Toronto (Ontario), le 3 avril 2008
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La demanderesse conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés (la Section), qui a rejeté sa demande d’asile au motif qu’elle n’a pas demandé la protection de l’État au Guyana et que, en tout état de cause, elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État.
[2] La demande d’asile de la demanderesse, telle qu’elle est relatée dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), est fondée sur un récit très détaillé de la violence terrible que lui infligeait son conjoint de fait. Devant la Section, la demanderesse a témoigné avoir tenté deux fois d’obtenir la protection de la police contre ces mauvais traitements et a raconté que la police avait rejeté ses demandes de protection. La demanderesse a également fourni des éléments de preuve de corruption policière dont son agresseur était à l’origine, comme explication du rejet de ses demandes.
[3] Les six lignes de texte explicatif dans la décision visant à décrire la situation personnelle de la demanderesse ne caractérisent pas la nature réelle de sa souffrance, qui constitue le fondement de sa crainte de retourner au Guyana. Il n’y a donc aucune analyse du degré de protection dont elle aurait besoin contre la violence prédatrice qui lui serait infligée par son agresseur si elle retournait au Guyana. À vrai dire, aucune conclusion quant à la crédibilité n’est tirée en ce qui a trait au récit de violence exposé de façon détaillée par la demanderesse dans son FRP et dans son témoignage à l’audience et, par conséquent, ce récit doit être considéré comme vrai. Il n’y a aucune mention à cet égard dans la décision.
[4] Sans aucune analyse des éléments de preuve, la Section, dans une déclaration d’une page et demie, a rejeté la demande de la demanderesse au motif que « les autorités lui offriront une protection adéquate » (décision, p. 2). Cette déclaration est suivie d’un examen superficiel des éléments de preuve fournis par la demanderesse à titre de preuve claire et convaincante qu’elle ne peut pas obtenir la protection de l’État au Guyana contre la conduite de son conjoint si elle doit retourner dans ce pays. Sans avoir examiné attentivement les éléments de preuve de la demanderesse, selon lesquels il y a de graves lacunes au Guyana quant à la protection offerte aux femmes victimes de violence, la Section a tiré des déclarations des éléments de preuve visant à montrer qu’effectivement, la protection de l’État est offerte. Cependant, paradoxalement, ces déclarations établissent que certains « problèmes subsistent, notamment des problèmes de violence à l’encontre des femmes et des enfants », que « la collaboration du public avec la police et la confiance du public à l’égard de services de police sont extrêmement faibles », que même si des amendes sont imposées aux personnes qui enfreignent les ordonnances de protection, « ces dispositions ne sont pas appliquées » et, enfin, que « le personnel des tribunaux doit être plus sensible aux problèmes ». Néanmoins, la Section a énoncé la conclusion suivante :
À l’examen du rapport du Département d’État des États-Unis, je suis convaincu que le gouvernement de la Guyana déploie des efforts soutenus pour faire appliquer les lois et offre une protection adéquate aux citoyens qui craignent d’être victimes de violence de la part d’un conjoint ou d’autres personnes.
(décision, p. 2)
À mon avis, cette déclaration ne constitue pas une conclusion sur la protection de l’État au Guyana qui tient compte des éléments de preuve.
[5] Quant aux tentatives de la demanderesse d’obtenir la protection de l’État au Guyana, la Section a conclu ce qui suit :
Dans le passé, la demandeure d’asile n’a pas tenté d’obtenir l’aide des autorités. Elle a témoigné qu’elle avait uniquement fait part de ses problèmes à sa tante.
(décision, p. 3)
[6] Cette déclaration ne tient pas compte du témoignage de la demanderesse présenté à l’audience devant la Section, selon lequel elle avait demandé deux fois la protection de la police, mais en vain. Le commissaire était certainement conscient de cet élément de preuve puisqu’il a précisément demandé si la demanderesse avait fait appel à la police pour que son conjoint arrête de la battre; il a obtenu une réponse affirmative à sa question (dossier du tribunal, p. 158). De plus, à l’audience, l’avocate de la demanderesse a insisté, lors de la présentation de ses arguments, sur le fait que la corruption policière était un facteur dans le rejet des demandes de protection de la demanderesse (dossier du tribunal, p. 172). Par conséquent, la décision contestée dénote qu’on a complètement omis d’analyser les éléments de preuve fournis par la demanderesse. La décision comporte donc une erreur susceptible de contrôle.
ORDONNANCE
En conséquence, j’annule la décision contestée et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Traduction certifiée conforme
Annie Beaulieu, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3414-07
INTITULÉ : NANKUMARIE YOUGNAUTH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 3 AVRIL 2008
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 3 AVRIL 2008
COMPARUTIONS :
MERCY DADEPO POUR LA DEMANDERESSE
JANET CHISHOLM POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MERCY DADEPO
AVOCATE
NORTH YORK (ONTARIO) POUR LA DEMANDERESSE
JOHN H. SIMS, c.r.
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE DÉFENDEUR