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Date : 20080421

Dossier : IMM-3279-07

Référence : 2008 CF 514

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

GRACIELA BLAZQUEZ DE HERNANDEZ

(alias Graciela Blazquez de Hernande)

DANIELA HERNANDEZ BLAZQUEZ

MARIA GUADELUPE HERNANDEZ BLAZQUEZ

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’ont présentée Graciela Blazquez de Hernandez (Mme Blazquez) et ses deux enfants, Daniela Hernandez Blazquez et Maria Guadelupe Hernandez Blazquez, à l’encontre d’une décision défavorable rendue le 12 juin 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission).

I.          Le contexte

[2]               Les demanderesses sont des citoyennes du Mexique qui sont arrivées au Canada en 2006, en compagnie de l’époux de Mme Blazquez, Sergio Hernandez Cervantes (M. Hernandez Cervantes), et de leur fils d’âge adulte, Sergio Hernandez Blazquez (M. Hernandez) (collectivement, les demandeurs d’asile). À ce moment-là, tous les membres de la famille ont demandé l’asile en se fondant principalement sur un exposé circonstancié fourni par M. Hernandez au sujet des risques qu’ils couraient.

 

[3]               M. Hernandez a soutenu avoir été battu et plus tard menacé en raison du travail bénévole qu’il accomplissait pour un groupe de recherche d’enfants disparus au Mexique. Ces incidents, semble-t-il, étaient liés d’une certaine façon aux efforts qu’il faisait pour retrouver un enfant en particulier. Dans les quelques jours qui ont suivi l’agression prétendue, M. Hernandez est parti pour le Canada sans porter plainte à la police. Selon ses explications, il n’a pas signalé ces infractions criminelles parce qu’il n’avait pas confiance en la police mexicaine et qu’une plainte n’aurait servi à rien.

 

[4]               Peu après le départ de M. Hernandez du Mexique, les autres membres de sa famille l’ont suivi. Ils ont soutenu qu’eux aussi avaient reçu des menaces et que leur domicile et leurs locaux commerciaux avaient été mis à sac par les mêmes individus qui s’en seraient pris à M. Hernandez. M. Hernandez Cervantes a prétendu avoir signalé, par l’intermédiaire de son avocat, ces incidents au service de police local sous la forme de deux dénonciations. Ces dernières ont été produites en preuve devant la Commission et il est manifeste qu’elles ont été déposées auprès des autorités. Néanmoins, quelques jours après le dépôt de ces documents auprès de la police, Mme Blazquez et son époux sont partis pour le Canada. Leurs deux filles les ont suivis quelques semaines plus tard.

 

II.        La décision de la Commission

[5]               La Commission a rejeté les demandes des demandeurs d’asile pour des motifs liés à la protection de l’État, et, en particulier, parce qu’ils n’avaient pas pris de mesures raisonnables ou adéquates pour se réclamer de la protection du Mexique avant d’arriver au Canada. Dans la décision de la Commission, le passage déterminant est le suivant :

Le tribunal trouve qu’il est déraisonnable de la part des demandeurs d’asile de ne pas avoir cherché davantage à bénéficier de la protection de la police ou de la protection d’une autre autorité de l’État. Le tribunal trouve également qu’il est déraisonnable de la part des demandeurs d’asile de ne rien avoir fait d’autre pour se réclamer de la protection de l’État mexicain qui était et est à leur portée. Les demandeurs d’asile doivent montrer qu’ils ont tenté de façon raisonnable tous les recours possibles à leur disposition avant de solliciter une protection internationale. La jurisprudence le confirme. Ainsi, la Cour fédérale a statué que le demandeur d’asile doit prendre des mesures raisonnables pour assurer sa protection.

 

En l’espèce, les demandeurs d’asile n’ont pas pris toutes les mesures raisonnables. En fait, ils n’en ont pris aucune. Le tribunal est d’avis qu’il aurait dû montrer qu’il avait pris toutes les mesures raisonnables en l’espèce avant de solliciter une protection internationale au Canada.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

 

[6]               Ni M. Hernandez Cervantes ni M. Hernandez n’ont pris part à la présente demande, et Mme Blazquez dit ignorer où les deux se trouvent.

 

III.       Les questions en litige

[7]               a)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans la manière dont elle a traité les éléments de preuve concernant les efforts prétendument faits par les demandeurs d’asile pour se réclamer de la protection de l’État?

b)         La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique à la question de la protection de l’État?

 

IV.       Analyse

[8]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a récemment modifié l’analyse de la norme de contrôle judiciaire à laquelle il faut procéder dans le cas des décisions d’ordre administratif. Auparavant, la norme de contrôle que l’on appliquait aux questions de fait telles que la première qui est en litige dans la présente affaire était la décision manifestement déraisonnable, tandis que les questions de droit pures étaient contrôlées selon la norme de la décision correcte. Dans Campos Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, aux paragraphes 12 à 14, le juge Yves de Montigny a pris en considération l’arrêt Dunsmuir et en a déduit – avec raison selon moi – que les tribunaux doivent continuer de faire preuve de retenue lorsqu’ils contrôlent des décisions de nature administrative comportant des conclusions de fait ou que le décideur exerce un pouvoir discrétionnaire ou applique une politique. Dans Khanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 335, le juge Roger Hughes abonde dans le même sens; il y conclut, au paragraphe 4, que la décision raisonnable est la « norme d’examen fondée sur la retenue devant être appliquée dans les cas où la question est une question de fait, de pouvoir discrétionnaire ou de politique et doit s’appliquer lorsque des questions de droit et des questions de fait sont entremêlées et ne peuvent facilement être séparées ». Compte tenu de ces décisions récentes, j’adopte la norme de la décision raisonnable pour la première question qui est en litige en l’espèce. Comme je ne relève aucune erreur de droit quant à la seconde question en litige soulevée par les demanderesses, il est inutile de procéder à une analyse de la norme de contrôle plus approfondie.

 

[9]               Les demanderesses soutiennent que la Commission a commis une erreur de fait en concluant qu’aucun des demandeurs d’asile n’avait fait d’efforts pour se prévaloir de la protection de l’État au Mexique avant leur départ pour le Canada. Elles disent, subsidiairement, que la Commission se devait à tout le moins de faire état de la preuve des deux plaintes faites à la police, et que l’omission de l’avoir fait cela dénote que cette preuve n’a pas été prise en compte.

 

[10]           Je ne suis pas convaincu que la Commission n’a pas fait de distinction entre l’omission manifeste de M. Hernandez de se réclamer de la protection de l’État et les mesures que le reste de sa famille a prises à cet égard. Il aurait été préférable que la Commission fasse état de manière plus claire de cette distinction dans la preuve; cependant, lorsque la Commission a désigné les demandeurs d’asile en tant que groupe, elle a systématiquement indiqué que les efforts qu’ils ont déployés pour se réclamer de la protection de l’État étaient inadéquats, insuffisants ou déraisonnables. Quand elle a parlé de M. Hernandez, elle a noté que ce dernier n’avait pris « aucune » mesure raisonnable. Ces passages indiquent, selon moi, que la Commission était consciente que M. Hernandez Cervantes avait fait quelques efforts pour se réclamer de la protection de l’État au Mexique pour le compte des demandeurs d’asile.

 

[11]           Il est regrettable que, dans sa décision, la Commission n’ait pas explicitement fait état des deux dénonciations faites à la police, ainsi que du témoignage connexe de M. Hernandez Cervantes. Si j’étais convaincu que la Commission n’avait pas pris cette preuve en compte et que cette dernière pourrait être importante pour l’issue de l’affaire, je renverrais sans hésitation l’affaire pour nouvelle décision. Cependant, comme je l’ai indiqué plus tôt, la Commission a bel et bien reconnu cette preuve de manière générale et a conclu qu’elle n’était pas suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État. Autrement dit, elle a conclu que les demandeurs d’asile n’avaient pas produit une preuve claire et convaincante que le Mexique ne peut pas les protéger ou ne veut pas le faire. Cette conclusion est inattaquable, car les demandeurs d’asile sont partis pour le Canada dans les quelques jours qui ont suivi leurs plaintes à la police et bien avant que l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que ces plaintes soient réglées de quelque manière que ce soit. Même alors, aucune preuve n’a été produite pour établir ce qu’il était advenu des plaintes ou si les autorités mexicaines auraient même pu y donner suite en l’absence des demandeurs d’asile. En résumé, il n’y avait, dans la présente affaire, aucun fondement de preuve qui aurait permis de tirer, au sujet de la protection de l’État, une conclusion favorable aux demandeurs d’asile. Le fait que la Commission n’ait pas mentionné de manière explicite les dénonciations faites à la police n’était donc pas important pour l’issue de l’affaire, car, d’après le dossier, cette issue était inévitable : Kandasamy c. Canada (MCI), 2007 CF 791, 159 A.C.W.S. (3d) 262, au paragraphe 14.

 

[12]           J’ajouterais en conclusion que les questions de preuve soulevées dans la présente demande sont manifestement attribuables à la manière plutôt superficielle dont la Commission a traité des éléments de preuve propres à l’affaire, en optant plutôt pour des renvois longs et généralement peu pertinents à divers rapports portant sur la situation au Mexique et traitant des réformes qui y sont faites sur les plans policier, législatif, judiciaire et correctionnel. Il ne s’agissait pas d’une demande fondée sur des allégations de corruption ou d’abus de la police, et aucune preuve importante n’a été produite pour établir que les autorités étaient indifférentes à ce qui constituait, tout au plus, une affaire de simple criminalité. Si la Commission s’était concentrée davantage sur les faits particuliers de l’espèce, la présente demande aurait vraisemblablement été inutile.

 

[13]           Je ne puis relever aucune erreur dans la manière dont la Commission a qualifié le critère juridique applicable à la protection de l’État. Que ce critère soit celui d’une protection « efficace » ou celui des « efforts sérieux », il n’en demeure pas moins que les demandeurs d’asile n’ont pas établi qu’ils avaient pris des mesures raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État. Les suppositions de la Commission quant à la corruption policière au Mexique étaient, comme je l’ai dit plus tôt, dénuées de pertinence au regard des faits de l’espèce. En conséquence, dans le présent dossier, la question du caractère adéquat de la protection de la police au Mexique compte tenu des problèmes de corruption ne se pose tout simplement pas.

 

[14]           En définitive, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[15]           Aucune des deux parties n’a proposé une question à certifier, et le présent dossier ne soulève aucune question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

«  R. L. Barnes  »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3279-07

 

INTITULÉ :                                                   GRACIELA BLAZQUEZ DE HERNANDEZ ET AL.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 21 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay

POUR LES DEMANDERESSES

 

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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