Vancouver (Colombie‑Britannique), le 9 avril 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] M. Jerry Samson (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un membre désigné de la Commission d’appel des pensions (la Commission) qui a accordé au ministre du Développement social (le ministre) l’autorisation de faire appel d’une décision rendue le 12 février 2007 par un tribunal de révision constitué en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (le RPC). La décision de la Commission d’autoriser le ministre à faire appel a été rendue le 1er juin 2007 et reçue par le demandeur vers le 9 juillet 2007.
II. Contexte
[2] Le demandeur avait présenté, vers le 3 juillet 2005, une demande de prestations d’invalidité conformément au RPC. Dans le questionnaire qui accompagnait sa demande de prestations, il écrivait que son poste le plus récent avait été celui de quartier-maître à la Garde côtière canadienne. Il disait que son dernier jour au travail avait été le 3 décembre 2004 et qu’il avait quitté son travail en raison de la pression qu’il subissait.
[3] Par lettre datée du 11 août 2005, un représentant du ministre a informé le demandeur qu’il n’était pas admissible à des prestations d’invalidité [traduction] « parce que vous devriez être encore en mesure de travailler ». Le demandeur était informé que, s’il n’était pas satisfait de la décision, il avait le droit de demander qu’elle soit réexaminée.
[4] Par lettre datée du 22 août 2005, le demandeur a sollicité le réexamen de la décision. Par lettre datée du 13 décembre 2005, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) l’a informé que, après examen de tous les renseignements et documents, y compris un rapport médical daté du 22 novembre 2005 et plusieurs rapports communiqués sur demande par SunLife en octobre 2005, la décision initiale de lui refuser des prestations d’invalidité était maintenue.
[5] L’avocat du demandeur a écrit le 24 janvier 2006 au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision pour l’informer que le demandeur faisait appel de la décision lui refusant des prestations d’invalidité. Le Commissaire des tribunaux de révision lui a répondu le 30 janvier 2006 que sa lettre serait acceptée comme avis d’appel.
[6] Une audience a eu lieu devant le tribunal de révision à St. John’s (Terre‑Neuve-et-Labrador) le 21 décembre 2006. Par décision datée du 12 février 2007, le tribunal de révision a fait droit à l’appel du demandeur. Selon lui, le demandeur avait été invalide à partir de décembre 2004, et il a ordonné que le versement de ses prestations d’invalidité débute en avril 2005.
[7] Vers le 11 mai 2007, le ministre a déposé une demande d’autorisation de faire appel, ainsi qu’un avis d’appel, concernant la décision du tribunal de révision. Cette demande indiquait le motif d’appel suivant :
[traduction]
Le tribunal de révision a commis une erreur de fait et de droit en disant que le défendeur avait droit à une pension d’invalidité, étant donné que le défendeur ne souffrait pas d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’alinéa 42(2)a) du Régime de pensions du Canada.
[8] Dans sa demande d’autorisation de faire appel, le ministre écrivait que le demandeur « avait eu des gains de 41 100 $ durant 2005, après la date à laquelle il avait cessé de travailler », et il se référait à un état des gains figurant aux pages 2 à 12 de la preuve documentaire qui était produite, comme annexe « A », avec la demande d’autorisation de faire appel et l’avis d’appel. La preuve documentaire de l’annexe « A » renfermait aussi les rapports médicaux qui avaient été soumis au tribunal de révision.
[9] Par lettre datée du 8 juin 2007, le demandeur a été informé que le ministre avait obtenu l’autorisation de faire appel de la décision du tribunal de révision, conformément à l’article 83 du RPC. Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicitait une ordonnance annulant la décision qui accordait au ministre l’autorisation de faire appel.
III. Conclusions
[10] Selon le demandeur, c’est la norme de la décision correcte qu’il faut appliquer à la décision du membre de la Commission d’appel des pensions d’accorder au ministre l’autorisation de faire appel. Il se fonde à cet égard sur la décision Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 173 F.T.R. 102, où la juge Reed écrivait ce qui suit, au paragraphe 23 :
D’après l’évaluation précitée des facteurs pertinents, je conclus que la norme de contrôle en l’espèce n’oblige pas à faire preuve d’un niveau élevé de retenue judiciaire.
[11] Le demandeur fait valoir que le critère de l’octroi d’une autorisation de faire appel a été exposé par le juge MacKay au paragraphe 15 de la décision Callihoo c. Canada, 190 F.T.R. 114, comme il suit :
Sur le fondement de cette jurisprudence récente, je suis d’avis que le contrôle d’une décision relative à une demande d’autorisation d’interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :
1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;
2. la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.
[12] Le défendeur dit que la Commission n’a pas commis d’erreur en lui accordant l’autorisation de faire appel.
[13] Après l’audience du 20 mars 2008, les parties ont eu l’occasion de déposer d’autres conclusions, si elles le souhaitaient, sur la question de la norme de contrôle devant être appliquée, eu égard à l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Le demandeur n’a pas présenté d’autres conclusions. Le défendeur a produit une brève communication, faisant valoir que, puisque la question en litige est une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable.
IV. Examen et dispositif
[14] Je partage l’avis du défendeur selon lequel c’est la norme de la décision raisonnable qui est applicable ici. La Commission devait dire si la demande d’autorisation de faire appel et l’avis d’appel soulevaient un argument défendable, sans s’interroger davantage sur le bien‑fondé de la décision visée par l’appel. Il s’agit là du critère exposé dans la décision Callihoo.
[15] La demande d’autorisation de faire appel contient une preuve nouvelle, à savoir un relevé d’emploi du 5 mars 2007. Ce document a semble‑t‑il été émis le 12 mars 2007, mais il renferme explicitement des renseignements [traduction] « du 5 MARS 2007 ». Ce document, selon moi, est manifestement une preuve nouvelle, c’est‑à‑dire une preuve qui est apparue après l’audience tenue devant le tribunal de révision en décembre 2006, et après que ce tribunal eut rendu sa décision le 12 février 2007.
[16] Dans la décision Kerth, au paragraphe 27, la juge Reed s’était exprimée sur la pertinence d’une preuve nouvelle accompagnant une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision du tribunal de révision à la Commission d’appel des pensions :
Quoi qu’il en
soit, abstraction faite de l’exactitude de la procédure décrite ci‑dessus,
lorsque le motif d’une demande d’autorisation d’interjeter appel se fonde
principalement sur l’existence d’une preuve additionnelle, à mon avis, la
question qu’il faut se poser, c’est de savoir si la nouvelle preuve déposée à
l’appui de la demande d’autorisation soulève un doute véritable quant à savoir
si le tribunal serait parvenu à la décision qu’il a prise s’il avait été saisi
de la preuve additionnelle.
[17] La question cruciale est de savoir si la demande d’autorisation permet véritablement de douter que le tribunal de révision serait arrivé à la même décision si la preuve nouvelle lui avait été soumise.
[18] Le point à décider lorsqu’une personne cherche à se voir reconnaître une invalidité aux termes du RPC concerne l’existence d’une invalidité selon le paragraphe 42(2) du RPC. D’après cette disposition, l’invalidité doit être à la fois grave et prolongée. Le sous‑alinéa 42(2)a)(i) prévoit que la « gravité » de l’invalidité se rapporte à la capacité de travailler. Dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 C.A.F. 248, au paragraphe 38, la Cour d’appel fédérale considérait une « occupation véritablement rémunératrice » comme une « occupation réellement rémunératrice ».
[19] Je souscris aux conclusions du défendeur pour qui la preuve nouvelle se rapportant aux gains déclarés du demandeur pour 2005 permet véritablement de douter que le tribunal de révision serait arrivé à la même décision si cet état des gains lui avait été soumis. Je souscris également à l’argument du défendeur selon lequel la décision du tribunal de révision révèle peut-être une absence d’analyse portant sur les rapports médicaux qui lui avaient été soumis.
[20] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Fink, [2006] A.C.F. n° 1655, la Cour d’appel fédérale écrivait qu’un résumé sélectif de la preuve, sans explication des raisons pour lesquelles un tribunal de révision préfère une preuve médicale plutôt qu’une autre, ou un témoignage d’opinion plutôt qu’un autre, constitue une erreur susceptible de contrôle.
[21] En l’espèce, le membre de la Commission d’appel des pensions n’a pas motivé sa décision d’accorder au ministre l’autorisation de faire appel de la décision du tribunal de révision. Aucune disposition légale ne prévoit que l’octroi d’une autorisation de faire appel doit être motivé : voir le jugement Mrak c. Canada (Ministre des ressources humaines et du Développement social), 2007 CF 672, paragraphe 6.
[22] Pour obtenir l’autorisation de faire appel, l’appelant doit montrer que sa demande d’autorisation de faire appel et son avis d’appel laissent apparaître un argument défendable. Je suis convaincue qu’ici, la demande d’autorisation de faire appel et l’avis d’appel laissent apparaître un argument défendable, compte tenu de la preuve nouvelle produite par le ministre, et de son argument selon lequel le tribunal de révision s’est abstenu d’analyser la preuve médicale. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[23] Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confèrent les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je ne me prononcerai pas sur les dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée; il n’est pas adjugé de dépens.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1360‑07
INTITULÉ : JERRY SAMSON
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : ST. JOHN’S (T.-N.-L.)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 20 MARS 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 9 AVRIL 2008
COMPARUTIONS :
E. Mark Rogers
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POUR LE DEMANDEUR |
Daniel Willis
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rogers Bussey Avocats St. John’s (T.‑N.-L.)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |