle a annoncé à son ex‑conjoint qu’elle désirait mettre fin à leur relation, mais ce dernier a brûlé toutes ses pièces d’identité, la menaçant de la battre de nouveau si elle le quittait.
(c) Un autre incident est survenu lorsqu’un voisin, qui avait entendu les cris de la demanderesse, a téléphoné à un travailleur social de l’Agence pour le développement intégral de la famille (le DIF) qui l’a interrogée et l’a amenée au ministère public de la police judiciaire pour qu’elle puisse porter plainte. L’un des agents connaissait son ex‑conjoint de fait et l’a mis au courant. Elle a été escortée chez elle par des agents de police. À son arrivée, son ex‑conjoint de fait l’a battue jusqu’à ce qu’elle perde conscience, devant les escortes policières. Elle croit qu’il a également essayé de l’étrangler.
[4] En 2004, la demanderesse a fui Mexico pour se rendre à Queretaro, mais son ex‑conjoint de fait a réussi à la retrouver. Il l’a ramenée avec lui et l’a enfermée chez eux pendant quelques jours. Par la suite, elle a réussi à s’échapper et à s’enfuir.
[5] La demanderesse est entrée au Canada le 24 septembre 2004. Après son arrivée, elle a vécu pendant un an avec un homme qui avait promis de l’épouser et de la parrainer, mais cela ne s’est pas concrétisé. Elle a demandé l’asile le 8 avril 2006.
II. Décision de la Commission
[6] En ce qui concerne l’identité de la demanderesse, la Commission a douté de l’authenticité de son passeport parce que celle‑ci « sembl[ait] l’avoir obtenu irrégulièrement ». La Commission a fait observer que la demanderesse avait témoigné avoir obtenu son passeport au Mexique en présentant une carte d’électeur périmée, parce que son ex‑conjoint de fait avait brûlé toutes ses pièces d’identité. La Commission a jugé que cette explication contredisait l’information contenue dans la documentation sur le Mexique, selon laquelle il faut présenter un certificat de naissance pour obtenir un passeport valide. En outre, la demanderesse a admis qu’elle possédait effectivement un certificat de naissance, qui se trouvait chez sa mère au Mexique, mais qu’elle n’avait pas demandé à sa mère de le lui envoyer parce que son avocat ne lui avait pas dit de le faire. La Commission a conclu que le passeport, seul document que la demanderesse a déposé en preuve pour établir son identité, n’était pas authentique.
[7] Pour ce qui est des allégations de violence de la demanderesse, la Commission a relevé les incohérences et contradictions suivantes dans son témoignage :
(1) Dans le rapport psychologique déposé en preuve, il est expliqué que la patiente, qui a été traumatisée par la violence qu’elle a subie de la part de son ex‑conjoint de fait, [traduction] « maintient catégoriquement qu’elle s’abstiendra de toute activité sexuelle ». Or, peu après son arrivée au Canada, le 24 septembre 2004, la demanderesse a noué une relation avec un autre homme et a vécu avec lui en union de fait pendant environ un an. La Commission a indiqué que la demanderesse n’avait pas pu justifier cette incohérence.
(2) La demanderesse a témoigné qu’elle avait été battue violemment et qu’elle avait eu un bras dans le plâtre. Or, le certificat médical présenté en preuve mentionne qu’elle a subi [traduction] « de multiples blessures aux deux bras » et au bassin, mais n’indique nullement qu’il ait fallu lui faire un plâtre au bras. La demanderesse n’a pas pu justifier cette divergence.
[8] La Commission a conclu qu’examinées ensemble, les deux incohérences rendaient non crédibles les allégations de violence physique formulées par la demanderesse.
[9] En ce qui concerne la protection de l’État, la demanderesse n’a pas réfuté la présomption selon laquelle elle pourrait se réclamer de la protection de l’État au Mexique. La seule tentative par la demanderesse de porter plainte n’était pas suffisante puisqu’elle pouvait aussi avoir recours, entre autres, à la Commission nationale des droits de la personne, à l’Institut national de la femme, à SACTEL (un service téléphonique confidentiel offert 24 heures sur 24 créé pour permettre aux citoyens de porter plainte contre les agissements de fonctionnaires) ou à la Direction de l’aide aux citoyens du contrôleur général.
[10] À l’appui de ses conclusions, la Commission a cité des éléments de preuve documentaires qui précisent que le gouvernement mexicain poursuit la mise en œuvre de la réforme du système policier et qu’il mène des enquêtes relativement à des actes présumés d’inconduite de la part d’agents fédéraux et d’employés du gouvernement. Ces enquêtes donnent lieu à des avertissements, à des réprimandes, à des suspensions et à des congédiements.
[11] La Commission a également indiqué qu’il est clair, à en juger par la preuve, que le gouvernement déploie des efforts soutenus pour renforcer la protection offerte aux femmes par l’État. Le gouvernement a créé de nombreuses initiatives visant à s’attaquer au problème de la violence faite aux femmes, notamment, par l’adoption, dans 15 États, de nouvelles lois sur la violence faite aux femmes et par la mise en œuvre, dans 16 États, de programmes de lutte contre cette forme de violence. Plus précisément, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence faite aux femmes souligne que [traduction] « [l]e gouvernement du Mexique déploie des efforts considérables pour prévenir, punir et éliminer la violence faite aux femmes et fait preuve de diligence raisonnable à cet égard ».
[12] Enfin, quant à la question de la PRI, la Commission était d’avis que la demanderesse pourrait s’installer dans une autre grande ville, comme Guadalajara ou Monterrey, en prenant des précautions raisonnables, comme par exemple ne pas révéler sa nouvelle adresse à ses parents et à ses amis. La Commission a jugé qu’il n’y avait aucun risque sérieux que la demanderesse puisse être retrouvée par son ex‑conjoint de fait, même si ce dernier travaillait pour l’AFE. La Commission a examiné la possibilité que l’ex‑conjoint de fait, en tant qu’agent de l’AFE, soit en mesure de retrouver la demanderesse par des moyens électroniques, en utilisant sa carte d’électeur, mais elle a conclu d’après le dossier que, selon la prépondérance des probabilités, cela ne se produirait pas. En outre, compte tenu de ses études et de son expérience de travail comme serveuse et vendeuse, la demanderesse devrait être en mesure de s’adapter sans trop de difficulté à une nouvelle ville au Mexique.
III. Questions en litige
[13] La présente demande soulève les questions suivantes :
A. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité?
B. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse sur la protection de l’État?
C. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la PRI?
IV. Norme de contrôle
[14] Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité, et la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur au Mexique sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le degré de déférence dont il convient de faire preuve à l’égard de chacune de ces questions mixtes de fait et de droit a déjà été examiné de manière satisfaisante dans la jurisprudence. Voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, concernant la norme de contrôle applicable généralement; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. no 2127 (QL), au paragraphe 5, Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), au paragraphe 6, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), au paragraphe 19), concernant les conclusions quant à la crédibilité; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, (2007), 362 N.R. 1, au paragraphe 38 (C.A.F.), concernant la conclusion relative au caractère adéquat de la protection de l’État; et Hattou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 230, [2008] A.C.F. no 275 (QL), au paragraphe 12, et Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (QL), au paragraphe 11, concernant les conclusions relatives à la PRI.
[15] En appliquant la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la Commission, je dois me demander « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.)
V. Analyse
A. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité?
[16] Dans la présente affaire, je conclus que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse sont déraisonnables dans les circonstances.
[17] Lorsqu’elle a rejeté le passeport de la demanderesse, la seule pièce d’identité qu’elle détenait, la Commission s’est appuyée sur des renseignements relatifs à l’obtention d’un passeport mexicain à partir de l’étranger et non du Mexique. La preuve documentaire révèle que, pour obtenir un passeport valide de l’étranger, il faut présenter un certificat de naissance. Cependant, rien dans la preuve au dossier n’indique que la même exigence s’applique au processus d’obtention d’un passeport au Mexique. La décision de rejeter le passeport qui établissait l’identité de la demanderesse est donc fondée sur une mauvaise interprétation des faits et a été rendue sans égard à la preuve présentée. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas établi son identité.
[18] Quant à la première des deux contradictions relevées dans le témoignage de la demanderesse, je conclus que la Commission n’a pas tenu compte de l’explication qu’elle avait donnée. La Commission a fait référence au rapport du psychologue qui indiquait que la demanderesse voulait s’abstenir de toute activité sexuelle en raison de l’expérience traumatisante qu’elle avait vécue avec son ex‑conjoint de fait au Mexique, et elle a mis cette déclaration en contraste avec le fait que la demanderesse avait noué une relation avec un homme peu de temps après son arrivée au Canada. Confrontée à cette contradiction, la demanderesse a donné l’explication suivante que je reproduis de la transcription de l’audience :
[traduction]
Président de l’audience : J’ai une question, parce qu’il y a quelque chose qui m’embête.
En lisant le rapport du Dr Palowski, je constate que celui‑ci a écrit, à la page 4, que vous vous abstiendrez de toute activité sexuelle.
Demanderesse : Pour le moment.
Président de l’audience : Alors, quel type de relation avez‑vous entretenu avec cet homme?
Demanderesse : Non, ce que je voulais dire c’est que, pour le moment, maintenant que ma relation avec cet homme a pris fin, je vais m’abstenir de toute activité sexuelle jusqu’à ce que je me sente mieux, que je me guérisse.
Président de l’audience : Merci.
(Page 282, du dossier du Tribunal.)
[19] Bien que cette explication ait effectivement été donnée par la demanderesse à l’audience, la Commission a indiqué dans ses motifs qu’« [e]lle n’a pu justifier le fait qu’elle avait vécu en union de fait avec M. Ramirez malgré ses précédentes déclarations, citées dans le rapport psychologique ». La Commission a commis une erreur en déclarant que la demanderesse n’avait donné aucune explication et en omettant d’examiner dans ses motifs le caractère suffisant de l’explication donnée par la demanderesse. Sa conclusion d’incohérence est donc déraisonnable.
[20] La deuxième contradiction, relevée par la Commission, portait sur la déclaration de la demanderesse selon laquelle il lui avait fallu un plâtre après l’agression dont elle avait été victime par son ex‑conjoint de fait au Mexique et sur un rapport médical de l’incident qui mentionnait que la demanderesse avait souffert [traduction] « de multiples blessures aux deux bras », mais qui ne précisait pas qu’il lui avait fallu un plâtre. Une fois encore, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas pu justifier la divergence. Même si aucune explication n’a été fournie, la Commission a bel et bien reconnu que cette contradiction en particulier ne suffirait pas à elle seule à rendre les allégations de violence de la demanderesse invraisemblables. Or, la Commission a poursuivi en indiquant que, mises ensemble, les deux contradictions justifiaient sa conclusion de non‑crédibilité.
[21] À mon avis, la conclusion de la Commission quant à l’existence d’une deuxième contradiction est également contestable dans les circonstances. De toute façon, puisque j’ai décidé que la conclusion de la Commission relative à la première incohérence est déraisonnable, et puisque la Commission a déclaré que c’était l’effet cumulatif des deux contradictions qui rendait le récit de la demanderesse non crédible, il n’est pas possible de savoir quel effet la conclusion erronée aurait eu sur l’analyse de la Commission et sur sa conclusion définitive sur le plan de la crédibilité. Par conséquent, j’estime que la conclusion de la Commission sur la crédibilité était erronée et est susceptible de contrôle. Voir Qalawi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 662, [2007] A.C.F. no 904 (QL), au paragraphe 17.
B. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse sur la protection de l’État?
[22] La Commission s’est appuyée sur la preuve documentaire pour conclure que « le Mexique, en tant que démocratie émergente, peut être considéré comme un État offrant à ses citoyens une protection qui est adéquate, sans être nécessairement parfaite ». La Commission a jugé que la demanderesse n’avait pas épuisé tous les recours qui s’offraient à elle avant de chercher à obtenir la protection internationale. Elle a conclu que la demanderesse pourrait se réclamer de la protection de l’État au Mexique.
[23] La Commission a précisé qu’il est clair, à en juger par la preuve, que le gouvernement déploie des efforts soutenus pour renforcer la protection offerte aux femmes par l’État. Entre autres initiatives, le gouvernement a adopté de nouvelles lois sur la violence faite aux femmes, a mis sur pied des programmes de lutte contre la violence et a créé un programme national de promotion de la santé des femmes visant à aider les victimes de violence conjugale.
[24] Les mêmes documents sur lesquels s’appuie la Commission décrivent également des faits qui contredisent directement sa conclusion selon laquelle la protection de l’État est offerte aux femmes au Mexique. Un examen attentif des documents permet d’établir que :
· [traduction] « Il existe toujours au Mexique un niveau élevé et intolérable de violence faite aux femmes; le gouvernement doit faire davantage pour satisfaire à ses obligations internationales. Les interventions policières et judiciaires dans le cas de violence fondée sur le sexe sont dans l’ensemble insuffisantes et doivent être améliorées […] »; (la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence faite aux femmes);
· La corruption, l’inefficacité et le manque de transparence des forces policières demeurent des problèmes de taille dans le système de justice et de nombreux agents de police sont impliqués dans des enlèvements et des extorsions;
· Bien que le gouvernement fédéral ait fait certains efforts de sensibilisation contre la corruption et de prévention de celle‑ci, on ne peut pas en dire autant pour ce qui est de l’exécution de la loi et les poursuites;
· La violence conjugale est souvent considérée comme une question de nature privée; nombreux sont ceux qui estiment que le sexisme et même la violence faite aux femmes font partie de notre tissu social, et cette façon de penser a amené bien des hommes, notamment des policiers, des poursuivants, des juges et d’autres hommes en position de pouvoir, à sous‑estimer le problème de la violence faite aux femmes;
· Les femmes qui sont victimes de violence conjugale sont confrontées à de nombreuses difficultés lorsqu’elles tentent de la signaler.
[25] La Commission n’a pas justifié pourquoi elle s’était appuyée de façon sélective sur la preuve documentaire. Elle n’a pas abordé les éléments de preuve susmentionnés qui contredisaient directement sa conclusion selon laquelle la protection était offerte aux femmes au Mexique. Ces éléments étayent le témoignage de la demanderesse et contredisent directement les documents sur lesquels la Commission s’est appuyée pour en arriver à la conclusion que le Mexique offrait à la demanderesse une protection. La décision de la Commission, concernant la protection de l’État, n’est pas suffisamment justifiée et intelligible. Elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.) Par conséquent, la décision relative à la protection de l’État est déraisonnable et doit être annulée.
C. La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la PRI?
[26] La Commission a conclu que la demanderesse disposait d’une PRI dans d’autres grandes villes au Mexique, notamment, Guadalajara, l’Ouest de Mexico, le Nord‑Est de Mexico et Monterrey, en prenant des précautions raisonnables et en ne révélant pas sa nouvelle adresse à ses parents et à ses amis.
[27] Pour décider s’il existe une PRI, la Cour d’appel fédérale a affirmé, dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL), au paragraphe 12 :
[…] Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s’agit d’un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C’est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire. [Non souligné dans l’original.]
[28] La Cour a ensuite conclu qu’une PRI ne peut pas être supposée ou théorique, mais qu’elle doit plutôt être une option réaliste et abordable; « on ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer ». (Arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 14.) La Cour a écrit qu’on ne devrait pas exiger des demandeurs qu’ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, mais qu’ « il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas trouver de travail qui leur convient ». (Arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 14.)
[29] La demanderesse a déclaré qu’elle s’était effectivement rendue à Queretaro en 2004, mais qu’elle avait été retrouvée par son ex‑conjoint de fait, un policier formé en tant qu’enquêteur, qui avait agressé sa mère et qui avait forcé celle‑ci à révéler la nouvelle adresse de sa fille. La Commission n’a pas expressément abordé ces allégations lorsqu’elle a analysé dans ses motifs la PRI. Cependant, la Commission a effectivement apporté des réserves à sa conclusion en déclarant que la demanderesse disposerait d’une PRI au Mexique, pourvu qu’elle prenne des précautions raisonnables et ne révèle pas sa nouvelle adresse à ses parents et à ses amis. Devoir dissimuler l’endroit où elle se trouve à sa famille et à ses amis revient à exiger de la demanderesse qu’elle se tienne cachée. Il est également reconnu de manière implicite que, même dans ces grandes villes, la demanderesse n’est pas hors de la portée de son ex‑conjoint de fait. Dans ces circonstances particulières, il ne peut exister une PRI pour la demanderesse. La conclusion de la Commission selon laquelle il existe une PRI n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit dans les circonstances. Ainsi, la décision relative à l’existence d’une PRI est déraisonnable et doit être annulée.
IV. Conclusion
[30] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 25 avril 2007 est annulée.
2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.
3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : ERIKA ANGELINA
ZAMORA HUERTA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 7 AVRIL 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 8 MAI 2008
COMPARUTIONS :
John Norquay Toronto (Ontario)
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Sally Thomas Toronto (Ontario)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Norquay Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada |