Ottawa (Ontario), le 26 février 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
Introduction
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 20 février 2006, qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.
Les faits
[2] La demanderesse, née au Sri Lanka vers 1943, est Sri-lankaise. Elle est tamoule. Elle dit qu’elle a été persécutée par le passé, à la fois par les Tigres tamouls et par l’armée sri-lankaise. Il est écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu’elle a commencé à connaître de sérieuses difficultés en 1999, alors qu’elle vivait à Mallavi, semble-t-il un territoire des Tigres tamouls. Les Tigres exigeaient qu’elle leur cède une de ses terres et, après avoir subi quelques violences et avoir été détenue par eux durant une semaine, c’est ce qu’elle a fait. Elle dit aussi que, en février 2000, elle s’est rendue à Vavuniya, un territoire semble-t-il tenu par l’armée sri-lankaise, où elle fut harcelée par l’armée, qui l’accusait d’avoir soutenu les Tigres. Après le cessez-le-feu conclu entre les Tigres et l’armée, elle est « retournée » à Manthuvil. Je ne sais pas si ce territoire était tenu par les Tigres ou par l’armée. Selon son FRP, la demanderesse fut visitée en février 2003 par les Tigres, qui exigeaient 500 000 roupies. Elle leur a dit qu’elle n’avait pas cet argent, mais qu’elle avait une fille au Canada qui lui enverrait l’argent. Elle a alors quitté le pays puis est arrivée au Canada. Elle a pu obtenir une prorogation de son visa initial pour le Canada. Quand sa demande d’une deuxième prorogation fut refusée, elle a sollicité l’asile. Elle dit, dans son FRP et ailleurs, que, alors qu’elle se trouvait au Canada, les Tigres se sont rendus à son domicile plusieurs fois et ont menacé ses enfants qui disaient qu’elle les avait trompés parce qu’elle n’avait pas envoyé l’argent.
[3] La Commission n’a pas cru qu’elle avait été victime de persécution. La demanderesse avait présenté une lettre de sa fille, portant la date du 10 août 2004, dans laquelle sa fille disait qu’ils étaient harcelés au Sri Lanka et que, si sa mère (la demanderesse) revenait au Sri Lanka, elle serait en danger, mais la Commission n’a pas trouvé cette lettre crédible et ne lui a accordé aucun poids.
[4] La Commission a donné les raisons qu’elle avait de douter de sa crédibilité. D’abord, elle a trouvé que son récit était incohérent quant à la date à laquelle elle avait été harcelée par l’armée, et la demanderesse n’avait pu expliquer pourquoi, en cas de renvoi au Sri Lanka, l’armée serait encore à sa recherche, d’autant qu’elle avait reconnu qu’elle n’avait eu aucune difficulté avec l’armée quand elle vivait dans leur région la dernière année précédant son départ. La Commission a accordé une certaine importance à cela.
[5] La Commission a considéré sa demande d’asile comme une demande sur place, étant donné qu’elle avait témoigné qu’elle avait envisagé au départ de retourner au Sri Lanka. Son témoignage sur ce point avait été quelque peu contradictoire. Elle a dit qu’elle avait été inquiétée par les Tigres en février 2003, quand ils avaient exigé d’elle une somme d’argent. Elle avait alors quitté le Sri Lanka pour le Canada, mais, dans sa demande de visa pour le Canada, elle avait dit qu’elle ne connaissait au Sri Lanka aucune difficulté qui l’empêcherait d’y revenir. Elle a confirmé dans son témoignage devant la Commission qu’elle avait dit cela afin qu’on lui accorde un visa l’autorisant à venir au Canada.
[6] Comme la Commission n’a pas cru qu’elle avait été persécutée, elle n’a accordé aucune valeur probante aux documents prenant la forme de dossiers d’information sur la situation au Sri Lanka. La Commission s’est fondée sur la décision Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 1293, pour justifier son refus d’ajouter foi à la lettre puisqu’elle doutait de la crédibilité de la demanderesse qui invoquait cette lettre.
[7] La Commission s’est exprimée ainsi :
Quant à l’article 96, le tribunal conclut que la demandeure d’asile ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’elle a qualité de « réfugié au sens de la Convention ». Quant à l’article 97, est‑il vraisemblable que la demandeure d’asile soit exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou au risque d’être soumise à la torture aux mains des autorités? Le tribunal conclut que la demandeure d’asile ne s’est pas acquittée non plus du fardeau de la preuve lui incombant sur ce point.
[8] La demanderesse conteste cette décision en invoquant trois moyens. D’abord, elle dit que la Commission a restreint son pouvoir discrétionnaire parce qu’elle n’a pas cherché à savoir si, en raison des circonstances, il convenait d’autoriser son avocat à l’interroger le premier. Deuxièmement, elle dit que la Commission a tiré des conclusions manifestement déraisonnables quant à la crédibilité. Et troisièmement, elle dit que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas exposé des motifs suffisants et distincts justifiant sa décision de rejeter sa demande de protection fondée sur l’article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Analyse
[9] S’agissant du premier point, la demanderesse s’est fondée sur une décision de la Cour, Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, pour affirmer que les Directives n° 7 de la Commission, où l’on peut lire que c’est « généralement » l’agent de protection des réfugiés (APR) qui commence à interroger le demandeur d’asile, au début de l’audience, ont pour effet de restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Commission. La demanderesse soutient plutôt que la Commission aurait dû considérer les circonstances particulières de la présente affaire et permettre à son avocate de l’interroger la première. Je n’accepte pas cet argument. D’abord, la décision Thamotharem a été infirmé par la Cour d'appel fédérale : voir 2007 CAF 198. Deuxièmement, en l’espèce, le commissaire a posé d’entrée de jeu à la demanderesse un certain nombre de questions pour savoir si elle se sentait en mesure de témoigner, et elle avait répondu par l’affirmative. Par ailleurs, l’avocate de la demanderesse n’a jamais demandé d’être la première à interroger la demanderesse et, en fait, bien qu’elle fût présente tout au long de l’audience, elle n’a jamais posé de questions à sa cliente pour obtenir des éclaircissements sur son témoignage.
[10] S’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel le commissaire a tiré des conclusions manifestement déraisonnables quant à la crédibilité, je conviens que la norme de contrôle applicable aux conclusions de cette nature est la décision manifestement déraisonnable : voir par exemple l’arrêt Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 188; Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 58. Je ne crois pas que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité soient manifestement déraisonnables. D’abord, l’avocate de la demanderesse soutient que la Commission a accordé trop de poids à sa conclusion selon laquelle les affirmations de la demanderesse à propos du harcèlement exercé par l’armée n’étaient pas crédibles parce qu’elles étaient contradictoires. L’avocate fait valoir que, puisque la demanderesse avait fondé sa demande d’asile en alléguant la crainte qu’elle avait d’être persécutée par les Tigres tamouls, il était inopportun pour la Commission d’évoquer son témoignage relatif à l’armée. Je n’accepte pas cet argument. En premier lieu, la demanderesse, dans son FRP, commence par dire qu’elle avait été victime durant plusieurs années des forces de sécurité et des Tigres tamouls au Sri Lanka. Dans les sept paragraphes du récit accompagnant son FRP, elle consacre un paragraphe à la persécution que l’armée lui a fait subir. Lorsqu’elle a témoigné, il y a eu l’échange suivant :
Q. Qui craignez-vous au Sri Lanka aujourd’hui?
R. Les Tigres tamouls et l’armée sri-lankaise.
Q. Depuis quand craignez-vous l’armée?
R. Depuis février 2000.
Q. Bon. Et aujourd’hui, que craignez-vous que l’armée vous ferait si vous deviez retourner au Sri Lanka?
R. On me punirait, ou peut-être même on me tuerait.
Q. Et quelle raison aurait l’armée aujourd’hui de vous punir ou de vous tuer?
R. La raison pour laquelle je crains les Tigres tamouls, c’est qu’ils exigeaient que je leur donne ma terre, mais je refusais de le faire.
Q. Bon. Permettez-moi de vous interrompre ici, parce que, ce dont je vous parle, c’est de votre crainte à l’égard de l’armée.
R. Ce que dit l’armée, c’est que j’ai donné ma terre aux Tigres et que je les ai aidés, mais ce n’est pas vrai.
Q. Je ne comprends pas. Pourriez-vous s’il vous plaît résumer la raison pour laquelle l’armée voudrait vous punir aujourd’hui?
R. Oui. L’endroit où je vivais est tenu par l’armée. Si j’y retourne, je devrai vivre dans la zone tenue par l’armée. L’armée dirait que je soutiens les Tigres et elle me punirait ou elle me tuerait, ou elle me menacerait.
Il n’était donc pas déraisonnable pour la Commission de dire que la persécution que la demanderesse craignait de la part de l’armée était encore un élément de sa demande d’asile. Il était loisible aussi à la Commission de conclure que, si son témoignage relatif à l’armée n’était pas crédible, alors l’ensemble de son témoignage devenait douteux. Pareillement, le témoignage de la demanderesse relatif aux menaces venant des Tigres renfermait suffisamment de contradictions pour que la Commission soit fondée à douter de sa crédibilité. Le doute de la Commission a pu être renforcé par le fait que la demanderesse avait raconté une toute autre histoire quand elle avait sollicité la première fois un visa pour visiter le Canada, puisqu’elle avait dit qu’elle n’aurait aucune difficulté à retourner dans son pays. Cela ne s’accordait pas avec son témoignage ultérieur selon lequel elle risquait d’être harcelée par les Tigres et par l’armée en raison de ses démêlés passés. Il m’est impossible de dire que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité sont fragiles au point de justifier mon intervention : voir l’arrêt Aguebor, précité, à la page 316.
[11] La demanderesse dit aussi que la Commission n’a pas motivé séparément sa conclusion selon laquelle elle n’avait pas la qualité de personne à protéger. La conclusion tirée ici par la Commission était essentiellement que la demanderesse ne s’était fondée, pour justifier une protection, sur aucun motif qui ne sont pas des motifs prévus par la Convention. Puisque la Commission a conclu à l’absence d’une preuve de motifs raisonnables de crainte prévus par la Convention, il s’ensuit qu’il n’existe aucun motif du genre pouvant s’appliquer à la demande d’asile fondée sur l’article 97. La Commission aurait sans doute pu s’expliquer davantage sur ce point, mais elle n’a pas commis pour autant une erreur de droit.
Dispositif
[12] Je rejetterai donc cette demande de contrôle judiciaire. Les avocates n’ont pas demandé qu’une question soit certifiée, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 février 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1199-06
INTITULÉ : SELLACHCHI KATHIRAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 11 FÉVRIER 2008
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER
DATE DES MOTIFS : LE 26 FÉVRIER 2008
COMPARUTIONS :
Amina S. Sherazee POUR LA DEMANDERESSE
Marina Stefanovic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Amina S. Sherazee POUR LA DEMANDERESSE
Avocate
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada