Ottawa (Ontario), le 11 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
ENTRE :
demanderesse
et
ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Emine Eler est une citoyenne de la Turquie qui a présenté une demande d’asile. Elle a témoigné devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qu’elle craignait de subir un préjudice grave équivalant à de la persécution, aux mains de son frère cadet qui lui réclamait constamment de l’argent et qui recourait à la force pour l’obtenir.
[2] La Commission n’a pas tiré de conclusion concernant la crédibilité du témoignage de
Mme Eler. Donc, celui-ci est présumé véridique. La Commission a rejeté la demande d’asile de
Mme Eler pour l’unique motif qu’elle n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.
[3] La conclusion de la Commission se fondait essentiellement sur la [traduction] « Loi relative à la protection de la famille en Turquie » (la Loi), entrée en vigueur en 1998. La Commission décrit les effets de cette loi comme suit : « Aux termes de la loi, la femme concernée ou un membre de sa famille, un ami ou le procureur peuvent demander au juge de paix de prendre des mesures pour la protéger contre les violences. Le juge doit rendre une ordonnance de protection dès réception de la requête, qui ne demande pas des poursuites contre le responsable mais plutôt la protection de la victime. L’auteur présumé des violences doit quitter le domicile familial et respecter les autres dispositions de l’ordonnance, par exemple ne pas s’approcher de la victime sous peine d’être incarcéré. La loi donne à la police le droit de confisquer les armes de l’auteur présumé des violences. »
[4] Cette loi ne faisait pas partie des éléments de preuve dont disposait la Commission. Par contre, cette dernière s’est appuyée sur un rapport d’Amnistie Internationale qui comprenait une description de la loi en question. Ce rapport exprimait, en outre, la préoccupation d’Amnistie Internationale quant au fait que [traduction] « la Loi prévoit des mesures de protection seulement pour les femmes mariées lors d’une cérémonie civile et qui cohabitent avec leur conjoint ».
[5] Compte tenu de cette description, le seul élément de preuve dont disposait la Commission, la loi en question ne pouvait assurer à Mme Eler ni réparation ni protection.
[6] La conclusion de la Commission concernant le caractère adéquat de la protection de l’État était alors et reste toujours susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2007), 362 N.R. 1 (C.A.F.),
au paragraphe 38, et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64.
[7] Le caractère raisonnable exige la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir : Dunsmuir, au paragraphe 47.
[8] Lorsque la Commission se fonde sur l’existence d’une loi protectrice mais que, selon les éléments de preuve dont elle dispose, la loi en question ne s’applique pas à la demande d’asile sur laquelle elle doit statuer, les motifs de la Commission ne sont pas raisonnables parce qu’ils ne sont pas suffisamment justifiés.
[9] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.
[10] La Cour félicite et remercie Mme Jaakkimainen, l’avocate du ministre, pour sa franchise habituelle à l’égard du contenu du dossier du tribunal.
[11] Les avocats n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que le présent dossier n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 5 juin 2007 par la Section de la protection des réfugiés est annulée.
2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour nouvelle décision conforme aux présents motifs.
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2589-07
INTITULÉ : EMINE ELER
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 4 MARS 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 11 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Micheal Crane POUR LA DEMANDERESSE
A. Leena Jaakkimainen POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada