Ottawa (Ontario), le 4 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Cartagena, un citoyen du Salvador, est devenu orphelin à l’âge de quinze ans à la suite du décès de sa mère, survenu en 2001. Après avoir fait des études limitées dans une école rurale, il a travaillé comme manœuvre agricole dans les alentours de la petite ville d’El Chilamate.
[2] En octobre 2001, M. Cartagena a été abordé par des membres de la bande Mara 18, qui ont tenté de le recruter. Après deux autres rencontres où il a reçu des menaces parce qu’il refusait d’adhérer à la bande, il s’est rendu à la police et a demandé sa protection. Il affirme que les policiers lui ont dit qu’ils n’ouvriraient pas d’enquête en raison de son âge et du fait qu’il n’avait été ni agressé ni blessé.
[3] M. Cartagena affirme qu’il a travaillé jusqu’en mai 2003 dans des fermes des environs des petites villes d’El Rancho et d’El Chilamate. Il soutient que, à l’époque, il se cachait en attendant qu’un ami de sa mère, avec qui il vit maintenant à Toronto, recueille l’argent nécessaire pour l’aider à quitter le Salvador avec l’aide d’un « coyote », c’est-à-dire d’un passeur. En mai 2003, il a quitté son pays et a traversé le Guatemala, le Mexique et les États-Unis par voie terrestre avant de demander l’asile à Fort Erie en août 2003.
[4] L’audience de M. Cartagena devant la SPR a eu lieu par voie de vidéoconférence avec l’assistance d’un interprète. Elle a nécessité trois jours, entre mars et novembre 2005. La transcription des débats montre qu’il y a eu certaines difficultés technologiques mineures, mais surtout un problème de communication avec les questions et les réponses. Il semble que M. Cartagena avait du mal à comprendre les questions et à y répondre clairement.
[5] La Section de la protection des réfugiés a décidé que M. Cartagena n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, parce qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable dans les régions de San Miguel et de San Vicente et dans la capitale, San Salvador. Le tribunal a également conclu que M. Cartagena n’avait pas établi de manière crédible que la bande Mara 18 était toujours à sa recherche.
[6] Le demandeur soulève deux questions dans sa demande d’autorisation : y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale attribuable à un « changement dans l’ordre des interrogatoires » au sens des Directives no 7, et la conclusion du tribunal au sujet de l’existence d’une PRI viable était-elle raisonnable ou non.
[7] La Cour d’appel fédérale a confirmé le caractère équitable du « changement dans l’ordre des interrogatoires » dans les arrêts Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, et Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 199. La question n’a donc pas été débattue lors des débats.
[8] Au paragraphe 39 de l’arrêt Thamotharem, le juge John Maxwell Evans explique que l’équité peut dicter, dans certaines circonstances, que le demandeur d’asile se voie accorder la possibilité d’être interrogé d’abord par son procureur. À la clôture de l’audience, j’ai fait observer que c’était peut-être le cas en l’espèce. Il n’est cependant pas nécessaire que je m’attarde à cette question, puisque je vais faire droit à la demande sur la seconde question qui a été soulevée.
[9] La première étape à suivre pour conclure à l’existence d’une PRI viable consiste à tirer une conclusion de fait, laquelle est assujettie à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Le second volet du critère exige toutefois que la PRI soit raisonnable pour le demandeur d’asile en cause dans le contexte du pays en question (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.), [1994] 1 C.F. 589.
[10] La conclusion de la SPR que M. Cartagena disposait d’une PRI viable était déraisonnable pour une personne se trouvant dans sa situation. Le commissaire a estimé que les allégations du demandeur au sujet des menaces dont il avait fait l’objet de la part de la bande Mara 18 n’étaient pas crédibles et il a fait observer que les bandes étaient en général un problème au Salvador. Il a toutefois estimé que le demandeur d’asile pouvait se soustraire à la bande Mara 18, évitant ainsi la persécution. Vu les éléments de preuve relatifs au taux d’homicides élevé, au taux de chômage important, au fait que le demandeur n’a pas de famille et à la présence de la bande Mara 18 à San Salvador et aux problèmes analogues constatés dans les régions de San Vicente et de San Miguel, il était déraisonnable de la part du commissaire de conclure que M. Cartagena pouvait sans danger se réinstaller à l’un ou l’autre de ces endroits.
[11] Le commissaire a pris acte de la santé mentale fragile de M. Cartagena, mais il a confirmé sa conclusion qu’il disposait d’une PRI viable malgré l’avis psychologique déposé en preuve. La preuve psychologique est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si la PRI est raisonnable; on ne peut en faire fi (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 97 F.T.R. 139, [1995] A.C.F. no 1044). Le tribunal n’a pas évalué à fond le caractère raisonnable des endroits proposés comme PRI viable en fonction de la situation de M. Cartagena et de la fragilité de son état d’esprit.
[12] Un jeune homme peu instruit qui a peu de chances de se trouver un emploi dans un domaine autre que les tâches domestiques se trouve dans une catégorie de personnes exposées à un risque élevé. Le fait qu’il n’a pas de famille et que son état psychologique est fragile aggrave ce risque. Vu l’ensemble de la preuve, la décision à l’examen était, à mon avis, déraisonnable. L’affaire doit être renvoyée pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.
[13] Aucune question n’a été soumise pour certification, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-961-06
INTITULÉ : WILBER ORLANDO CARTEGENA
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 6 FÉVRIER 2008
DATE DES MOTIFS : LE 4 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Douglas Lehrer
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John Loncar
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DOUGLAS LEHRER VanderVennenLehrer Toronto (Ontario)
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JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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