Ottawa (Ontario), le 6 mai 2008
En présence de monsieur le juge Kelen
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 24 août 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle la Commission a conclu que la demanderesse, citoyenne du Mexique, n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
LE CONTEXTE
[2] La demanderesse, citoyenne du Mexique, est arrivée au Canada en juillet 2005 à l’âge de 20 ans et elle a présenté une demande l’asile en raison de sa relation avec un politicien mexicain haut placé et bien connu, laquelle a duré de novembre 2001 jusqu’à environ mars 2005. La demanderesse soutient que, en raison du statut et de l’influence de ce politicien et de la manière qu’elle l’obsède, elle serait incapable d’obtenir une protection de l’État adéquate au Mexique.
[3] La demanderesse a fait la connaissance du politicien pour la première fois en novembre 2001 alors qu’il faisait campagne dans un grand ensemble de logements pour personnes à faible revenu où elle demeurait avec sa mère. Elle avait 16 ans à ce moment‑là. Elle affirme qu’elle et lui ont amorcé une relation, qu’il lui a donné des vêtements et des cadeaux et qu’elle l’a accompagné à des réceptions officielles où elle a été présentée et considérée comme étant son assistante. Elle soutient que leur relation s’est développée d’une telle façon qu’en juin 2003 elle a emménagé chez lui. Cependant, ce politicien, que j’appellerai « conjoint » pour les besoins de la présente demande, était déjà marié, ce qu’ignorait la demanderesse.
[4] La demanderesse a affirmé dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que, pendant qu’ils étaient ensemble, elle a été victime de graves agressions de la part de son conjoint, dont les suivantes :
1) la demanderesse, après avoir rendu visite à sa mère en novembre 2004, a été menacée et agressée verbalement par son conjoint parce qu’elle avait parlé au voisin de sa mère. Elle soutient qu’à leur retour à la maison, il l’a agressé physiquement pour la première fois. Plus tard le soir même, à la suite du départ de son conjoint qui devait assister à une réunion, la demanderesse a fui la maison, dénoncé l’incident à un officier en service au ministère public, s’est rendue à Tlaxcala en autobus, où elle est demeurée chez une amie. Elle affirme que son conjoint est allé à la maison de son amie un mois plus tard, qu’elle a accepté ses excuses et qu’elle est repartie avec lui dans le but de « reconstruire » leur relation;
2) la demanderesse affirme qu’en janvier 2005 elle a été battue et violée par son conjoint et un ami de son conjoint parce qu’elle avait refusé de se déshabiller lors d’une fête. Elle soutient avoir été séquestrée pendant les quinze jours suivants. Lorsqu’elle a réussi à s’échapper, elle a fui à Tuxtla Gutierrez, voyage d’environ trois heures en avion, où elle est demeurée chez une autre amie. Une fois arrivée, elle a tenté de déposer une plainte auprès du ministère public, qui l’a avisée qu’elle ne pouvait présenter sa plainte qu’à Pachuca, où avait eu lieu l’agression;
3) le conjoint de la demanderesse l’a retrouvée à Tuxtla Gutierrez en février 2005 et l’a forcée à revenir avec lui à Pachuca;
4) la demanderesse a découvert en mars 2005 que, par suite du viol de janvier 2005, elle était enceinte. Lorsqu’elle en a informé son conjoint, il l’a battue si violemment qu’elle en a fait une fausse couche. Deux jours après sa sortie de l’hôpital, la demanderesse est allée vivre chez un oncle, période pendant laquelle elle a consulté à cinq reprises un psychologue;
5) le conjoint, à la suite du retour de la demanderesse à la maison de sa mère à Pachuca en mai 2005, lui a demandé des explications, a poussé sa mère et a giflé la demanderesse.
[5] Après le dernier incident, la demanderesse a obtenu son passeport en juin 2005 à Pachuca, et elle a déménagée à Mexico où elle est demeurée avec des membres de sa famille jusqu’à ce qu’elle ait amassé assez d’argent pour quitter le pays.
La décision contestée
[6] Le 24 août 2007, la Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Aucune conclusion défavorable relative à la crédibilité de la demanderesse n’a été tirée par la Commission dans sa décision, qu’elle a plutôt fondée sur le caractère adéquat de la protection de l’État au Mexique : elle a conclu que dans le district fédéral de Mexico, la demanderesse pourrait obtenir une protection de l’État adéquate, à défaut d’être parfaite.
[7] Dans sa décision, la Commission a examiné à fond la législation du Mexique et conclu qu’il existait à l’échelle fédérale un cadre adéquat « qui offre aux victimes de violence conjugale des mesures s’appuyant sur la primauté du droit ». Elle a par contre reconnu qu’il y avait de grandes différences entre les différents États dans la façon de mettre en œuvre et de promouvoir cette législation. La Commission a, par conséquent, mis l’accent sur l’examen du district fédéral de Mexico, lequel a, selon la Commission, mis en place toutes les mesures pertinentes d’une façon des plus efficaces.
[8] Après avoir apprécié de la preuve dont elle disposait, la Commission a conclu ce qui suit, à la page 5 de sa décision :
Le conseil a fait valoir qu’il faut tenir compte du jeune âge de la demandeure d’asile et de la position politique d’influence qu’occupe l’agent de persécution. Je le reconnais. […] Qui plus est, lorsqu’elle a été retrouvée et agressée physiquement devant sa mère à Mexico, la demandeure d’asile n’a pas communiqué avec les autorités.
En conséquence, j’estime que la demandeure d’asile émet des hypothèses quant à la façon dont les autorités de Mexico réagiraient, même en considérant la position qu’occupe la personne qu’elle craint.
Comme la demandeure d’asile a vécu seule au Mexique par le passé, je suis convaincu que le fait de retourner vivre dans la capitale, où elle a déjà vécu et où sa mère habite actuellement, n’est pas déraisonnable.
Des éléments de preuve documentaires indiquent que l’État offre aux personnes se trouvant dans la situation de la demandeure d’asile à Mexico une protection adéquate, même si elle n’est pas parfaite.
Par conséquent, la demandeure d’asile n’a pas réussi à prouver qu’elle serait exposée à un risque sérieux de persécution ou qu’il existerait une possibilité sérieuse qu’elle soit exposée à une menace à sa vie, au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumise à la torture si elle retournait à Mexico aujourd’hui.
La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[9] Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :
1) La Commission a‑t-elle commis une erreur en omettant d’apprécier la preuve psychologique et médicale et en ne tenant compte ni des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, ni du risque de trouble psychologique que pourrait subir la demanderesse si elle devait retourner au Mexique?
2) La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait pu obtenir la protection de l’État dans le district fédéral de Mexico?
LA NORME DE CONTRÔLE
[10] Au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL), la Cour suprême du Canada a conclu que la première étape de l’analyse de la norme de contrôle consiste à « [vérifier] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».
[11] Au paragraphe 38 de l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État sont des « questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable », norme que la Cour avait déjà appliquée dans un certain nombre de ses décisions : voir Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58; Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661, 51 Imm. L.R. (3d) 291; Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, [2005] A.C.F. no 1508 (QL).
[12] Je suis d’accord avec le raisonnement de la Cour d’appel fédérale et je conclus que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission en l’espèce est la raisonnabilité. Par conséquent, si les motifs de la Commission « tien[nent] la route dans la mesure où il[s] peu[vent] résister à un examen assez poussé » alors la décision est raisonnable et la Cour ne doit pas modifier la décision de la Commission : voir Franklyn, précitée, paragraphe 17.
ANALYSE
La question en litige no 1 : La Commission a‑t-elle commis une erreur en omettant d’apprécier la preuve psychologique et médicale et en ne tenant compte ni des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, ni du risque de trouble psychologique que pourrait subir la demanderesse si elle devait retourner au Mexique?
[13] La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en omettant d’apprécier la preuve psychologique et médicale qui montre qu’elle souffre du trouble de stress post‑traumatique et de détérioration psychologique, laquelle s’aggraverait si elle retournait au Mexique. Essentiellement, elle affirme que la Commission aurait dû tenir compte de ces éléments dans l’examen de sa demande et que cette omission constitue une erreur susceptible de contrôle.
[14] Malheureusement, je ne peux souscrire à l’argument de la demanderesse. La preuve déposée par la demanderesse montre qu’elle a, en effet, souffert de traumatismes physiques et psychologiques en raison des agressions de son ex‑conjoint. Cette preuve n’a pas été mise en doute par la Commission et elle ne constitue pas un enjeu dans la présente demande. L’enjeu est plutôt de savoir si une telle preuve peut être prise en considération et mener à la conclusion selon laquelle la demanderesse aurait pu se prévaloir de la protection de l’État dans le district fédéral de Mexico. À mon avis, une telle preuve ne pouvait pas être prise en considération dans le cadre de la conclusion tirée par la Commission.
[15] La preuve relative aux agressions psychologiques et physiques subies par un demandeur d’asile avant son arrivée au Canada concerne la crédibilité du témoignage du demandeur et l’existence ou non d’une crainte subjective de persécution chez le demandeur. Une telle preuve ne doit pas être prise en considération dans l’analyse relative à la question de savoir si le district fédéral de Mexico pourrait fournir une protection adéquate à la demanderesse. La conclusion selon laquelle la protection de l’État est adéquate se fonde sur un examen objectif qui doit être effectué sans qu’il soit tenu compte de la crainte subjective de persécution que peut entretenir le demandeur d’asile.
[16] Au paragraphe 16 de la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 343, [2006] A.C.F. no 421 (QL), le juge Noël a analysé la pertinence d’une évaluation psychologique relativement à la question de la protection de l’État :
¶ 16 En résumé, la protection de l’État est une question objective qu’il faut évaluer sans tenir compte de la crainte subjective de persécution que peuvent entretenir les demandeurs d’asile. La SPR a pour rôle d’apprécier les éléments de preuve qui lui sont présentés, et les avis des psychologues ne sont pas pertinents à la question de la protection de l’État. La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs parce qu’ils n’ont pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État; cette conclusion n’est pas affectée par les évaluations psychologiques présentées. […]
[17] Dans la décision Martinez, le juge Nöel a cité une décision rendue en 2005 par la juge Layden-Stevenson, J.C.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 534, [2005] A.C.F. no 660 (QL), dans laquelle elle a affirmé au paragraphe 18 que l’évaluation psychologique n’aide aucunement à trancher la question objective de la protection de l’État :
¶ 18 Je ne peux conclure que, d'après la preuve dont elle était saisie, la SPR ne pouvait déterminer de façon raisonnable que la protection de l’État existe au Costa Rica pour les présents demandeurs. Je ne vois également aucune erreur dans la manière dont la Commission a traité le rapport psychologique. Le rapport révèle que les demandeurs seraient très [traduction] « exposés à un nouveau risque de traumatisme » s’ils étaient forcés de retourner au Costa Rica. Cependant, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le rapport ne tient pas compte de la capacité des demandeurs à accéder à la protection de l'État au Costa Rica. Je suis d’avis que le rapport traite de la crainte subjective des demandeurs, mais ne traite aucunement de la question objective de la protection de l'État.
[18] Dans la présente affaire, la Commission n’a pas précisément fait mention de la preuve psychologique ou médicale dont elle disposait lorsqu’elle a tiré la conclusion selon laquelle la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Cependant, la Commission a clairement accepté le témoignage de la demanderesse selon lequel elle avait été agressée par son ex‑conjoint et la Commission a fondé sa conclusion sur la question objective de la protection de l’État.
[19] Par conséquent, étant donné que la seule question déterminante dont était saisie la Commission concernait la protection de l’État, la Commission ne pouvait prendre en considération la preuve psychologique et médicale dans sa conclusion et elle n’avait pas besoin d’en faire mention dans sa décision. En outre, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe mentionnées par la demanderesse ne doivent pas être prises en considération dans le cadre d’une question relative à la protection de l’État.
La question en litige no 2 : La Commission a‑t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse aurait pu obtenir la protection de l’État dans le district fédéral de Mexico?
[20] Tout examen relatif à la protection de l’État a son point de départ dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, rendu par la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que l’asile est une forme de « protection auxiliaire » devant être accordée seulement dans les cas où le demandeur ne peut se prévaloir de la protection de son État d’origine.
[21] De plus, la Cour suprême a conclu que, en l’absence d’une situation où il y a effondrement complet de l'appareil étatique, il existe une présomption générale selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens.
[22] Bien que la présomption de protection de l’État puisse être réfutée, elle ne le sera que si le demandeur présente une preuve « claire et convaincante » établissant l’incapacité de l’État à lui fournir de la protection. Une telle preuve peut comprendre le témoignage de personnes ayant vécu des situations semblables et à qui les dispositions prises par l’État n’ont été d’aucun secours, ou le propre témoignage du demandeur au sujet d’incidents antérieurs lors desquels l’État ne lui a pas fourni de protection : voir Ward, aux pages 724 et 725.
[23] Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 206 N.R. 272 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a conclu que pour réfuter la présomption de protection de l’État, un demandeur d’asile doit fournir des efforts raisonnables en vue d’obtenir la protection de l’État, et le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur s’alourdit si l’État en question est démocratique.
[24] Cependant, la Cour fédérale a conclu récemment qu’on ne pouvait interpréter l’arrêt Kadenko comme signifiant que le demandeur d’asile doive épuiser « tout recours possible » qui s’offre à lui pour réfuter la présomption de la protection de l’État, et c’est particulièrement vrai lorsque le demandeur allègue que l’État est agent de persécution. Par exemple, dans la décision Chavez, précitée, la juge Tremblay-Lamer a conclu ce qui suit au paragraphe 15 :
¶ 15 Cependant, à mon avis, les arrêts Ward et Kadenko ne sauraient signifier qu’une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l’État […]. La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve. […]
Voir également la décision Nunez, précitée, au paragraphe 15, et la décision Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 731, 36 Imm. L.R. (3d) 283, au paragraphe 22, rendue par la juge Mactavish.
[25] En l’espèce, la Commission a conclu que l’État serait capable de fournir à la demanderesse une « protection adéquate […] même si elle n’est pas parfaite » dans le district fédéral de Mexico. En fait, la conclusion de la Commission était que la demanderesse ne pouvait obtenir l’asile au Canada, parce qu’elle avait omis de réfuter la présomption de protection de l’État, du moins relativement à la situation dans le district fédéral de Mexico.
[26] Cependant, dans le cadre d’une conclusion relative à la protection de l’État, il est important que la Commission ne se contente pas d’effectuer un examen général de la question de savoir si la demanderesse pouvait se prévaloir d’une protection de l’État adéquate dans le district fédéral de Mexico. Étant donné qu’elle avait accepté que la demanderesse avait été agressée par un politicien mexicain haut placé et bien connu, la Commission devait plutôt tenir compte de tels éléments lorsqu’elle a tranché la question de savoir si la demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État.
[27] Dans la présente affaire, la demanderesse soutient que l’envergure de son persécuteur et l’influence qu’il possède l’empêcheraient d’obtenir dans les faits une protection adéquate. En réponse à cet argument, la Commission a conclu ce qui suit à la page 5 de sa décision :
Le conseil a fait valoir qu’il faut tenir compte du jeune âge de la demandeure d’asile et de la position politique d’influence qu’occupe l’agent de persécution. Je le reconnais. Je tiens à faire remarquer que la demandeure d’asile a quitté la résidence familiale en 2001 et qu’elle a habité seule à Hidalgo, jusqu’à ce qu’elle retourne vivre chez ses parents en avril ou en mai 2005. Qui plus est, lorsqu’elle a été retrouvée et agressée physiquement devant sa mère à Mexico, la demandeure d’asile n’a pas communiqué avec les autorités.
En conséquence, j’estime que la demandeure d’asile émet des hypothèses quant à la façon dont les autorités de Mexico réagiraient, même en considérant la position qu’occupe la personne qu’elle craint.
[28] Je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable pour deux motifs :
1) la Commission s’est méprise en affirmant que la demanderesse avait été « agressée physiquement devant sa mère à Mexico ». En fait, la demanderesse a affirmé ce qui suit au paragraphe 10 de son FRP :
[traduction]
[…] Par conséquent, je suis retournée à la maison de ma mère à Pachuca où je me suis cachée jusqu’à la fin du mois de mai 2005, époque à laquelle [le persécuteur] m’a retrouvée, a poussée ma mère, m’a giflée et m’a dit qu’il s’attendait à ce que je reprenne ma place auprès de lui.
La Commission a fondé sa conclusion sur une méprise, soit que l’agression avait eu lieu à Mexico et que la demanderesse n’avait pas communiqué avec les autorités de Mexico où, selon la Commission, la police aurait été plus efficace qu’à Pachuca. En fait, l’agression a eu lieu à Pachuca, où la demanderesse avait déjà présenté une plainte contre le politicien et où la police lui avait répondu qu’elle n’accepterait pas une plainte contre un politicien si connu. La conclusion de la Commission selon laquelle « la demandeure d’asile émet des hypothèses quant à la façon dont les autorités […] réagiraient » est clairement déraisonnable étant donné que la demanderesse avait déjà porté plainte contre le politicien à la police à Pachuca;
2) la question qui, de toute évidence, devait être examinée n’a pas été posée par la Commission, à savoir : « Les autorités publiques, dont la police, protégeront-elles la jeune demanderesse, maîtresse du politicien, et porteront‑elles des accusations de voies de fait contre lui? »
[29] À mon avis, l’analyse de la Commission n’a pas traité de façon adéquate des circonstances dans lesquelles se trouvait la demanderesse; particulièrement, le fait que son persécuteur prétendu soit très puissant dans le territoire même où elle avait été agressée. Par conséquent, l’analyse effectuée par la Commission quant à la protection de l’État est trop générale et elle omet de tenir compte de la situation particulière de la demanderesse; erreur d’autant plus importante que la Commission n’avait tiré aucune conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse, acceptant ainsi le fait qu’elle avait subi un grave traumatisme aux mains de son persécuteur prétendu.
[30] Comme l’a conclu la juge Tremblay-Lamer au paragraphe 15 de la décision Chaves, précitée :
¶ 15 […] Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. […]
Comme je l’ai mentionné, la Commission n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse dans sa décision relative à la demande d’asile. Elle n’a pas examiné de façon raisonnable la question de savoir si la jeune demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État alors que l’agent de persécution était un politicien haut placé et bien connu, et ce, même si elle avait soulevé cette question. Elle a écarté la question parce que la demanderesse n’avait pas signalé l’agression à la police de Mexico. Vu sa méprise, soit que l’agression avait eu lieu à Mexico, il est déraisonnable que la Commission ait motivé sa conclusion sur ce fondement.
[31] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire, renvoyée à la Commission qui devra statuer à nouveau sur elle.
[32] Les parties ont convenu que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui nécessiterait d’être certifiée, et la Cour est d’accord.
JUGEMENT
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission, infirmée et l’affaire, renvoyée devant un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.
Traduction certifiée conforme
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4020-07
INTITULÉ : GISELA GALLO FARIAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 24 AVRIL 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 6 MAI 2008
COMPARUTIONS :
Daniel Fine
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Ladan Shahrooz
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Daniel Fine Avocat Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |