Ottawa (Ontario), le 16 avril 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
MARCOS FERNANDO SOLIS MIRON
FERNANDA LORENA MIRON GUZMAN
MARIA GUADALUPE MIRON GUZMAN
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soulève la question de savoir si la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a omis de prendre en compte l’efficacité réelle de la protection de l’État au Mexique, tant en ce qui concerne la violence conjugale de manière générale qu’à l’égard de la demanderesse en particulier.
II. LE CONTEXTE
[2] La demanderesse et ses enfants vivaient avec le conjoint de fait de cette dernière; pendant la vie commune des conjoints, de la violence physique, psychologique et verbale se serait manifestée.
[3] La demanderesse dit s’être plainte auprès des autorités après un certain nombre d’incidents au cours desquels elle aurait été violentée, battue, insultée et étranglée. L’un de ces incidents est survenu en 2000, mais la plainte n’a été présentée qu’en 2004. La demanderesse a continué malgré tout à vivre avec son conjoint par la suite.
[4] Après un incident survenu en 2004, et par suite duquel la demanderesse a dû porter un collier cervical pendant trois mois, cette dernière a déposé une plainte et elle a obtenu de l’aide aux plans juridique et psychologique et du soutien lorsqu’elle a livré bataille pour obtenir la garde de ses enfants. Le Bureau du sous-procureur général pour le Service communautaire d’aide aux victimes d’actes criminels – Direction générale du Centre d’aide pour les victimes de violence familiale (CAVI) a convoqué le conjoint, mais celui-ci ne s’est pas présenté. On a alors dit à la demanderesse que rien d’autre ne pouvait être fait.
[5] Un rapport de police a été établi à la suite d’un incident survenu en 2005. La demanderesse a alors cessé d’habiter avec son conjoint pendant une brève période, mais elle a ensuite cohabité de nouveau avec lui. La demanderesse ne savait pas si des poursuites pénales avaient été intentées, et elle ne s’en est pas enquise.
[6] La demanderesse a finalement quitté son conjoint en août 2006 et elle est entrée au Canada munie d’un visa de visiteur.
[7] La SPR a convenu que la demanderesse était victime de violence conjugale, mais elle a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré ne pas pouvoir bénéficier de la protection de l’État au Mexique. La SPR a conclu que les autorités avaient pris des mesures chaque fois que la demanderesse s’était adressée à elles, en la dirigeant vers des services juridiques et psychologiques et en veillant à ce qu’elle présente une demande d’aide financière et obtienne la garde de ses enfants.
[8] La SPR a statué que la présomption de protection de l’État s’appliquait au Mexique, une démocratie fonctionnelle, et que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve « claire et convaincante » permettant de réfuter cette présomption.
[9] La SPR a reconnu qu’en ce qui concernait la protection des femmes victimes de violence, il y avait encore place à l’amélioration dans certains domaines, mais que le district fédéral de la ville de Mexico avait fait de grands progrès pour assurer une telle protection. La SPR s’est fondée à cet égard sur la documentation faisant état du cadre législatif en place, des efforts consentis pour concrétiser la protection des femmes ainsi que du régime réglementaire et de l’ensemble des mesures pratiques adoptés pour assurer cette protection. La SPR a attribué à cette preuve documentaire davantage de valeur probante qu’au témoignage de la demanderesse quant à l’absence de protection.
III. ANALYSE
[10] Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour appliquera la norme de contrôle de la décision raisonnable en matière de protection de l’État, sauf lorsque seront en cause des questions de droit et d’équité procédurale.
[11] La position de la demanderesse est que la SPR a fait abstraction de l’écart existant entre la protection de l’État en principe et en pratique au Mexique, et que, parmi les documents sur lesquels elle s’est fondée, la SPR n’a pas pris en compte les éléments pouvant réfuter la présomption de protection de l’État.
[12] La Cour a présumé dans de nombreuses décisions que la protection de l’État était généralement offerte au Mexique (De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 83; Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288). La prémisse de départ de la SPR quant à l’existence de la protection de l’État était ainsi raisonnable.
[13] La SPR comprenait manifestement que divers problèmes, d’ordre tant systémique qu’individuel, faisaient obstacle à la protection de l’État au Mexique. La SPR s’est principalement intéressée à la situation prévalant dans le district fédéral de Mexico, où vivait la demanderesse, et a souligné l’existence concrète de la protection de l’État dans cette région. La SPR a toutefois reconnu que d’autres États du Mexique ne disposaient pas d’un système de protection aussi sophistiqué.
[14] La SPR a donc traité, de manière générale, de l’écart existant la protection de l’État en principe et en pratique au Mexique et des failles du système de protection en place – une question abordée dans la documentation invoquée par la SPR. À cet égard, la décision en l’espèce de la SPR se distingue de celle que j’ai rendue dans l’affaire Gontijo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 962.
[15] Conformément à la décision Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la demanderesse devait démontrer, par une preuve claire et convaincante, qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection de l’État. Abstraction faite de la présomption de protection de l’État, ainsi que des mesures prises par les autorités, mesures que la demanderesse a jugées utiles – quoique pas véritablement adaptées à sa situation et à ses craintes –, la demanderesse n’a pu démontrer que la police n’avait pas voulu ou pu enquêter sur sa plainte. La preuve présentée par la demanderesse n’est donc pas claire et convaincante.
[16] Il y avait lieu pour la SPR de conclure comme elle l’a fait, et sa décision était raisonnable compte tenu des circonstances.
IV. CONCLUSION
[17] La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3471-07
INTITULÉ : MARIA GUADALUPE MIRON GUZMAN
MARCOS FERNANDO SOLIS MIRON
FERNANDA LORENA MIRON GUZMAN
MARIA GUADALUPE MIRON GUZMAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 3 AVRIL 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 16 AVRIL 2008
COMPARUTIONS :
Maureen Silcoff
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POUR LES DEMANDEURS |
Ada Mok
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Maureen Silcoff Avocate Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |