[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
ENTRE :
et
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PHELAN
I. VUE D’ENSEMBLE
[1] La décision attaquée en l’espèce est le refus d’une agente des visas (l’agente) de faire droit à la demande de résidence permanente des filles adoptives de la demanderesse. Pour justifier sa décision, l’agente a conclu que les deux filles n’avaient pas dit la vérité au sujet de la date du décès de leur père, et ce, même si seulement l’une d’entre elles avait été interrogée. Cette décision a pour effet de séparer les filles de leur mère adoptive.
II. CONTEXTE
[2] La demanderesse est la mère adoptive de deux filles, Vanessa (née en 1989) et Sabrina (née en 1991). La demanderesse est une ressortissante du Rwanda qui a obtenu le statut de réfugié en octobre 2003. En mars 2004, elle a demandé le statut de résidentes permanentes pour ses deux filles adoptives.
[3] La mère biologique des filles – la sœur de la demanderesse – est décédée en 1995. Les filles ont été adoptées en juillet 1996 par Mme Mukamutara.
[4] Après que les demandes de visas de résidence permanente eurent été déposées en octobre 2005, l’agente a interrogé Vanessa, mais pas Sabrina.
[5] La présente affaire porte sur la confusion entourant la date du décès du père des filles. La date qui est inscrite dans la demande est le 12 juillet 1990. Un certificat de décès non daté a été produit : il mentionne la date du 12 juillet 1990 comme date de décès.
[6] Vanessa a été interrogée et a précisé que son père était décédé le 2 août 1992. Un certificat de décès daté et corrigé a alors été soumis à l’agente.
[7] À la suite de l’entrevue, la demanderesse a transmis par télécopieur à l’agente une lettre expliquant que le certificat de décès qu’elle avait reçu du Burundi, où le père serait décédé, était inexact. La demanderesse a expliqué qu’après avoir constaté les nombreuses erreurs que comportait le certificat de décès qu’elle avait reçu du Burundi, elle avait obtenu une copie certifiée conforme du certificat de décès qu’elle avait ensuite fait parvenir à l’agente.
[8] La demanderesse a ensuite expliqué que, lorsqu’elle avait déposé sa demande, elle avait repris la date du 12 juillet 1990 inscrite sur le certificat erroné.
[9] L’agente a conclu qu’on lui avait mentionné trois dates de décès différentes dans le cas du père. L’agente avait plusieurs autres réserves au sujet des documents qui lui avaient été soumis, notamment en ce qui concerne le fait qu’aucun certificat de décès de la mère biologique n’avait été produit. L’agente n’a en fin de compte pas cru que le père des filles était décédé ou, du moins qu’il était décédé à l’une des dates mentionnées; elle a conclu que les filles avaient menti dans leur demande et que ni l’une ni l’autre n’appartenait à la catégorie de personnes pouvant être parrainées.
III. ANALYSE
A. Norme de contrôle
[10] Bien que la demanderesse n’ait pas abordé la question de la norme de contrôle applicable, le défendeur a invoqué des précédents dans lesquels il était indiqué que les décisions des agents des visas sont des décisions fortement discrétionnaires et sont, par conséquent, assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme a depuis été clarifiée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, dans lequel il a été précisé que la Cour devait appliquer la norme de la décision raisonnable, en tenant compte de tous les faits pertinents. La présente demande de contrôle judiciaire concerne toutefois des questions de droit et d’équité procédurale qui doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte.
B. Exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
[11] La demanderesse affirme que l’agente a commis une erreur de droit en décidant que la demande devait être rejetée en raison des fausses déclarations faites au sujet du décès du père. La demanderesse soutient que l’article 176 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 est une disposition impérative et qu’il convient de faire droit à une demande présentée dans la catégorie du regroupement familial dès lors que cette demande est présentée dans un délai d’un an et que l’intéressé n’est pas par ailleurs interdit de territoire par application du paragraphe 176(3) (par ex. pour grande criminalité, etc.). L’article 176 dispose :
[12] La demanderesse affirme que, même s’il y a eu de fausses déclarations au sujet de la date du décès du père, et même dans l’hypothèse où ces fausses déclarations seraient délibérées, la demande d’établissement doit être accueillie parce que les conditions préalables concernant les délais et la non‑interdiction de territoire ont été respectées.
[13] De prime abord, j’ai de sérieuses réserves au sujet d’une affirmation aussi catégorique. Une telle interprétation va à l’encontre à l’obligation de dire la vérité prévue dans la Loi (article 40) :
[14] La réponse que l’on donne à la question des fausses déclarations dépend en fait de l’importance de la déclaration ou de l’omission. La date du décès avait peut‑être de l’importance en l’espèce, surtout si elle était pertinente pour la validité de l’adoption. Le dossier ne permet toutefois pas de savoir avec certitude si l’agente remettait en question la validité de l’adoption au motif que le père n’était pas décédé au moment de l’adoption. Ce qui préoccupait davantage l’agente c’était la date du décès plutôt que le fait du décès.
[15] Il n’est pas possible de se prononcer sur l’importance des conséquences des fausses déclarations en question, si ce n’est que l’agente a peut‑être estimé que des personnes qui font de fausses déclarations sur quelque fait que ce soit ne devraient pas être admises au Canada.
[16] L’agente a cependant commis une erreur de droit en concluant qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande pour fausses déclarations, alors qu’elle ne s’est jamais penchée sur la question de l’importance de ces fausses déclarations. L’agente n’a jamais contesté directement la validité de l’adoption, un fait pourtant extrêmement important.
[17] La décision à l’examen comporte d’autres difficultés sur le plan factuel et procédural qui ont une incidence sur la conclusion suivant laquelle il y a eu de fausses déclarations.
C. Caractère raisonnable de la décision
[18] La conclusion de l’agente suivant laquelle les filles n’avaient pas dit la vérité reposait surtout sur la confusion entourant la date du décès de leur père. L’agente a conclu que trois dates différentes avaient été données au sujet du décès du père, ce qui est faux. Un document mentionne le 29 août 1992, mais on a volontiers admis qu’il s’agissait là d’une faute de frappe et qu’il fallait lire le 2 août 1992, ce qui correspond à la date figurant dans les autres documents.
[19] Seulement deux dates étaient « en jeu », soit le 12 juillet 1990 et le 2 août 1992. On a expliqué à l’agente l’origine de la date du 12 juillet 1990 et expliqué qu’il s’agissait d’une erreur. L’agente a de toute évidence écarté cette explication, sans toutefois motiver sa conclusion.
[20] À ce propos, la Cour doit conclure que l’agente a soit ignoré une preuve pertinente, soit écarté la preuve sans fondement ni explication. En tout état de cause, sa décision est viciée.
[21] Outre les réserves exprimées par l’agente au sujet du décès du père, l’agente s’est dite préoccupée par la date du décès de la mère naturelle en précisant que ce fait n’avait pas été soulevé dans la demande et que la preuve ne le confirmait pas. Cette conclusion contredit la preuve suivant laquelle le certificat de décès de la mère naturelle faisait partie du dossier de demande.
[22] Dans ces conditions et compte tenu du dossier, les réserves exprimées par l’agente au sujet de la sincérité des filles étaient déraisonnables. De plus, l’agente a tiré ces conclusions d’une façon qui était irrégulière sur le plan procédural.
D. Équité procédurale
[23] Se fondant notamment sur l’entrevue menée avec Vanessa, l’agente a conclu que les deux filles n’avaient pas dit la vérité. Bien que les droits procéduraux de Vanessa aient pu être respectés puisqu’elle a été interrogée sur la question de la date du décès de son père, Sabrina n’a jamais eu cette possibilité et elle a pourtant été jugée non crédible.
[24] Les entrevues ne sont pas toujours nécessaires, mais, de façon générale, lorsque la crédibilité est en cause, on doit accorder à l’intéressé la possibilité d’éclaircir les questions qui permettront de tirer une conclusion sur sa crédibilité. Il peut exister des circonstances dans lesquelles l’entrevue de l’autre personne visée n’était pas nécessaire, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.
[25] Sabrina était exposée aux mêmes conséquences que sa sœur et pour les mêmes raisons, et pourtant elle n’a pas eu l’occasion de s’expliquer. Une entrevue aurait pu vraisemblablement faire une différence. Ses droits procéduraux ont été violés et elle a subi de sérieuses conséquences.
IV. CONCLUSION
[26] Pour tous ces motifs, la Cour conclut que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. La Cour n’ordonnera pas que les visas soient délivrés bien que le dossier ne révèle l’existence d’aucun motif valable de les refuser. Même si la présente affaire sera renvoyée pour être examinée par un autre agent des visas pour qu’il la traite de façon expéditive, la Cour s’attend, à défaut de nouveaux faits importants, à ce que les demandes de visas de résidentes permanentes soient approuvées.
[27] Les deux avocats ont soumis des questions à certifier. Compte tenu des présents motifs, la Cour permettra à chacune des parties de formuler ses observations à ce sujet dans un délai de sept jours à compter de la date de la présente décision. Les parties ne seront pas obligées de s’en tenir à leurs observations initiales. Après l’expiration du délai de sept jours, la Cour prononcera une ordonnance en temps utile.
Ottawa (Ontario)
Le 8 avril 2008
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑3112‑07
INTITULÉ : IMMACULÉE MUKAMUTARA
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 18 mars 2008
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Phelan
DATE DES MOTIFS : Le 8 avril 2008
COMPARUTIONS :
M. Michael Bossin
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POUR LA DEMANDERESSE |
M. Lorne Ptack
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CLINIQUE JURIDIQUE COMMUNAUTAIRE Ottawa (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |