Ottawa (Ontario), le 18 avril 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE
ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ
ENTRE :
(intimée)
et
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES
AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MISS MEGAN
et GARY ROSS HANLEY
(requérants)
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
LE JUGE O’KEEFE
[1] Les requérants ont déposé la présente requête en vertu du paragraphe 163(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, afin d’interjeter appel des conclusions du rapport consécutif à un renvoi (le rapport) déposé par le protonotaire Lafrenière dans Patsy Ann Wilcox c. « Miss Megan » et autres, 2007 CF 1004, en date du 2 octobre 2007. Le rapport accorde plusieurs indemnités à la suite du décès de John Wilcox.
[2] Les requérants demandent à la Cour de réduire le montant des dommages‑intérêts accordés dans le rapport.
Le contexte
[3] Patsy Ann Wilcox (l’intimée dans la requête et la demanderesse dans l’action) est la veuve et l’exécutrice testamentaire de John Wilcox (le défunt). Le samedi 8 mai 2004, le défunt travaillait légitimement sur le navire de pêche Miss Megan lorsque celui‑ci a sombré, a pris l’eau et a chaviré ou a coulé en partie. Le défunt s’est noyé. Il avait 63 ans.
[4] Le 29 avril 2005, Patsy Ann Wilcox a déposé une déclaration à l’encontre de Gary Ross Hanley, le propriétaire du Miss Megan (le requérant dans la requête et l’un des défendeurs dans l’action), dans laquelle elle alléguait que le décès de son mari était attribuable à une faute selon la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la Loi). La demanderesse réclamait des indemnités pour perte de soutien financier et perte de services de valeur en son nom et au nom de sa fille handicapée, Tina Wilcox. Elle réclamait également des dommages‑intérêts pour la perte de conseils, de soins et de compagnie en son nom, au nom des trois enfants adultes du couple et au nom du frère et de la sœur du défunt.
[5] Les défendeurs ont déposé une défense datée du 26 mai 2005 dans laquelle ils reconnaissaient leur responsabilité à l’égard du décès du défunt, mais contestaient le droit à certains dommages‑intérêts. Le 11 avril 2006, la demanderesse a obtenu un jugement sommaire lui accordant les dépens, et l’affaire a été renvoyée afin que le montant des dommages‑intérêts auxquels elle avait droit soit déterminé. Le protonotaire Lafrenière a déposé son rapport allouant et quantifiant les dommages‑intérêts le 2 octobre 2007.
[6] Le 30 octobre 2007, les requérants ont déposé un avis de requête afin d’interjeter appel du rapport en vertu du paragraphe 163(1) des Règles des Cours fédérales, précitées. Le présent appel vise le rapport déposé par le protonotaire Lafrenière dans Patsy Ann Wilcox c. « Miss Megan » et autres, précitée.
Le rapport du protonotaire Lafrenière
[7] Le protonotaire Lafrenière aborde les trois questions suivantes dans son rapport : 1) le droit des frère et sœur du défunt de réclamer des dommages‑intérêts; 2) les pertes financières subies par la veuve et la fille handicapée du défunt; 3) les dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie.
1) Le droit des frère et sœur du défunt de réclamer des dommages‑intérêts
[8] Le protonotaire Lafrenière a examiné les articles 6 et 4 de la Loi, qui, respectivement, prévoit le droit de réclamer des dommages‑intérêts et limite ce droit. La question de savoir si le frère et la sœur du défunt pouvaient réclamer des dommages‑intérêts selon l’alinéa 4c) de la Loi s’est posée au procès. Le protonotaire Lafrenière a indiqué au paragraphe 10 de son rapport qu’il faut donner aux termes contenus dans une loi leur sens ordinaire et que les autres principes d’interprétation législative [traduction] « n’entrent en jeu que lorsque les termes à définir sont ambigus » (R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72). Il a conclu au paragraphe 12 :
[traduction] Il n’y a tout simplement aucune ambiguïté dans l’alinéa 4c). Les personnes qui tenaient lieu de parent forment, à l’alinéa 4c) de la Loi, une catégorie distincte de personnes qui peuvent être considérées comme des personnes à charge. Cette interprétation est conforme à la version française de la disposition, où est employée l’expression « toute autre personne », c’est‑à‑dire toute autre personne qui n’est pas l’un des membres de la famille qui sont mentionnés.
[9] Par conséquent, le frère et la sœur du défunt avaient le droit de réclamer des dommages‑intérêts en qualité de personnes à charge visées par la Loi.
2) Les pertes financières subies par la veuve et la fille handicapée du défunt
[10] En ce qui concerne les dommages‑intérêts réclamés par la veuve et la fille handicapée du défunt pour les pertes financières qu’elles ont subies, le protonotaire Lafrenière a d’abord soupesé la preuve relative à l’espérance de vie du défunt et de sa fille handicapée. Il a examiné les témoignages des experts cités par les deux parties et a été convaincu par la preuve présentée par les experts de la demanderesse. Pour ce qui est de l’espérance de vie du défunt, il a indiqué au paragraphe 65 que tous les experts de la demanderesse avaient conclu que cette espérance de vie était de 75 ans. Il a considéré que le témoignage du docteur Armstrong, un expert appelé par le défendeur, posait certains problèmes parce qu’il avait trait aux assurances et ne constituait donc pas une évaluation impartiale de l’espérance de vie. En conséquence, aucune valeur n’a été accordée aux rapports du docteur Armstrong concernant l’espérance de vie. En conclusion, le protonotaire Lafrenière était convaincu que le défunt aurait vécu jusqu’à l’âge de 75 ans. Pour ce qui est de l’espérance de vie de Tina Wilcox, le protonotaire Lafrenière n’a accordé aucun poids au témoignage du docteur Armstrong, en partie pour les raisons décrites ci‑dessus. Il a par contre accordé une grande importance aux témoignages du docteur Craig et de Mme Gmeiner. Il a conclu que Tina Wilcox pouvait espérer vivre beaucoup plus longtemps que son père, soit pendant au moins 14 ans à compter de la date de l’accident.
[11] En ce qui concerne les attentes en matière de travail du défunt, le protonotaire Lafrenière a écrit au paragraphe 64 :
[traduction] […] le défunt était un homme motivé que ne rebutait pas le travail manuel. Il n’avait ni économies ni régime de pensions qui lui auraient permis de prendre une retraite confortable. De plus, en raison de son sens du devoir à l’égard de sa famille, il aurait travaillé tant que sa santé le lui aurait permis. Je suis convaincu que le défunt aurait probablement continué à travailler jusqu’à l’âge de 70 ans et que son revenu d’emploi aurait été au moins à peu près équivalent à celui qu’il a gagné au cours des trois années précédant son décès. [...]
[12] En ce qui concerne le calcul de la perte financière, le protonotaire Lafrenière a estimé que le montant projeté par l’actuaire de la demanderesse, Mme Gmeiner, ne devait pas être réduit au motif que la veuve du défunt aurait dû atténuer la perte qu’elle avait subie à cause du décès de son mari. Il a rejeté cet argument invoqué par les défendeurs et a expliqué pourquoi la jurisprudence citée par ces derniers n’étayait pas leur thèse.
[13] Le protonotaire Lafrenière a cependant admis qu’une réduction devait être faite pour les dépenses personnelles du défunt. Après avoir analysé deux méthodes, il a conclu que la méthode de la dépendance réciproque était celle qu’il convenait d’utiliser.
[14] En ce qui concerne la perte de services de valeur fournis par le défunt, le protonotaire Lafrenière a accepté le témoignage de Mme Gmeiner. Cette dernière a indiqué que, selon les chiffres contenus dans un rapport de Statistique Canada, le défunt consacrait probablement 2,1 heures par jour à des tâches ménagères. Selon le protonotaire Lafrenière, il s’agissait d’une estimation [traduction] « prudente et tout à fait raisonnable dans les circonstances, compte tenu de la preuve présentée à la Cour ». Mme Gmeiner s’est ensuite servie, dans son rapport, du coût de remplacement du travail ménager au Nouveau‑Brunswick, estimé par Statistique Canada, pour quantifier les heures de travail ménager perdues.
[15] Le protonotaire Lafrenière a aussi accepté l’évaluation de Mme Gmeiner en ce qui concerne la perte de services de valeur fournis par le défunt à sa fille handicapée. Cette évaluation était fondée sur l’hypothèse que le défunt passait 20 heures par semaine, en moyenne, à aider sa fille handicapée, Tina Wilcox. Le protonotaire Lafrenière a considéré que ce chiffre était raisonnable et a mentionné que, n’eût été de l’aide de professionnels fournis par la province, ce chiffre aurait été beaucoup plus élevé.
[16] Le protonotaire Lafrenière a accordé les indemnités suivantes pour la perte de soutien financier :
- Patsy Ann Wilcox :
- perte de soutien financier antérieure avec intérêt : 51 950 $
- perte de soutien financier pour l’avenir avec intérêt : 116 454 $
- Tina Wilcox :
- perte de soutien financier antérieure avec intérêt : 3 480 $
- perte de soutien financier pour l’avenir avec intérêt : 10 763 $
[17] Le protonotaire Lafrenière a accordé les indemnités suivantes pour la perte de services de valeur :
- famille Wilcox :
- perte de services de valeur antérieure avec intérêt : 22 908 $
- perte de services de valeur pour l’avenir avec intérêt : 45 147 $
- Tina Wilcox
- perte de services de valeur antérieure avec intérêt : 40 081 $
- perte de services de valeur pour l’avenir avec intérêt : 75 631 $
3) Les dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie
[18] Pour ce qui est des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie, le protonotaire Lafrenière a mentionné que ces dommages‑intérêts sont prévus à l’alinéa 6(3)a) de la Loi, mais que celle‑ci ne précise pas comment les quantifier. Après avoir examiné deux méthodes utilisées dans différents ressorts, il a estimé que les dispositions législatives de l’Ontario étaient celles qui ressemblaient le plus à l’article 6 de la Loi, à la fois sur le plan de la forme et sur le plan de l’effet. Dans Patsy Ann Wilcox, précitée, il a parlé de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268, affirmant au paragraphe 90 :
[traduction] […] la Cour suprême a indiqué qu’elle acceptait la méthode utilisée par les tribunaux de l’Ontario pour apprécier l’ensemble de la preuve au cas par cas, et elle a rejeté la méthode traditionnelle d’indemnisation privilégiée dans des ressorts où des montants ne sont pas prévus par la loi. Divers facteurs devraient être pris en compte, notamment les circonstances du décès, l’âge du défunt et de la personne à sa charge, la nature et la qualité de la relation entre les deux, la personnalité de la personne à charge et sa capacité de gérer les conséquences émotionnelles du décès ainsi que l’effet du décès sur sa vie. [...]
[19] Le protonotaire Lafrenière a ensuite passé en revue des affaires comparables à celle dont il était saisi, notamment Stephen c. Stawecki, [2006] 213 O.A.C. 199, Hechavarria c. Reale (2000), 51 O.R. (3d) 364 (C.S.J. Ont.), et Fish c. Shainhouse, [2005] O.J. 4575 (C.S.J. Ont.). Prenant en compte les facteurs décrits par la Cour suprême du Canada dans Augustus, précité, il a évalué la relation entre le défunt et chacune des personnes réclamant des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie et a accordé les montants suivants :
- Patsy Ann Wilcox – 75 000 $
- Tina Marie Wilcox – 75 000 $
- Tammy-Lynn Wilcox-Doiron – 25 000 $
- Thomas Wilcox – 25 000 $
- David Leslie Wilcox – 15 000 $
- Mary Eileen Wilcox – 15 000 $
[20] Finalement, le protonotaire Lafrenière a accordé à la demanderesse la somme de 7 979,64 $ relativement aux frais funéraires.
Les questions en litige
[21] Les requérants ont soumis les questions suivantes à la Cour :
1. Le frère et la sœur de John Wilcox sont‑ils des « personnes à charge » au sens de l’alinéa 4c) de la Loi?
2. Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a accordé des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie sans tenir compte des montants qui sont traditionnellement accordés?
3. Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit et très mal compris la preuve lorsqu’il a déterminé l’espérance de vie de Tina Marie Wilcox et de John Wilcox?
4. Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit et très mal compris la preuve lorsqu’il a évalué la perte de soutien financier et la perte de services de valeur subies par Patsy Ann Wilcox et par Tina Marie Wilcox?
Les prétentions des parties
[22] J’ai résumé les prétentions des parties sous les titres suivants :
- La définition de « personne à charge »
- Les dommages-intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie
- L’espérance de vie
- La perte de soutien financier et de services de valeur
Les prétentions des requérants
- La définition de « personne à charge »
[23] Les requérants soutenaient que le frère et la sœur du défunt n’étaient pas des « personnes à charge » au sens de l’alinéa 4c) de la Loi car ils n’étaient pas des « personne[s] qui tenai[ent] lieu de parent » au défunt. Ils prétendaient que les versions française et anglaise de cette disposition étaient différentes, les mots « or an individual » figurant dans la version anglaise et les mots « ou toute autre personne » figurant dans la version française. Ils se fondaient à cet égard sur Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 258 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), et faisaient valoir que l’interprétation des lois bilingues se fait en deux étapes. Il faut d’abord déterminer s’il y a antinomie et s’il y a un sens commun aux versions française et anglaise et, dans l’affirmative, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité (Medovarski, précité). La deuxième étape consiste à déterminer si le sens commun est compatible avec l’intention du législateur (Medovarski, précité). Selon les requérants, la version française de l’alinéa 4c) de la Loi est plus restrictive et reflète donc le mieux l’intention du législateur qui ressort des deux versions.
[24] Les requérants prétendaient également qu’il faut tenir compte aussi de la présomption d’absence de tautologie. Ils soutenaient que le libellé de l’article 4 de la Loi pouvait être comparé à celui de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S‑9 (maintenant abrogée), et de la Loi sur les accidents mortels du Manitoba, C.P.L.M., ch. F50, dont des définitions renfermaient une liste de personnes précises suivie des mots « une personne qui a tenu lieu de parent au défunt » dans le premier cas et des mots « la personne qui agissait in loco parentis pour la victime » dans le deuxième. Selon les requérants, la Cour doit donner un sens aux mots « toute autre » de façon que seules les « personne[s] qui tenai[en] lieu de parent » au défunt soient visées à l’alinéa 4c).
- Les dommages-intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie
[25] Les requérants soutenaient que les indemnités accordées pour la perte de soins, de conseils et de compagnie en application de l’alinéa 6(3)a) de la Loi auraient dû être les indemnités modestes qui sont habituellement accordées. Ils prétendaient que la marge de manœuvre de la Cour est plus grande au regard de l’exercice, par un protonotaire, de son pouvoir discrétionnaire de fixer des indemnités pour la perte de soins, de conseils et de compagnie. La Cour devrait intervenir si les conclusions sont « entaché[es] d’erreur flagrante, c’est-à-dire [si elles] procèd[ent] de l’application d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, ou [si elles] soulèv[ent] des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause » (Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1994), 58 C.P.R. (3d) 359, au paragraphe 6 (C.A.F.)). Lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire peut faire l’objet d’un contrôle, le juge reprend l’affaire depuis le début (Reading & Bates Construction Co., précité, au paragraphe 6).
[26] Les requérants prétendaient que les indemnités qui sont habituellement accordées n’empêchent pas la Cour de soupeser la preuve dans chaque cas, mais assure le caractère raisonnable et la cohérence des montants accordés. Ils soutenaient que les principes de certitude, de prévisibilité et d’objectivité doivent être pris en compte (Nightingale c. Mazerall, [1991] N.B.J. no 1127, aux paragraphes 4 et 5 (C.A.)). Ils faisaient valoir que les tribunaux du Nouveau‑Brunswick ont adopté une approche qui met en équilibre les besoins de l’affaire et les éléments de prévisibilité et de cohérence. D’autres provinces ont aussi adopté une approche semblable (Lawrence c. Good (1985), 18 D.L.R. (4th) 734 (C.A. Man.); Braun Estate c. Vaughan, [2000] 3 W.W.R. 465 (C.A. Man.); Augustus c. Gosset, précité).
[27] Les requérants soutenaient que la Cour devrait modifier les indemnités accordées en l’espèce pour la perte de soins, de conseils et de compagnie. S’appuyant sur des affaires qui, selon eux, ressemblent à celle dont je suis saisi – Simpson Estate c. Cox, [2006] N.S.J. no 133; Lynch Estate c. Anderson (1999), 180 Nfld & P.E.I.R. 225 (T.‑N., 1re inst.); McDonell Estate c. Royal Arch Masonic Homes Society, [1997] B.C.J. no 2079 (C.S.) – ils faisaient valoir qu’il convenait en l’espèce d’accorder une indemnité de 15 000 $ à Patsy Ann Wilcox (l’épouse du défunt) et une autre de 15 000 $ à Tina Wilcox (la fille du défunt).
- L’espérance de vie
[28] Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de l’espérance de vie du défunt et de Tina Wilcox et qu’il avait commis une erreur de droit en décidant de n’accorder aucun poids à l’opinion du docteur Armstrong, un expert, au motif que le témoignage de celui‑ci avait trait aux assurances. Les requérants soutenaient en outre que l’espérance de vie est la même, qu’elle soit établie à des fins d’assurances ou à une autre fin. Ils faisaient valoir que l’opinion du docteur Armstrong sur l’espérance de vie avait été acceptée dans Rupert c. Toth, [2006] O.J. no 882 (C.S. Ont.), au paragraphe 174. Comme la crédibilité du témoin n’était pas en cause, le principe de non‑intervention ne s’applique pas (Toneguzzo‑Norvell (Tutrice à l’instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114, au paragraphe 15).
[29] Les requérants soutenaient que la conclusion tirée par le protonotaire Lafrenière au paragraphe 65, selon laquelle tous les experts ayant témoigné pour le compte de l’intimée avaient conclu que le défunt aurait probablement vécu jusqu’à 75 ans, n’est pas étayée par la preuve. Ils ont fait valoir que seuls les docteurs Melvin et Armstrong ont donné un témoignage d’opinion sur l’espérance de vie et que les deux estimaient que l’espérance de vie du défunt auraient été de moins de 75 ans. Les requérants prétendaient que, selon la preuve, l’espérance de vie du défunt était de 71 ans.
[30] Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait aussi commis une erreur en concluant que la fille du défunt, Tina Wilcox, avait une plus grande espérance de vie que son père et qu’elle vivrait au moins durant 14 ans après l’accident. Selon eux, le seul expert qualifié pour témoigner au sujet de l’espérance de vie était le docteur Armstrong et le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur en n’accordant aucun poids au témoignage de celui‑ci. Les requérants soutenaient également que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur susceptible de contrôle en s’appuyant sur l’opinion médicale du docteur Craig, car ce dernier n’était pas qualifié pour témoigner relativement à l’espérance de vie et rien dans son témoignage n’étaie la conclusion selon laquelle Tina avait encore de nombreuses années à vivre. Les requérants affirmaient que l’évaluation de l’espérance de vie de Tina Wilcox faite par le docteur Armstrong est étayée par la preuve et devrait être adoptée par la Cour.
- La perte de soutien financier et de services de valeur
[31] Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur en concluant que le défunt aurait travaillé jusqu’à l’âge de 70 ans et aurait gagné au moins le même revenu d’emploi qu’il avait gagné pendant les trois années précédant son décès. Ils prétendaient que la preuve démontrait que l’âge normal de la retraite est 65 ans au Nouveau‑Brunswick et que l’âge du défunt, son lieu de résidence, son instruction et son expérience indiquent qu’il aurait travaillé seulement jusqu’à l’âge de 65 ans.
[32] Les requérants soutenaient également que l’indemnité accordée par le protonotaire Lafrenière pour la perte de services de valeur n’était pas étayée par la preuve. Selon eux, la preuve révélait que la fille du défunt allait à l’école de 8 h 30 à 15 h 30, cinq jours par semaine, 12 mois par année, et qu’elle recevait des soins payés de professionnels des Services communautaires 40 heures par semaine. Par conséquent, l’indemnité pour la perte de services de valeur n’était pas étayée par la preuve.
Les prétentions de l’intimée
[33] L’intimée soutenait que la Cour ne devrait pas, dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre de la décision d’un arbitre, modifier les conclusions de droit ou de fait, sauf si des erreurs de droit ou des conclusions de fait ont été commises ou tirées de façon abusive ou arbitraire ou à cause d’une erreur manifeste et dominante. La Cour ne doit pas intervenir dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires d’un protonotaire, que celui‑ci agisse à ce titre ou comme arbitre, sauf si cet exercice est entaché d’une erreur flagrante (Reading & Bates Construction Co., précité, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée : [1994] A.C.S.C. no 532). L’intimée soutenait qu’aucune des conclusions de fait ou de droit du protonotaire ne satisfaisait à ce critère. En outre, toutes les conclusions de fait étaient étayées par la preuve, dont un grand nombre d’éléments n’étaient pas contestés.
- La définition de « personne à charge »
[34] En ce qui concerne la conclusion du protonotaire Lafrenière selon laquelle le frère et la sœur du défunt étaient des personnes à charge au sens de l’article 4 de la Loi, l’intimée prétendait que l’interprétation proposée par les requérants limite les catégories de personnes qui auraient le droit d’être indemnisées de leurs pertes en vertu de la Loi. Selon elle, cette interprétation étroite fait en sorte que seules les personnes qui tenaient lieu de parent pourraient être indemnisées en vertu de l’alinéa 4c) de la Loi, ce qui est nettement contraire à l’intention du législateur compte tenu des autres relations définies dans la disposition.
- Les dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie
[35] L’intimée soutenait également que le protonotaire Lafrenière avait eu raison de préférer une [traduction] « approche au cas par cas » à une [traduction] « méthode traditionnelle » pour déterminer le montant approprié des dommages‑intérêts à la lumière de la Loi. Elle faisait valoir que les articles 4, 5 et 6 de la Loi constituaient la réponse du législateur à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437. L’intimée se fonde à cet égard sur un document de travail de la Commission du droit du Canada intitulé La réparation du préjudice subi par ricochet (2001) qui indiquait, dans la foulée d’Ordon, précité, que la nouvelle loi avait élargi la liste des bénéficiaires, avait diversifié les types de préjudices ouvrant droit à réparation et avait permis que la réparation du préjudice par ricochet soit demandée en cas de blessures, aussi bien qu’en cas de mort, résultant d’une faute.
[36] L’intimée soutenait qu’aucune décision de la Cour fédérale portant sur l’évaluation des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie n’avait encore été publiée, mais que deux méthodes de calcul étaient surtout utilisées dans d’autres administrations. Selon la [traduction] « méthode traditionnelle », la Cour évalue les dommages et fixe un montant qui sera payé aux survivants, sans procéder à une analyse approfondie de la relation relative entre les parties. Selon l’intimée, cette méthode est maintenant prévue par la loi en Alberta et au Manitoba et a été adoptée par les tribunaux en Colombie‑Britannique et en Nouvelle‑Écosse. L’intimée faisait valoir que l’[traduction] « approche au cas par cas », qui suppose une analyse en profondeur de la relation relative entre les parties, figure à l’alinéa 61(2)e) de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. F.3, et que c’est cette disposition qui ressemble le plus aux dispositions en cause en l’espèce. L’intimée a donné plusieurs exemples d’affaires où cette approche a été utilisée en Ontario, notamment To c. Toronto Board of Education, [2001] O.J. 3490 (C.A. Ont.); Stephen c. Stawecki, précitée; Hechavarria c. Reale, précitée; Fish c. Shainhouse, précitée. Elle a fait valoir également que, dans Augustus, précité, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’elle acceptait l’approche adoptée par les tribunaux de l’Ontario, rejetant ainsi l’utilisation d’une méthode traditionnelle d’indemnisation dans les administrations où aucun montant n’est fixé par la loi. Elle a souligné que, dans Augustus, précité, la Cour suprême du Canada avait donné des indications générales sur la preuve, notamment sur les facteurs qui doivent être pris en compte dans l’évaluation des dommages. Selon l’intimée, en adoptant l’[traduction] « approche au cas par cas », le protonotaire Lafrenière a suivi les indications données par la Cour suprême du Canada.
- L’espérance de vie
[37] L’intimée soutenait que la prétention des requérants concernant l’évaluation faite par le protonotaire Lafrenière de l’espérance de vie de John et de Tina Wilcox n’était pas fondée. Elle faisait valoir que les requérants prétendaient que le témoignage du docteur Armstrong devait être préféré aux témoignages de ses experts. Selon elle, le protonotaire Lafrenière a dit clairement que le témoignage du docteur Armstrong ne pouvait être admis qu’à l’égard de la question de la mortalité aux fins des assurances. De l’avis de l’intimée, compte tenu de la crédibilité et de la cohérence de ses experts et vu l’expertise et les compétences limitées du docteur Armstrong, il n’y a aucune raison de modifier les conclusions tirées par le protonotaire Lafrenière sur cette question.
- La perte de soutien financier et de services de valeur
[38] Finalement, en ce qui concerne les conclusions du protonotaire Lafrenière concernant la perte de soutien financier et de services de valeur, l’intimée soutenait que ces conclusions étaient conformes à la preuve actuarielle fournie par Mme Gmeiner. Pour la plupart, ces conclusions n’ont pas été contestées; en outre, elles étaient compatibles avec la preuve produite à l’audience. Il n’y a aucune raison de les modifier.
[39] L’intimée a demandé que la requête soit rejetée.
L’analyse et la décision
[40] Avant de procéder à l’analyse des questions soulevées par les requérants, je dois traiter de la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce et des pouvoirs dont la Cour dispose en appel en vertu de l’article 163 des Règles des Cours fédérales, précitées.
[41] La question de la norme de contrôle qui s’applique à un appel relatif à un rapport consécutif à un renvoi a été examinée dans Reading & Bates Construction Co., précité; autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée : [1994] A.C.S.C. no 532. La Cour d’appel fédérale a conclu essentiellement, aux paragraphes 9 à 11, que le juge saisi d’un appel relatif à la décision d’un arbitre ne doit modifier les conclusions de droit ou de fait que si l’arbitre a commis une erreur de droit ou de fait d’une façon abusive ou arbitraire ou à cause d’une erreur manifeste et dominante. Elle a aussi affirmé que, « [l]orsque l’exercice [du] pouvoir discrétionnaire [d’un protonotaire] peut faire l’objet d’une révision, le juge reprend l’affaire depuis le début » (Reading & Bates Construction Co., précité, au paragraphe 10).
[42] Quant aux pouvoirs de la Cour, le paragraphe 163(3) des Règles des Cours fédérales, précitées, prévoit que « [l]a Cour peut […] confirmer, modifier ou infirmer les conclusions du rapport et rendre jugement ou renvoyer le rapport à l’arbitre ou à un autre arbitre pour une nouvelle enquête et un nouveau rapport ».
[43] Question no 1
Le frère et la sœur de John Wilcox sont‑ils des « personnes à charge » au sens de l’alinéa 4c) de la Loi?
Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur de droit en concluant que le frère et la sœur du défunt avaient droit à des dommages‑intérêts parce qu’ils étaient visés à l’alinéa 4c) de la Loi. L’intimée n’est pas du même avis.
[44] Les requérants soutenaient que la lecture combinée des versions anglaise et française fait ressortir une ambiguïté. Ils faisaient valoir plus particulièrement que les mots français « toute autre personne » signifient « any other person », alors que la version anglaise emploie simplement les mots « an individual ». Selon les requérants, cette ambiguïté fait en sorte que, dans la version française, les membres de la famille énumérés au début de l’alinéa 4c) sont admissibles à des dommages‑intérêts seulement s’ils « tenai[ent] lieu de parent » au défunt ou, en anglais « stood in the place of a parent ». Les requérants faisaient valoir qu’en vertu des règles d’interprétation législative bilingue la version la plus restrictive doit être préférée, car c’est elle qui reflète le mieux l’intention du législateur qui ressort des deux versions.
[45] Bien que je souscrive aux principes de l’interprétation législative bilingue énoncés par les requérants, je ne pense pas qu’ils s’appliquent en l’espèce. Comme les requérants l’ont eux‑mêmes écrit à la page 14 de leurs prétentions écrites, les règles de l’interprétation législative bilingue doivent être utilisées [traduction] « lorsque les versions anglaise et française ne concordent pas ». Il faut donc en premier lieu relever une ambiguïté ou un conflit entre les deux versions.
[46] Je suis d’accord avec le protonotaire Lafrenière quand il dit que, si l’on donne leur sens ordinaire aux termes de la Loi, il n’y a aucun conflit ni aucune ambiguïté entre les deux versions. Les deux versions créent essentiellement un groupe d’individus distinct des membres de la famille énumérés qui ont le droit de réclamer des dommages‑intérêts s’ils « tenai[ent] lieu de parent ». À mon avis, les requérants n’interprètent pas correctement le sens ordinaire des mots de la version française. En outre, j’estime, à l’instar de l’intimée, que la liste des membres de la famille figurant à l’alinéa 4c) perdrait sa raison d’être si j’acceptais l’interprétation des requérants, car le législateur aurait tout aussi facilement pu écrire « anyone who stood in the place of a parent ». Pour ces motifs, je conclus que le protonotaire Lafrenière n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’alinéa 4c) de la Loi. En conséquence, je ne vois aucune raison de modifier les dommages‑intérêts accordés au frère et à la sœur du défunt en application de cette disposition.
[47] Question no 2
Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a accordé des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie sans tenir compte des montants qui sont traditionnellement accordés?
Les requérants prétendaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur en n’adoptant pas une méthode traditionnelle pour évaluer les dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie et qu’il ne s’était pas ainsi conformé aux principes de la modération et de la prévisibilité.
[48] Comme le protonotaire Lafrenière l’a souligné, la Loi ne donne aucune indication au sujet du montant des dommages‑intérêts qui peuvent être accordés en vertu de la disposition applicable, contrairement à certaines lois provinciales qui fixent expressément un montant. Le protonotaire Lafrenière a considéré que ce sont les dispositions législatives de l’Ontario qui ressemblent le plus à l’article 6 de la Loi, à la fois sur le plan de la forme et sur le plan de l’effet. Par conséquent, il a employé ce qu’on appelle une approche au cas par cas et a évalué la relation entre le défunt et chacune des personnes qui réclamaient des dommages‑intérêts pour déterminer le quantum des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie. Comme il a considéré que c’est le régime législatif de l’Ontario qui ressemblait le plus à celui en cause en l’espèce, le protonotaire Lafrenière a examiné un certain nombre de décisions rendues dans cette province comportant des faits semblables à ceux de l’espèce. Il a ensuite évalué la relation entre les personnes concernées en l’espèce et a accordé des indemnités.
[49] À mon avis, le protonotaire Lafrenière n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son évaluation des dommages‑intérêts pour la perte de soins, de conseils et de compagnie. Il pouvait utiliser la méthode qu’il a choisie. Je conviens que le régime législatif de l’Ontario ressemble beaucoup à celui en cause dans la présente affaire. Il était donc raisonnable que le protonotaire Lafrenière examine des décisions rendues dans cette province comportant des faits semblables à ceux de l’espèce et qu’il s’appuie sur elles. En agissant ainsi, il s’est conformé dans toute la mesure du possible aux principes de prévisibilité et de cohérence. Je pense aussi qu’il faut mentionner que le protonotaire Lafrenière a eu l’avantage d’apprécier les témoignages et la crédibilité des témoins. Aussi, il faut faire montre d’une grande retenue à l’égard de ses conclusions concernant la relation entre le défunt et chacun de ses proches. Je ne vois aucune raison de modifier les indemnités accordées pour la perte de soins, de conseils et de compagnie.
[50] Question no 3
Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit et très mal compris la preuve lorsqu’il a déterminé l’espérance de vie de Tina Marie Wilcox et de John Wilcox?
Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur susceptible de contrôle en n’accordant aucun poids aux rapports médicaux du docteur Armstrong sur l’espérance de vie du défunt et de Tina Wilcox. Ils faisaient valoir que la méthode employée par le docteur Armstrong pour établir l’espérance de vie avait été acceptée récemment par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Rupert, précitée. Aussi, le protonotaire Lafrenière n’aurait pas dû, selon les requérants, ne pas tenir compte du rapport simplement parce qu’il concernait la question du risque assurable.
[51] Il ressort clairement des motifs du protonotaire Lafrenière que sa décision de n’accorder aucune valeur aux rapports du docteur Armstrong n’était pas fondée uniquement sur le fait que ceux‑ci avaient trait aux assurances. Le protonotaire Lafrenière a aussi, en ce qui concerne l’espérance de vie du défunt, critiqué le fait que le docteur Armstrong avait accordé [traduction] « beaucoup trop de poids » dans ses rapports à certaines annotations du médecin de famille du défunt, comme les essoufflements et les douleurs thoraciques. Au sujet de Tina Wilcox, le protonotaire Lafrenière était d’avis que le témoignage du docteur Armstrong [traduction] « n’était pas digne de foi » et que son approche [traduction] « n’était pas équilibrée ». Il ne semble pas avoir été convaincu par la preuve du docteur Armstrong notamment parce que celle‑ci ne tenait pas compte de la force et de la volonté de Tina Wilcox et du fait que, dans le passé, elle avait fait mentir [traduction] « de nombreux professionnels qui prédisaient sa mort depuis environ quarante ans » (Patsy Ann Wilcox, précitée, au paragraphe 70).
[52] À mon avis, la présente affaire est différente de Rupert, précitée. Dans cette affaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait admis en preuve un avis médical sur l’espérance de vie qui avait été rédigé aux fins des assurances, mais il n’était pas question de poids excessif ou de témoignage non équilibré comme c’est le cas en l’espèce. Étant donné que le fait que les rapports du docteur Armstrong avaient trait aux assurances n’était pas la seule raison pour laquelle le protonotaire Lafrenière ne leur a accordé aucun poids, je ne vois aucune raison de modifier son appréciation de la preuve. Une grande retenue doit être démontrée à l’égard des juges des faits, car ceux‑ci ont eu la possibilité d’entendre les témoignages. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur à cet égard.
[53] Question no 4
Le protonotaire Lafrenière a-t-il commis une erreur de droit et très mal compris la preuve lorsqu’il a évalué la perte de soutien financier et la perte de services de valeur subies par Patsy Ann Wilcox et par Tina Marie Wilcox?
Les requérants soutenaient que le protonotaire Lafrenière avait commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il avait conclu que le défunt aurait travaillé jusqu’à l’âge de 70 ans et aurait probablement gagné au moins le même revenu d’emploi qu’au cours des trois années précédant son décès. Ils soutenaient également que l’indemnité accordée pour la perte de services de valeur n’était pas étayée par la preuve.
[54] La preuve dont disposait le protonotaire Lafrenière au regard de la période pendant laquelle le défunt aurait pu continuer à travailler était contradictoire. D’une part, les requérants affirmaient que l’âge auquel un homme du Nouveau‑Brunswick prend normalement sa retraite est 65 ans, et ils ont produit une preuve démontrant que le défunt aurait pris sa retraite avant d’atteindre cet âge à cause de sa santé fragile. D’autre part, l’intimée a présenté une preuve de l’expérience et des habitudes de travail du défunt qui montrent qu’il était [traduction] « un homme motivé que ne rebutait pas le travail manuel » (Patsy Ann Wilcox, précitée, au paragraphe 64). En outre, la retraite était peu probable étant donné que, selon la preuve, le défunt n’avait aucune économie ni aucun régime de retraite. À mon avis, le protonotaire Lafrenière n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que le défunt aurait probablement travaillé jusqu’à l’âge de 70 ans. Le décideur disposait d’éléments de preuve sur lesquels cette conclusion de fait pouvait s’appuyer, et je ne vois aucune raison de modifier celle‑ci.
[55] En ce qui concerne le revenu d’emploi que le défunt aurait probablement gagné dans l’avenir, la preuve présentée au protonotaire Lafrenière permettait de conclure que, au cours des années précédant le décès du défunt, le revenu de celui‑ci avait été plutôt stable. Les renseignements concernant l’impôt sur le revenu du défunt pour les années 2001 à 2003 indiquaient que son revenu total avait été de 23 865 $ en 2001, de 25 538 $ en 2002 et de 19 093 $ en 2003. Aussi, j’estime qu’il était parfaitement raisonnable que le protonotaire Lafrenière, qui avait déjà conclu que le défunt aurait probablement travaillé jusqu’à l’âge de 70 ans, conclue également qu’il aurait probablement gagné un salaire comparable à celui des années précédant son décès.
[56] Finalement, en ce qui a trait à l’indemnité accordée par le protonotaire Lafrenière pour la perte de services de valeur, les requérants ne m’ont pas du tout convaincu que celui‑ci a commis une erreur susceptible de contrôle. Les requérants sont d’avis que cette indemnité est déraisonnable en raison du temps que Tina Wilcox passe à son école, Vocational Plus, et des soins payés qu’elle reçoit des Services communautaires 40 heures par semaine. Je constate que le protonotaire Lafrenière a clairement pris ces faits en considération au paragraphe 85 de sa décision, où il a écrit : [traduction] « Si aucune aide n’était reçue de professionnels rémunérés par la province, le montant aurait été deux, voire trois fois plus élevé. » À mon avis, il n’y a aucune raison de modifier sa décision puisque je rendrais la même.
[57] Par conséquent, la requête des requérants est rejetée, les dépens étant accordés à l’intimée dans la requête.
JUGEMENT
[58] LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée, les dépens étant accordés à l’intimée dans la requête.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL. L.
ANNEXE
Dispositions législatives pertinentes
Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente annexe.
Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6
4. Dans la présente partie, « personne à charge », à l’égard d’une personne blessée ou décédée, s’entend de toute personne qui, au moment où le fait générateur du litige s’est produit, dans le cas de la personne blessée, ou au moment du décès, dans le cas de la personne décédée, était :
a) le fils, la fille, le beau-fils ou la belle-fille, le petit-fils, la petite-fille, le fils adoptif ou la fille adoptive de la personne blessée ou décédée ou toute autre personne à qui cette dernière tenait lieu de parent;
b) l’époux de la personne blessée ou décédée, ou la personne qui cohabitait avec cette dernière dans une relation de nature conjugale depuis au moins un an;
c) le frère, la sœur, le père, la mère, le grand-père, la grand-mère, le beau-père ou la belle-mère, le père adoptif ou la mère adoptive de la personne blessée ou décédée, ou toute autre personne qui tenait lieu de parent à cette dernière.
5. La présente partie s’applique à toute mesure de redressement demandée et à toute réclamation présentée sous le régime du droit maritime canadien, au sens de la Loi sur les Cours fédérales, ou au titre de toute autre règle de droit canadien liée à la navigation et à la marine marchande. 6.(1) Lorsqu’une personne subit une blessure par suite de la faute ou de la négligence d’autrui dans des circonstances lui donnant le droit de réclamer des dommages-intérêts, les personnes à sa charge peuvent saisir le tribunal compétent d’une telle réclamation.
(2) Lorsqu’une personne décède par suite de la faute ou de la négligence d’autrui dans des circonstances qui, si le décès n’en était pas résulté, lui auraient donné le droit de réclamer des dommages-intérêts, les personnes à sa charge peuvent saisir le tribunal compétent d’une telle réclamation.
(3) Les dommages-intérêts recouvrables par une personne à charge peuvent comprendre :
a) une indemnité compensatoire pour la perte des conseils, des soins et de la compagnie auxquels la personne à charge aurait été en droit de s’attendre de la personne blessée ou décédée, n’eût été les blessures ou le décès;
b) toute somme pour laquelle une autorité publique a été subrogée relativement aux paiements effectués à la personne blessée ou décédée ou à la personne à sa charge ou pour leur compte, par suite de la blessure ou du décès. (4) Il ne peut être tenu compte, dans le calcul des dommages-intérêts, d’aucune somme versée ou à verser au décès, ni d’aucune prime à venir dans le cadre d’un contrat d’assurance.
(5) Les dommages-intérêts recouvrables par une personne à charge sont assujettis au partage de la responsabilité conformément à la partie 2.
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4. In this Part, "dependant" , in relation to an injured or deceased person, means an individual who was one of the following in relation to the injured or deceased person at the time the cause of action arose, in the case of an injured person, or at the time of death, in the case of a deceased person:
(a) a son, daughter, stepson, stepdaughter, grandson, granddaughter, adopted son or daughter, or an individual for whom the injured or deceased person stood in the place of a parent;
(b) a spouse, or an individual who was cohabiting with the injured or deceased person in a conjugal relationship having so cohabited for a period of at least one year; or
(c) a brother, sister, father, mother, grandfather, grandmother, stepfather, stepmother, adoptive father or mother, or an individual who stood in the place of a parent.
5. This Part applies in respect of a claim that is made or a remedy that is sought under or by virtue of Canadian maritime law, as defined in the Federal Courts Act, or any other law of Canada in relation to any matter coming within the class of navigation and shipping.
6.(1) If a person is injured by the fault or neglect of another under circumstances that entitle the person to recover damages, the dependants of the injured person may maintain an action in a court of competent jurisdiction for their loss resulting from the injury against the person from whom the injured person is entitled to recover.
(2) If a person dies by the fault or neglect of another under circumstances that would have entitled the person, if not deceased, to recover damages, the dependants of the deceased person may maintain an action in a court of competent jurisdiction for their loss resulting from the death against the person from whom the deceased person would have been entitled to recover.
(3) The damages recoverable by a dependant of an injured or deceased person may include
(a) an amount to compensate for the loss of guidance, care and companionship that the dependant could reasonably have expected to receive from the injured or deceased person if the injury or death had not occurred; and
(b) any amount to which a public authority may be subrogated in respect of payments consequent on the injury or death that are made to or for the benefit of the injured or deceased person or the dependant.
(4) In the assessment of damages, any amount paid or payable on the death of the deceased person or any future premiums payable under a contract of insurance shall not be taken into account.
(5) The damages recoverable by a dependant are subject to any apportionment made under Part 2.
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Règles des Cours fédérales, DORS/98-106
163.(1) Une partie peut interjeter appel des conclusions du rapport de l’arbitre qui n’est pas un juge, par voie de requête à la cour qui a ordonné le renvoi.
(2) L’avis de la requête visée au paragraphe (1) est signifié et déposé dans les 30 jours suivant le dépôt du rapport de l’arbitre et au moins dix jours avant la date prévue pour l’audition de la requête.
(3)
La Cour peut, dans le cadre de l’appel visé au paragraphe (1), confirmer,
modifier ou infirmer les conclusions du rapport et rendre jugement ou
renvoyer le rapport à l’arbitre ou à un autre arbitre pour une nouvelle
enquête et un nouveau rapport.
(2) Le rapport de l’arbitre, lorsqu’il est définitif, est réputé être un jugement de la Cour.
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163.(1) A party may appeal the findings of a report of a referee who is not a judge on motion to the court that ordered the reference.
(2) Notice of a motion under subsection (1) shall be served and filed within 30 days after filing of the report of a referee and at least 10 days before the day fixed for hearing of the motion.
(3)
On an appeal under subsection (1), the Court may confirm, vary or reverse the
findings of the report and deliver judgment or refer it back to the referee,
or to another referee, for further inquiry and report.
(2) A report of a referee, once final, becomes a judgment of the Court.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-753-05
INTITULÉ : PATSY ANN WILCOX
c.
LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MISS MEGAN
et GARY ROSS HANLEY
LIEU DE L’AUDIENCE : Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 janvier 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’KEEFE
DATE DES MOTIFS : Le 18 avril 2008
COMPARUTIONS :
James C. Crocco
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POUR LA DEMANDERESSE (L’INTIMÉE DANS LA REQUÊTE)
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Wylie Spicer, c.r. Rémy M. Boudreau
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POUR LES DÉFENDEURS (LES REQUÉRANTS DANS LA REQUÊTE) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Crocco Hunter Woodstock (Nouveau-Brunswick)
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POUR LA DEMANDERESSE (L’INTIMÉE DANS LA REQUÊTE)
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McInnes Cooper Saint John (Nouveau-Brunswick)
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POUR LES DÉFENDEURS (LES REQUÉRANTS DANS LA REQUÊTE) |