Ottawa (Ontario), le 27 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
CAMILA FUENTES VALDEZ
ALEXA FUENTES VALDEZ
demanderesses
et
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Diana Monica Valdez Mendoza et ses filles, Camila Fuentes Valdez et Alexa Fuentes Valdez, sont des citoyennes du Mexique qui ont présenté des demandes d’asile. Mme Valdez Mendoza affirme craindre avec raison d’être persécutée par son ex-époux qui l’a agressée physiquement et qui a menacé ses enfants. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR) a rejeté la demande d’asile parce qu’elle a conclu qu’il existait une protection de l’État adéquate au Mexique et parce que les demanderesses avaient une possibilité de refuge intérieur « ailleurs au Mexique ».
[2] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la conclusion de la Commission quant à la protection de l’État était déraisonnable et parce qu’elle a commis une erreur de droit relativement à la possibilité de refuge intérieur.
La décision de la SPR
[3] La Commission a conclu « que, selon la prépondérance des probabilités, le récit que fait la demandeure d’asile de la violence familiale qu’elle a subie est généralement crédible ».
[4] À la suite de la conclusion relative à la crédibilité, la Commission est immédiatement passée à la question de la protection de l’État.
[5] La Commission n’a pas considéré la possibilité que Mme Valdez Mendoza craigne avec raison d’être persécutée si elle était renvoyée au Mexique. On peut s’en étonner, étant donné que Mme Valdez Mendoza a affirmé dans son témoignage que la dernière fois où elle avait été menacée remontait à septembre 2001. Par la suite, Mme Valdez Mendoza a divorcé et son ex‑époux s’est engagé dans une nouvelle relation. Le seul problème qui se soit posé après 2001 est survenu en novembre 2002 lorsque l’ex-époux de Mme Valdez Mendoza a crié de l’extérieur de sa maison pour que l’une de ses filles vienne à la fenêtre. Il y a également eu une série d’appels téléphoniques anonymes en novembre 2004, alors que la personne qui téléphonait raccrochait avant qu’on puisse y répondre. Par la suite, en décembre 2004, Mme Valdez Mendoza et ses enfants sont venus au Canada, où ils ont demandé l’asile en janvier 2005.
[6] En ce qui concerne la protection de l’État, la SPR a fait état de la preuve de Mme Valdez Mendoza selon laquelle elle avait communiqué avec la police « environ » à huit reprises, mais à chaque fois l’aide lui a été refusée au motif que c’était une dispute conjugale. La SPR n’a pas conclu de façon claire que cette preuve était fausse, bien qu’elle ait mentionné qu’elle ne « correspond pas » à la preuve documentaire relative à la situation au pays. La Commission devait tirer une conclusion plus claire pour rejeter la preuve de Mme Valdez Mendoza à ce sujet.
[7] La Commission a par la suite analysé la preuve documentaire. L’essentiel des motifs se lit comme suit :
Il est mentionné, dans un élément de preuve documentaire, que certains agents de police mexicains sont corrompus, et que les femmes y sont victimes de violence. Cependant, les femmes ont des recours, et le document traite de la situation actuelle au Mexique, des recours juridiques et des personnes avec qui communiquer à cet effet, ainsi que des initiatives et des services offerts aux femmes, particulièrement dans le district fédéral de Mexico. Le tribunal renvoie à deux autres documents qui concernent aussi cette question.
[Renvois omis.]
[8] Les documents sur lesquels s’est fondée la Commission mentionnent ce qui suit :
· le Mexique a des lois de nature administrative, civile et criminelle qui sanctionnent la violence en milieu familial;
· des lois édictées par les États et par le gouvernement fédéral du Mexique offrent des recours pour les femmes victimes de violence;
· un certain nombre d’initiatives, de programmes et de projets d’aide aux femmes victimes de violence ont été mis en œuvre au Mexique;
· de l’hébergement temporaire est mis à la disposition des femmes et des enfants victimes de violence au Mexique;
· le gouvernement du Mexique a mis en place des initiatives pour venir en aide aux femmes victimes de violence, dont des lignes secours et du soutien aux centres d’hébergement, ainsi que des campagnes de prévention et de sensibilisation.
[9] La SPD a ensuite conclu que la « protection de l’État est adéquate au Mexique ».
[10] Pour des raisons nébuleuses, après avoir conclu que la protection de l’État était offerte dans tout le Mexique, la Commission s’est demandée si Mme Valdez Mendoza avait une possibilité de refuge intérieur. La Commission a conclu qu’elle « ne croit pas qu’il soit impossible, pour la demandeure d’asile, de vivre ailleurs au Mexique en toute sécurité, ni qu’il serait déraisonnable, pour elle, de trouver refuge dans ce pays ».
La norme de contrôle
[11] La conclusion de la Commission quant au caractère suffisant de la protection de l’État est, à mon avis, susceptible de contrôle selon la décision raisonnable comme norme. Voir : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 362 N.R. 1, paragraphe 38 (C.A.F.), et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 55, 57, 62, et 64.
[12] Le caractère raisonnable nécessite l’examen de la justification de la décision, ainsi que de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel. On doit également s’assurer que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Dunsmuir, paragraphe 47.
L’application de la norme de contrôle à la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État
[13] Comme je l’ai déjà mentionné, la SPR a conclu dans ses motifs que la preuve documentaire établit que « certains agents de police mexicains sont corrompus, et que les femmes y sont victimes de violence ». Cependant, cette conclusion ne se fonde pas sur une appréciation juste de la preuve documentaire sur laquelle la Commission s’est fondée.
[14] Les documents sur lesquels s’est fondée la Commission mentionnent également :
· que la violence faite aux femmes au Mexique est très répandue;
· que la société mexicaine considère généralement que la violence en milieu familial est une affaire privée et qu’elle constitue un comportement tout à fait normal;
· que la violence faite aux femmes demeure encore largement impunie au Mexique.
[15] La SPR a omis d’expliquer pourquoi elle s’est appuyée de façon sélective sur la preuve documentaire et, plus particulièrement, elle a omis d’apprécier la preuve qui contredit directement la conclusion selon laquelle le Mexique offre la protection de l’État aux femmes.
[16] L’omission d’apprécier une preuve qui contredit directement les renseignements sur lesquels la SPR s’est fondée (et qui étaye le témoignage de Mme Valdez Mendoza) fait en sorte que la décision de la Commission manque de justification et d’intelligibilité, pour reprendre les mots employés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir. La décision ne peut donc se justifier au regard des faits et du droit et, par conséquent, elle ne se situe pas dans l’éventail des décisions acceptables. Par conséquent, la conclusion relative à la protection de l’État est déraisonnable et elle doit être infirmée.
La conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur
[17] Dans la décision Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 125 F.T.R. 141 (1re inst.), la Cour a écrit ce qui suit au paragraphe 16 :
La conclusion de la Commission quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur est également viciée. Dans sa décision, la Commission n'a pas indiqué exactement où, en Afghanistan, on pourrait s'attendre raisonnablement que le requérant trouve un asile sûr. La Commission a plutôt fait référence à la « région contrôlée par le général Dostam », à la « région à l'extérieur de Kaboul » et « aux régions échappant au contrôle de Jamiat-e-Islami » comme étant les régions générales où le requérant pourrait trouver refuge. La conclusion quant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur exige plus que la simple identification d'une région approximative où l'agent de persécution est présumé exercer le contrôle et plus qu'une conclusion générale indiquant que le requérant est libre de s'enfuir ailleurs. Il faut identifier un lieu géographique précis où la situation est telle que ce lieu puisse constituer un asile sûr réalistement accessible. En retour, il faut discuter de la situation qui existe dans ce lieu identifié. [Renvois omis.]
[18] Je suis convaincue que la SPR a commis la même erreur en l’espèce. Si l’on substitue le mot « Mexique » au mot « Afghanistan » et les mots « ailleurs au Mexique » aux trois régions générales décrites dans la décision Rabbani, l’erreur de la SPR est parfaitement expliquée.
[19] Il s’agit d’une erreur en droit qui rend nulle la conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur.
Conclusion
[20] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision rendue le 1er février 2006 par la Section de la protection des réfugiés est par la présente infirmée;
2. l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.
Juge
Traduction certifiée conforme,
Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-972-06
INTITULÉ : DIANA MONICA VALDEZ MENDOZA ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 6 MARS 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 27 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Howard P. Eisenberg POUR LES DEMANDERESSES
Kristina Dragaitis POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Howard P. Eisenberg POUR LES DEMANDERESSES
Avocat
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada