Ottawa (Ontario), le 14 février 2008
En présence de Monsieur le juge Martineau
ENTRE :
demandeur
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), c.1 (la LIR) confère au ministre du Revenu national (le ministre) le pouvoir de renoncer ou d’annuler, en tout ou en partie, les pénalités et les intérêts autrement exigibles d’un contribuable. En pratique, ce pouvoir discrétionnaire est délégué en vertu du paragraphe 220(2.01) de la LIR à des représentants de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence ou l’ARC).
[2] Le demandeur, M. Marcel Lalonde, sollicite la révision judiciaire d’une décision prise « au deuxième niveau » par un gestionnaire de l’Agence au nom du ministre, qui refuse d’annuler la totalité des intérêts qui se sont accumulés en vertu des cotisations en date du 30 avril 1997 et du 21 septembre 2000 (les nouvelles cotisations) pour les années d’imposition 1992 et 1993.
[3] La décision contestée a été rendue le 8 mai 2007 par Jean Laporte, gestionnaire des litiges à l’Agence. Le gestionnaire Laporte conclut qu’à l’exception des périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997, et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001, il y a eu aucun délai indu dans le traitement par l’Agence du dossier du demandeur. Cependant, le montant total des réductions accordées par le ministre n’est pas indiqué dans la décision contestée.
[4] Aucun nouvel avis de cotisation n’a été produit au dossier de la Cour suite à la décision contestée. Lors de l’audition devant cette Cour, le demandeur a laissé entendre qu’une nouvelle cotisation avait été émise à la suite de la décision contestée. Toutefois, le document du 11 juin 2007 que le demandeur qualifie dans ses procédures de « nouvelle cotisation amendée de Revenu Canada », est plutôt un relevé de compte et non un avis de cotisation.
[5] Selon l’état de compte du 11 juin 2007, l’Agence a rétroactivement annulé en date du 15 décembre 2001, des montants d’intérêt de 493,43 $ et de 566,14 $ et a renversé rétroactivement en date du 3 mai 2007, des montants d’intérêt de 236,39 $ et de 271,57 $, qui sont crédités au demandeur et appliqués sur le montant du solde indiqué sur le dernier relevé du 1er décembre 2006 adressé au demandeur.
Règles de cotisation et d’allègement
[6] Notre système de perception des impôts repose sur le mécanisme dit de l’autodéclaration et de l’autocotisation par les contribuables eux-mêmes. Du côté fédéral, l’article 150 de la LIR prescrit la production annuelle par le contribuable d’une déclaration de revenus assortie de l’obligation d’estimer le montant de l’impôt payable (article 151 de la LIR). C’est donc au contribuable lui-même qu’il appartient de faire une déclaration de bonne foi, d’estimer les sommes dues et, enfin, de remettre, en conséquence, ces sommes au fisc dans les délais prescrits. Le ministre a, par la suite, l’obligation de procéder « avec diligence » à l’examen de la déclaration et d’établir la cotisation du contribuable (paragraphe 152(1) de la LIR). Cependant, le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été faite n’a aucun effet sur la responsabilité du contribuable à l’égard de l’impôt payable (paragraphe 152(3) de la LIR).
[7] Des millions de déclarations sont reçues annuellement et, compte tenu de l’obligation faite au ministre d’agir avec diligence dans l’établissement de la cotisation du contribuable, il va de soi que l’examen des déclarations reçues est, par nécessité, rapide et sommaire, d’autant plus que l’on doit présumer de la bonne foi des contribuables. Or, il est souvent impossible de dire, à première vue, si une déclaration a été préparée de façon irrégulière. Les contrôles ponctuels permettent de préserver l’intégrité du régime fiscal (R. c. McKinlay Transport, [1990] 1 R.C.S. 627, 636-639 et 648). C’est dans cette perspective que la LIR permet au ministre d’effectuer postérieurement une vérification plus approfondie des déclarations des contribuables et, le cas échéant, d’émettre de nouveaux avis de cotisation (paragraphe 152(4) de la LIR).
[8] Aux fins de l’émission d’une nouvelle cotisation, le ministre dispose normalement d’un délai de trois ans à compter de la cotisation initiale, à moins que le contribuable n’ait complété et soumis au ministre en la forme prescrite un formulaire de renonciation, ou qu’il y ait eu des fausses représentations, frauduleuses ou non, dans les cas prévus à la loi (paragraphe 152(3.1), alinéas 152(4)a) et b) et paragraphe 152(4.01) de la LIR). De plus, le ministre possède également le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation ou une nouvelle détermination au-delà de la période normale de la nouvelle cotisation pour une année d’imposition frappée de prescription, lorsqu’un contribuable le demande afin de déterminer un remboursement ou de réduire l’impôt exigible (paragraphe 152(4.2) de la LIR). Le contribuable, dans les cas prévus à la loi, peut également demander au ministre de fixer de nouveau l’impôt pour toute année d’imposition pertinente afin de tenir compte de la déduction demandée par le contribuable, lorsque le formulaire prescrit modifiant la déclaration antérieure a été présenté au ministre (paragraphe 152(6) de la LIR).
[9] L’objet des dispositions dites « d'équité » (pensons, par exemple, aux paragraphes 152(4.2), 164(1.5), 220(3.1) et 220(3.2) de la LIR) est de fournir un allègement à l'égard de l’application trop rigide de certaines dispositions de la LIR en aidant les contribuables à régler des problèmes qui se présentent indépendamment de leur volonté et en permettant d’adopter une approche axée sur le bon sens. Ceci étant dit, la LIR est muette quant aux critères particuliers que le ministre peut considérer dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Les circulaires d'information IC 92-1, IC 92-2, et IC 92‑3, toutes en date du 18 mars 1992, qui ont été considérées par le gestionnaire Laporte dans la décision contestée, contiennent une liste non exhaustive de facteurs pertinents. Bien entendu, il ne s’agit que de lignes directrices. Aussi, celles-ci n’ont pas pour objet d’être exhaustives ni de restreindre l’esprit ou l’intention de la législation. En somme, elles servent de guide au moment de la prise de la décision administrative du ministre ou de son délégué. Mentionnons à cet égard que depuis le 31 mai 2007, les circulaires susmentionnées sont remplacées par la nouvelle Circulaire d’information IC 07‑1, Dispositions d'allègement pour les contribuables (la Circulaire 07-1).
[10] La circulaire d’information IC 92-1 – Lignes directrices concernant l’acceptation des choix tardifs, modifiés ou révoqués (la Circulaire 92-1) explique la manière dont les contribuables peuvent demander l’exercice tardif, la modification ou la révocation d’un choix relatif à une année d’imposition donnée (après 1985). Celle-ci précise que chaque demande est traitée en fonction des faits qui lui sont propres et énumère les cas où ce type de demande pourra être acceptée, comme lorsqu’il est évident que le contribuable a agi en se fondant sur les renseignements erronés fournis par Revenu Canada (le Ministère) ou l’Agence (paragraphes 9 et 10 de la Circulaire 92-1). Toutes les cotisations et nouvelles cotisations qui découlent de l’acceptation de la demande sont assujetties aux dispositions générales concernant les intérêts et les remboursements (paragraphe 8 de la Circulaire 92-1).
[11] La circulaire d’information IC 92-3 – Lignes directrices concernant l’émission de remboursements en dehors de la période normale de trois ans (la Circulaire 92-3), prévoit à son paragraphe 7 que le ministre émettra un remboursement ou réduira un montant en souffrance, dans les cas frappés de prescription, « s’il est persuadé que le remboursement ou la réduction auraient été accordés si la déclaration ou la demande avait été soumise à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée ». Toutefois, la capacité du ministre de permettre un rajustement de montants pour une année d’imposition frappée de prescription ne devrait pas être utilisée pour effectuer un nouvel examen des points en cause lorsque le contribuable a choisi de ne pas contester les points en cause au moyen des processus d’opposition et d’appel normaux ou lorsque les points en cause ont déjà été traités dans le cadre d’une opposition ou d’un appel.
[12] À cause de circonstances exceptionnelles, d’actions de l’Agence, d’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation ou de l’exigence fiscale en cause, un allègement d’intérêts peut également être accordé. Il est donc clair que le but d’une demande d’allègement d’intérêts (renonciation ou annulation) en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR n’est pas d’accorder un moyen supplémentaire au contribuable de réduire ou régler de façon arbitraire l’impôt à payer.
[13] Les paragraphes 5 et 6 de la circulaire d’information IC 92-2, Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités (la Circulaire 92-2) sont pertinents :
5. Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l'employeur. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d'un contribuable, l'exécuteur d'une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d'autres exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu:
a) une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l'homme comme une inondation ou un incendie;
b) des troubles civils ou l'interruption de services comme une grève des postes;
c) une maladie grave ou un accident grave;
d) des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.
6. L'annulation des intérêts ou des pénalités ou la renonciation à ceux-ci peuvent également être justifiées si ces intérêts ou pénalités découlent principalement d'actions attribuables au Ministère comme dans les cas suivants:
a) des retards de traitement, ce qui a eu pour effet que le contribuable n'a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l'existence d'une somme en souffrance;
b) des erreurs dans la documentation mise à la disposition du public, ce qui a amené des contribuables à soumettre des déclarations ou à faire des paiements en se fondant sur des renseignements erronés;
c) une réponse erronée qu'un contribuable ou un employeur a reçue concernant une demande de renseignements comme dans le cas où le Ministère a informé par erreur un contribuable qu'aucun acompte provisionnel n'est nécessaire pour l'année en cours;
d) des erreurs de traitement;
e) des renseignements fournis en retard comme dans le cas où un contribuable n'a pu faire les paiements voulus d'acomptes provisionnels ou d'arriérés parce qu'il n'avait pas les renseignements nécessaires.
[14] Notons également qu’au moment où la décision contestée a été rendue, des retards indus pour régler une opposition ou un appel, ou la réalisation d’une vérification, pouvaient également donner lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au paragraphe 220(3.1) de la LIR, et ce même si cette dernière situation n’était pas formellement mentionnée à titre d’exemple dans la Circulaire 92-2, ce qui est le cas aujourd’hui (alinéa 26f) de la Circulaire 07-01).
[15] Ceci étant dit, même si le retard est imputable aux actions du Ministère ou de l’Agence, il n’en demeure pas moins que d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte et possiblement limiter le montant d’un allègement aux intérêts, tout dépendant du comportement qu’a pu adopter le contribuable. Le paragraphe 10 de la Circulaire 92-2 mentionne ces facteurs supplémentaires :
10. Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l'étude des demandes d'annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux-ci:
a) si le contribuable ou l'employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;
b) si le contribuable ou l'employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;
c) si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;
d) si le contribuable ou l'employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.
[16] Ceci étant dit, au moment où la décision contestée a été rendue, les demandes d’équité étaient traitées de la façon suivante par les fonctionnaires de l’Agence. Une première décision pouvait être rendue par un agent (le premier niveau). À la suite d’une décision négative, le contribuable pouvait alors demander une révision administrative à un gestionnaire (le deuxième niveau). Dans ce dernier cas, un agent préparait un rapport comportant une recommandation portant sur la question de savoir si l’accord ou le refus de l’allègement était justifié. En pratique, le rapport de l’agent était ensuite étudié par un groupe de trois personnes (le comité de révision) avant d’être soumis au gestionnaire pour décision finale (le représentant du ministre).
[17] À ce point, avant d’examiner les faits de cette affaire, il est important de rappeler que le contribuable ne peut pas formuler une opposition ou déposer un appel devant la Cour canadienne d’impôt (CCI) à l’encontre d’une décision négative rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR, mais qu’il doit plutôt s’adresser à la Cour fédérale s’il désire en obtenir la révision (paragraphe 13 de la Circulaire 92-2; voir également Adamson v. The Queen, 2002 DTC 1540 et Neathly v. The Queen, 2007 TCC 611). Bien entendu, le contribuable doit épuiser tout recours interne qui lui est disponible avant de déposer une demande de contrôle judiciaire, de sorte qu’à la suite d’une décision négative rendue au premier niveau, il doit d’abord en demander la révision à un gestionnaire selon la procédure expliquée plus haut.
Cotisations initiales et nouvelles cotisations
[18] En 1992 et 1993, le demandeur investit dans un abri fiscal, soit des actions accréditives d’une entreprise d’exploitation minière, Exploration Auriginor inc. (Auriginor). Dans ses déclarations d’impôt 1992 et 1993, le demandeur réclame des déductions fiscales de 9 600 $ et 12 000 $ à ce chapitre. En date des 2 juin 1993 et 2 mai 1994, le ministre émet des cotisations n’apportant aucune modification concernant ces derniers montants (les cotisations initiales).
[19] En 1995, le ministre débute une vérification, puis en 1996, une enquête en relation avec les frais d’exploration d’Auriginor et de deux autres sociétés minières, soit Acabit inc. et Ressources Plexmar inc. L’enquête est conduite par la Section des enquêtes spéciales du Bureau des services fiscaux de Laval. Les enquêteurs ont alors des raisons sérieuses de croire qu’une grande partie des dépenses d’exploration auxquelles les trois sociétés impliquées ont renoncé au cours des années d’imposition 1992, 1993 et 1994, n’en étaient pas. Par conséquent, les investisseurs n’auraient pas droit à une partie importante des déductions fiscales qu’ils ont réclamées dans les déclarations d’impôt en question. Quelque 234 investisseurs pourraient donc être affectés par les redressements que pourrait apporter le ministre aux cotisations précédemment émises pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994.
[20] En raison de la proximité de la date de prescription de l’année d’imposition 1992, une lettre est transmise par l’Agence le 30 avril 1996 au demandeur. On lui demande de compléter le formulaire de renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation. On l’avise également que l’année 1993 fait toujours l’objet d’une enquête. Le demandeur complète et retourne le formulaire de renonciation le 14 mai 1996.
[21] Le 29 novembre 1996, des précisions sont fournies au demandeur dans la lettre préparée par R. Dugré, enquêteur, Enquêtes Spéciales. Les déductions réclamées pour les années 1992 et 1993 seront réduites à 672 $ et 480 $. Du même coup, le demandeur est avisé que le rachat des actions accréditives dans Auriginor donne lieu à un gain en capital qui doit être déclaré dans l’année de la disposition. Or, le demandeur aurait omis de déclarer un montant total de 15 000 $ à titre de gain en capital (7 000 $ et 8 000 $) en 1993.
[22] Le 31 janvier 1997, le demandeur est avisé par écrit que la preuve d’exécution des travaux d’exploration minière demeure la responsabilité des sociétés minières concernées. Or, selon l’enquêteur Dugré, les fonds souscrits par les investisseurs constituaient essentiellement les seuls fonds disponibles pour défrayer les coûts associés aux frais d’exploration. L’enquêteur note à cet égard que 62% des fonds reliés aux actions accréditives ont été retournés aux investisseurs, avec déduction. Puisque les fonds souscrits par les investisseurs ne peuvent être dépensés deux fois, et puisqu’ils n’ont pas été utilisés pour défrayer les coûts associés aux travaux d’exploration, ils ne peuvent être renoncés en faveur desdits investisseurs par les sociétés minières concernées. La lettre de l’enquêteur Dugré indique également que des avis de nouvelle cotisation pour chacune des années d’imposition en cause, seront prochainement émis par le ministre en relation avec le refus d’une partie de la déduction réclamée pour frais d’exploration au Canada, d’une part, et l’imposition d’un gain en capital présumé suite à l’encaissement du montant reçu à titre de rachat ou « buy-back », d’autre part. De plus, lesdits avis ne comporteront aucune pénalité. Bien entendu, le demandeur pourra alors faire une opposition à la cotisation, en plus de pouvoir formuler auprès du ministre « toute demande d’annulation des intérêts en vertu du dossier équité ».
[23] Effectivement, des avis de cotisation pour les années d’imposition 1992 et 1993 sont émis par le ministre en date du 30 avril 1997 (les cotisations de 1997). Les avis de cotisation du 30 avril 1997 n’ont pas été produits au dossier de la Cour. Il semble néanmoins que ceux-ci apportent aux cotisations initiales les redressements annoncés dans la lettre de l’enquêteur Dugré. À l’instar d’autres investisseurs, le demandeur remplit des formulaires d’avis d’opposition à l’encontre des cotisations de 1997. Ses oppositions sont reçues par l’Agence le ou vers le 2 juin 1997. Le 18 septembre 1998, une offre de règlement est faite aux investisseurs qui ont formulé une opposition aux cotisations de 1997, incluant le demandeur. Selon l’offre du ministre, les frais d’exploration minière en question ne peuvent donner lieu à une déduction, mais le gain en capital antérieurement imposé lors du rachat des actions accréditives sera remplacé par une perte en capital avec un certain calcul d’intérêts. Cependant, l’offre du ministre est conditionnelle à ce que les investisseurs concernés renoncent à leur droit d’opposition et d’appel. Le demandeur refuse cette proposition. Le règlement des dossiers du demandeur et des autres investisseurs ayant refusé la proposition, est suspendu administrativement par l’Agence en attendant l’issue des accusations criminelles qui ont entretemps été portées en vertu de la LIR contre les promoteurs des sociétés minières impliquées, soit Alain Guy Garneau, Gérald R. Provencher et Jacques Munger (les promoteurs).
[24] Le procès contre les promoteurs a lieu au cours de l’hiver 2000. Le demandeur collabore pleinement à l’enquête. Sa déclaration écrite du consentement des procureurs est déposée à la Cour supérieure du Québec. Il remet à cette occasion aux procureurs de Justice Canada tous les documents qui lui sont demandés, dont ses déclarations de revenus. En mars 2000, les promoteurs sont trouvés coupables d’avoir, entre autres, volontairement permis à des investisseurs de réclamer des dépenses inadmissibles alors qu’ils savaient que les financements réalisés n’étaient pas des financements accréditifs au sens de la LIR. Au niveau des représentations sur sentence, la poursuite considère les investisseurs comme des victimes innocentes et demande même que ceux-ci lui fassent parvenir le détail des intérêts qui ont été facturés par l’Agence au moment où la déduction fiscale a été refusée (voir la lettre du 21 mars 2000 de Me Joanne Grenier de Justice Canada).
[25] À la suite de ces condamnations, en septembre 2000, François Blais du Bureau des services fiscaux de Laval (Division des appels) revoit l’ensemble des dossiers d’opposition des investisseurs concernés, dont apparemment celui du demandeur. Le règlement des oppositions donnera lieu à l’émission de nouvelles cotisations pour réduire à néant les déductions réclamées par les investisseurs dans leurs déclarations à titre de frais d’exploration, ainsi que l’annulation de tout gain en capital imposable antérieurement ajouté aux revenus des investisseurs en vertu des cotisations de 1997. Par conséquent, tout gain en capital auparavant imposé aux investisseurs lors du rachat des actions des sociétés minières (qui ne répondent plus à la définition d’actions accréditives à l’alinéa 66(15)d.1) de la LIR) sera annulé et plutôt remplacé par une perte en capital. Ceci étant dit, il n’y a aucune preuve au dossier de la Cour (ni semble-t-il au dossier de l’Agence) à l’effet que le demandeur ait personnellement été avisé, par écrit, du règlement proposé de ses oppositions antérieures, et ce, de la manière ci-haut indiquée.
[26] Quoiqu’il en soit, le 21 septembre 2000, des avis de nouvelle cotisation pour les années 1992 et 1993 sont envoyés au demandeur (les cotisations de 2000). L’impôt fédéral net à payer est de 7 603,36 $ et de 10 254,91 $ pour 1992 et 1993. Au niveau des changements apportés par le ministre aux cotisations antérieures pour l’année 1993, l’intérêt sur arriérés antérieurement calculé a été diminué de 1 659,36 $. La façon dont les montants d’impôt payable ont été calculés par le ministre n’est pas expliquée sur les avis produits à la Cour. Sauf en ce qui concerne les intérêts, il n’y a aucune explication sur les changements apportés par le ministre, alors qu’il est indiqué que « [d]’autres informations […] parviendront sous pli séparé ».
[27] Les avis de cotisation de 2000 que l’Agence peut avoir dans son dossier n’ont pas été inclus dans le dossier de la défenderesse. D’autre part, dans le dossier de la Cour, il n’y a aucune lettre explicative ou annexe accompagnant les cotisations de 2000. Il n’y a pas non plus dans le dossier de la Cour de correspondance subséquente entre l’Agence et le demandeur fournissant d’autres informations à ce sujet. Une certaine confusion concernant les cotisations de 2000 semble donc s’être installée dans l’esprit du demandeur à l’époque.
[28] Le demandeur traite à tort les cotisations de 2000 comme de simples avis de compte et en janvier 2001, suite aux informations qu’il a reçues par téléphone d’une certaine Martine Manta qui travaille à l’Agence, le demandeur croit alors qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer de versements ni d’entreprendre d’autres démarches étant donné que la contestation de la cotisation « pour tout le groupe impliqué », est rendue au niveau de l’appel à la CCI. Quoiqu’il en soit, en date du 20 avril 2001, l’agent de recouvrement du ministre envoie une lettre au demandeur, l’avisant de son solde d’impôt pour les années 1992 et 1993. La preuve au dossier de la Cour n’indique cependant pas le solde (impôt impayé et intérêts) dû par le demandeur à cette dernière date.
Examen de la demande d’équité au premier niveau
[29] Le 10 juillet 2001, le demandeur formule dans un seul document (la demande d’équité) une « demande de redressement d’une T-1 » pour les années 1992 et 1993, ainsi qu’une « demande d’annulation d’intérêts ».
[30] Dans un premier temps, le demandeur amende ses déclarations d’impôt de façon à :
1) réduire (1992 et 1993) à néant les montants inscrits à titre de frais d’exploration minière;
2) déclarer (1993) des gains en capital imposables (5 250 $ et 6 000 $) et des pertes en capital nettes correspondant au total de ces montants (11 000 $); et
3) réclamer (1992 et 1993) des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise (9 000 $ et 10 500 $)
Le demandeur réclame en conséquence l’émission de nouvelles cotisations (la demande de rajustement).
[31] Dans un deuxième temps, conformément à la lettre du 31 janvier 1997 de l’enquêteur Dugré, le demandeur maintient sa « demande d’annulation des intérêts en vertu du dossier équité » (la demande d’annulation d’intérêts).
[32] La demande d’équité du demandeur est adressée au Centre fiscal de Shawinigan-Sud. Celle-ci est reçue le 13 juillet 2001. Par lettre datée du 23 août 2001, on accuse réception de la « demande de rajustement » pour les années 1992 et 1993 : « Nous traiterons la demande dès que possible et nous vous enverrons, s’il y a lieu, un « Avis de nouvelle cotisation » ». Dans les faits, la demande d’équité est traitée à l’automne 2001 par Diane Charette, agente au Bureau des services fiscaux de la Montérégie Rive-Sud. Cette dernière effectue les 17, 18 et 22 octobre 2001 diverses vérifications auprès d’agents travaillant dans d’autres bureaux, dont l’enquêteur Dugré et l’agent Blais du Bureau des services fiscaux de Laval. Selon les informations recueillies par l’agente Charette, les nouvelles cotisations ont été traitées par l’agent Blais le 21 septembre 2000 mais on ne retrouve pas dans le dossier fiscal du demandeur ayant été transmis par l’enquêteur Dugré, copies des avis de cotisation 2000 (non plus que les oppositions faites en 1997 par le demandeur). Le 22 octobre 2001, l’agente Charette laisse donc un message à l’attention du demandeur afin que celui-ci retrace les cotisations de 2000.
[33] Le 25 octobre 2001, l’agente Charette informe le demandeur qu’il « ne peut faire une demande de correction ni faire une opposition sur un point qui a déjà été statué par la Division des appels, c’est-à-dire ses pertes sur les actions Acabit, Auriginor et Plexmar. Il doit passer par un appel à la CCI. » D’autre part, l’agente Charette lui indique également que les cotisations de 2000 « [font] suite au jugement sur les sociétés en commandite et les directives du bureau coordonnateur de Laval. Tous les dossiers des investisseurs ont été réglés suite à ce jugement sauf ceux qui sont représentés par Me Ryan. » Suite aux informations reçues, le demandeur comprend alors que l’Agence ne donnera pas suite à sa demande d’équité. Comme nous le verrons dans la section qui suit, suite à l’avis verbal qu’il a reçu de l’agente Charette, le 26 octobre 2001, le demandeur formulera devant la CCI une demande de prorogation pour faire appel des cotisations de 2000 (car le délai est alors expiré).
[34] Le 29 octobre 2001, l’agente Charette rencontre quand même l’agent Blais au sujet de la demande d’équité du demandeur : « Il est évident que la perte en capital de 11 000 $ [du demandeur] n’a pas été inscrite au système alors que suite au règlement des oppositions [en septembre 2000] nous lui avons calculé cette perte. » Il est convenu que l’agente Charette fera « la mise à jour au système pour la perte en capital » tandis que celle-ci donnera suite à la demande d’annulation d’intérêts formulée dans la demande d’équité.
[35] Le 13 novembre 2001, l’agente Charette a une conversation téléphonique avec le demandeur. Ce dernier lui confirme qu’il désire continuer son appel à la CCI « car il veut défendre son point de vue concernant les pertes d’entreprise comme le fait Me Paul Ryan avec un groupe d’investisseurs. » L’agente Charette lui fait clairement savoir que l’Agence ne peut corriger l’omission d’inscrire au système la perte en capital de 11 000 $ subie par le demandeur en 1993 car « son dossier est à la Cour ». Toutefois, elle laissera une note à l’effet que le demandeur « a droit à sa perte en capital de 11 000 $ telle qu’inscrite sur la T7WC de 1993 ». D’autre part, elle indique au demandeur qu’il recevra une réponse écrite prochainement concernant la demande d’annulation d’intérêts. De fait, selon les notes du 13 novembre 2001 de l’agente Charette, produites au dossier de la Cour, un rapport négatif a déjà été préparé par elle-même. Bref, il ne reste qu’à transmettre au demandeur une lettre de refus au nom du ministre.
[36] Le 14 novembre 2001, par lettre signée par D. Corbeil, chef des appels, la demande d’annulation d’intérêts est rejetée au nom du ministre. Tout d’abord, les cotisations de 1997 ont été établies en vertu de la présentation d’une renonciation à l’application de la période de nouvelle cotisation pour l’année 1992 et dans le délai de trois ans de la date de la première cotisation pour l’année 1993. De plus, les cotisations de 2000 « ont été établies dans un délai raisonnable compte tenu de l’ampleur du dossier et [du] choix [du demandeur] d’attendre la décision de la Cour Criminel [sic] pour régler [ses] oppositions ». La décision de l’agent Corbeil s’appuie sur la Circulaire 92-2.
[37] D’autre part, le demandeur est informé par l’agent Corbeil que « la loi ne prévoie [sic] aucun droit de s’opposer à une décision discrétionnaire d’annuler ou non des intérêts ou pénalités », mais qu’il peut demander, par écrit, au directeur d’un centre fiscal ou d’un bureau des services fiscaux de procéder à un examen administratif de cette décision.
Appel des cotisations de 2000
[38] Entretemps, le 26 octobre 2001, le demandeur formule une demande de prorogation auprès de la CCI ainsi qu’un avis d’appel à l’encontre des cotisations de 2000 (l’appel du demandeur) comme l’agente Charette lui avait suggéré de faire le 25 octobre 2001.
[39] Dans son appel, le demandeur reprend plusieurs arguments que l’on retrouve dans sa demande d’équité, sauf que ceux-ci sont plus élaborés. Le demandeur soumet notamment que la perte résultant de la disposition de ses actions dans Auriginor est une perte d’entreprise. De plus, le demandeur soumet que les intérêts qui lui sont réclamés en vertu des cotisations de 2000 sont injustifiés et excessifs et qu’ils devraient être annulés ou substantiellement réduits : « l’appelant n’est nullement responsable des délais, sur de nombreuses années, reliés au règlement de ce dossier, il n’avait aucun contrôle sur les procédures et le cheminement du dossier et a participé à toutes démarches visant à en accélérer l’avancement. »
[40] L’appel du demandeur à l’encontre des cotisations de 2000 est reçu par la CCI le 30 octobre 2001, tandis que l’agente Charette reçoit par télécopieur confirmation de l’appel en question, le 5 novembre 2001.
[41] La demande de prorogation du délai d’appel à l’encontre des cotisations de 2000 est accordée le 25 janvier 2002 par le juge suppléant D.R. Watson de la CCI, qui considère son appel valide. Il ne semble pas que l’absence de juridiction de la CCI pour réviser une décision négative du ministre concernant l’annulation des intérêts n’ait été soulevée ou discutée à cette époque. Cependant, selon la documentation soumise à cette Cour par les parties, il appert qu’en date du 25 janvier 2002, l’Agence a traité la demande d’annulation des intérêts contenue dans l’appel du demandeur comme une demande de révision de la décision négative rendue au premier niveau par l’agent Corbeil le 14 novembre 2001.
[42] Ceci étant dit, le 9 juin 2004, le demandeur se désiste de son appel. Selon la documentation soumise à cette Cour par les parties, l’Agence acceptera par la suite de traiter, administrativement, au deuxième niveau, la demande de rajustement formulée par le demandeur dans sa lettre en date du 10 juillet 2001 (qui n’a donné lieu à aucune décision), ainsi que la demande d’annulation d’intérêts (qui a déjà été refusée le 14 novembre 2001).
Examen de la demande d’équité au deuxième niveau
[43] La demande d’équité est traitée au deuxième niveau par un gestionnaire de l’Agence au printemps 2007.
[44] Le demandeur, qui se représente lui-même dans les présentes procédures, affirme que pendant cinq ans, il a communiqué de façon régulière, à chaque mois, avec Revenu Canada et qu’il a tenté d’avoir des nouvelles de l’avancement de son dossier. Néanmoins, il dit n’avoir jamais réussi à obtenir la moindre information, ni même le nom d’une personne ou d’un service responsable de son dossier. De décembre 2006 à février 2007, il augmente le nombre d’appels à trois et quatre fois par semaine. Les allégations du demandeur ne sont pas démenties aujourd’hui par l’Agence. Le 19 février 2007, le demandeur reçoit pour la première fois un appel d’un certain Jean Laporte, gestionnaire des litiges pour l’Agence, l’informant qu’il n’a pas son dossier mais que s’il lui en fait parvenir une copie, il pourra l’étudier, ce que le demandeur fait le jour même par télécopieur. C’est à partir de ce moment, que l’Agence décide d’examiner, dans son ensemble, la demande d’équité du demandeur.
[45] Dans son affidavit en date du 27 juillet 2007, le gestionnaire Laporte explique qu’il demande alors à Maryse Lepage, agente du bureau des litiges, Bureau des services fiscaux de Montréal, d’effectuer une analyse du dossier du demandeur. Effectivement, l’agente Lepage prépare un rapport, daté du 19 mars 2007, intitulé « DEMANDE D’ÉQUITÉ – RÉVISION (2ième niveau). » Ce rapport comprend : un énoncé des motifs de la demande d’équité; un résumé des faits; la réponse apportée au nom du ministre à la demande d’équité faite par le demandeur le 10 juillet 2001 et refusée au premier niveau le 14 novembre 2001; l’analyse effectuée par l’agente Lepage au niveau du deuxième niveau (révision du dossier équité et comité de révision en équité); et la conclusion de l’agente Lepage.
[46] Dans son rapport, l’agente Lepage dit avoir considéré la demande d’équité en fonction des critères mentionnés dans les Circulaires 92-1, 92-2 et 92-3. La plupart des ajustements aux cotisations réclamés par le demandeur ne sont pas justifiés, non plus qu’une réduction totale des intérêts accumulés. La conclusion générale de l’agente Lepage se lit comme suit :
L’étude de la demande de dossier équité du requérant à la lumière des critères de la circulaire d’information 92-2 et plus particulièrement en fonction des critères soulevés par celle-ci ne justifie pas, selon moi d’acquiescer aux demandes du requérant, autres que ce qui suit :
a) Accorder une réduction d’intérêts pour les périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997 et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001 pour le requérant pour ses années d’imposition 1992 et 1993 relativement à ses investissements dans le projet « Société Exploration Auriginor inc. »;
b) Reconnaître au requérant les pertes nettes en capital totalisant 8 250 $ (11 000 X 75%) subies en 1993.
[caractères gras dans la copie originale]
L’agente Lepage se fonde à cet égard sur le paragraphe 220(3.1) de la LIR, ainsi que sur l’alinéa 6a) de la Circulaire 92-2.
[47] À la fin du rapport de l’agente Lepage, on retrouve une section intitulée « Comité de révision en équité », qui est complétée par les commentaires et les signatures de trois autres personnes (le comité de révision en équité), qui indiquent être d’accord avec la conclusion de l’agente Lepage.
[48] Le 8 mai 2007, le gestionnaire Laporte décide d’accepter en entier la recommandation de l’agente Lepage. Celui-ci accueille donc partiellement la demande d’équité pour les motifs suivants :
Concernant la réclamation des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise pour les années d’imposition 1992 et 1993, nous ne pouvons accéder à votre demande, car la société impliquée ne répond pas à la définition de « société privée exploitant une petite entreprise » tel que défini au paragraphe 248 (1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Concernant les gains en capital imposables que vous demandez d’ajouter à vos revenus pour les années d’imposition 1992 et 1993 et selon les faits au dossier, vous avez plutôt subi des pertes nettes en capital aux montants respectifs de 3 750 $ et 4 500 $ suite au rachat des actions par la société. Nous vous reconnaissons ces pertes nettes en capital totalisant 8 250 $ à titre de pertes nettes en capital à reporter.
Concernant votre demande de reporter à l’année d’imposition 1993, vos pertes nettes en capital subies au cours des années d’imposition antérieures, nous ne pouvons les appliquer à l’année d’imposition 1993, étant donné que vous n’avez pas réalisé de gain en capital imposable au cours de cette année d’imposition.
Concernant votre demande d’annulation des intérêts sur arriérés, l’analyse du dossier nous amène à conclure qu’à l’exception des périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997, et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001, il n’y a eu aucun délai indu dans le traitement de votre dossier. Nous vous accordons donc un allègement d’intérêts pour les périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997, et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001, pour les années d’imposition 1992 et 1993.
[49] Dans la décision contestée, le demandeur est invité par le gestionnaire Laporte à présenter une demande de contrôle judiciaire s’il estime que « nous n’avons pas exercé notre pouvoir discrétionnaire correctement lors de la révision de votre demande », d’où la présente demande de contrôle judiciaire.
Caractère révisable de la décision contestée
[50] La décision contestée dispose de façon finale de la demande d’équité. Celle-ci, rappelons-le encore une fois, comportait deux volets juridiques distincts :
a) L’annulation en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR des intérêts relatifs aux années d’imposition 1992 et 1993, encourus depuis le 24 mai 1996 suite aux nouvelles cotisations émises le 30 avril 1997 et le 20 septembre 2000;
b) La correction en vertu des paragraphes 152(4), 152(4.2) et/ou 152(6) de la LIR des cotisations suite aux amendements apportés par le demandeur le 10 juillet 2001 à ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 1992 et 1993.
[51] La décision contestée reconnaît qu’il y a bien eu un délai indu dans le traitement du dossier du demandeur pour les périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997 et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001, mais nie que ce soit le cas pour les autres périodes (incluant la période après la date du 15 décembre 2001). D’autre part, la décision contestée reconnaît également qu’il y a eu une omission dans le compte historique du demandeur, d’une perte nette en capital au montant de 8 250 $ (11 000 $ x 75%) subie en 1993, de sorte que le compte historique du demandeur doit être rectifié en conséquence.
[52] Il s’agit essentiellement de déterminations de nature factuelle. À cet égard, le gestionnaire Laporte dit dans son affidavit avoir consulté la documentation suivante : la lettre du demandeur du 10 juillet 2001; les notes de l’agente Charette et son rapport daté du 13 novembre 2001; la décision au premier niveau du 14 novembre 2001; les documents d’appel et le désistement produits à la CCI par le demandeur; le rapport du 19 mars 2007 de l’agente Lepage; et l’extrait du dossier informatique de l’Agence. D’autre part, dans l’exercice comme tel de la discrétion ministérielle, le gestionnaire Laporte dit s’être référé également aux dispositions applicables de la LIR, ainsi qu’aux lignes directrices élaborées dans les Circulaires 92-2 et 92-3.
[53] Le demandeur ne conteste pas la légalité du refus du gestionnaire Laporte de traiter les pertes qu’il a encourues en 1993 comme des pertes d’entreprise (et non comme des pertes en capital). Par contre, le demandeur soumet que la décision du gestionnaire Laporte d’accorder une réduction partielle des intérêts doit être révisée par la Cour.
[54] À l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire prise par le ministre ou son délégué en vertu des « dispositions d’équité » de la LIR, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui s’applique, et non celle de la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui était antérieurement appliquée par la Cour (Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. no 714 (QL), 2005 CAF 153 aux paras. 3 à 7; Comeau c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. no 1334 (QL), 2005 CAF 271 aux paras. 15 à 17).
[55] Il s’agit donc de se demander si, après un « examen assez poussé », les motifs donnés par le gestionnaire Laporte et l’agente Lepage, pris dans leur ensemble, étayent la décision contestée (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paras. 47 et 50). Ceci étant dit, même s’il n’est pas nécessaire que chaque élément du raisonnement de la décision rendue satisfasse au critère du caractère raisonnable, encore faut-il que le juge de révision soit satisfait que le décideur administratif ait pris une décision raisonnable, dans son ensemble, après avoir procédé à une analyse complète du dossier du contribuable et tenu compte de tous les critères pertinents.
[56] Le demandeur soumet essentiellement que le ministre a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve dans son dossier, notamment le fait que les intérêts découlent principalement d’actions attribuables à l’Agence. Il allègue aujourd’hui que son dossier pouvait être traité dans un délai de quelques semaines; qu’il y a eu de nombreuses difficultés occasionnées par la perte de pièces importantes au dossier, ce qui a été un facteur important dans le non-traitement de son dossier; que l’information transmise par l’Agence était erronée; que les oublis par les agents de l’Agence ont fait en sorte que toutes les cotisation reçues par le demandeur étaient erronées; et, que son dossier original n’a pas été retrouvé, même au printemps 2007. Il soumet que ces diverses erreurs de traitement, que les délais et la perte de documents n’ont pas été pris en compte ou ont été arbitrairement écartés par le représentant du ministre. Par conséquent, la décision ministérielle de ne pas annuler les intérêts encourus depuis le 15 décembre 2001 n’est pas raisonnable dans les circonstances.
[57] Pour sa part, la défenderesse soumet que le ministre avait des raisons valables pour ne pas traiter plus tôt le dossier du demandeur, alors que les erreurs de traitement et les omissions aujourd’hui reprochées à l’Agence n’ont pas un caractère déterminant ou ne sont pas pertinentes en l’espèce. La défenderesse rappelle à cet égard que le ministre possède un large pouvoir discrétionnaire en vertu de la loi. Or, le gestionnaire Laporte a tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier et des critères mentionnés à la Circulaire 92-2. Sa décision est raisonnable dans les circonstances, incluant son refus d’annuler les intérêts encourus depuis le 15 décembre 2001, car le demandeur avait décidé de déposer un appel à la CCI à l’encontre des cotisations de 2000.
[58] Le demandeur réplique que les notes au dossier de l’Agence indiquent que les 18 et 25 octobre 2001, le demandeur a été avisé par les représentants de l’Agence qu’il ne pouvait pas faire une demande de correction ou d’ajustement et qu’il devait plutôt s’adresser à la CCI. Aussi, le 26 octobre 2001, le demandeur présente à la CCI une demande de prorogation de délai pour faire appel de la nouvelle cotisation dans laquelle il est notamment soumis que tous les intérêts qui lui sont réclamés pour les années d’imposition 1992 et 1993 sont injustifiés et excessifs et qu’ils devraient été annulés ou substantiellement réduits. Ce n’est qu’après réception d’une télécopie à l’effet que le demandeur « a fait appel à la C.C.I. », que l’on retrouve cette note sibylline en date du 6 novembre 2001 : « François [Blais] avait expliqué le dossier au contribuable et il croyait que le contribuable n’avait pas besoin de produire un appel à la Cour. »
[59] Examinons donc la décision contestée à la lumière des motifs contestés fournis, de la preuve au dossier et des critères pertinents déjà soulignés au début des présents motifs (Règles de cotisation et d’allègement). Pour les fins des présentes, la Cour accepte que le contenu du rapport de l’agente Lepage puisse servir de justification à la décision contestée puisque le gestionnaire Laporte, ainsi que le comité de révision, ont souscrit aux recommandations contenues audit rapport.
[60] Je note en premier lieu que l’agente Lepage souligne dans son rapport que le ministre n’est pas responsable des agissements de tiers et qu’il ne doit pas assumer les risques pour les investisseurs. Bien que le demandeur ait respecté par le passé ses obligations fiscales, on ne peut affirmer qu’il s’agissait d’une situation indépendante de la volonté des investisseurs des sociétés minières concernées, qui ont assumé le risque de déductions auxquelles ils n’avaient pas droit. Comme point de départ d’une analyse à compléter par l’évaluation des faits particuliers relatifs au demandeur, cette prémisse m’apparaît certes raisonnable. Toutefois, l’analyse des personnes impliquées dans l’étude d’une demande d’équité ne peut se limiter à la réaffirmation de tels principes généraux, puisque l’objet même des dispositions dites « d’équité » ou d’allègement est justement de créer un régime d’exception, et ce notamment dans le cas où le retard indu pour régler une opposition ou un appel, ou la réalisation d’une vérification sont attribuables, en tout ou en partie, à des actions de l’Agence ou du Ministère.
[61] Lorsqu’un allègement est refusé ou accordé partiellement, l’Agence doit fournir au contribuable une explication des raisons et des facteurs de la décision. Faut-il le rappeler, chaque demande d’équité que reçoit l’Agence doit faire l’objet d’un examen et d’une décision fondée sur ses propres mérites. La décision qui est rendue par l’Agence doit refléter cette obligation découlant de l’équité procédurale. Or, l’un des vices majeurs de la décision contestée, c’est l’apparente omission de l’agente Lepage, des membres du comité de révision et du gestionnaire Laporte d’analyser le mérite de la demande d’annulation d’intérêts eu égard à la situation particulière du demandeur. Il est vrai que le rapport de l’agente Lepage contient un bref résumé des faits (dont plusieurs faits pertinents ont été omis), mais l’analyse comme telle de l’agente Lepage pêche par l’absence de conclusions d’ordre factuel sur les causes du retard et la responsabilité des fonctionnaires de l’Agence.
[62] Peut-on dire en l’espèce qu’il y a eu dans le dossier du demandeur des erreurs de traitement, des retards, des informations manquantes au dossier, des renseignements inexacts, des changements de position, s’il en est, pouvant être imputables à des actions de l’Agence? Dans l’affirmative, ces actions justifient-elles, dans les circonstances propres au demandeur, un allègement quelconque des intérêts découlant des nouvelles cotisations? En d’autres termes, peut-on lire qu’il y a un retard indu et à quelles périodes exactement?
[63] Dans son analyse, l’agente Lepage se réfère simplement au traitement particulier qui a été accordé par le ministre à Wilfrid Comeau, qui a acheté en 1992 des actions accréditives d’Acabit, l’une des trois sociétés minières ayant été sous enquête à partir de 1995 (2004 CF 461 et 2005 CAF 271). L’agente conclut que le demandeur doit recevoir le même traitement que M. Comeau parce que les faits sont identiques : « [l]es juges de la Cour Fédérale d’Appel ont convenu que la décision de la Division des appels de l’Agence rendue en date du 7 octobre 2003, ordonne l’annulation des intérêts sur arriérés pour la période du 24 mai 1996 au 9 juin 1997, était raisonnable », tandis que « le Ministre a alloué une réduction additionnelle d’intérêts pour la période du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001 ». J’ignore à quelle réalité particulière du demandeur, ces différentes dates font référence. Au passage, je note que contrairement au dossier Comeau, la Cour n’a pas eu le bénéfice de réviser le contenu des comptes-rendus, s’il en est, du comité de révision, qui a apparemment considéré au printemps 2007, soit plusieurs années après les jugements rendus par la Cour et la Cour d’appel fédérale dans Comeau, l’opportunité de faire droit ou non à la demande d’équité du demandeur.
[64] Dans son affidavit, le gestionnaire Laporte justifie le délai écoulé après le 15 décembre 2001 par le fait que le 25 janvier 2002, le demandeur a été autorisé par la CCI à faire appel des cotisations de 2000. Cette dernière explication n’est ni mentionnée dans la lettre signée par le gestionnaire Laporte, ni dans le rapport de l’agente Lepage, de sorte que celle-ci peut difficilement venir bonifier aujourd’hui la décision contestée. Quoiqu’il en soit, le ministre a tardé à prendre une décision finale après que le demandeur se soit désisté en juin 2004 de son appel à la CCI. En effet, la preuve non contredite au dossier révèle que ce n’est qu’à l’insistance du demandeur pour obtenir une décision finale sur sa demande d’équité, que le gestionnaire Laporte décide en mars 2007, de mandater l’agente Lepage d’analyser son dossier et de lui soumettre des recommandations. Une nouvelle explication est avancée aujourd’hui par la défenderesse pour justifier ce retard additionnel de trois ans. Selon l’affidavit du gestionnaire Laporte, même après le désistement de l’appel du demandeur à la CCI, l’Agence a décidé de suspendre sa décision puisqu’elle attendait « la conclusion des dossiers faisant partie du projet d’actions accréditives et du projet de recherche et développement qui était inter relié ». L’Agence attendait également « une décision sous peu en semblable matière », soit dans l’affaire Comeau, précitée.
[65] Le gestionnaire Laporte fait également référence dans son affidavit au fait que suite à l’affaire Comeau, dans l’affaire Rouleau-Joncas « un recours collectif en semblable matière, à [sic] été entendue [sic] en [sic] automne 2004 et la décision a été rendue [sic] en novembre 2006 ». Finalement, le gestionnaire affirme que d’autres dossiers inter reliés allaient être déposés sous peu par les procureurs dans le cadre d’une demande collective d’annulation d’intérêts or, ladite demande collective a été soumise au gestionnaire le 13 juillet 2007. Vu ce qui précède, le gestionnaire mentionne que « l’ARC attendait de traiter les dossiers dans un ensemble ». En somme, s’il est vrai que le gestionnaire Laporte a acquiescé à la demande de traiter au printemps 2007 « le dossier immédiatement », celui-ci note que « [c]e procédé de rendre une décision isolée dans le cadre de dossiers d’envergure n’est pas habituel pour l’ARC ». Il s’en suit que « même si bénéfique au dossier [du demandeur] », « toute décision future prise dans les autres dossiers semblables ne peut plus [lui] être appliquée. »
[66] Toutes les explications du gestionnaire Laporte concernant le long délai s’étant écoulé depuis le 15 décembre 2001 ne sont pas contenues dans la décision contestée. Les procédures de contrôle judiciaire ont une portée étroite. Elles ont pour utilité essentielle la révision des décisions administratives pour savoir si elles sont ou non conformes à la loi ou au droit applicable. La cour de révision (sauf circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas applicables ici) doit s'en tenir au dossier que l'office fédéral avait devant lui. L'équité envers les parties et envers le tribunal administratif dont la décision fait l'objet du contrôle commande une telle restriction : arrêt Bekker c. Canada (2004), 323 N.R. 195 (C.A.F.). La cour de révision doit prendre pour point de départ le dossier de l’office tel qu'il existe, sans aller au-delà des critères fixés pour le contrôle judiciaire : Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.). Il est évident que les principes évoqués ont pour effet d'empêcher aujourd’hui la Cour, saisie d'une procédure de contrôle judiciaire, de recevoir des éléments de preuve que le décideur n'avait pas devant lui. Par conséquent, les motifs postérieurs ou non mentionnés dans la décision attaquée ne peuvent servir de fondement rationnel à la validité des conclusions que celle-ci contient. De plus, je ferais remarquer que le fait d'autoriser les décideurs à compléter leurs motifs après le fait dans des affidavits ne favorise aucunement la transparence du processus décisionnel. Ceci étant dit, la défenderesse ne m’a pas convaincu que les motifs supplémentaires invoqués par le gestionnaire Laporte dans son affidavit empêchaient l’Agence de rendre une décision finale relativement à la demande d’équité du demandeur.
[67] L’Agence a bien été en mesure par le passé de rendre deux décisions finales dans le dossier Comeau, qui ont toutes deux fait l’objet de demandes en contrôle judiciaire alors que la demande d’équité du demandeur était pendant tout ce temps gardée en suspens (pour un exposé de ces procédures voir Comeau c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), [2004] A.C.F. no 1179, 2004 CF 961). Dans son rapport, l’agente Lepage fait bien état des décisions plus récentes de la Cour et de la Cour d’appel fédérale dans Comeau, précité, mais je rappelle que dès le 28 mai 2003, dans le dossier T-2222-01, cette Cour avait déjà accueilli une première demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision finale rendue le 15 novembre 2001 par une gestionnaire de l’Agence. D’ailleurs, le 24 juillet 2003, les parties impliquées dans le dossier Comeau, se désistaient effectivement des appels à l’encontre de la décision du 28 mai 2003. Si les deux dossiers étaient identiques, pourquoi ne pas avoir traité plus tôt la demande d’annulation d’intérêts du demandeur, puisque cet aspect ne relève pas de toute façon de la compétence de la CCI?
[68] La Cour a également pris connaissance du jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, le 7 novembre 2006, dans l’affaire Rouleau-Joncas, à laquelle se réfère le gestionnaire Laporte dans son affidavit (Rouleau-Joncas c. Placements Etteloc Inc. et al, 2006 QCCS 5319, en appel). Lors de l’audience de cette demande de contrôle judiciaire, la procureure de la défenderesse a reconnu que le demandeur ne fait pas partie du groupe de personnes visées par le recours collectif contre les sociétés, les individus et la Couronne, qui sont parties défenderesses dans cette instance. Dans cette dernière affaire, en ce qui concerne la Couronne, il s’agit essentiellement de déterminer la responsabilité extracontractuelle des autorités fiscales provinciales et fédérales à qui les demandeurs attribuent, en grande partie, leurs pertes financières dans le projet Etteloc. À première vue, je ne vois donc pas en quoi le jugement qui était attendu dans l’affaire Rouleau-Joncas pouvait avoir un impact quelconque sur l’exercice du pouvoir ministériel en cause dans le dossier particulier du demandeur.
[69] Vu la preuve au dossier, l’Agence n’a pas fourni d’explication raisonnable pour une grande partie des délais encourus depuis le 15 décembre 2001, et tout particulièrement en ce qui a trait aux délais encourus entre le 10 juin 2004 et le 8 mai 2007, qui sont principalement attribuables aux actions du ministre ou de ses représentants. Je note d’ailleurs que le demandeur ne semble pas avoir été informé, dans un délai raisonnable, que son dossier était suspendu en attendant des décisions sous peu en « semblable matière ».
[70] La demande de contrôle judiciaire est donc bien fondée. En effet, la décision contestée ne résiste pas à une analyse poussée. La conclusion générale qu’il n’y a pas eu de retard indu sauf pour les deux périodes mentionnées dans la décision contestée m’apparaît arbitrairement déraisonnable. La conclusion générale contenue au rapport de l’agente Lepage à l’effet que le demandeur ne rencontre pas les critères mentionnés à la Circulaire 92-2 m’apparaît également arbitraire et déraisonnable. Enfin, l’ensemble des motifs contenus dans la lettre du gestionnaire Laporte et dans le rapport de l’agente Lepage n’appuie pas leur conclusion à l’effet qu’il n’y a pas eu dans le traitement du dossier du demandeur de délai indu après le 15 décembre 2001.
Conclusion et remèdes
[71] Pour les motifs mentionnés plus haut, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
[72] Dans son avis introductif d’instance déposé le 29 juin 2007, ainsi que dans son mémoire daté du 10 septembre 2007, le demandeur désire que cette Cour annule les intérêts relatifs aux années d’imposition après la date du 15 décembre 2001. Néanmoins, il faut rappeler que même si les griefs du demandeur sont bien fondés, je ne peux qu’annuler la décision contestée et renvoyer l’affaire à la défenderesse pour un nouvel examen conformément aux instructions que la Cour estime appropriées, ce que j’ai décidé de faire en l’espèce.
[73] À titre indicatif, il est nécessaire cependant de faire quelques remarques additionnelles afin que les parties comprennent bien l’objet et l’effet de l’ordonnance d’annulation et de renvoi accompagnant les présents motifs.
[74] Premièrement, comme je l’ai souligné plus haut, le ministre reconnaît déjà dans la décision contestée qu’un délai indu a été causé par des actions de l’Agence au moins pour les périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997 et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001. Il n’est donc pas nécessaire d’annuler cette partie de la décision contestée. L’allègement fiscal accordé au demandeur dans la décision contestée à l’égard des deux périodes susmentionnées, demeure donc en vigueur et a juridiquement plein effet.
[75] Deuxièmement, il y a peut-être une distinction à faire entre les délais écoulés avant et après les nouvelles cotisations. Je note que la première période (24 mai 1996 au 9 juin 1997) où le représentant du ministre reconnaît qu’il y a eu délai indu (donc imputable aux actions de l’Agence) est survenu avant et un peu après les cotisations de 1997 (30 avril 1997). Quant à la deuxième période acceptée par le représentant du ministre (15 septembre 2001 au 15 décembre 2001), celle-ci est d’un an postérieure aux cotisations de 2000 (21 septembre 2001). Alors pourquoi arrêter le calcul de l’allègement d’intérêt au 15 décembre 2001? Il s’agit donc d’un point qui devra être examiné par le représentant du ministre en tenant compte, s’il y a lieu, de l’effet de toute erreur de traitement passée de l’Agence.
[76] Troisièmement, lors de l’audition devant la Cour, les parties n’ont fait aucune représentation utile sur la question de savoir si l’émission d’un nouvel avis de cotisation était ou non nécessaire pour donner effet à la décision du ministre : 1) d’accorder une réduction d’intérêts pour les périodes du 24 mai 1996 au 9 juin 1997 et du 15 septembre 2001 au 15 décembre 2001; et/ou 2) de reconnaître au demandeur des pertes nettes en capital totalisant 8 250 $ subies en 1993. Je note toutefois que les réductions accordées par le ministre sur les arriérés antérieurement calculées à la suite des cotisations de 1997, avaient été directement inscrites sur les cotisations de 2000. Il s’agit donc d’un point qui devra être examiné par le représentant du ministre.
[77] Quatrièmement, le non paiement de l’impôt payable par un contribuable entraîne l’obligation d’acquitter également tout intérêt réclamé par l’Agence suite à la cotisation initiale ou à la nouvelle cotisation du ministre pour une année d’imposition donnée. Bien entendu, un contribuable peut profiter de la suspension des mesures de recouvrement au cours du traitement de son opposition ou de son appel à la CCI pour miser sur le sort de son opposition ou de son appel en ne payant pas les montants réclamés par l’Agence, de sorte que les intérêts continueront de s’accumuler. Mais, lorsque son opposition ou son appel est rejeté, le contribuable ne peut en principe se plaindre que les conditions du jeu lui sont défavorables, et il doit acquitter les intérêts qui se sont accumulés, à moins bien entendu que le ministre n’accepte d’annuler ceux-ci, en totalité ou en partie, en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR (Comeau c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CAF 271, au paragraphe 20). D’un autre côté, si le contribuable a droit à un remboursement d’impôt suite à une nouvelle cotisation, le contribuable peut s’attendre à ce que des intérêts lui soient également versés (paragraphes 164(3) et 164(3.2) de la LIR). Par conséquent, le demandeur ne devrait pas trop rapidement crier victoire ici et s’assurer que les représentations additionnelles qu’il soumettra à la défenderesse permettront, le cas échéant, au représentant du ministre d’exercer sa discrétion au travers d’un allègement d’intérêts après le 15 décembre 2001.
[78] Cinquièmement, le fait que le 25 janvier 2007, le demandeur ait obtenu la permission de présenter un appel à l’encontre des cotisations de 2000 (incluant l’annulation des intérêts) est sans doute un facteur pertinent. Le dernier doit notamment être évalué à la lumière des informations apparemment confuses ou contradictoires que le demandeur avait auparavant revues des agents Charette et Blais à l’automne 2001. Il s’agit d’un point qui devra être examiné par le représentant du ministre.
[79] Sixièmement, la demande d’équité ne comprenait pas seulement une demande d’annulation d’intérêts, mais également une demande d’ajustement des cotisations antérieures. Or, le demandeur n’a pas réussi à convaincre, en mai 2007, l’Agence de traiter les pertes subies en 1993 comme des pertes d’entreprise. La légalité de cette conclusion n’est pas aujourd’hui remise en question par le demandeur. Il se peut donc que ce facteur puisse avoir un impact négatif sur les montants d’arriérés qui se sont accumulés après le 15 décembre 2001. D’un autre côté, le fait que l’allègement d’intérêts accordé au demandeur, l’ait été seulement le 8 mai 2007, alors que le même allègement aurait facilement pu être accordé le 9 juin 2004 lorsque le demandeur s’est désisté de son appel à la CCI, semble un facteur positif jouant en faveur du demandeur et d’une réduction partielle d’intérêts si le délai est imputable aux actions de l’Agence. Il s’agit donc de points qui devront être examinés par le représentant du ministre.
[80] En conclusion, dans l’exercice de ma discrétion judiciaire, la décision contestée sera annulée en partie et le dossier sera retourné à la défenderesse afin qu'une nouvelle décision soit prise par le représentant du ministre en tenant compte du fait que le demandeur réclame l’annulation des intérêts encourus depuis e 15 décembre 2001. L’Agence devra suivre la procédure d’examen applicable en pareille matière et s’assurer qu’aucune personne ayant été impliquée dans les décisions antérieures de l’Agence concernant la demande d’équité du demandeur, ne participe au processus décisionnel. Avant de rendre une décision finale, celui-ci devra notamment tenir compte des circonstances particulières du dossier du demandeur, des représentations additionnelles du demandeur, de la Circulaire 07-01, de l'esprit et de l'intention du paragraphe 220(3.1) de la LIR, des indications contenues aux motifs de la Cour et de tout autre facteur pertinent. La Cour reconnaît qu’il appartient exclusivement au ministre d’accorder un poids relatif à chacun de ces facteurs. Cependant, toute décision du ministre refusant, en totalité ou en partie, d’annuler des intérêts devra être motivée et permettre au demandeur, et le cas échéant, à toute cour de révision, de comprendre le raisonnement suivi et l’application des facteurs pertinents retenus dans le cas du dossier du demandeur. La décision finale devra être rendue dans un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la date de l’ordonnance de la Cour.
[81] Compte tenu du résultat, le demandeur qui se représente lui-même, aura droit aux déboursés raisonnables et aux frais taxables que je fixe à 250 $.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. La décision du 8 mai 2007 rendue par le représentant du ministre est annulée en partie. Plus particulièrement, la Cour annule la conclusion à l’effet qu’il n’y a eu aucun délai indu dans le traitement du dossier du demandeur après le 15 décembre 2001;
3. Le dossier est retourné à la défenderesse afin qu'une nouvelle décision soit prise concernant la demande d'annulation d'intérêts du demandeur relativement au solde impayé des cotisations datées du 30 avril 1997 et du 21 septembre 2000 pour les années d’imposition 1992 et 1993;
4. Plus particulièrement, le représentant du ministre devra réexaminer l’opportunité d’accorder une réduction d’intérêts pour toute période subséquente au 15 décembre 2001;
5. La défenderesse devra suivre la procédure d’examen applicable en pareille matière et s’assurer qu’aucune personne ayant été impliquée dans les décisions antérieures concernant la demande d’équité du demandeur, ne participe au processus décisionnel;
6. Avant de rendre une décision finale, le représentant du ministre devra notamment tenir compte des circonstances particulières du dossier du demandeur, des représentations additionnelles du demandeur, de la Circulaire 07-01, de l'esprit et de l'intention du paragraphe 220(3.1) de la LIR, des indications contenues aux motifs de la Cour et de tout autre facteur pertinent;
7. Toute décision du ministre refusant, en totalité ou en partie, d’annuler des intérêts devra être motivée et permettre au demandeur, et le cas échéant, à toute cour de révision, de comprendre le raisonnement suivi et l’application des facteurs pertinents retenus dans le cas du dossier du demandeur;
8. La décision finale devra être rendue dans un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la date de l’ordonnance de la Cour;
9. Le demandeur a droit aux déboursés raisonnables et aux frais taxables fixés par la Cour à 250 $.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1200-07
INTITULÉ : MARCEL LALONDE et
AGENCE DU REVENU DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 janvier 2008
ET ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : Le 14 février 2008
COMPARUTIONS :
Monsieur Marcel Lalonde (se représente lui-même)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Me Kim Sheppard
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Montréal, Québec |
POUR LA DÉFENDERESSE |