Ottawa (Ontario), le 13 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question de savoir à quel moment un constat de manquement à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), est « confirm[é] en dernier ressort » de manière à ce que le résident permanent perde son statut.
[2] Les faits de la présente affaire ont été exposés par mon collègue le juge Yves de Montigny dans la décision Emmanuel Ese Ikhuiwu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 35, [2008] A.C.F. no 35. Je vais résumer les faits pertinents quant à la présente instance.
[3] M. Ikhuiwu, un citoyen du Nigeria, est entré au Canada et y a obtenu le statut de résident permanent en tant qu’immigrant parrainé en 1998. Il est par après retourné au Nigeria et, pendant qu’il y était, il a jugé nécessaire de présenter une demande à la mission canadienne en vue d’obtenir le remplacement de la preuve documentaire de son statut de résident permanent qu’il n’avait plus en sa possession.
[4] Le 19 août 2003, un agent des visas à Lagos a conclu que M. Ikhuiwu n’avait pas rempli les exigences de résidence nécessaires au maintien de son statut de résident permanent et qu’il était donc interdit de territoire au Canada suivant l’article 28 et l’alinéa 41b) de la Loi. Néanmoins, M. Ikhuiwu a réussi à revenir au Canada.
[5] M. Ikhuiwu pouvait interjeter appel de la décision de l’agent des visas auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) dans les soixante jours prévus par les règles, mais ne l’a pas fait.
[6] Pendant ses séjours au Canada, M. Ikhuiwu s’est constitué un lourd casier judiciaire. Le 27 mai 2005, alors qu’il purgeait une courte peine d’emprisonnement, une mesure d’expulsion a été prise contre lui en tant qu’étranger ayant commis certaines infractions.
[7] Le 8 août 2005, M. Ikhuiwu a présenté une requête à la SAI en vue d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel de la décision rendue par l’agent des visas en application de l’article 28. La SAI a accueilli la requête le 28 décembre 2005. Le 12 décembre 2006, la SAI a rejeté l’appel, concluant entre autres que la décision de l’agent des visas était fondée en droit et que la situation du demandeur ne justifiait pas une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Lors du contrôle judiciaire, le juge de Montigny a confirmé la décision et a choisi de ne pas certifier de question.
[8] Dans les observations écrites déposées dans le cadre de la présente demande, M. Ikhuiwu a tenté de contester la mesure d’expulsion pour deux motifs. Premièrement, le demandeur a prétendu que le représentant du ministre avait commis une erreur en prenant la mesure, puisqu’il n’aurait pas du être considéré comme un étranger et n’aurait donc pas dû être assujetti à la disposition d’interdiction de territoire contenue à l’alinéa 36(2)a) de la Loi alors qu’il bénéficiait du droit d’interjeter appel de la décision de l’agent des visas. Deuxièmement, le demandeur a soutenu que le représentant du ministre avait manqué à l’équité procédurale en omettant de motiver la mesure d’expulsion. Ces deux questions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte.
[9] À l’audience, l’avocat de M. Ikhuiwu a proposé d’abandonner le premier moyen, au motif que la question avait été tranchée par la décision du juge de Montigny. La Cour a invité l’avocat du demandeur à revoir cette position, puisque la question ne semblait avoir été tranchée ni dans la décision de la SAI ni dans celle du juge de Montigny.
[10] Dans sa plaidoirie et ses observations écrites déposées après l’audience, l’avocat du demandeur a exposé un argument selon lequel la décision rendue par l’agent des visas en 2003 ne constituait pas une « confirmation en dernier ressort », aux termes de l’alinéa 46(1)b) de la Loi, puisqu’elle pouvait faire l’objet d’un appel. La décision de la SAI d’accorder la prorogation du délai rétablissait rétroactivement le droit d’appel du demandeur et son statut de résident permanent. Par conséquent, la décision de l’agent des visas ne constituait pas une confirmation en dernier ressort avant que l’appel ne soit tranché. Comme elle reposait sur le fait que le demandeur n’était plus un résident permanent du Canada au moment où elle a été prise, la mesure d’expulsion a été réduite à néant par l’octroi de la prorogation.
[11] Selon le défendeur, lorsque la mesure d’expulsion a été prise le 27 mai 2005, le demandeur était un étranger. Dès le 20 octobre 2003, soit la fin du délai d’appel prévu, il y avait eu « confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada », selon lequel le demandeur avait manqué à l’obligation de résidence prévue à l’article 28. La décision de la SAI d’accorder la prorogation du délai n’avait eu aucun effet sur le statut d’immigrant du demandeur jusqu’à cette date. Entre le 20 octobre 2003 et le 28 décembre 2005, le demandeur était demeuré un étranger. Le défendeur convient qu’il existe peut-être une question quant au statut du demandeur entre le moment où la prorogation a été accordée et le moment où l’appel a été rejeté le 12 décembre 2006.
[12] L’alinéa 46(1)b) de la Loi prévoit qu’emporte perte du statut de résident permanent « la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada », de manquement à l’obligation de résidence prévue à l’article 28. Le paragraphe 63(4) prévoit que le résident permanent peut interjeter appel auprès de la SAI de la décision rendue sur l’obligation de résidence prévue à l’article 28. Le paragraphe 9(3) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (les Règles), exige que l’avis d’appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence soit déposé auprès de la SAI dans les soixante jours suivant la date à laquelle l’appelant reçoit la décision écrite. L’alinéa 58d) des Règles permet à la SAI de proroger un délai après son expiration.
[13] Il ne semble pas y avoir de jurisprudence sur la question de savoir ce qui constitue la « confirmation en dernier ressort » visée à l’alinéa 46(1)b). Le demandeur soutient que la Cour, en interprétant la signification de l’expression, devrait se fonder sur la méthode d’interprétation législative fondée sur des principes énoncée par Ruth Sullivan et Elmer Driedger dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths, 2002), et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no 2. Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[14] Dans un contexte quelque peu analogue, la méthode fondée sur des principes a été appliquée à l’interprétation des droits d’appel sous le régime de la Loi, par mon collègue le juge Edmond Blanchard, dans la décision Rumpler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1485, [2006] A.C.F. no 1888. Le juge Blanchard a conclu que la SAI avait la compétence pour accorder une prorogation de délai dans une situation où l’article 63 de la Loi donnait un droit d’appel à un résident permanent ayant perdu son statut par l’application de l’alinéa 46(1)c) en raison de la prise d’effet d’une mesure de renvoi dans l’intervalle. Selon le juge Blanchard, si la prorogation était accordée, l’appel serait alors entendu dans le délai prévu et la mesure de renvoi serait réduite à néant.
[15] Compte tenu de l’objet de la Loi et des graves conséquences de la perte du statut de résident permanent, il est manifeste selon moi que l’intention du législateur était de s’assurer qu’une décision rendue hors du Canada selon laquelle il y a eu manquement suivant l’article 28 serait assujettie à un droit d’appel et serait seulement confirmée en dernier ressort lorsque ce droit serait éteint. Le législateur a également prévu que des règles pourraient être prises afin de régir le processus d’appel. Ces règles prévoient le délai pendant lequel un tel appel peut être interjeté et confèrent à la SAI le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai.
[16] À mon avis, l’interprétation qu’il convient de donner à l’alinéa 46(1)b) est que la décision rendue en application de l’article 28 est confirmée en dernier ressort lorsque le délai prévu par les règles pour interjeter appel de la décision est expiré. Le système législatif entraîne alors la perte du statut de résident permanent, ce qui peut, avec l’application d’autres dispositions de la Loi, entraîner comme en l’espèce la prise d’une mesure de renvoi. Cependant, une interprétation harmonieuse de ces dispositions avec la compétence qu’a la SAI d’accorder la prorogation du délai d’appel de la décision rendue suivant l’article 28 exige qu’il y ait sursis à toute mesure de renvoi découlant de la perte du statut de résident permanent dès le dépôt d’une requête en prorogation et, si la requête est accueillie, jusqu’à ce que l’appel soit tranché.
[17] En l’espèce, rien n’empêchait la prise de la mesure de renvoi au moment où elle a été prise. À mon avis, la mesure n’a été réduite à néant ni par le dépôt de la requête en prorogation ni par le fait que la requête a été accueillie; elle a toutefois fait l’objet d’une suspension en attendant l’issue de l’appel. Il était alors loisible au demandeur de solliciter le contrôle judiciaire de la décision d’appel et le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue de l’instance, comme il l’a fait en l’espèce. Toutefois, la mesure de renvoi demeurait valide et exécutable suivant l’issue des processus d’appel et de contrôle.
[18] En ce qui concerne le deuxième moyen invoqué par le demandeur en l’espèce, soit l’omission du représentant du ministre de motiver la mesure de renvoi, l’absence d’une demande en ce sens y répond entièrement : se référer à Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1301; Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada (2000), 258 N.R. 112, [2000] A.C.F. no 1217 (C.A.); Za’rour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, [2007] A.C.F. no 1647. Quoi qu’il en soit, les notes du STIDI de l’agent feraient fonction de motifs suffisants de la décision : se référer à Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1298, [2006] A.C.F. no 1615, au paragraphe 22.
[19] Le demandeur m’a demandé de certifier la question suivante :
[traduction] Comment faut-il interpréter l’alinéa 46(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui prévoit : « Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants : […] la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence »?
[20] Le défendeur conteste la certification d’une question au motif qu’il n’y a aucun avantage à interjeter appel de la présente affaire. Cependant, si la Cour devait juger que la présente affaire justifie la certification d’une question, le défendeur propose la question suivante :
[traduction] La décision de la SAI d’accorder une prorogation du délai prévu pour interjeter appel de la décision de l’agent des visas a‑t-elle eu pour effet d’invalider la mesure d’expulsion prise contre le demandeur?
[21] La question proposée par le demandeur est de portée trop générale et ne permettrait pas de trancher la présente affaire. En outre, je partage l’avis du défendeur selon lequel il n’y a aucun avantage à interjeter appel en l’espèce, puisque le bien-fondé de la décision de l’agent des visas a été examiné dans la décision de la SAI et dans le contrôle judiciaire devant le juge de Montigny. L’annulation de cette décision entraînerait simplement la prise d’une nouvelle mesure de renvoi. Par conséquent, je choisis de ne pas certifier de question.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3520-05
INTITULÉ : EMMANUEL ESE IKHUIWU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 28 FÉVRIER 2008
MOTIFS DU JUGEMENT LE JUGE MOSLEY
ET JUGEMENT :
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 13 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Jide Oladejo
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Catherine Vasilaros
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jide Oladejo Avocat Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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