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Date : 20080418

Dossier : IMM‑3776‑07

Référence : 2008 CF 478

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

 

Entre :

RAHIM YURTERI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Dans cette décision, la Commission concluait que le demandeur, M. Yurteri, n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]               La présente demande soulève la question suivante : les conclusions de la Commission en matière de crédibilité sont‑elles raisonnables?

 

[3]               Le demandeur soulève également la question de savoir si la Commission a commis une erreur en décidant que le traitement auquel il était exposé ne constituait pas de la persécution.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Le contexte factuel

[5]               Le demandeur est un citoyen de la Turquie qui demande l’asile au Canada au motif qu’il craint d’être persécuté aux mains des fondamentalistes musulmans sunnites, de la police et des forces de sécurité en raison de son origine ethnique kurde, de sa religion alévie et de ses opinions et activités politiques prokurdes. Il allègue avoir subi de la discrimination et de mauvais traitements pour la plus grande partie de sa vie en raison de son origine ethnique. Il allègue que lorsqu’il était étudiant, il était souvent victime de railleries et d’insultes et qu’il était battu par les étudiants turcs sunnites, et qu’il a été exposé à des problèmes semblables alors qu’il exécutait le service obligatoire dans l’armée turque.

 

[6]               La demande du demandeur est principalement fondée sur quatre incidents au cours desquels il a été détenu, interrogé et battu par la police turque alors qu’il participait à des activités prokurdes. Premièrement, le 21 mars 2000, le demandeur a assisté à une célébration du Newroz kurde organisée par le Parti démocratique populaire (le HADEP). Il allègue que les policiers locaux s’approchaient des participants au hasard et les mettaient en état d’arrestation. Il a été détenu au poste pendant deux jours, interrogé et battu. Les policiers lui ont posé des questions sur ses antécédents et ses affinités politiques. Le demandeur soutient que, à la suite de cet incident, les policiers l’arrêtaient plus souvent dans la rue lorsqu’ils faisaient des vérifications de sécurité au hasard.

 

[7]               Le deuxième incident qu’il a signalé s’est produit le 13 mars 2001, lorsqu’il a assisté à la commémoration de « l’incident de Gazi », à l’occasion de laquelle des assaillants soupçonnés d’être des fanatiques sunnites ont fait feu sur plusieurs alévis. Il a été arrêté et détenu encore une fois. Il a été interrogé et battu. Les policiers l’ont accusé de lever des fonds pour le Parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), que les autorités turques considèrent comme étant une organisation terroriste. Il a été remis en liberté le lendemain et aucune accusation n’a été portée contre lui.

 

[8]               Le troisième incident s’est produit le 1er mai 2004, lors d’une activité du Parti populaire démocratique (le DEHAP), le parti qui a succédé au HADEP. Le demandeur a été arrêté, détenu pendant 24 heures, interrogé et battu par les policiers, qui croyaient que les Kurdes qui participaient à l’activité appuyaient le PKK. Avant sa remise en liberté, le demandeur prétend que les policiers l’ont prévenu qu’ils l’auraient à l’œil tant et aussi longtemps qu’il serait en Turquie.

 

[9]               Le dernier incident s’est produit en mars 2005 à l’occasion de la célébration du Newroz, au cours de laquelle le demandeur a été arrêté, détenu pendant une nuit, interrogé et battu par les policiers.

 

[10]           Un passeport turc a été délivré au demandeur le 24 mai 2005 et un visa canadien de résident temporaire lui a été délivré le 11 juillet 2005. Il a quitté la Turquie à destination du Canada le 13 août 2005 et a donné avis de son intention de présenter une demande d’asile au Canada le 24 août 2005.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11]           Dans la décision du 23 août 2007, la Commission rejette la demande du demandeur et conclut que sa crainte d’être persécuté en raison de son origine ethnique kurde, de sa religion alévie et de ses opinions politiques prokurdes n’est pas crédible et n’est pas fondée subjectivement ou objectivement. La Commission conclut qu’il n’y avait pas de preuve crédible suffisante qui établisse que sa crainte est fondée et qu’il est plus probable que le renvoi du demandeur en Turquie ne l’exposerait pas à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou à un risque de torture. Les motifs suivants sont donnés à l’appui de cette conclusion :

[traduction]

a)      La Commission tire une inférence défavorable de l’omission du demandeur de mentionner les mauvais traitements qu’il a subis pendant son service militaire obligatoire à l’agent d’immigration qui a mené l’entrevue au point d’entrée le 29 septembre 2005. La Commission conclut que cette allégation, qui apparaît dans sa Fiche de renseignements personnels (la FRP), est un élément essentiel de sa demande d’asile.

b)      La Commission tire une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur en raison de son omission d’obtenir les rapports médicaux des médecins qui l’auraient examiné à deux reprises à la suite de la torture par les policiers et de son omission de chercher à obtenir des soins médicaux lors des deux autres incidents au cours desquels il aurait été torturé. La preuve documentaire ne corroborait pas l’allégation du demandeur concernant son incapacité à chercher des soins médicaux et à obtenir les dossiers médicaux relatifs à la torture. La Commission rejette l’explication du demandeur concernant son omission de rechercher des soins médicaux à la suite des deux derniers incidents de torture. La Commission affirme que le demandeur et son avocat ont été avertis de produire des éléments de preuve concernant les allégations essentielles à la demande d’asile, parce qu’il y avait une question de crédibilité en cause.

c)      La Commission tire une inférence défavorable de l’omission du demandeur de mentionner dans le récit de sa FRP qu’il avait versé un pot‑de‑vin par l’intermédiaire de son cousin pour obtenir un passeport turc en mai 2005. La Commission conclut que l’explication du demandeur concernant cette omission est déraisonnable. La Commission conclut qu’il est invraisemblable que le demandeur puisse avoir obtenu un passeport authentique, compte tenu de ses allégations d’arrestations, de détentions et de surveillance de ses activités par la police. La preuve documentaire révèle que des vérifications de sécurité minutieuses sont effectuées avant la délivrance d’un passeport et avant de permettre à quelqu’un de quitter le pays. La Commission juge qu’il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas eu de difficulté à quitter la Turquie avec un passeport obtenu frauduleusement.

d)      La Commission tire une inférence défavorable du retard à quitter la Turquie, malgré l’allégation de mauvais traitements et malgré le fait qu’il a eu pendant plus d’un mois avant son départ à la fois un passeport turc et un visa de résidence temporaire au Canada. La Commission tire également une inférence défavorable du retard de onze jours à présenter une demande d’asile. La Commission juge que ces retards sont incompatibles avec une crainte subjective de persécution.

e)      La Commission conclut que le long retard à obtenir la lettre datée du 5 mars 2007 du Parti socialiste démocratique (le DTP), un parti prokurde, corroborant l’appui politique prokurde du demandeur, mine l’authenticité de la lettre. La Commission juge que le demandeur aurait dû être en mesure d’obtenir une telle lettre avant le 5 mars 2007, puisqu’il avait été averti de fournir une preuve de ses activités politiques en Turquie près d’un an et demi auparavant.

f)        La Commission examine la preuve documentaire concernant la situation générale en Turquie et conclut qu’elle ne corrobore pas l’allégation du demandeur selon laquelle il faisait l’objet d’arrestations, de détentions et de torture aux mains des policiers turcs en raison de son origine ethnique kurde. La Commission conclut que la preuve documentaire ne donne pas à penser que les citoyens turcs d’origine ethnique kurde sont victimes de mauvais traitements systématiques équivalant à de la persécution. La Commission conclut également que la preuve documentaire ne corrobore pas l’allégation de persécution du demandeur pour des motifs religieux. La Commission conclut que, bien que les politiques religieuses du gouvernement turc soient quelque peu discriminatoires, il n’est pas interdit aux alévis de pratiquer ouvertement et librement leurs croyances religieuses ou que ce droit ne leur est pas refusé. La Commission juge que la situation s’est améliorée au cours des dernières années. La Commission déclare qu’elle privilégie la preuve documentaire plutôt que le témoignage du demandeur.

g)      Compte tenu de la preuve documentaire, la Commission conclut que même si le demandeur peut avoir été détenu par la police en Turquie lors des incidents allégués, cela faisait partie d’une initiative policière de préserver l’intérêt de l’ordre public et de protéger la population. Ces détentions ne visaient pas le demandeur d’asile en raison de son origine ethnique kurde, de sa religion alévie ou de ses opinions et activités politiques prokurdes. La Commission tient compte de la situation personnelle du demandeur et conclut que les incidents allégués n’équivalent pas à de la persécution.

h)      Finalement, la Commission tient compte de la possibilité que le demandeur soit soumis à de la persécution à titre de demandeur d’asile débouté s’il devait retourner en Turquie. La Commission tient compte de la preuve documentaire et conclut à l’inexistence d’un tel risque.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable à une décision de la Commission concernant des questions de fait est la décision raisonnable. La jurisprudence de la Cour a conclu à maintes reprises que les conclusions de fait, et plus particulièrement celles en matière de crédibilité, tirées dans le contexte d’une demande d’asile, bénéficient du niveau de retenue le plus élevé (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.)). À la suite du jugement de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile devraient continuer de bénéficier de la déférence de la Cour et sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité (arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64).

 

[13]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

L’omission du service militaire lors de l’entrevue au point d’entrée

[14]           Le demandeur allègue que la question des difficultés subies pendant son service militaire était secondaire dans sa demande et que la Commission a en conséquence commis une erreur en tirant une inférence défavorable de cette omission. Le demandeur soutient qu’ajouter dans la FRP des détails qui n’ont pas été mentionnés à l’entrevue au point d’entrée ne peut pas mener à une absence de crédibilité.

 

[15]           La conclusion de la Commission sur ce point ne constitue pas, à mon avis, une erreur déraisonnable. La question de savoir si les mauvais traitements reçus par le demandeur pendant son service militaire obligatoire en Turquie sont un élément essentiel de la demande d’asile est une question de fait. Compte tenu du fait que la raison pour laquelle le demandeur a quitté la Turquie est la nature continue et répétée des difficultés qu’il a subies, il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable fondée sur cette omission.

 

Le traitement médical

[16]           Le demandeur d’asile allègue que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que son explication concernant son omission de rechercher des soins médicaux en mai 2004 et en mars 2005 était déraisonnable et en n’exposant pas l’explication. Le demandeur soutient que son explication a été de dire qu’aucun traitement médical n’avait été nécessaire à ces deux occasions et que cette explication était raisonnable.

 

[17]           Même s’il est préférable que la Commission expose explicitement l’explication qu’elle rejette, sa conclusion n’est pas déraisonnable. La conclusion défavorable que la Commission a tirée quant à la crédibilité ne reposait pas exclusivement sur l’omission du demandeur de fournir une explication raisonnable pour ne pas avoir cherché à obtenir des soins médicaux. Les conclusions en matière de crédibilité étaient plutôt fondées sur des éléments de preuve documentaire objectifs concernant les soins fournis aux personnes détenues par la police, l’omission du demandeur de fournir des documents pour les occasions où il a demandé des soins médicaux et l’omission de chercher à obtenir des soins médicaux à deux autres reprises.

 

[18]           La Commission pouvait tirer une inférence défavorable de l’ensemble de la preuve du demandeur sur ce point. L’inférence de la Commission repose nettement sur les éléments de preuve dont elle était saisie.

 

Le pot‑de‑vin pour obtenir un passeport

[19]           Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable relativement à l’omission dans sa FRP du fait qu’il avait obtenu son passeport grâce à un pot‑de‑vin. Le demandeur allègue de plus que la Commission s’est attachée à une omission mineure ou secondaire et qu’elle a manifesté un zèle excessif dans la dévaluation de sa crédibilité. Le demandeur soutient que la preuve ne contient aucun élément permettant d’appuyer une inférence selon laquelle une personne dans sa situation n’aurait pas pu quitter la Turquie et que la Commission s’est lancée dans une pure conjecture.

 

[20]           Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau l’importance des éléments de preuve. La question de savoir si l’omission du fait que le passeport a été obtenu au moyen d’un pot‑de‑vin est un élément essentiel de la demande d’asile est une question de fait, et la Commission est en meilleure position pour l’évaluer. Dans ses motifs, la Commission a fait une analyse approfondie de la preuve documentaire concernant les exigences d’obtention d’un passeport en Turquie, ainsi que des mesures de sécurité en place à la frontière. Je suis d’avis que l’inférence défavorable tirée par la Commission concernant la crédibilité du demandeur était justifiée et intelligible.

 

[21]           De plus, j’accepte l’observation du défendeur selon laquelle même si l’omission était secondaire, l’ensemble de la conclusion de la Commission quant à la crédibilité ne changerait pas.

 

Le retard à quitter la Turquie et à présenter la demande d’asile

[22]           Le demandeur allègue qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter des observations en réponse à la conclusion de la Commission selon laquelle une période d’un mois pour quitter la Turquie était incompatible avec une crainte subjective de persécution. Le demandeur soutient que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale exigent que le demandeur d’asile ait la possibilité de s’expliquer sur une question quand la Commission s’apprête à tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité relativement à cette question.

 

[23]           Le demandeur allègue de plus que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve concernant la disponibilité des vols des compagnies d’aviation. Dans sa FRP, le demandeur a déclaré que la réservation d’un billet d’avion avait nécessité quelques semaines.

 

[24]           Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur en concluant que le retard de onze jours à présenter une demande d’asile après son arrivée au Canada était incompatible avec une crainte subjective de persécution. Le demandeur renvoie à la décision Chuop c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 37, au paragraphe 6, dans laquelle la Cour a conclu que la Commission avait erré en tirant des conclusions défavorables fondées sur un court retard.

 

[25]           De plus, le demandeur allègue que son explication, selon laquelle il a suivi les conseils du passeur de ne pas présenter de demande d’asile au port d’entrée parce qu’il serait renvoyé, était raisonnable, et qu’il était déraisonnable que la Commission rejette son explication.

 

[26]           J’accepte la prétention du défendeur selon laquelle la conclusion défavorable tirée du retard doit être examinée dans son contexte. La décision était fondée sur le retard à quitter la Turquie, avant le mois d’août 2005, compte tenu des antécédents de détention et de torture du demandeur remontant jusqu’en 2000, le retard à quitter la Turquie, avant le 13 août 2005, compte tenu qu’un visa lui avait été délivré le 11 juillet 2005 et, finalement, le retard à présenter une demande d’asile. Il était loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable concernant l’existence d’une crainte subjective à la lumière de ces nombreux retards.

 

[27]           En ce qui a trait à l’allégation d’atteinte à la justice naturelle découlant de l’incapacité du demandeur de répondre aux conclusions de la Commission, je ne peux pas conclure à une telle atteinte. Bien que le principe demeure vrai que la Commission devrait accorder au demandeur d’asile la possibilité d’éclaircir toute contradiction ou incohérence apparente dans son témoignage sur laquelle la Commission a l’intention de s’appuyer, la Commission n’est pas tenue d’informer le demandeur d’asile de ses conclusions concernant le caractère suffisant de sa preuve. Dans la décision Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 987, le juge MacKay a conclu comme suit aux paragraphes 13 à 15 :

[13]      Il est vrai que lorsque le tribunal a des préoccupations ou des doutes quant à la crédibilité découlant des contradictions ou des inconsistances dans les dépositions du demandeur, écrites ou orales, il est tenu, en toute justice, d’indiquer ces doutes ou préoccupations, et de donner au demandeur la chance de les dissiper, avant de s’appuyer sur des inconsistances pour ne pas croire le témoignage rendu (voir : Ta Wei Li c. M.E.I., (1996), 109 F.T.R. 178, et Gracielome c. Canada (MEI) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.))

 

[14]      En l’espèce, le tribunal ne s’est pas préoccupé des inconsistances dans le témoignage du demandeur. Il a plutôt jugé invraisemblables des aspects principaux du récit du demandeur étant donné sa compréhension générale, compte tenu de la preuve documentaire, de la situation au Bangladesh, et sa propre expérience. La conclusion que le témoignage est invraisemblable est une conclusion fondée sur l’examen de la véracité probable de ce témoignage dans toutes les circonstances. Cette conclusion peut être tirée seulement après que l’audition s’est achevée, que tous les éléments de preuve ont été produits et que le tribunal a eu la possibilité de les examiner.

 

[15]      À mon avis, le tribunal n’est nullement tenu de signaler ses conclusions sur l’invraisemblance ni sur la crédibilité générale du témoignage avant de rendre sa décision. Il incombe plutôt au demandeur d’établir, par des éléments de preuve dignes de foi, sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal n’a pas commis d’erreur ni n’a omis de s’assurer du respect de l’équité procédurale en concluant qu’il existait des invraisemblances dans le témoignage du demandeur sans avoir au préalable porté celles‑ci à l’attention de ce dernier et sans lui avoir donné la possibilité d’y répondre.

[Non souligné dans l’original.]

 

[28]           La décision Saker a été citée avec approbation dans la décision Awoh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1198, 2006 CF 945, au paragraphe 21, et dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1961, 2005 CF 1588, au paragraphe 13.

 

[29]           Pour ce motif, la Commission n’a pas commis d’erreur ni porté atteinte aux règles de justice naturelle dans son évaluation des retards dans la demande d’asile du demandeur.

 

Le retard à obtenir une lettre de corroboration

[30]           Le demandeur allègue que la Commission s’est appuyée sur un facteur non pertinent en jetant un doute sur l’authenticité de la lettre du DTP au motif qu’il y avait eu un retard à l’obtenir. Le demandeur soutient que la facilité à obtenir de faux documents dans un pays donné ne peut pas constituer une raison valable pour rejeter le document présenté.

 

[31]           La Commission n’a pas rejeté la lettre simplement parce qu’elle a conclu de la preuve documentaire qu’il était facile d’obtenir de faux documents de cette nature en Turquie. La conclusion défavorable quant à la crédibilité de la lettre était plutôt fondée sur l’explication incroyable offerte par le demandeur. Selon son témoignage, le DTP n’avait pas été politiquement actif au cours de l’année précédant la présentation de la lettre. Toutefois, la preuve documentaire a montré que le prédécesseur du DTP, le Mouvement pour une société démocratique (le DHT) existait depuis octobre 2004. La Commission a inclus cet élément dans ses motifs, et je conclus qu’il est justifié et intelligible.

 

Le traitement ne constituait pas de la persécution

[32]           Enfin, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que le traitement auquel étaient exposés les Kurdes ne constituait pas de la persécution. Il soutient que la Commission a accepté que « [l]es Kurdes qui affirment publiquement ou politiquement leur identité kurde ou qui s’affirment publiquement, en utilisant le kurde dans la sphère publique, risquent la censure, le harcèlement ou des poursuites. » Le demandeur fait valoir que la persécution peut être définie comme étant la violation d’un droit humain fondamental et que l’affirmation publique de son identité ethnique constitue un tel droit. En conséquence, les mauvais traitements subis par le demandeur constituent de la persécution.

 

[33]           Le défendeur allègue que le demandeur confond la persécution avec la discrimination et qu’il s’agit d’une question de fait. Je suis d’avis que la question de savoir si un comportement constitue de la persécution est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, la conclusion de la Commission à l’égard de cette question doit bénéficier de la déférence de la Cour et est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité (voir l’arrêt Dunsmuir, précité).

 

[34]           Les cours ont défini la persécution comme étant l’infliction répétée d’actes de cruauté ou l’infliction systématique d’un châtiment au cours d’une période de temps déterminée. Le harcèlement et la discrimination ne suffisent pas en soi (Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), Olearczyk c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 18 (C.A.F.), Murugiah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 230, et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[35]           La Commission a conclu que les vérifications de sécurité et les détentions du demandeur faisaient partie d’une initiative policière qui visait à préserver l’ordre public et à protéger la population et non à cibler le demandeur en raison de son origine ethnique. Compte tenu de cette conclusion, je crois qu’il était loisible à la Commission de conclure que les incidents ne constituaient pas de la persécution. La Commission a effectué une analyse complète de la situation générale en Turquie et de l’existence de risques objectifs. La conclusion de la Commission était raisonnable. Le demandeur demande encore une fois à la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle de la Commission. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée ici.

 

[36]           Les parties n’ont pas présenté de question à certifier et aucune n’a été soulevée.

 


JUGEMENT

La cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                        IMM‑3776‑07

 

Intitulé :                                       RAHIM YURTERI

et le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

Lieu de l’audience :                 Toronto (Ontario)

 

Date de l’audience :               le 14 avril 2008

 

Motifs du jugement

Et jugement :                              le juge Beaudry

 

Date des motifs :                      le 18 avril 2008

 

 

 

Comparutions :

 

Douglas Lehrer                                                                         pour le demandeur

 

Amina Riaz                                                                               pour le défendeur

 

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

VanderVennen Lehrer                                                              pour le demandeur

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     pour le défendeur

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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