Ottawa (Ontario), le 15 avril 2008
En présence de monsieur le juge Blanchard
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur, Li Zhang, fait appel de la décision du 20 juin 2007 d’un juge de la citoyenneté, William Day, de refuser sa demande de citoyenneté canadienne. Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence fixées au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29 (la Loi). Les dispositions applicables de la Loi sont annexées aux présents motifs.
[2] Le juge de la citoyenneté a considéré que le demandeur avait établi sa résidence au Canada le 2 octobre 2002 et que, à la date de sa demande, il avait résidé 922 jours au Canada. Il a donc constaté qu’il y avait un déficit de 173 jours par rapport au minimum légal de 1 095 jours de résidence qu’un candidat doit avoir passés au Canada avant de pouvoir demander la citoyenneté. Le juge a aussi considéré qu’une recommandation favorable au titre des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi n’était pas justifiée parce qu’il n’avait pas été établi que le demandeur souffrait d’une invalidité, qu’il vivait une situation particulière et inhabituelle de détresse ou qu’il avait rendu des services exceptionnels au Canada.
[3] Le terme « résidence » a été interprété de diverses façons par la Cour. Il y a essentiellement deux catégories d’interprétation. La première catégorie requiert une présence physique effective au Canada durant un total de trois ans, selon un calcul rigoureux du nombre de jours passés au Canada (décision Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. n° 232 (QL) (1re inst.)). La deuxième catégorie suppose une lecture moins rigoureuse de la condition d’une présence physique au Canada, pour autant que les liens du demandeur avec le Canada demeurent solides (Re Antonio E. Papadogioriorgahis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), et Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.)).
[4] Il est loisible à un juge de la citoyenneté de choisir l’un ou l’autre des critères reconnus de résidence. Le rôle de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire consiste à dire si le critère retenu a été appliqué convenablement par le juge de la citoyenneté (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 410 (QL) (1re inst.)).
[5] Pour arriver à sa décision, le juge de la citoyenneté a adopté le critère de résidence exposé dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650. Dans cette décision, le juge O’Reilly reconnaissait que la Loi peut se prêter à plus d’une interprétation, l’une exigeant une présence physique au Canada durant trois ans sur un total de quatre, et l’autre exigeant moins que cela, dans la mesure où les liens du demandeur avec le Canada sont solides. La première interprétation est un critère physique, et la seconde, un critère qualitatif. Le critère exposé par le juge O’Reilly dans la décision Nandre est essentiellement un critère qualitatif de résidence. Il explique, aux paragraphes 12 et 24 de ses motifs, la justification sous‑jacente du critère, à laquelle je souscris, ainsi que son application.
[12] Sans vouloir nullement contredire ceux qui pensent autrement, il me semble que le critère qualitatif devrait être appliqué par les juges de la citoyenneté. Cela ne veut pas dire que le critère physique est sans valeur. Si un demandeur de citoyenneté répond au critère physique, alors la condition de résidence énoncée dans l’alinéa 5(1)c) de la Loi sera remplie. Si un demandeur ne répond pas au critère physique, alors les juges de la citoyenneté devraient à mon avis s’en rapporter au critère qualitatif […]
[24] […] la Loi sur la citoyenneté prévoit qu’un demandeur de citoyenneté doit justifier d’une période de résidence au Canada correspondant à un total d’au moins trois années sur les quatre années antérieures. Pour qu’un demandeur réponde à la condition de résidence, il doit d’abord prouver qu’il a établi sa résidence au Canada, puis qu’elle l’y a maintenue pendant la durée requise […]
[6] Le demandeur dit que le juge de la citoyenneté a appliqué erronément le critère de résidence de la décision Nandre. Il fait valoir que le juge de la citoyenneté a entrepris son analyse en se fondant sur la décision Nandre, c’est‑à‑dire sur un critère qualitatif, pour ensuite combiner, à tort, ce critère avec le critère de la décision Pourghasemi (Re Pourghasemi [1993] A.C.F. n° 232 (1re inst.)), lequel requiert un comptage rigoureux des jours de présence physique effective au Canada. Le demandeur affirme essentiellement que le juge de la citoyenneté a laissé de côté à tort la période du 12 avril 2001 au 2 octobre 2002, période durant laquelle il était parfois physiquement présent au Canada. De l’avis du demandeur, cette période a été laissée de côté sans qu’il ait bénéficié d’une évaluation qualitative selon ce que requiert le critère de la décision Nandre.
[7] La question de savoir si un appelant répond aux conditions de résidence est une question mixte de droit et de fait, pour laquelle les décisions des juges de la citoyenneté ont droit à une certaine retenue parce que c’est un domaine où ils justifient d’une spécialisation. Dans de nombreux jugements, la Cour a dit que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une question de ce genre est la norme de la décision raisonnable simpliciter. (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85, paragraphe 6; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1641, paragraphe 5; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 700, paragraphe 13; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, paragraphe 7).
[8] Dans l’arrêt David Dunsmuir c. Sa Majesté la Reine du chef de la province du Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a récemment décidé qu’il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. Après examen des principes et facteurs exposés dans cet arrêt, je suis persuadé que la norme de contrôle applicable à la question dont je suis saisi est la norme de la décision raisonnable.
[9] Je suis en désaccord avec l’argument du demandeur, et en particulier avec la manière dont il interprète le critère de la décision Nandre. Selon moi, le juge O’Reilly s’est exprimé clairement. Il écrivait qu’un demandeur doit d’abord montrer qu’il a établi sa résidence au Canada, puis montrer qu’il a conservé sa résidence au Canada pendant la période requise. Il s’ensuit qu’un juge de la citoyenneté doit d’abord déterminer la date à laquelle un demandeur a établi sa résidence au Canada, parce que cette date ne sera pas nécessairement la date du droit d’établissement. Ici, le juge de la citoyenneté a considéré que la date à laquelle le demandeur avait établi sa résidence au Canada était le 2 octobre 2002. Il expliquait ainsi sa conclusion :
[traduction]
Immédiatement après avoir acquis le droit d’établissement au Canada, vous avez voyagé à l’étranger durant plusieurs mois. Après l’acquisition du droit d’établissement le 7 avril 2001, vous avez quitté le Canada neuf jours plus tard, le 16 avril 2001, pour revenir le 9 juillet 2001 durant quatre semaines à Ottawa, où vos parents cherchaient un lieu d’habitation. Vous avez quitté Ottawa le 5 août et êtes revenu le 3 septembre pour deux mois à Vancouver, où vos parents s’étaient établis. Vous avez quitté Vancouver le 30 octobre 2001, pour revenir au Canada le 11 décembre, et partir à nouveau le 16 janvier 2002.
Votre premier séjour de longue durée au Canada a été du 2 octobre 2002 au 6 juillet 2003, période au cours de laquelle vous avez fréquenté l’Université Concordia durant un semestre et demi.
Cette série d’événements suscite une question importante – la date à laquelle vous êtes effectivement devenu un résident fonctionnel du Canada. La décision Nandre, 2003 CFPI 650 (rendue par le juge O’Reilly), a établi et définitivement éclairci les précédents selon lesquels la résidence débute non à la date d’acquisition du droit d’établissement, mais à la date à laquelle une personne devient un résident fonctionnel du Canada. La première fois que vous êtes devenu résident fonctionnel du Canada fut le 2 octobre 2002, quand vous êtes revenu au Canada et que vous vous êtes installé chez vos parents et à l’Université Concordia. À ce moment‑là, vous êtes resté au Canada durant 277 jours, puis vous êtes parti pour la Chine et le Royaume‑Uni.
Vous avez donc résidé au Canada du 2 octobre 2002 au 12 avril 2005, date à laquelle vous avez demandé la citoyenneté.
[Souligné en gras dans l’original.]
[10] Selon moi, le juge de la citoyenneté pouvait parfaitement, au vu de la preuve, dire que le demandeur était devenu un résident fonctionnel du Canada le 2 octobre 2002. Je suis également d’avis que le juge de la citoyenneté a appliqué correctement le critère de la décision Nandre. Je reconnais avec le défendeur qu’une évaluation qualitative n’était pas requise dans ces conditions, parce que la période du 2 octobre 2002 au 12 avril 2005 ne totalisait pas les 1 095 jours requis par l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Une évaluation qualitative des jours passés en dehors du Canada durant cette période serait un exercice vain puisque, même si chaque jour était compté, il n’y aurait encore pas suffisamment de jours de résidence pour que soit remplie la condition de l’alinéa 5(1)c).
[11] La décision du juge de la citoyenneté concernant une éventuelle recommandation au titre des paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi n’a pas été soulevée dans la présente demande. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis, au vu du dossier, qu’il pouvait parfaitement rendre la décision qu’il a rendue.
[12] Les autres points soulevés par le demandeur sont les suivants : le juge de la citoyenneté n’a pas fait une évaluation qualitative adéquate et il n’a pas tenu compte de la preuve produite par le demandeur pour attester ses liens avec le Canada. Comme je l’ai dit plus haut, puisque le juge de la citoyenneté a adopté et appliqué le critère de résidence exposé dans la décision Nandre, il n’était pas tenu de faire une évaluation qualitative de cette nature.
[13] Je suis d’avis que le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande de citoyenneté présentée par le demandeur.
[14] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire contre la décision du 20 juin 2007 du juge de la citoyenneté est rejetée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
ANNEXE
Paragraphes 5(1), 5(3), 5(4), 14(2) et 14(5) de la Loi sur la citoyenneté :
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1515‑07
INTITULÉ : LI ZHANG
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 27 FÉVRIER 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 15 AVRIL 2008
COMPARUTIONS :
Samuel Hyman Vancouver (C.‑B.) 604‑685‑0121
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POUR LE DEMANDEUR |
Hilla Aharon Vancouver (C.‑B.) 604‑775‑6022 |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Burns Fitzpatrick Rogers & Schwartz Vancouver (C.‑B.)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada |