Ottawa (Ontario), le 13 mars 2008
En présence de Madame la juge Dawson
ENTRE :
MARIELA FERNANDA RIQUELME
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Encore une fois, la Cour doit examiner si une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un agent d’exécution de ne pas surseoir à une mesure de renvoi du Canada prise contre un demandeur devient théorique une fois que la Cour a sursis au renvoi et que le demandeur demeure au Canada. La question est soulevée dans le contexte suivant.
Le contexte factuel
[2] Les demandeurs, qui sont citoyens de l’Argentine, sont entrés au Canada le 30 avril 2000. Le 20 novembre 2000, peu après l’expiration de leur visa de visiteur, ils ont demandé l’asile, à la suite de quoi une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été prononcée contre chacun d’eux. Le 30 mai 2002, la demande d’asile des demandeurs a été rejetée et les mesures d’interdiction de séjour conditionnelles sont devenues des mesures de renvoi exécutoires. Après un certain nombre d’incidents, notamment le fait que les demandeurs ne se soient pas présentés à une entrevue d’avant renvoi, le résultat défavorable d’un examen des risques avant renvoi ainsi que la présentation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il a été ordonné aux demandeurs de se présenter pour leur renvoi du Canada le 18 janvier 2007. La date a été reportée une première fois au 15 février 2007. Les demandeurs ont alors demandé un second report. Dans cette demande, ils ont sollicité un report jusqu’à ce que leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée. Un agent d’exécution a rejeté cette demande de report le 29 janvier 2007. Cette décision est contestée dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[3] Le 9 février 2007, un juge de la Cour a accordé un sursis à la mesure de renvoi du Canada visant les demandeurs jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée. Le 19 octobre 2007, l’autorisation d’aller de l’avant avec la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée et la date de l’audience a été fixée au 17 janvier 2008.
[4] Dans son mémoire des arguments supplémentaire, l’avocate du défendeur a invoqué à juste titre de la jurisprudence récente de la Cour dans laquelle des demandes dont les faits ressemblent à ceux en l’espèce ont été rejetées au motif qu’elles étaient théoriques. Cependant, l’avocate a soutenu que la présente affaire n’était pas théorique.
[5] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la question du caractère théorique a été abordée. Les avocats des deux parties ont soutenu que la demande n’était pas théorique. Après avoir entendu les arguments sur la question, j’ai informé les avocats que leurs observations orales ne m’avaient pas convaincue de m’éloigner du raisonnement appliqué dans des décisions comme Higgins c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 516 (QL), Maruthalingam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 1079 (QL), Vu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] A.C.F. no 1431 (QL), Madani c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 1519 (QL), et Kovacs c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 1625 (QL). Les avocats se sont vu offrir la possibilité, qu’ils ont acceptée, de présenter des observations écrites additionnelles sur le sujet.
[6] Les présents motifs tiennent compte de ces observations écrites.
Les observations des parties
[7] Les demandeurs s’appuient sur la décision rendue par la Cour dans Moumaev c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 960 (QL). Dans cette affaire, un sursis a été accordé en attendant que soit contrôlée la décision de ne pas reporter le renvoi. En expliquant son rejet de l’argument selon lequel la demande de contrôle judiciaire était théorique, la Cour a écrit ceci au paragraphe 25 :
Le défendeur soutient que l'affaire est théorique. J'ai examiné l'ordonnance du juge Beaudry, prononcée le 19 mai 2006, qui accordait un sursis à la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Le juge Beaudry a accordé le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi [traduction] « en attendant que la Cour fédérale rende une décision au sujet de la demande de contrôle judiciaire ». Par conséquent, je dois traiter la demande de contrôle judiciaire sinon l'ordonnance du juge Beaudry resterait en vigueur. La question n'est donc pas théorique.
Il est dit que cette décision est pertinente.
[8] Il est également soutenu que cet argument est renforcé par la position de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), selon laquelle le rejet d’une demande de contrôle judiciaire fondé sur le caractère théorique met fin à toute suspension provisoire de la mesure de renvoi, même lorsque la décision est portée en appel devant la Cour d’appel fédérale. Il est avancé que, si l’ASFC est d’avis qu’il est mis fin au sursis et que les demandeurs sont d’avis, en s’appuyant sur la décision Moumaev, que le sursis est encore valide, il s’ensuivra inévitablement un litige. Il est soutenu que ce litige peut être évité si la Cour tranche la demande de contrôle judiciaire sur le fond.
[9] Le ministre soutient qu’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de ne pas reporter l’exécution d’une mesure de renvoi ne devient théorique qu’en deux circonstances.
[10] En premier lieu, la demande deviendrait théorique quand la raison fondant la demande de sursis disparaît avant l’audition du contrôle judiciaire. Par exemple, ce serait le cas lorsque le sursis est demandé parce qu’une demande de résidence permanente est pendante et que la demande est tranchée avant l’audition du contrôle judiciaire. Voir par exemple Da Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1395 (QL). D’autres exemples se trouvent dans les décisions Kovacs, précitée, et Surujdeo c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2008] A.C.F. no 94 (QL).
[11] En second lieu, la demande deviendrait théorique lorsque la Cour refuse d’accorder un sursis et que la personne demandant le report est renvoyée du Canada. Voir, par exemple, les décisions Da Silva, précitée, et Tran c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2006] A.C.F. no 1565 (QL).
[12] Quant à la question de savoir si l’octroi d’un sursis et la venue à échéance de la date de renvoi, de par leur nature, déterminent le caractère théorique, le ministre soutient que la portée de la décision rendue par la Cour dans Higgins a été étendue abusivement. La décision Higgins aurait été rendue au motif étroit que le contexte factuel fondant la demande de sursis – une demande de résidence permanente pendante – n’existait plus. La décision Vu serait fondée sur un motif étroit semblable. Pour ce qui est des décisions Madani et Maruthalingam, dont les faits ressembleraient à ceux en l’espèce, elles n’auraient pas été tranchées correctement.
[13] À cet égard, le ministre soutient qu’on peut conclure que [traduction] « la demande de contrôle judiciaire visant un sursis devient théorique du simple passage de la date prévue du renvoi uniquement après avoir posé d’une façon particulière la question au centre de la controverse liée aux demandes de contrôle judiciaire visant un sursis : le demandeur doit‑il être renvoyé à la date de renvoi prévue ». Toutefois, le ministre soutient que la nature de la controverse serait cernée de façon plus appropriée si l’on se demandait plutôt si le demandeur doit être renvoyé avant que ne se produise le fait sur lequel est fondée la demande de sursis, comme la naissance d’un enfant ou la décision tranchant la demande pour motifs d’ordre humanitaire pendante. Si là réside véritablement la nature de la controverse, le ministre soutient que la demande de contrôle judiciaire ne devient théorique que lorsque ce fait sous‑jacent se produit.
[14] Il s’agit‑là de la distinction qu’établit le ministre entre les décisions comme Higgins et Vu, d’une part, et les décisions Madani et Maruthalingam, d’autre part.
[15] En l’espèce, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs, sur laquelle est fondée la demande de report en cause, n’est toujours pas tranchée. Le ministre soutient que, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique et que le débat contradictoire existe encore.
[16] Selon le ministre, rien ne laisse croire que la décision concernant la demande pour motifs d’ordre humanitaire sera bientôt rendue. En conséquence, si la présente demande est rejetée au motif qu’elle est théorique, un autre avis de renvoi pourrait très bien être signifié aux demandeurs. Il en résulterait probablement une nouvelle demande de sursis. Le ministre affirme donc qu’il [traduction] « serait utile pour les parties que la Cour se prononce sur les motifs faisant en sorte que la demande [pour motifs d’ordre humanitaire] pendante justifierait un sursis et sur la question de savoir si l’agent d’exécution en l’espèce a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de reporter le renvoi ».
[17] Après avoir exposé les observations des parties, il convient d’examiner l’évolution de la jurisprudence de la Cour relativement aux décisions d’agents d’exécution de reporter, ou ne de pas reporter, le renvoi d’une personne du Canada.
La jurisprudence
[18] Une des premières décisions importantes a été celle rendue par le juge Pelletier, aujourd’hui à la Cour d’appel fédérale, dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 F.C. 682 (1re inst.). Dans cette décision, il a noté que :
(i) Il était alors plutôt nouveau qu’une requête en sursis visant une mesure de renvoi soit déposée à la suite du refus par un agent d’exécution de reporter le renvoi. Voir les paragraphes 7 et 8.
(ii) Dans de tels cas, accorder le sursis permet au demandeur d’obtenir la mesure de redressement que lui avait refusée l’agent d’exécution. Ainsi, la décision relative à la requête en sursis visant la mesure de renvoi tranche la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente (bien que les questions juridiques soulevées dans les demandes de sursis et de contrôle judiciaire soient différentes). Voir les paragraphes 8 et 9.
[19] Le juge Pelletier a par la suite tenté de décrire la nature juridique du pouvoir discrétionnaire qu’a l’agent d’exécution de reporter le renvoi.
[20] La décision Wang a été rendue dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Un nombre considérable de décisions s’en est suivi, dans lesquelles, à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la Cour a tenté d’énoncer des principes cohérents concernant la nature et la portée du pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi. La décision rendue par le juge McKeown dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 214 F.T.R. 282 (1re inst.) illustre bien l’ensemble de ces décisions.
[21] Nulle part dans ces décisions la question du caractère théorique n’a été soulevée. En fait, dans un certain nombre de décisions où la demande de contrôle judiciaire a été accueillie, la demande de report de la mesure de renvoi a été renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Voir par exemple Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 805 (QL), Betton c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2006] A.C.F. no 1760 (QL), et Zambrano c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 982 (QL). Dans d’autres décisions, la Cour a simplement annulé la décision de ne pas reporter la mesure de renvoi, car elle ne voyait « pas l’utilité de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision puisque les événements l’ont emporté sur la directive donnée [au demandeur] de se présenter aux fins de son renvoi ». Voir par exemple Samaroo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1477 (QL), au paragraphe 9.
[22] Finalement, dans des décisions comme Higgins, la Cour a conclu que les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire étaient théoriques.
[23] En même temps, les limites exactes du pouvoir discrétionnaire exercé par l’agent d’exécution n’ont jamais vraiment été définies. Puisque la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), précise uniquement que la mesure de renvoi doit être exécutée « dès que les circonstances le permettent » (voir le paragraphe 48(2) de la Loi) et compte tenu des circonstances particulières qui peuvent surgir lors d’un renvoi, cette imprécision n’est pas étonnante. Ces circonstances, selon des exemples tirés de la jurisprudence, sont multiples : il peut s’agir d’horaires de vol perturbés, de l’absence de documents de voyage, de grossesses presque à terme, de nouveaux‑nés, de maladies passagères, ou encore de demandes pour motifs d’ordre humanitaire qui sont pendantes depuis longtemps ou bien de risque à la santé ou à la sécurité de l’individu renvoyé.
[24] La directive énoncée dans la Loi voulant que la mesure de renvoi soit exécutée « dès que les circonstances le permettent » provient de la Loi sur l’immigration, S.C. 1952, ch. 42, paragraphe 33(1). La précédente Loi sur l’immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, paragraphe 33(5), précisait seulement que la personne devait recevoir une copie de l’ordonnance d’expulsion et qu’elle était « dès lors expulsée ». Les versions subséquentes de cette loi, la Loi sur l’immigration, S.C. 1976‑1977, ch. 52, article 50, et la Loi, ont conservé le concept de « dès que les circonstances le permettent ».
[25] Un examen des débats parlementaires concernant l’adoption des lois de 1952, 1976 et 2001 ne révèle aucune analyse ou directive du ministre au législateur précisant ce que voulait dire « dès que les circonstances le permettent » ou quelles circonstances devaient justifier l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. On peut conclure de l’introduction en 1952 du concept de renvoi exécuté « dès que les circonstances le permettent » que le législateur avait l’intention de conférer un certain pouvoir discrétionnaire relativement au moment où serait exécutée la mesure de renvoi.
[26] Fait témoignant de la difficulté de définir les limites de ce pouvoir discrétionnaire, je suis incapable de trouver de lignes directrices à ce propos destinées aux agents d’exécution dans le guide d’exécution. Bien que l’on puisse comprendre la difficulté d’établir de telles lignes directrices, leur existence favoriserait l’uniformité des décisions des agents d’exécution en précisant sur quelles bases le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 48(2) de la Loi devrait être exercé. De telles lignes directrices aideraient également la Cour en lui fournissant « une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article ». Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 72.
[27] Après avoir survolé brièvement l’évolution de la loi et de la jurisprudence, j’observe qu’un aspect est demeuré constant : la Loi établit une série de mécanismes permettant d’évaluer les intérêts de la personne concernée. Ces mécanismes comprennent les demandes d’asile, les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire pour obtenir une exemption des exigences de la Loi, les appels devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié relativement aux mesures de renvoi, les permis de ministre pour les personnes qui seraient sinon interdites de territoire et les examens des risques avant renvoi. Un certain nombre de ces mécanismes peuvent être invoqués plus d’une fois. Le dernier mécanisme est la procédure relative à la mesure de renvoi. Il est difficile de conclure à partir du régime législatif que le législateur avait l’intention de permettre à l’agent d’exécution de revenir sur des questions déjà soulevées et examinées dans les étapes menant à la mesure de renvoi. À tout le moins, la logique voudrait que le sursis porte sur un fait nouveau et important ou sur une certaine nécessité d’éviter une issue injuste, arbitraire ou non voulue.
[28] J’examinerai maintenant ce qui, en droit, constitue le caractère théorique.
La doctrine du caractère théorique
[29] La doctrine du caractère théorique, et le concept connexe selon lequel le contrôle judiciaire [traduction] « ne serait d’aucune utilité », témoigne du souci de l’économie des ressources judiciaires et du type de question qu’il convient de trancher. Voir D. Brown et J. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998) au paragraphe 3:3100.
[30] En droit, une question est théorique lorsque, au moment où la cour rend sa décision, le litige qui existait lorsque la procédure a été engagée a disparu. Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la page 353, la Cour suprême du Canada a utilisé les termes suivants pour expliquer la doctrine :
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.
La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient. [Non souligné dans l’original.]
[31] Le concept connexe selon lequel la procédure [traduction] « ne serait d’aucune utilité » se rapporte à l’efficacité du redressement que la cour pourrait accorder et non à l’absence de litige ou à la disparition du fondement de la procédure. Voir D. Brown et J. Evans, cité ci‑dessus, au paragraphe 3:3300.
[32] Après avoir exposé les principes juridiques applicables, j’appliquerai maintenant ces principes à la preuve pour décider si la présente demande est théorique ou s’il serait d’une quelconque utilité de trancher la demande sur le fond.
La décision est-elle théorique?
[33] Les demandeurs font l’objet d’une mesure de renvoi valide et ont reçu l’ordre de se présenter pour le renvoi le 18 janvier 2007, pour prendre le vol no 92 d’Air Canada. Avant d’émettre la convocation, l’ASFC a d’abord dû prendre certaines mesures pour le voyage, notamment veiller à la validité des documents de voyage, choisir un itinéraire et des billets d’avion ainsi qu’aviser le transporteur aérien qu’il aura à transporter un ressortissant étranger du Canada.
[34] Le sursis accordé par la Cour a pour effet de rendre ces mesures inopérantes dès que la date prévue du renvoi passe et que les demandeurs demeurent au Canada. Que la Cour décide maintenant que la décision de l’agent d’exécution était raisonnable ou non, les demandeurs ont reçu le sursis que l’agent d’exécution leur a refusé. La question de savoir si l’agent d’exécution aurait dû reporter l’exécution de la mesure de renvoi est maintenant abstraite.
[35] Pour les motifs qui suivent, je ne vois pas en quoi les droits des parties seront touchés concrètement si la présente affaire est tranchée sur le fond. Si l’affaire est jugée et rejetée, le sursis prendra fin, l’ASFC prendra de nouvelles dispositions pour l’exécution de la mesure de renvoi et les demandeurs solliciteront de nouveau un report. Le résultat sera le même si la demande est accueillie pour le même motif que dans la décision Samaroo, précitée. La validité de la mesure de renvoi n’est pas touchée, les demandeurs font encore l’objet d’une mesure de renvoi.
[36] Dans l’un ou l’autre cas, les parties n’obtiendront que l’avis de la Cour sur le bien‑fondé du renvoi, avis formé à partir de faits périmés. Toutefois, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi s’appuie en grande partie sur des faits. Il n’y a aucune façon de savoir si, depuis que la décision en cause a été rendue, des faits pertinents se sont produits relativement à des risques, à une grossesse, à une naissance, à une maladie, etc. En outre, la jurisprudence de la Cour veut que le temps écoulé avant que la demande pour motifs d’ordre humanitaire soit tranchée constitue un facteur pertinent dans le cadre de demandes de sursis. En l’espèce, la demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs est demeurée pendante durant 12 mois de plus. Une décision fondée sur des faits périmés sera de peu d’utilité aux parties si d’autres dispositions sont prises pour exécuter la mesure de renvoi.
[37] Même si la demande était accueillie, renvoyée à un autre agent pour nouvel examen et que des renseignements récents au sujet des circonstances des demandeurs étaient obtenus, les parties se retrouveraient dans la même position que si la Cour avait rejeté la demande, que ce soit sur le fond ou parce que la question est théorique, et de nouvelles dispositions pour l’exécution de la mesure de renvoi seraient prises.
[38] Par conséquent, toute décision sur le fond de la présente demande ne résoudra pas le litige entre les parties. La demande est par conséquent théorique et, en outre, il ne serait d’aucune utilité de trancher la demande sur le fond.
[39] Ce point de vue est étayé par la décision rendue récemment par mon collègue le juge Strayer dans Amsterdam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 244. Au paragraphe 11 de ses motifs, le juge Strayer a écrit : « je suis […] d’avis que la question est théorique parce que le demandeur a déjà obtenu ce dont, selon lui, la décision de l’agent le privait. »
[40] Cette futilité apparente de trancher le contrôle judiciaire sur le fond est illustrée par la décision Zambrano, précitée, dans laquelle :
• le 29 juin 2006, les demandeurs sont convoqués à se présenter pour leur renvoi le 18 juillet 2006;
• le 7 juillet 2006, les demandeurs demandent le report de la mesure de renvoi prononcée contre eux;
• le 11 juillet 2006, la demande de report des demandeurs est rejetée;
• le 12 juillet 2006, les demandeurs introduisent une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision rendue par l’agent d’exécution;
• le 18 juillet 2006, les demandeurs se voient accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi;
• le 10 juillet 2007, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et il est ordonné que la demande de report des demandeurs soit examinée de nouveau « le plus rapidement possible ».
[41] Par la suite :
• le 12 juillet 2007, sans avoir reçu d’observations mises à jour, l’agent d’exécution rend une autre décision sur la demande de report présentée le 7 juillet 2006 par les demandeurs et, encore une fois, il la rejette et ordonne aux demandeurs de se présenter pour leur renvoi le 8 août 2007;
• le 19 juillet 2007, les demandeurs introduisent une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent d’exécution, laquelle affaire porte le numéro IMM‑2931‑07;
• le 7 août 2007, les demandeurs obtiennent un second sursis à l’exécution de la mesure de renvoi;
• le 19 décembre 2007, l’autorisation est accordée et la date d’audience pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire est fixée au 18 mars 2008.
[42] J’aborderai maintenant les observations des parties au sujet du caractère théorique. L’observation la plus convaincante est celle qui définit la nature du litige entre les parties comme étant la question de savoir si les demandeurs doivent être renvoyés avant que ne se produise le fait à la base de leur demande de sursis. En l’espèce, ce fait est la demande pendante fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs.
[43] En toute déférence, je crois que l’argument du ministre définit mal la nature de la décision que doit prendre l’agent d’exécution.
[44] L’agent a l’obligation de faire exécuter la mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent ». Également, le paragraphe 48(2) de la Loi ordonne à la personne visée par la mesure de renvoi exécutoire de quitter immédiatement le territoire du Canada. À l’approche de la date de renvoi, l’agent se voit présenter une série de faits qui, selon l’intéressé, justifient à ce moment que soit reporté le renvoi. L’agent décide ensuite si les faits sont de nature à rendre irréalisable l’exécution de la mesure de renvoi, dessaisissant ainsi le demandeur de son obligation de quitter le pays immédiatement. Par exemple, il peut être demandé à l’agent de reporter l’exécution de la mesure de renvoi parce qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en instance depuis 18 mois au moment du renvoi. Il n’est pas demandé à l’agent d’examiner si l’exécution de la mesure de renvoi aurait été reportée si la demande avait plutôt été en instance depuis 30 mois, et il n’a pas à le faire.
[45] Pour cette raison, j’estime que la nature du litige est mieux cernée en posant la question de savoir si un demandeur doit être renvoyé, et est tenu de partir, à la date prévue de son renvoi.
[46] Je rejette également, en toute déférence, la description qu’a faite le ministre du fondement des décisions de la Cour dans Higgins et Vu.
[47] Dans la décision Higgins, les motifs invoqués pour le sursis étaient une demande parrainée de résidence permanente présentée au Canada toujours en instance et les conséquences qu’aurait eu le renvoi du demandeur sur le fils de neuf ans de sa conjointe, lequel fils souffrait de « troubles comportementaux et sociaux ». La Cour a conclu que la demande n’était pas théorique pour le motif suivant :
18. Premièrement, il ne fait aucun doute que les dispositions prises par le défendeur en vue du renvoi du demandeur ne sont plus pertinentes. Deuxièmement, aucune disposition en vue du renvoi du demandeur n’est actuellement en place. Enfin, il existe désormais beaucoup plus d’éléments de preuve relativement aux troubles dont le fils de l’épouse du demandeur, âgé de 9 ou 10 ans, pourrait souffrir, à ses besoins liés à ces troubles et au rôle que le demandeur joue et qu’il est en mesure de continuer à jouer dans la vie de ce fils. De plus, une demande d’établissement présentée au Canada par le demandeur aux autorités de l’immigration et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire offre une instance beaucoup plus appropriée dans laquelle déterminer l’intérêt supérieur du garçon que ne l’offre une demande en vue de différer un renvoi où la question qui se pose est celle de savoir si le renvoi à une date fixe est appliqué « dès que les circonstances le permettent ». En outre, il ne fait aucun doute que si le défendeur demeure résolu à renvoyer le demandeur avant qu’il ne soit statué sur sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ce dernier aurait le droit de demander que la mesure de renvoi soit de nouveau différée, compte tenu de toutes les présentes circonstances et de la preuve. Si cette demande devait être rejetée, le demandeur pourrait présenter une autre demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et une autre requête auprès de la présente Cour en vue de demander un sursis à la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue relativement à la nouvelle demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. [Note de bas de page omise.]
[48] La conclusion selon laquelle la question était théorique n’était pas du tout fondée sur le fait que la demande de résidence permanente avait été rejetée.
[49] De manière semblable, dans la décision Vu, le juge Gibson a conclu que la demande était théorique pour des motifs semblables à ceux exposés dans Higgins. Essentiellement, les anciennes dispositions prises pour l’exécution de la mesure de renvoi n’étaient plus valides et, si une nouvelle date de renvoi était prévue, une nouvelle demande de report pouvait être présentée en fonction des circonstances existant alors.
[50] Pour ce qui est de l’argument des demandeurs qui invoquent la décision Moumaev, encore une fois en toute déférence, je ne crois pas que la Cour soit tenue d’examiner la demande sur le fond pour éviter que l’ordonnance provisoire demeure en vigueur. Si la demande est rejetée parce qu’elle est jugée théorique, cette conclusion comporte un jugement définitif qui met fin à l’ordonnance provisoire reportant le renvoi.
[51] La position de l’ASFC, sur laquelle s’appuient les demandeurs, selon laquelle le rejet d’une demande en raison de son caractère théorique met fin à tout sursis, même quand un appel est interjeté, témoigne simplement du fait qu’un appel devant la Cour d’appel fédérale, de par sa nature, n’affecte pas la validité d’une ordonnance de la Cour. Voir l’article 398 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
Courtoisie judiciaire
[52] Un juge de la Cour, par courtoisie judiciaire, doit suivre une décision antérieure rendue par un autre juge de la Cour, à moins qu’il ne soit convaincu que : a) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de cette décision antérieure; b) la décision antérieure ne tenait pas compte d’un précédent faisant autorité ou d’une loi pertinente; c) la décision antérieure a été rendue sans délibéré, c’est‑à‑dire que le juge a rendu sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. S’il se trouve en présence de l’une de ces circonstances, un juge peut s’écarter de la ligne établie par la décision antérieure, à la condition qu’il expose clairement ses motifs de ce faire et, dans une affaire d’immigration, qu’il permette à la Cour d’appel fédérale de clarifier le droit en certifiant une question. Voir Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590, à la page 591 (B.C.C.A.), et Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.).
[53] Je suis convaincue que les décisions antérieures de la Cour, exposées aux paragraphes 5 et 39 ci‑dessus, ont tenu compte de la jurisprudence et des dispositions légales pertinentes. Ces décisions ont été pleinement pris en considération. La courtoisie judiciaire fournit un motif supplémentaire de conclure que la présente demande est théorique.
L’exercice du pouvoir discrétionnaire
[54] La deuxième étape de l’analyse en deux temps décrite dans l’arrêt Borowski requiert que la Cour examine si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire, bien que ce soit théorique.
[55] Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême du Canada a énuméré trois facteurs qu’un tribunal doit examiner avant de décider d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire : premièrement, s’il existe encore un débat contradictoire entre les parties; deuxièmement, si l’utilisation des ressources judiciaires est justifiée; troisièmement, si la cour a bien pris en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit. En d’autres termes, le troisième facteur oblige la cour à se demander si, en l’absence de litige actuel, trancher l’affaire constituerait un empiétement sur la fonction législative.
[56] Après m’être penchée sur ces facteurs, je conviens qu’il existe encore un débat contradictoire entre les parties. Cependant, l’espèce ne soulève aucune nouvelle question de droit relative à la portée du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution et, comme je l’ai affirmé ci‑dessus, je ne crois pas que les droits des parties seront touchés concrètement si je tranche la présente affaire. Par conséquent, l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires milite contre l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Finalement, pour les motifs exposés ci‑dessus, les tribunaux doivent se montrer prudents avant de répondre à des questions de droit en l’absence de litige actuel.
[57] Pour ces motifs, je choisis de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour trancher la présente demande.
Méfaits
[58] Comme il en a été discuté avec les avocats, je conviens que le résultat du raisonnement appliqué en l’espèce, et dans des décisions comme Higgins, soulève la possibilité que la plupart des demandes de contrôle judiciaire de décisions rejetant le report du renvoi deviendront théoriques dès que passe la date du renvoi et que la personne demeure au Canada. Ce fait risque d’entraîner un certain nombre de conséquences indésirables, notamment :
(i) Les requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sont souvent introduites avec peu de préavis et une décision doit être rendue presque immédiatement. Cela signifie que les parties, particulièrement le ministre, peuvent ne pas être en mesure de soumettre un dossier complet à la Cour. De même, la Cour peut ne pas disposer du temps qu’elle souhaiterait pour examiner les questions soulevées dans la requête. Pourtant, c’est à partir de cela que la décision qui tranche effectivement la demande doit être rendue.
(ii) Si les décisions définitives ne sont pas tranchées sur le fond des demandes de contrôle judiciaire, la jurisprudence sur la portée du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution ne pourra se développer.
(iii) De manière plus importante, un temps considérable s’écoule entre la date prévue pour le renvoi et la date où la demande de contrôle judiciaire est entendue. À ce moment, il est probable que la demande sera considérée comme étant théorique. En l’espèce, un an s’est écoulé. Au cours de cette période, la capacité du ministre de prendre des dispositions pour faire exécuter la mesure de renvoi est suspendue et la situation du demandeur reste incertaine. Cette situation n’est pas souhaitable à la dernière étape du processus d’exécution, à tout le moins du point du vue du ministre.
[59] Il peut être répondu à ces arguments.
[60] Premièrement, la Cour doit continuer à être consciente de la nature limitée du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution et de la position de ce pouvoir discrétionnaire dans le cadre du régime instauré par la Loi dans son ensemble.
[61] Deuxièmement, des lignes directrices ministérielles aideraient les agents d’exécution, favoriseraient l’uniformité des décisions et apporteraient plus de précisions aux parties (et à la Cour) quant à la façon dont ce pouvoir doit être exercé. En l’absence de lignes directrices antérieures tirées des débats parlementaires ou d’ailleurs, la logique et l’uniformité veulent que ces lignes directrices prennent en compte la jurisprudence de la Cour.
[62] Troisièmement, dans les affaires où des questions de droit sont soulevées, la Cour peut choisir d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande de contrôle judiciaire dans le but de développer le droit.
[63] Quatrièmement si, en droit, c’est le passage de la date prévue pour le renvoi qui rend théorique la demande, la plupart des demandes, sinon toutes, seront théoriques au moment où la demande d’autorisation sera tranchée. Ainsi, les juges pourraient estimer qu’il convient de ne pas accorder l’autorisation au motif que la demande est théorique. Ainsi serait évité le retard qui s’ensuivrait alors si l’affaire se rendait jusqu’à l’audience et, à mon avis, cela cadre avec le fait que les questions relatives au renvoi sont soulevées à la dernière étape du processus complexe prévu par la loi.
[64] Le ministre peut soutenir qu’il pourrait découler de ce raisonnement une série de dispositions pour l’exécution de la mesure de renvoi, de demandes de report et de requêtes en sursis. Je conviens que ce résultat serait indésirable. Cependant, c’est ce qui se produit à l’heure actuelle quand, après un laps de temps beaucoup plus long, les demandes de contrôle judiciaire visant les décisions relatives au sursis sont rejetées ou accueillies. (Voir le récit présenté aux paragraphes 40 et 41.) Il est moins probable qu’il y ait un changement de circonstances important lorsque sont prises de nouvelles dispositions pour l’exécution de la mesure de renvoi s’il est mis fin rapidement au processus.
[65] En outre, les risques d’abus seront grandement réduits si la Cour fait preuve de constance dans l’examen des requêtes en sursis et, quand le sursis est accordé, si l’ASFC prend en considération les questions importantes relevées par la Cour, avant de prendre de nouvelles dispositions pour l’exécution de la mesure de renvoi. Il ne faut pas oublier que, pour accorder le sursis, la Cour doit avoir relevé au moins une question faisant en sorte qu’il est vraisemblable que la demande principale soit accueillie. Il ne suffit pas que la Cour conclut simplement que la question n’est pas frivole ou vexatoire. Voir la décision Wang, précitée. Soit dit entre parenthèses, je ne souscris pas à la proposition voulant que la Cour rejette toute requête en sursis parce qu’aucune question ne peut vraisemblablement faire en sorte que la demande principale soit accueillie si la demande devient théorique après le passage de la date prévue pour le renvoi. Lorsque la Cour aura à trancher une requête en sursis, elle sera tenue de prendre en considération les faits pertinents relatifs au bien‑fondé de la demande principale pour voir si une question sérieuse est soulevée. Selon la seconde étape de l’analyse Borowski, la Cour est tenue d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider d’entendre ou non une affaire théorique. Le juge entendant la requête en sursis, quand une question sérieuse est soulevée, ne peut présumer que le juge ayant accordé l’autorisation ou entendu la demande de contrôle judiciaire n’exercera pas ce pouvoir discrétionnaire.
[66] Qui plus est, le fait de trancher ces demandes à l’étape de l’autorisation permettra aux parties et à la Cour d’épargner les ressources judiciaires.
[67] Finalement, je souscris en toute déférence à la proposition du juge Strayer, au paragraphe 7 de ses motifs dans la décision Amsterdam, précitée, selon laquelle il faudrait dans ce cas limiter la durée du sursis au renvoi à la période la plus courte : soit la période pour laquelle le demandeur a démontré qu’il avait besoin de rester au Canada avant d’être renvoyé, soit la période dont a besoin la Cour pour trancher la demande de contrôle judiciaire principale.
[68] En clair, j’adopte le raisonnement de la Cour exposé dans la décision D’Souza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), [2007] A.C.F. no 1702 (QL), c’est‑à‑dire que la Cour ne peut accorder de « sursis indépendants ». Le sursis doit être lié à une procédure d’autorisation ou de contrôle judiciaire à laquelle le sursis est accessoire. Voir la décision D’Souza, au paragraphe 40.
[69] Cependant, cela ne signifie pas que la Cour ne peut surseoir au renvoi pour la période dont a besoin la Cour pour trancher la demande principale à la condition que le sursis prenne fin si, avant cette échéance, l’empêchement au renvoi cesse d’exister. La logique veut que, dès la disparition de l’empêchement au renvoi, le demandeur redevienne susceptible d’être renvoyé.
Conclusion et certification
[70] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[71] Le ministre a posé la question suivante pour certification :
[traduction]
Lorsqu'un demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire contestant un refus de reporter l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit statué sur une demande pendante de droit d'établissement, le fait que la demande de droit d'établissement demeure pendante à la date où la Cour étudie la demande de contrôle judiciaire laisse-t-il subsister un « litige actuel » entre les parties, ou l'affaire est-elle rendue théorique du seul fait que la date prévue du renvoi est passée?
[72] Avec des modifications mineures, la question sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est théorique.
2. La question suivante est certifiée :
Lorsqu'un demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire contestant un refus de reporter l'exécution d'une mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit statué sur une demande pendante de droit d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, et lorsqu'un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est accordé de telle sorte que l'intéressé n'est pas renvoyé du Canada, le fait que la demande de droit d'établissement demeure pendante à la date où la Cour étudie la demande de contrôle judiciaire laisse-t-il subsister un « litige actuel » entre les parties, ou l'affaire est-elle rendue théorique du seul fait que la date prévue du renvoi est passée?
Juge
Traduction certifiée conforme
Elisabeth Ross
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-432-07
INTITULÉ : SERGIO ADRIAN BARON
MARIELA FERNANDA RIQUELME
c.
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 JANVIER 2008
OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES : LE 31 JANVIER ET LE 14 FÉVRIER 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : LE 13 MARS 2008
COMPARUTIONS :
D. CLIFFORD LUYT POUR LES DEMANDEURS
AMINA RIAZ POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
D. Clifford Luyt POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada