Ottawa (Ontario), le 28 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Macauley Onyekachi Kalu est un enfant de sept ans qui prétend être un citoyen de l’Érythrée et qui demande l’asile. Ses parents seraient des chrétiens pentecôtistes qui auraient fui la persécution fondée sur leurs croyances religieuses en Érythrée. La mère de Macauley, sa représentante désignée, a présenté des éléments de preuve à la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon lesquels la famille avait fui l’Érythrée pour se rendre au Soudan en 2005. La mère de Macauley est par la suite entrée au Canada avec ses deux cadets et ils y ont présenté des demandes d’asile. Macauley est demeuré au Soudan avec son père jusqu’en 2006, soit lorsque son père a été en mesure de l’envoyer au Canada en compagnie d’un passeur. Quelques jours suivant son arrivée au Canada, Macauley a présenté sa demande d’asile. Le père de Macauley est toujours au Soudan, mais tente d’entrer au Canada.
[2] Les demandes d’asile présentées par la mère et les frères de Macauley ont été rejetées, puisqu’ils n’ont pas été en mesure d’établir leur identité à la satisfaction de la Commission.
[3] La Commission a aussi rejeté la demande d’asile de Macauley au motif qu’il n’avait établi ni son identité ni sa nationalité érythréenne.
[4] La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rejetant la demande d’asile de Macauley est accueillie puisque les motifs de la Commission à l’appui du rejet de sa demande ne résistent pas à un examen approfondi, peu importe la norme de contrôle appliquée.
[5] Il est utile d’énoncer quelques principes pertinents avant d’examiner la décision de la Commission :
- La question de l’identité du demandeur, et plus précisément la question de savoir si le demandeur est citoyen d’un pays en particulier, est une question de fait.
- Le paragraphe 162(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), confère à la Commission la compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait soulevées dans le cadre de demandes d’asile.
- La mission de la SPR, à titre de section de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, est de « rendre, avec efficacité et équité, […] des décisions éclairées sur des questions touchant […] les réfugiés, conformément à la Loi ».
- Les audiences devant la Commission ne sont pas de nature contradictoire. Par conséquent, les commissaires prennent part dans une certaine mesure au processus d’audience. (C’est ce qui s’est produit dans la présente affaire, où aucun agent de protection des réfugiés n’était présent.)
- La Commission est un tribunal spécialisé. Par conséquent, elle peut en vertu de l’alinéa 170i) de la Loi admettre d’office les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
- Les commissaires sont désignés pour trancher des demandes qui proviennent de régions géographiques précises. Ainsi, les commissaires sont mieux placés pour créer une mémoire institutionnelle et une spécialisation relativement aux conditions dans un pays donné.
- La création d’une mémoire institutionnelle et d’une spécialisation est appuyée par la « Politique sur les cartables de renseignements sur les pays d’origine aux fins des demandes d’asile » de la Commission. Selon cette politique, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, pour s’acquitter de cette mission, « met à la disposition des décideurs les meilleurs renseignements à jour sur les droits de la personne et sur les conditions dans les pays d’origine des demandeurs d’asile ».
- La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission. Cela reflète à la fois la spécialisation et l’expertise de la Commission, et le fait qu’elle voit et entend le témoignage du demandeur.
[6] En ce qui concerne les motifs de la Commission, ils sont très brefs. Voici la partie essentielle de ces motifs :
D’après Mme Kalu, le passeur de clandestins ne lui a pas permis d’apporter des pièces d’identité au Canada, car elle voyageait sous un faux nom et il aurait été dangereux d’être en possession de deux séries de pièces d’identité. D’après son FRP, les deux parents et cinq des frères et sœurs de Mme Kalu vivraient toujours en Érythrée. Appelée à préciser pourquoi elle ne leur a pas demandé de l’aide pour obtenir des pièces d’identité, Mme Kalu a répondu qu’elle ne voulait pas communiquer avec les membres de sa famille, car ils risquaient d’avoir des ennuis et d’être jetés en prison s’ils savaient où elle se trouvait. À mon avis, cette affirmation est fondée sur des suppositions. De plus, elle ne tient pas compte du risque que le demandeur d’asile soit renvoyé en Érythrée si son identité n’est pas établie. Appelée à préciser pourquoi elle n’a pas demandé à son époux putatif, qui se trouverait au Soudan et avec qui elle était en communication, de l’aider à obtenir des documents, Mme Kalu a dit qu’elle n’y avait pas pensé. Je ne suis pas convaincu qu’elle a fait des efforts raisonnables pour fournir des pièces d’identité pour le demandeur d’asile; Mme Kalu n’a pas, non plus, fourni d’explications crédibles ou raisonnables quant à savoir pourquoi elle n’a pas fourni ces documents. [Note de bas de page omise.]
[7] Il ressort de la transcription que la Commission se souciait de l’absence du certificat de naissance de Macauley. La mère de Macauley a témoigné que, même si Macauley était né à la maison, elle avait fait enregistrer sa naissance et elle avait tenté de trouver des Érythréens retournant en Érythrée, en qui elle avait confiance, qui pourraient parler à sa mère en vue d’obtenir le certificat de naissance de Macauley. Elle a témoigné à deux reprises qu’elle n’avait pas communiqué directement avec sa famille depuis son arrivée au Canada au motif que les autorités maltraiteraient les membres de sa famille s’ils avouaient être au courant qu’elle se trouvait au Canada.
[8] La Commission, en concluant que des efforts raisonnables n’avaient pas été déployés en vue de l’obtention des pièces d’identité, a rejeté cette explication comme étant « fondée sur des suppositions ». La Commission n’a pas justifié cette conclusion.
[9] Le Country Report de 2005 sur l’Érythrée publié par le Département d’État des États-Unis énonçait :
[traduction] Depuis le mois de juin, les forces de sécurité ont commencé à détenir et à arrêter les parents des personnes ayant échappé aux obligations du service militaire ou ayant fui le pays. Les forces de sécurité ont exigé que les parents paient une amende et qu’ils ramènent leurs enfants au pays avant de pouvoir être mis en liberté. Ces arrestations et détentions se sont poursuivies jusqu’à la fin de l’année. [Non souligné dans l’original.]
[10] À la lumière de cette preuve, rien ne justifiait la conclusion de la Commission selon laquelle l’explication fournie par Mme Kalu quant à savoir pourquoi elle n’avait pas communiqué avec ses parents était « fondée sur des suppositions ». Cette conclusion comporte donc une erreur susceptible de contrôle, et ce, même suivant la norme de contrôle appelant le plus haut degré de retenue.
[11] Le deuxième et dernier motif à l’appui de la conclusion de la Commission est qu’il était déraisonnable pour Mme Kalu de ne pas avoir demandé l’aide de son mari au Soudan afin d’obtenir les pièces d’identité. La Commission n’a pas précisé le type d’aide que le mari aurait pu fournir. La Commission, vu ses connaissances spécialisées des conditions locales en Érythrée, était sans doute au courant, en raison d’une réponse à une demande d’information existant à l’époque (ERI102025.EF, « Information sur les pièces officielles d’identité et sur le nom des autorités de délivrance (2005-2006) »), que selon le Bureau des affaires consulaires des États-Unis, les certificats de naissance et de mariage érythréens ne pouvaient être délivrés qu’aux personnes en Érythrée.
[12] À mon avis, la Commission, à titre de tribunal spécialisé, n’a pas tenu compte de façon adéquate de la preuve dont elle disposait, laquelle expliquait les difficultés inhérentes à l’obtention de pièces d’identité pour des personnes se trouvant dans la même situation que Macauley et sa représentante désignée. Comme elle n’a pas pris en compte cette preuve, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’aucun effort raisonnable n’avait été fait afin d’obtenir des pièces d’identité et qu’aucune explication raisonnable n’avait été donnée à ce sujet.
[13] Avant de rendre jugement en l’espèce, je tiens à souligner que je comprends que la mère et les frères de Macauley se trouvent toujours au Canada en tant que demandeurs d’asile déboutés. Leur avocat ne croit pas qu’ils aient à l’heure actuelle reçu signification de demandes d’examen des risques avant renvoi. Si de telles demandes sont signifiées et déposées, il faut espérer qu’on attirera l’attention de l’agent d’examen des risques avant renvoi sur la preuve documentaire portant sur les difficultés à obtenir des pièces d’identité et sur les réserves exprimées par la Cour en l’espèce. Si les membres de la famille de Macauley arrivent à obtenir des documents de voyage érythréens, il est manifeste qu’une analyse des risques approfondie et rigoureuse sera nécessaire avant qu’ils soient renvoyés du Canada vers l’Érythrée.
[14] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification et je suis convaincue que le présent dossier n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE QUE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 11 juillet 2007 est annulée.
2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci conformément aux présents motifs.
« Eleanor R. Dawson »
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3059-07
INTITULÉ : MACAULEY ONYEKACHI KALU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 19 MARS 2008
ET JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
ET DU JUGEMENT : LE 28 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Paul Vandervennen POUR LE DEMANDEUR
Maria Burgos POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Paul Vandervennen POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada